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  • Ordo ab chao

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    Ludmila Oulitskaïa et son grand roman de la médiation.

    par Hélène Mauler

     

     

    « […] ce livre n’est pas un roman, c’est un collage. Je découpe avec des ciseaux des petits morceaux de ma propre vie et de celle d’autres personnes, et je colle "sans colle / une histoire vivante sur les lambeaux des jours1". »

    Ludmila Oulitskaïa

    1 Citation d’un poème de Pasternak

     

     

    Il y a des romans qui, au-delà de l’histoire qu’ils racontent, soufflent au visage du lecteur toute la puissance du projet qui les anime. Tantôt en tempête, tantôt avec le calme plein de creux et de rumeurs qui fait vibrer l’air au débouché des grandes plaines d’Asie centrale ou aux confins des déserts africains, ils déploient une onde chahuteuse qui se rit du temps et de l’espace, ils enroulent et tourneboulent les destinées, ils vivent indépendamment des personnages une vie qui est la leur et dont à son tour on aimerait connaître la genèse, décrypter le manuscrit, élucider l’élan – pour découvrir le roman du roman, en quelque sorte.

     

    Ici, le roman du roman, qui est aussi le roman lui-même, se démultiplie à l’infini sitôt ouvert le volume bien sage, carré et compact, que l’on tient entre les mains : des fragments de notes prises à Boston, à Jérusalem ou à Berkeley par des hommes et des femmes de la diaspora juive en quête d’un passé et d’une identité, des courriers envoyés de Vilnius à Jérusalem, de Santorin à Cracovie, de Rio de Janeiro à Haïfa, la retranscription d’une longue conversation enregistrée en Galilée, un télégramme, une carte postale, des documents tirés des archives du NKVD et du KGB,  une brochure touristique « Visitez Haïfa », un certificat de baptême, des extraits de la presse israélienne rendant compte de la visite du pape Paul VI, un extrait du courrier des lecteurs du journal « Les nouvelles d’Haïfa » avec la réponse de la rédaction, des lettres de dénonciation aux autorités de l’Eglise, toute cette matière écrite semble échappée d’un de ces gros dossiers à sangle que l’on trouvait, autrefois, sur les étagères des avocats, des médecins ou des commissaires de police. Collectée feuille à feuille, minutieusement assemblée, entrelacée, tissée, elle dessine un vaste paysage lacéré qu’illumine, radieuse et joyeuse, la figure de Daniel Stein, interprète.

     

    Interprète… Rares sans doute ont été les destins vécus aussi pleinement sous le double signe de la traduction et de la médiation que celui de Daniel Stein, alias Oswald Rufeisen, un personnage réel né dans une famille juive de Galicie en 1922 et mort en Israël en 1998. Jeune homme, dans une Biélorussie annexée par les Russes au lendemain de la Première Guerre mondiale, partiellement cédée à la Pologne, puis occupée par l’Allemagne à partir de 1941, il fait office d’interprète (forcé) entre la gendarmerie allemande, la police biélorusse et la population locale, mais tente aussi de sauver des Juifs en leur transmettant les informations auxquelles ses fonctions lui donnent accès. Démasqué, réfugié dans un couvent de religieuses polonaises, il se convertit au catholicisme et part pour la Terre sainte où il sera ordonné prêtre. Là, il créera une paroisse où, après avoir dit la messe en Polonais, il finira par opter pour l’hébreu, langue véhiculaire des nouveaux immigrants venus de Hongrie, de Russie, de Roumanie. Mais surtout, il militera jour après jour pour que l’Eglise catholique renoue avec ses racines, qui se trouvent dans le judaïsme : riche lui-même d’une double culture juive et chrétienne, mais non reconnu comme juif en Israël parce que chrétien, ayant vécu au plus près le chaos des guerres, l’horreur de la Shoah, les intransigeances de la foi, les défis de la liberté, il consacrera sa vie à jeter des ponts entre deux traditions qui, à l’origine, n’étaient qu’une.

     

    « Mon christianisme s’est révélé une pierre d’achoppement pour mon peuple », constate Daniel Stein à son arrivée en Israël, et c’est ce qui guide sa réflexion comme son action. Hilda, une jeune Allemande immigrée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’assiste sans faillir auprès de fidèles venus de tous les horizons, elle aussi au cœur d’un inextricable nœud de contradictions en raison de ses origines, mais aussi de son amour pour Moussa – Moussa qui vit au quotidien la difficulté d’être arabe, « surtout quand on est de confession chrétienne et de nationalité israélienne ». Et c’est autour de ce duo tout d’ombres et de lumière, Daniel et Hilda, que s’organise une superbe réflexion sur la foi, la judéité, la distinction incertaine entre les méchants et les gentils, les assassins et les victimes – et la vie qui avance, trébuche et reprend – ou pas – sa marche, parce que l’on se trouve à tel endroit, à tel moment, parce que l’on reçoit une lettre, un livre, une convocation, un signe du destin, bon ou mauvais…

     

    H.M.

