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  • Pensées de l'aube (42)

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    De l’ennui. – Vous avez déjà donné, me dites-vous lorsque je vous parle de tout ce que vous pourriez faire de tout ce temps que vous passez à maugréer en affirmant que plus rien ne vaut le coup, et c’est cela même, pauvre de vous, c’est là qu’est votre problème : ce n’est pas tant que vous n’ayez plus rien à donner, c’est que vous êtes infoutu de plus rien recevoir…

     

    De la petite mort. – Et ça veut dire quoi qu’il n’y a plus aujourd’hui de Dickens si votre cœur bat encore en vous rappelant le seul nom de la petite Dorrit, écoutez... Ah non ? Vous n’entendez rien ? Rien de rien ? Alors là c’est grave si vous n’entendez plus battre en vous le cœur de la petite Dorrit : là c’est carrément inquiétant, ça veut dire qu’en effet Dickens est mort, mais là je remarquerai au risque de vous faire de la peine : mort en vous, ce qui signifie, et là je vous présente mes condoléances, que c’est vous qui êtes pour ainsi dire mort… 

      

    Du reflet. – Tu me dis que la montagne enneigée est belle, d’une façon qui me dis ta beauté à toi, mais ça je ne te le dis pas -  d’ailleurs tout ce que tu me dis de la beauté des choses m’en dit plus sur toi que sur elles, même s’il est vrai qu’elles sont belles, et que ce que j’en dis est une autre façon de parler de toi…

     

    Image: ce qu’on voit de La Désirade à l’aube de ce dimanche 8 mars.

     

     

  • Le temps des masques

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    Le siège de l’Aigle de Carlos Fuentes, une lucide et fascinante illustration de la passion politique
    Nous sommes au Mexique en 2020, sous le règne du sage président Lorenzo Teran, au moment où, celui-ci ayant refusé de cautionner l’occupation militaire de la Colombie par les Etats-Unis, et soutenant par ailleurs l’augmentation du prix du pétrole par l’OPEP contre l’avis des USA, voit son pays puni par ceux-ci qui paralysent, d’un jour à l’autre, tout le système de télécommunications. L’effet collatéral de cette mesure est de forcer les gens à communiquer par lettres, déclenchant du même coup ce roman qui revitalise le genre épistolaire puisqu’il sera simultanément chronique d’une lutte pour la succession du Président (lequel doit être remplacé en 2024), récit d’une conquête amoureuse stendhalienne (un Julien Sorel à la mexicaine mis au défi par une femme supérieurement manipulatrice) recoupant de multiples intrigues de cour ou d’alcôve, réflexions de haute volée (nourries de Plutarque, Platon et Machiavel, entre autres) sur l’histoire contemporaine et l’art de la politique - tout cela porté par une ligne narrative d’une parfaite clarté, avec un mélange d’humour et de réalisme jamais cynique (même si certains des personnages le sont diablement) qu’oriente une grande connaissance des êtres et de la « nécessité».
    La passion politique habite la magnifique Maria del Rosario Galvan, qui fut la compagne de l’actuel ministre de l’Intérieur, Bernal Herrera, type du «juste » humaniste et réservé en lequel elle voit le successeur idéal du Président. A cette fin, elle imagine de se servir (ad interim) d’un jeune homme brillantissime, Nicolas Valdivia, dont elle entreprend l’éducation politique (en lui promettant autre chose « plus tard ») et qui va bel et bien se retrouver au pouvoir en exerçant ses propres talents de jeune fauve sans états d’âme. Un peu comme s’il décortiquait un artichaut, dont chaque lettre du roman représenterait une feuille, le lecteur va découvrir peu à peu, et par le jeu de miroirs de leurs divers correspondants, à travers leurs actes et leurs feintes réciproques, qui sont Maria et Nicolas, avec leur passé respectif et leur drame secret.
    Entre Dumas et Goya
    De la même façon, tous les personnages du roman se dévoilent progressivement, autant par ce qu’ils écrivent que par ce que d’autres lettres apprennent au lecteur, lequel reconstruit finalement l’ensemble du tableau sans la moindre difficulté. Le Président lui-même, et l’intègre Bernal Herrera, comme l’énigmatique Ancien des Arcades (qui rejoue le Masque de fer à sa façon) distillant ses sentences à la manière d’un sage antique, conservent une sorte d’immobilité hiératique, tandis que s’agitent les masques de la Comédie. Et c’est le gluant Tacito de La Canal, directeur de Cabinet du Président dont il lèche les bottes en rêvant de le remplacer, après avoir « couvert » une arnaque financière sans pareille; c’est le fascisant Général Cicero Arruzza n’en pouvant plus de se retenir de casser de l’étudiant ou du paysan ; c’est César Leon l’ancien Président fomentant son retour en multipliant les alliances louches; ou c’est « La Pepa », nymphomane passant d’un homme fort à l’autre. Or, loin de se réduire à des caricatures, tous ces personnages (et il y en a encore beaucoup d’autres non moins bien dessinés à la Goya) ont une histoire personnelle que le romancier détaille de feuille en feuille, jusqu’à nous laisser goûter au cœur de l’artichaut…
    Toute l’œuvre romanesque de Carlos Fuentes est placée sous le signe explicite du Temps, décliné en Temps des fondations (Terra nostra), en Temps révolutionnaire (La mort d’Artemio Cruz) ou en Temps politique (La tête de l’hydre et Le siège de l’aigle), notamment. Or ce qui saisit une fois de plus, à la lecture du Siège de l’aigle, c’est la profonde empathie, la bonté fondamentale de l’écrivain, dénuée de tout sentimentalisme, qui n’en finit pas de parier, sans illusions sur la foire aux vanités, pour un temps plus humain.

