De la déréliction. – On entend le bruit des machines, toute une rumeur dans les immeubles muets, les poumons d’acier fonctionnent, donc les centrales restent en activité, tout est sous contrôle de ce côté-là, tout baigne, les veilleuses diffusent toujours leur lueur verte, sinon pas âme qui vive à ce qu’il semble dans les immeubles sourds, qui que ce soit dans les immeubles aveugles avant qu’on ouvre les yeux pour constater qu’on est encore là…
De la destruction. – Ce qui les intéresse est essentiellement cela : que tout s’effondre, à vrai dire ils se délectent de cet affaissement général et de cet abaissement particulier, ils l’avaient bien dit, ils se réjouissent de cet écroulement de tout alors qu’ils restent sur le bord qu’ils disent le bon bord - ils restent là purs et blancs, répétant que les enfants il suffit d’en refaire, ils l’avaient prédit : ils avaient raison vont-ils répétant, souriants, les apôtres gris…
De la question. – Nos lettres sont restées sans réponses et vous restez muet, vous restez sourd, ou nous en concluons que vous n’avez rien reçu, vos assesseurs nous font comprendre que vous n’avez pas que ça à faire et nous conseillent de nous adresser aux guichets des services concernés, n’importe: nous sommes encore des tas de crétins à frapper à votre porte, ce matin, et nous savons que vous lorgnez par le judas, mais sans doute sommes-nous indignes de votre regard et même de votre silence, et nous restons-là tout pantelants, mendiants de Dieu sait quoi…
Image: Philip Seelen
Commentaires
DERELICTION
Les murs s'effondrent
Dans un silencieux bruit
De glissade immobile
Tandis que la poudre
Se transmute en des formes
Que la psychédélie se charge
De bronzer en argent
Ou en or pour les plus viles
Rien ne s'égarant
Subsiste un sourire
DESTRUCTION
Les murs se fondent
Dans un merveilleux cri
Qui glisse sur la ville
Bandit que la foudre
Permute en des bornes
Que l'illimité prend à sa charge
Là où bronze l'argent
Là où toute ville est en or
Là où se garent les vauriens
Qui sourient à mourir
QUESTION
Ancien nom de torture
Qui quémande des croutons
En savourant la mie
Ou bien est-ce l'inverse
Peu importe en fait
Tout dépend de la façon
Dont le grain considère le pain
Et savoir si la mie vient
Avant ou après la croûte
N'est que de peu d'intérêt
Tout comme le fait que la croûte
Soit noyautée par la gangrène d'ailleurs
De dieu, la gangrène à la croûte, ça je donnerais point à ma mie...
Les moteurs ronronnent certes, mais déjà quelques chants discrets se font entendre dans la pénombre: ils sont déjà en route en quête de la meilleure adresse en matière de graine.
Tout au loin un grondement sourd, le cheval de fer, lui aussi trouble le silence du matin emportant dans ses entrailles ceux qui se sont mis en quête de leur pain, ou de sel ou...
Dans ce jour qui se lève impossible de ne pas être entrainé dans une nouvelle ronde entre les ronronnements, les grondements, et les chants discrets de l'espoir qui surgit là où souvent on ne l'attend pas au fond d'un gourbi, d'un coeur...
Reste à le laisser s'épanouir, à travailler à son renforcement et à remettre tous les matins un peu d'huile dans son foyer.
Je vous suis d'ici, mes êtres si chers. Ici, où le grand corps de l'agglomération de toutes les âmes de ma ville infinie me semble attentif et solidaire de vos pensées venues de l'aube des confins du désert blanc de mes deux cent cinquante sept glaciers sublimes.
Des nouvellistes alarmistes, produits par la science des anges annonciateurs d'un apocalypse in fashion, claironnent, en un laïus bien rôdé, pour le centenaire de ma naissance, annus 2050, la fonte complète et inexorable de cent trente huit de ces glaciers.
Quelles pensées, de cette aube bouleversée de son humidité blanche, nous composera alors celle ou celui de vos petits enfants, de mes petits neveux, qui aura choisi la voie de l' aïeul, pour chanter ses aubades infinies de l'âme ?
Tendre geste de la main. Philip.
Entendons dans ces "aubades", ce que ça bouge en nous d'infini, d'enfoui, de premier.