     

    Ludmila Oulitskaïa. Daniel Stein, interprète. Traduit du russe par Sophie Benech, Gallimard, 2008, 526 pages.

    Cet article est à paraître dans Le Passe-Muraille, No77, en avril 2009.

     

  • Pensées de l'aube (36)

    Pensées5.jpgDe la déréliction. – On entend le bruit des machines, toute une rumeur dans les immeubles muets, les poumons d’acier fonctionnent, donc les centrales restent en activité, tout est sous contrôle de ce côté-là, tout baigne, les veilleuses diffusent toujours leur lueur verte, sinon pas âme qui vive à ce qu’il semble dans les immeubles sourds, qui que ce soit dans les immeubles aveugles avant qu’on ouvre les yeux pour constater qu’on est encore là…

    De la destruction. – Ce qui les intéresse est essentiellement cela : que tout s’effondre, à vrai dire ils se délectent de cet affaissement général et de cet abaissement particulier, ils l’avaient bien dit, ils se réjouissent de cet écroulement de tout alors qu’ils restent sur le bord qu’ils disent le bon bord - ils restent là purs et blancs, répétant que les enfants il suffit d’en refaire, ils l’avaient prédit : ils avaient raison vont-ils répétant, souriants, les apôtres gris…

    De la question. – Nos lettres sont restées sans réponses et vous restez muet, vous restez sourd, ou nous en concluons que vous n’avez rien reçu, vos assesseurs nous font comprendre que vous n’avez pas que ça à faire et nous conseillent de nous adresser aux guichets des services concernés, n’importe: nous sommes encore des tas de crétins à frapper à votre porte, ce matin, et nous savons que vous lorgnez par le judas, mais sans doute sommes-nous indignes de votre regard et même de votre silence, et nous restons-là tout pantelants, mendiants de Dieu sait quoi…

    Image: Philip Seelen

  • Pensées de l’aube (35)

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    A ma bonne amie

    De l’innocence. - Le mot DANSE m’apparaît ce matin, et tous les mots se mettent à danser avec l’enfant, petite, toute nue et belle dans un long foulard de soie flottant autour d’elle, là-bas sur le haut gazon de la maison de vacances comme suspendue au-dessus des mélèzes, dans l’air frais et bleuté des glaciers, toute seule à danser pour la première fois comme elle a vu, l’autre soir à la télé, l’immatérielle Isadora dans un film d’un autre temps, qui dansait et dansait en ne cessant de danser et danser...

    Du respect. – Peut-être cela vous manque-t-il seulement, dans le déni de ce que vous faites ou la simple inattention, de ne pas pouvoir partager, non pas l’estime de votre petite personne, mais l’amour de la personne innombrable dont ce que vous faites n’est qu’un des innombrables reflets, mais unique…

    De notre complicité. – À peine vous êtes-vous retrouvés, les oiseaux et toi qui leur parles ta langue de fée, que retentissent leurs cris froids de calculateurs de points et de résultats réduisant tout à concours et performances du plus fort et du plus vite enrichi, mais de te regarder avec les oiseaux m’éloigne chaque jour un peu de leur bruit et nous voici dans la vraie société des êtres à nous parler de cette journée qui nous attend tous les deux…

     

     

  • La passion du livre

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    Sylviane Friederich fait passer le livre comme un témoin d’humanité

     

    « Je suis autodidacte à 100% », rappelle volontiers Sylviane Friederich même si, en matière de lecture, elle en sait autant sinon plus que moult lettrés. Libraire quasi légendaire pour son accueil et ses compétences, présidente en exercice de l’ASDEL (Association suisse des libraires, distributeurs et éditeurs), choniqueuse littéraire à ses heures (au Temps et à la Librairie francophone) jusqu’au moment où, l’an dernier, les éditions In Folio lui confièrent la direction de leur nouvelle collection de littérature, la patronne de La Librairie  n’a rien pour autant du bas-bleu. Aussi débonnaire en apparence que rigoureuse et tenace, il y chez elle de la militante (notamment pour le prix unique du livre) et de l’humaniste.

    « A la maison, on ouvrait plus souvent une bouteille qu’un verre », précise cette fille de tonneliers-cavistes. «La bibliothèque familiale se résumait à peu près à la série des classiques Nelson, mais ça m’a permis de me « faire » la totale des Dumas, entre autres Balzac et Zola. Celui-ci m’a marquée par ses descriptions de la misère des villes et des campagnes, et m’a transmis un début de conscience sociale et politique. Et puis il y avait la bibliothèque locale que j’ai écumée. Mais en fait, c’est surtout avec les autres que j’ai appris »…