    Carlos Fuentes. Le siège de l’aigle. Traduit de l’espagnol (Mexique) par Céline Zins. Gallimard, coll. Du monde entier, 443p.
    Carlos Fuentes. Territoires du temps ; une anthologie d’entretiens. Gallimard, Arcades, 393p.

    Cet article a paru dans l'édition de 24Heures du 6 décembre 2005.

  • Savoir-vivre

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    … Moi j’ai rien contre lui, j'suis pas raciste, tu sais que je suis tolérante: il est ce qu’il est, même s’il prend deux places à lui tout seul je lui fais un prix vu qu’il est là tous les jours et qu’il a fait venir les médias plusieurs fois, et puis à la longue il est presque attachant malgré l’odeur, mais je ne céderai pas sur un point, Maxiboy, là je suis claire : j’exige que ton beau-père s’essuie les pieds quand il entre dans le Cybercafé…

     

    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l'aube (41)

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    De ton toi. – Et là, ce matin, devant le miroir de ta salle de bain, tu regarderais ce prétendu proche prétendu familier et tu lui demanderais : et qui t’es toi ? tu te crois le proprio du miroir ou quoi ? et ce corps que tu dis à toi t’en sait quoi ? et ce que tu dis ton âme, pompier que tu es, tu la vois avec les yeux de qui, dis-moi ça ?...  

     

    De la nature. – Le tout malin (je pense par devers moi le tout mariole) affirme que nous avons soumis à jamais l’élément naturel et le voici trépigner dans sa Japonaise écolo sur la route étroite de Notre-Dame des Hauts  barrée par deux avalanches, juste sous le couloir où menace la troisième, et voilà qu’il commence à prier comme une de ces vieilles attardées dont il ricane : Mon Dieu fasse un miracle, Mon Dieu je t’en supplie, Mon Dieu pas moi ! sur quoi le prétendu Dieu lui répond pour la première et dernière fois : du balai…

     

    Des allumées. – Mais qu’ont-elles donc à la ramener, ces fichues bonnes femmes, j’veux dire : ces illuminées, Simone Weil ou Flannery O’Connor, Annie Dillard ou Charlotte Delbo, mais qu’ont-elles donc à remuer terre et ciel – ou bien encore Etty Hillesum ou l’allumée Aloyse aux yeux pleins de cieux, mais de quoi je me mêle au lieu de tricoter : sondent l’infini du camp à l’étoile, pèsent les nuées à l’écoute des déserts, se clouent aux murs et se saignent, enfin nous font plus légers que nos enfances jamais guéries, comme l’écrit Françoise Ascal dans son Carré de ciel : «Masquée sous ma vieille peau qui tant bien que mal colmate les brèches, je tente de ne rien laisser apparaître de cette honteuse anomalie : n’avoir pas su grandir »…

     

    Peinture : Aloyse, Musée de l’art brut de Lausanne.