    Les premiers « autres » seront, à sa seizième année, à Zurich, dans une librairie anglophone fréquentée par un certain Kokoschka et les artistes de l’opéra voisin, des amis libraires qui lui révèlent un nouveau monde après l’éteignoir d’un bref séjour à l’Ecole normale lausannoise. «J’y ai aussi rencontré le mythique Wenger, tenancier de la librairie française, auquel, toute jeunote, j’ai acheté ma première gravure de Franz Anatol Wyss, pour 80 francs – une sacrée somme… » Dès cette époque, son double goût pour la littérature et la peinture ne cessera de cohabiter. Après un apprentissage en bonne et due forme à la librairie protestante de L’Ale, à Lausanne, elle assouvira mieux cette passion à la librairie-galerie Melisa, à la rue de Bourg, auprès du libraire-écrivain Roger-Jean Ségalat chez lequel défile la fine fleur de l’intelligentsia locale. A l’approche de la trentaine, après une escale à la galerie de L’Entracte où elle élargit le cercle de ses amis artistes ou collectionneurs, Sylviane Friederich se lance, soutenue par quelques amis, dans la belle aventure personnelle de la librairie-galerie Couvaloup, qu’elle installe dans les murs pittoresques d’anciennes écuries. C’est là qu’elle accueille maints artistes et qu’elle commence à constituer un fonds de librairie à sa ressemblance, nullement confiné ou trop spécialisé mais ouvert au monde: éclectique. Un quart de siècle plus tard, c’est enfin dans un ancien atelier industriel de la rue des Fossés  que La Librairie se transporte, bel espace en dédale de plain-pied et plus spacieux, plus chaleureux aussi, où les enfants se trouvent aussi à l’aise que les esthètes, les fouineurs et les amis.

    De la génération des soixante-huitards, Sylviane Friederich a été marquée par les grandes figures de la contestation et de la résistance intellectuelle, de Martin Luther King à Hannah Arendt. Dans le même esprit, elle a toujours défendu les porte-paroles des cultures périphériques, sans oublier la Suisse romande. « La lecture est un cercle infini, qui m’a conduit à travers tous les siècles et les pays. Il y a parfois des chocs, comme la découverte de Cent ans de solitude de Garcia Marquez. Mais il y a aussi des découvertes plus intimistes, qu’on transmet comme des secrets. Je pense à La Demande de Michèle Desbordes ou aux livres de Sylvie Germain, qui est d’ailleurs venue à La Librairie de son vivant.

    La Librairie, précisément, qui tient du salon débonnaire où l’on s’attarde volontiers seul ou  entre amis, obéit elle-même à une véritable « mise en scène », selon l’expression de la maîtresse de céans. Non du tout pour la frime mais pour s’opposer à la frénésie ambiante.  «La librairie devrait être un témoin de l’Histoire », conclut aussi bien Sylviane Friederich.

     

     

    En dates

    1950. - Naissance à Morges, dans une famille de tonneliers-cavistes.

    1966. -Première expérience en librairie, à Zurich, après un début d’Ecole normale insatisfaisant.

    1967. Apprentissage de libraire à la Librairie protestante de l’Ale, à Lausanne. Proche de la bohème lausannoise et des milieux artistiques et intellectuels.

    1974. Collaboratrice de Roger-Jean Ségalat  à la Librairie-Galerie Melisa, à Lausanne. Se passionne autant pour la littérature que pour les arts plastiques.

    1978. Fondation de la Librairie-galerie de Couvaloup, à Morges. Y organise de nombreuses expositions.

    2003. Installation à La Libraire, dans une ancienne quincaillerie de la rue des Fossés. Expositions, animations, conférences, signatures.

    2005. Présidente de l’ASDEL. En première ligne du combat pour la réglementation du prix du livre.

    2008. Directrice littéraire de la collection Littérature aux éditions In Folio.

  • Pensées de l'aube (34)

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    De la réalité. – C’est parfois par le rêve que nous vient la perception physique, terrifiante, de la réalité : de ce qui est réellement réel, sans échappatoire aucune, à ramper dans cette galerie obscure menant Dieu sait où – et soudain le réveil sonne et c’est la nuit d’hiver, et personne, on dirait, avant que l’odeur du café ne dissipe la réalité du rêve…

    De l’autre côté du jour. – Tout le jour à chanter le jour tu en es venu à oublier l’envers du jour, la peine du jour et la pauvreté du jour, la faiblesse du jour et le sentiment d’abandon que ressent la nuit du jour, le terrible silence du jour au milieu des bruyants, la terrible solitude des oubliés du jour et des humiliés, des offensés au milieu des ténèbres du jour…

    De l’avidité. – Et tout le jour le jeune homme en toi, la jeune fille Violaine en toi, l’Idiot en toi, Antigone et Mouchette en toi, et le plus lointain, vacillant, fragile, minable reflet en toi du Dieu vivant te retiendront d’assouvir cette faim de rien qui s’affame de sa propre faim…

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui écrivent full programme

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    Celui qui cherche des subventions pour la publication du recueil de sept variations sur le thème de l’empêchement d’écrire qu’il a composé durant les résidences d’écrivain que son admirable compagne lui a décrochées ces dernières années / Celle qui écrit des poèmes sur la notion de faille pour la revue Fracture / Ceux qui écrivent pour redonner espoir à ceux qui y ont renoncé / Celui qui va régler son compte sur son blog à celle qui a convaincu ceux qui décident de l’octroi des bourses aux écrivains ne vivant que de ça de ne pas lui en accorder une eu égard à son orientation politique (pense-t-il)  / Celle qui trouve son inspiration (dit-elle) sur Meetic / Ceux que la participation régulière de Paulo Coelho au Forum de Davos interpelle au niveau de l’éthique du développement personnel / Celui que son agent dit le nouveau Borges de la génération intermédiaire / Celle qui pense que son nouveau roman-poème sur la quête d’identité de la femme progressiste épouse d’un apolitique va quelque part représenter un choc / Ceux qui se sentent en bonne place dans la course du meilleur écrivain de sa génération sponsorisée par la FNAC et TAMOIL / Celui qui s’est promis de TOUT DIRE dans son prochain roman sur son rapport au beau-père influent / Celle qui fait le compte des écrivains du district qu’elle a poussés à aller jusqu’au bout d’eux-mêmes et parfois plus / Ceux qui déposent des bombes à retardement (affirment-ils) dans leurs poèmes engagés au second degré, etc.

    Image: Philip Seelen

  • La (dé)mesure de Shakespeare

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    Mesure pour mesure au Théâtre de Vidy, en 2009. Mémorable !

    Le grand art est tout simple, qui ne va pas sans grand artisanat, l’un et l’autre exigeant un immense travail qui ne se voit pas. Il en résulte une impression d’évidence et de légèreté qui marque, particulièrement, la mise en scène claire et fluide de Mesure pour mesure, signée Jean-Yves Ruf, dans une scénographie de Laure Pichat montrant sans démontrer, boîte à surprises où tantôt on serait au palais et tantôt au bordel, en costume de banquier ou le cul à l’air. Les costumes de Claudia Jenatsch, les lumières de Christian Dubet, le son de Jean-Damien Ratel participent aux sortilèges du lieu théâtral, dans lequel s’incarnent les personnages du Big Will, par le truchement de son verbe magique.
    Celui-ci, comme celui de Dostoïevski sous la même signature d’André Markowicz, est une sorte de monstre apte à «tout dire», Dans Mesure pour mesure, il est question de bon gouvernement et de justice divine, royale ou bonnement humaine. Il est question de pouvoir mesuré ou démesuré, de pureté peut-être hypocrite et de sainteté non feinte, il est question d’expérience humaine et d’indulgence acquise, de ceci qui semble simple et de cela de bien plus compliqué.
    La grande réussite de cette coproduction, créée à Bobigny en novembre 2008 et donc bien rodée aujourd’hui (3 heures sans un instant d’ennui), tient à moult éléments, dont l’interprétation. Mention spéciale à Jérôme Derre pour son Duc magistralement dédoublé en moine retors, meneur de jeu annonçant le Prospero de La Tempête. Bonus à l’Escalus puissant et doux de Jean-Jacques Chep, au Prévôt soumis-révolté de Jacques Hadjaje ou à la Marianne de Noémie Dujardin, aussi expansive qu’est concentrée l’Isabelle très authentique et très émouvante de Laetitia Dosch… Enfin ce conseil : de revenir au texte, disponible à la librairie de Vidy.

    Image: Eric Ruf, dans le rôle d 'Angelo, et Laetitia Dosch, dans celui d'Isabelle. Photo Mario del Curto.

    Lausanne-Vidy, Salle Apothéloz, jusqu’au 4 mars, les ma-me-je-sa, à 19h. Di à 18h.30, Ve, à 20h.30. Relâche lundi. Location : 021 /619 45 45 ou www.vidy.ch

     

    Ruf5.jpgEric Ruf vit Shakespeare « par le ventre et la tête »…
    RENCONTRE. A Vidy, l’éclatant acteur de la Comédie-Française retrouve son frère Jean-Yves dans Mesure pour mesure.

    Un très grand bonheur théâtral s’offre ces jours au public du théâtre au bord de l’eau. Avec un immense texte, complexe mais intelligible, que la nouvelle version française d’André Markowicz rend propice à la mise en chair et en bouche, dans une réalisation éclairante de Jean-Yves Ruf, et une interprétation portée par le même souffle et la même intelligence. En face de la jeune Laetitia Dosch, formée (entre autres) à la Haute école de théâtre romande, qui incarne une Isabelle virginale évoquant à la fois Bécassine, Antigone et Jeanne d’Arc, Eric Ruf campe le seigneur Angelo dont la froide rigueur puritaine s’enflamme au feu de la vertu…

    - Que représente Shakespeare pour vous ?
    - J’ai quelque peine à le dire, car c’est la première fois que je l’aborde dans un grand rôle. J’y ai été préparé par Le Partage de Midi de Claudel, dans le rôle de Mesa, le même genre de jeune homme pur et dur qui montre soudain une fragilité d’allumette. A l’école, j’avais mesuré la grande difficulté de cette langue et l’importance de la traduction, souvent injouable. Avec celle de Markovicz, dont la poésie est directe et concrète, l’incarnation s’est faite aussitôt. Deux jours durant, nous avons démêlé avec lui les obscurités du texte. Il nous a appris ainsi à accepter la part de l’obscur. Il a d’ailleurs une théorie à ce propos : si Shakespeare ménageait cette part, c’était pour faire revenir le spectateur une deuxième fois ! Pour en revenir à votre question, je me sens devenir très passionné de Shakespeare, qui est à vivre par le ventre et la tête. Je projette d’ailleurs une mise en scène de Macbeth…

    - Que vous dit, personnellement, Mesure pour mesure ?
    - Je suis frappé par la complexité de chaque personnage. Le mélange du tragique et du comique, de la vertu et du vice, est inouï. Angelo me semble, au début, un type pur, assez semblable en cela à Isabelle, mais le désir qui lui fond dessus est du genre qui tue et la charge érotique liée à l’apparition de la vierge implorante est inouïe. Enfin on découvre un homme. Aussi, c’est une pièce sur la justice. Et là, je remarque que le jeune public réagit au quart de tour, saisi par ce qu’on pourrait dire des jugements à «deux vitesses »…
    - Comment avez-vous vécu la collaboration avec votre frère ?
    - Cela s’est bien passé, alors que nous avons été très rivaux durant notre adolescence. Mais le théâtre nous a rapprochés. En l’occurrence, nous avons partagé les mêmes réactions par rapport à une éducation de petits-fils de pasteurs, notamment en ce qui concerne le puritanisme d’Angelo et l’arrière-plan religieux et moral de la pièce. D’un autre point de vue, le personnage du Duc est non moins insondable, plus ambigu peut-être que tous les autres, alors qu’il prétend clarifier et pacifier le jeu au nom de la justice.

    - N’y a –t-il pas, dans le dénouement tellement humain de la pièce, quelque chose de Molière ?
    - En effet : comme souvent chez Molière, le happy end apparent ne résout rien. Pas de jugement final qui conforterait. Il y a même un humour sardonique là-dessous : pensez au sort futur d’Angelo, condamné à vivre avec la femme qui l’aime et qu’il a rejetée on ne sait pourquoi…
    - Quels sont vos projets à venir ?
    - Je vais revenir à la scénographie, pour un Fortunio à l’Opéra comique. En outre je vais collaborer à une variation sur  Jekyll du jeune auteur Christian Montalbetti et, à la Comédie Française, je jouerai le Soliony des Trois sœurs de Tchékhov. Enfin, le pauvre Angelo se retrouvera en patron de sex-shops dans Pigalle, une série télévisée à venir…

    Cet article a paru dans l'édition de 24Heures du 26 février 2009.

    Portrait d'Eric Ruf à Vidy: Florian Cella.

  • Pensées de l’aube (33)

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    Du fil des jours. – N’est-ce vraiment qu’une affaire de particules et de circuits électriques, te demandes-tu en remontant du souterrain où tu as passé la nuit, n’y aurait-il pas autre chose, te demandes-tu en te dirigeant vers les fenêtres encore aveugles, n’y a-t-il que ce tapage d’âmes mortes dans le silence des rues et des pages vides, n’y aura-t-il plus jamais que ces phénomènes et ces phénomènes, ou le jour va-t-il te surprendre une fois de plus et renouer le fil de ton souffle et de ton encre ?...

    De la forme. – Délivre-toi de ce besoin d’illimité qui te défait, rejette ce délire vain qui te fait courir hors de toi, le dessin de ce visage et de chaque visage est une forme douce au toucher de l’âme et le corps, et la fleur, et les forme douces du jour affleurant au regard des fenêtres, et les choses, toutes les choses qui ont une âme de couleur et un cœur de rose - tout cela forme ton âme et ta prose…

    De l’infinitésimal toi – Et dis-toi pour la route que le meilleur de toi, qui n’est pas de toi et que ton nom incarne cependant, c’est tout un, est le plus fragile en toi et que cela seul mérite d’être protégé par toi, renoué comme un fil te renouant à toi et qui te relie à Dieu sait qui ou quoi que tu sais au fond de toi…
    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l’aube (32)

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    D’un autre chant. – Et si tu n’as pas de mots pour dire cette aube qu’il fait ce matin comme au désert ou sur la page blanche de la mer, chante-là en silence, tout à l’heure une main de lumière s’est posée à la crête des monts et tout ensuite, de l’ubac, une maison après l’autre, s’est allumé, mais comment le dire avec des mots ?

    De la juste mesure. – Ce que tu te demandes aussi en voyant le rideau se lever sur la scène du jour, c’est quelle pièce va se jouer dans les heures qui viennent, qui tu seras, dans quelle peau ? quel autre rôle tu pourrais jouer ? si tu pouvais être plus juste qu’hier soir après avoir goûté une fois de plus du Milk of Human Kindness du Big Will - trois heures durant, Mesure pour mesure, la poésie du Big Will t’a traversé et t’habite encore ce matin, or seras-tu ce matin l’intransigeance d’Angelo le taliban ou la clémence du bon gouvernement, seras-tu la vierge ou la catin, seras-tu glapissement de mauvaise langue ou parole de bienveillance ?

    Des matinaux. – Le silence scandé par leurs pas n’en finit pas de me ramener à toi, vieille frangine humanité, impure et puante juste rafraîchie avant l’aube dans les éviers et les fontaines, tes matinales humeurs de massacre, ta rage silencieuse contre les cons de patrons et tes première vannes au zinc, tout ton allant courageux revenant comme à nos aïeux dans le bleu du froid des hivers plus long que de nos jours, tout ce trépignement des rues matinales me ramène à toi, vieux frère humain…
    Image: à l'aube de ce 25 février 2009, à la fenêtre de La Désirade.

  • Les savants foldingues

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    Les arpenteurs du monde, ou l'érudition pétulante de Daniel Kehlmann 

    Une idée aussi répandue que sotte voudrait qu'un best-seller répondît à des critères standards, alors que rien n'est moins prévisible qu'un grand succès de librairie qui allie qualité et popularité. Une nouvelle preuve en est donnée par Les arpenteurs du monde du jeune écrivain allemand Daniel Kehlmann, qui a fait un tabac fumant en Allemagne avec plus d'un million d'exemplaires vendus et l'acquisition de ses droits pour une trentaine de traductions. Or le moins qu'on puisse dire est que le thème du roman n'a rien d'accrocheur a priori: ni violence ni sexe, mais le récit alterné des mésaventures de deux illustres savants de la fin du XVIIIe siècle allemand: le naturaliste-explorateur Alexander von Humboldt et le mathématicien génial Carl Friedrich Gauss.

    Relevant du gai savoir fantaisiste plus que de la reconstitution fidèle, le roman confronte deux façons d'explorer le monde à la fois opposées et complémentaires – Humboldt sillonne et cartographie le monde du fin fond de l'Amazonie au bout des steppes sibériennes, tandis que Gauss scrute les nébuleuses mathématiques ou les galaxies physiques sans quitter ses savates – et deux attitudes par rapport à la science: l'optimisme scientiste pour Humboldt, et le scepticisme plus humble pour Gauss.

    Un récit effréné

    Dès les premières pages du roman, où l'on voit le vieux Gauss râler comme un schnock à l'idée d'avoir à se pointer à Berlin (nous sommes en 1828) à un congrès de naturalistes où le convie Humboldt en qualité d'invité d'honneur, l'irrésistible drôlerie du récit se mêle au plaisir de la découverte. Car le titre du roman tient bientôt sa promesse: c'est le monde que le lecteur va bel et bien arpenter au fil des investigations alternées des deux inénarrables savants.

    D'un côté, voici donc Humboldt l'aristo craignant les femmes, naturaliste curieux de tout, géographe parti pour mesurer le monde entier de la première colline de Salzburg à la plus insondable grotte pleine d'oiseaux-radars d'Amérique du Sud, dont les expéditions cocasses évoquent à la fois Rodolpe Töpffer en ses zigzags loufoques et Blaise Cendrars au plus long cours. De l'autre, issu de milieu populaire: le farouche Gauss qui sidère son maître d'école dès l'âge de huit ans, multiplie les découvertes que ses profs publient sous leur nom avant que son premier maître-ouvrage n'en fasse le prince des mathématiciens européens. Si la trajectoire de von Humboldt, ami de Goethe et frère d'un éminent diplomate, recoupe celle des grands de ce monde, le parcours de Gauss est à la fois plus individualiste et plus familial, d'une première femme adorée aux tribulations d'un fils tenté par les idées nouvelles qu'il tyrannise et force à se refaire une vie meilleure en Amérique.

    Tissé de malice, le roman du trentenaire Daniel Kehlmann évoque une Allemagne éminemment cultivée que l'on n'imagine pas, évidemment, régresser un jour dans la barbarie. Avec un clin d'œil à chaque paragraphe, le romancier ne cesse cependant de montrer, chez ses deux protagonistes, les aspects tout humains de vieux gamins égomanes ou de tyrans domestiques, de même que les Lumières philosophiques de l'époque (Kant toussote encore dans son coin) vont de pair avec de vraies ténèbres politiques ou policières. La satire est souvent carabinée, mais la tonalité du livre reste débonnaire, avec une nuance plus mélancolique sur la fin. Il en découle un immense plaisir de lecture, qu'on se réjouit de voir si largement partagé…

    Daniel Kehlmann. Les arpenteurs du monde. Traduit de l'allemand (magnifiquement) par Juliette Aubert. Actes Sud, 299 pp.
    Cet article a paru dans l'édition de 24 Heures du 9 janvier 2007.

  • Pensées de l'aube (31)

    Panopticon1134.jpgDe l’offrande. – La lumière rasante te découvre des plaines et des pays très doux dès l’éveil dont rien ne te rase, jamais l’aube ne fait la gueule : il n’y a que vous et vos jérémiades à tous, vous les nombrileux et les angoissés qui recevez si mal ce qui vous est donné - et tu es du nombre dès que tu reviens au miroir alors que tout se passe à la fenêtre, nom de Dieu : regarde…

    De cette étincelle. – Du lièvre blanc qui bondit dans la neige et franchit d’un bond les barbelés admire la grâce maîtrisée de l’aviateur acrobate au-dessus des lignes à haute tension, même si ni lui ni toi moins encore ne savez ce que vous cherchez sous les grands baldaquins de givre, ni pourquoi cette beauté vous électrise…

    De la contemplation. – En marchant tout seul dans la nature tu la sens marcher toute avec toi, tu la respires en respirant, tu en détailles tous les âges aux veines des pierres et des troncs et tes âges revivent dans sa vieille mémoire matinale, tu ne sais ce qui est ce matin le plus éternel de la voix de ta mère au coucher ou du premier chant du merle…

    Image : Philip Seelen

  • Goncourt du premier roman

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    L’Académie « innove » en rebaptisant sa Bourse. Tatiana Arfel eût été une découverte moins convenue que les papables…

    La découverte d’une voix «inouïe », d’une nouvelle « papatte » ou d’un univers «jamais-vu » constitue un moment gratifiant pour le passionné de lecture. L’apparition de Ramuz par Aline, premier chef-d’œuvre d’un garçon de vingt-quatre ans, ou celle de  Michel Houellebecq par Extension du domaine de la lutte, ont fait date. Si la catégorie du premier roman n’est pas une valeur en soi, il paraît légitime de soutenir un auteur prometteur à ses débuts. D’où les divers prix et autres bourses qui mettent en exergue l’appellation, sans oublier le Festival du premier roman de Chambéry...

    Depuis 1977, le Prix du premier roman, actuellement présidé par Joël Schmidt, a signalé, sur l’ensemble des lauréats, un bon quart de jeunes auteurs dont les œuvres ont « décollé » par la suite, tels Alexandre Jardin, Isabelle Jarry, Christophe Bataille ou Boualem Sansal. A signaler pourtant que le palmarès s’en tient exclusivement à l’édition parisienne, et que son impact médiatique ou commercial reste limité. Même remarque pour le Prix du Premier roman du Doubs, parrainé cette année par David Fœnkinos, romancier primé dès son premier livre (Prix Mauriac de l’Académie française) et qui remarque : «Un prix pour un premier roman, c’est un coup de pouce décisif. Il paraît tant de livres chaque année qu’il n’est pas facile de se faire remarquer autrement. D’ailleurs, il n’y a pas de petits prix. D’abord parce que c’est toujours agréable d’en recevoir un, ensuite parce que ça ouvre des portes, retient l’attention des libraires et des lecteurs, suscite d’autres prix ». 

    Label Goncourt

    Edmond de Goncourt prévoyait, dans son testament, un soutien particulier aux jeunes auteurs. La chose s’est parfois concrétisée avec le Prix Goncourt lui-même, mais un legs, datant de 1914, a institué la Bourse Goncourt du premier roman, dont le palmarès de ces trente dernières années est à vrai dire plus chiche en vraies découvertes que celui du Prix du Premier roman lui-même, et très marqué par le label Gallimard.

    Or la liste des six derniers nominés du nouveau Prix Goncourt du premier roman, qui remplace la « bourse » de naguère et sera décerné le 3 mars prochain, recycle également deux poulains Gallimard de la course au Goncourt de l’automne dernier, avec certain air de réchauffé: le finaliste  de novembre Jean-Baptiste del Amo, pour Une éducation libertine, et Tristan Garcia, avec La meilleure part des âmes, déjà très largement médiatisés. Or on espère un choix moins « téléphoné », même si les autres lauréats, tel Laurent Nunez avec Les récidivistes (Champvallon), Paul Andreu avec La maison (Stock) ou Justine Augier avec Son absence (Stock) font assez pâle figure. Quant à la plaisante vacherie bien parisienne de Marion Ruggieri, avec Pas ce soir, je dîne avec mon père (Grasset), elle ne relève guère non plus de l’alternative excitante. Le premier roman de Tatiana Arfel (lire encadré) nous semble d’une tout autre originalité. Son premier « prix » aura consisté en son  insertion, chez José Corti, dans la prestigieuse collection Merveilleux, à côté de Robert Walser, de Daniel Defoe ou de Bram Stoker. Excusez du peu ! 

     

    Une belle fable de l'enfance bafouée

    C’est une sorte de grande fable, apparemment naïve, en réalité lestée d’une profonde expérience de la vie, que L’Attente du soir de Tatiana Arfel. La jeune romancière (née à Paris en 1979) y raconte l’histoire, qui pourrait sembler invraisemblable, de trois naufragés de l’existence dont le récit des destinées alterne avant de les faire s’entrecroiser: un vieux clown malmené par ce qu’il appelle « le Sort», une femme «éteinte» par le manque d’amour et un enfant sauvage, « slumdog » des gadoues contemporaines qui aurait dû y crever. Cela pourrait être d’un kitsch achevé, et c’est immédiatement prenant, envoûtant même, évoquant à la fois les enfants d’Agota Kristof ou de Romain Gary, avec quelque chose de pourtant inouï et de jamais vu qui tient à la saisissante porosité émotionnelle de l’auteur et à sa capacité d’exprimer, avec ses mots, simples, et ses images, très concrètes, toute la tristesse de la vie froide et toute la merveille du monde revivifié par les gestes de la tendresse et par la capacité créatrice de notre drôle d’espèce, de Lascaux à l’art brut.
    L’Attente du soir ne se raconte pas. Une analyse de ce roman très substantiel, mais toujours lisible, demanderait un long développement. J'y reviendrai d'ailleurs. Mais plus important me  semble cependant, dans l’immédiat, de «vivre» ce livre de la solitude et des séquelles du manque d’attention et d’affection, mais aussi de la possible rédemption. Face à la grisaille du monde et au mur d’indifférence qui sépare les êtres, Tatiana Arfel réaffirme une foi candide mais non moins impérieuse en les pouvoirs du langage poétique ou artistique. D’aucuns ricaneront peut-être, tant l’ingénuité de ce livre, en rupture totale avec le cynisme ambiant, détone et surprend, mais c’est aussi sa force, exigeant du moins la plus vive attention, et le même abandon qu’en nos enfances, à rire et pleurer en lisant nos premiers livres…

    LireArfel.JPGTatiana Arfel, L’Attente du soir. José Corti, 325p.

    Ces articles ont paru dans l'édition de 24Heures du samedi 21 février 2009.

     

     

  • Pensées de l’aube (30)

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    De la pauvreté. - Elles ont une nuit d’avance, ce matin comme les autres, donc c’est hier matin qu’elles dansaient le soir devant leur masure, toute grâce et gaîté, leur dure tâche achevée, les deux femmes, la jeune et la vieille, de ce haut plateau perdu du Zanskar où leur chant disait le bonheur parfait d’avoir tout…

    De l’abjection – Pour plaire et se complaire dans son illusion d’être si bon il tire des traites sur la douleur du monde et cela fera, se dit-il, vendre ses livres - tel étant le démon de l’époque et qui grouille de vers aux minois d’innocence, c’est le péché des péchés que cette usure de la pitié feinte et de cela dès l’éveil, petit, refuse d’être contaminé…

    De la sérénité. – À l’immédiate hystérie des médias relancés avant le lever du jour tu résistes en ouvrant grande la fenêtre à l’air et à la neige de ce matin qui ne fondra pas moins que leur pactole mais tout tranquillement, en lâchant ses eaux comme pour une naissance sans convulsions, et le printemps reviendra, et les gens ce matin continuent de faire leur métier de vivre dont personne ne s’inquiète – alors toi, maintenant, referme la fenêtre au froid…

    Image: Philip Seelen.

  • Peter Sloterdijk en nos murs

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    PHILO Le penseur allemand recevra, le 2 mars prochain à Lausanne, le Prix Européen de l’essai.

     

    C’est à Peter Sloterdijk, l’un des penseurs contemporains les plus originaux et les plus stimulants, qu’a été attribué le  Prix Européen de l’Essai, créé en 1975 par la Fondation Charles Veillon et qui a déjà distingué des auteurs aussi prestigieux et divers que Jacques Ellul, Alexandre Zinoviev, Edgar Morin, Tzvetan Todorov ou encore Jean Starobinski, notamment. Le Prix 2008, doté de 30.000 francs, sera remis publiquement à Lausanne le 2 mars prochain à Peter Sloterdijk, 34e lauréat, pour son essai Colère et Temps, paru chez Maren Sell en 2007.
    Après une entrée très remarquée  sur la scène intellectuelle européenne avec sa Critique de la raison cynique (1983, traduit chez Bourgois en 2000), Peter Sloterdijk a publié de nombreux ouvrages dont une quinzaine ont été traduits en langue française, notamment les controversées Règles pour le parc humain. Plus récemment, la trilogie des Sphères (Bulles, Sphères et Globes) a déployé sa vertigineuse arborescence «plurielle», constituant une nouvelle approche philosophico-poétique de la réalité et de la pensée en évolution, des cosmogonies antiques à l’univers mondialisé de nos jours. Doué d’une culture transdisciplinaire  mais aussi d’une grande imagination dans les formes et les mises en rapport de sa réflexion,  Sloterdijk s’est taillé  une réputation internationale tout en continuant d’enseigner un peu partout, entre autres à Zurich.

    « Les livres sont de longues lettres  adressées à des amis» écrivait-il dans son préambule aux Règles pour le parc humain. Or la dernière de ces «missives», intitulée Colère et temps est un aperçu saisissant des mécanismes du ressentiment, de l’Iliade à Lénine, ou de la Genèse à Freud, où l’on voit la colère instinctive de la créature humaine se capitaliser peu à peu en « banque mondiale de la vengeance », jusqu’à la scène la plus actuelle du « théâtre mondial des menaces »…

    Lausanne. Université, Bâtiment Amphimax, auditoire 351. Lundi 2 mars 2009 à 18h30, remise du prix. A cette occasion, Peter Sloterdijk donnera une conférence publique exceptionnelle.

    Anthropos Café, UNIL, bâtiment Amphipôle, mardi 3 mars, entre 11h15 et 12h45, café philosophique avec Peter Sloterdijk.