  • Pensées de l'aube (40)

    JLK026.jpgDe la douce folie. – Et ce matin tu t’abandonnerais une fois de plus à l’étreinte de ton vrai désir qu’annonçait le conditionnel de vos enfances, tu serais tout ce que tu aimerais, tu serais une chambre merveilleuse au milieu de la neige revenue ce matin avec une quantité de téléphones, tu aurais des bottes bleues et un banjo comme à sept ans et tu retomberais amoureux pour la énième fois, elle aurait les yeux bleu pervenche de la fille du shérif de tes dix ans et des poussières et de la femme de ta vie actuelle dont tu reprendrais tout à l’heure le portrait songeur, ce serait la journée incomparable de ce 5 mars 2009, tu jouerais de ta plume verte comme d’une harpe pincée sur les cordes des heures et tout à coup les téléphones frémiraient comme autant de jeunes filles impatientes, autant de douce ondines un peu dingues se dandinant sur leur fil comme autant de choristes de gospel dans la cathédrale de neige irradiant au lever du ciel…

    Des recoins. – ce n’est que cela, comprenez-vous, ce n’est que cela qui m’attire chez vous, au milieu des rideaux grenats ou dans vos fauteuils crevés, ce sont les angles brisés à coups de marteau par le vieux Renoir endiablé, et votre lumière est bonne, votre bonne lumière de bar étudiant ou de virée le long de la rivière à quelques-uns qui aimaient Neil Young et Léo Ferré, ce ne serait que cette rêverie retrouvée de nos dix-huit ans adorablement accablés à nous aimer – leurs galas ne sont que ramas de vampires banquiers sur les banquises des médias, nous c’est dans les recoins de vos quartiers bohèmes que nous vivrons encore et encore et après notre mort au milieu de nos enfants silencieux comme des chats baudelairiens…

    De l’autre lumière. – Et toujours je reviendrai à l’œil secret de cet étang d’étain sous la lumière silencieuse de ce lever du jour qui pourrait en être le déclin, on ne sait trop, Rembrandt lui-même ne savait trop ce qu’il révélait en mâchant ses cigares - et surtout pas d’effets de théâtre, de clair-obscur ou de faux mystère, laissez venir la beauté des choses qui n’a jamais été séparée de son ombre et diffuse cette aura sans le chercher…

    Peinture JLK : Lago delle streghe, au Devero, huile sur toile, 2008.

  • Pensées de l'aube (39)

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    De la surprise. – De Dieu mais tu vois ce que je vois ce matin dans les rues de ce matin et sur les places de ce matin et aux guichets de ce matin : j’en crois pas mes yeux, non mais je me pince, et sur les arbres de ce matin, et le long du fleuve et des heures de cette matinée, t’as déjà vu tout ça toi, et là dans les snacks et les cantines, et là-bas dans  les hostos de midi et les baraques de l’asile, et l’après-midi les enfants dans les jardins municipaux, non mais dis-moi pas que t’as déjà vu ça…

     

    De la répétition. – Si les redites t’embêtent, ne cherche pas midi à quatorze heures : c’est qu’elles sont embêtantes ou que c’est de ton côté, mon pauvre toi, que ça manque de répondant vu que tu t’embêtes au lieu de chercher, justement, midi à quatorze heures en prétendant qu’il n’y a pas de miracle et que tout se répète depuis la nuit des temps, tandis que le miracle est de retrouver midi à quatorze heures et le matin en fin de soirée et ton enfance dans la nuit noire avant que toute ta vie te revienne à ta dernière heure…

     

    De l’étincelle. – C’est une question de détail voyez-vous, cela tient à presque rien, le courant passe ou ne passe pas, c’est une question d’attention, c’est cela : c’est une question d’attention qui exclut le regard en croix ou en diagonale, comme on dit, en fait il n’y a que le détail d’intéressant pour autant qu’on le rapporte à La Chose dans son ensemble, voilà ce que je voulais dire : l’important c’est La Chose, tu prends le livre, c’est La Chose, et le détail c’est l’important de La Chose...

     

    Image: Philip Seelen.

  • Trou noir

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    …Après l’épisode de la Vérité qui sort du puits et s’en va prier le Loup de sortir du bois, celui-ci me lance comme ça : «si t’es un tigre, tu sors du mur !», alors moi j'y vais fissa tout en me demandant de quoi je vais faire sortir le mur avec tout ce Big Bang…
    Image : Philip Seelen

  • Pensées de l’aube (38)

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    De ce qu’il y a là. – Dans le rêve le vieux marcheur me demandait si j’avais bien vu tout ce qu’il y a dans son désert, il disait mon désert et il insistait: mon beau désert, puis il se reprenait : notre beau désert, j’veux dire, et pour lui faire plaisir, comme je dormais, je lui disais qu’il fallait bien ouvrir les yeux pour voir notre désert, et qu’alors on voyait un beau désert plein de choses invisibles quand on dormait les yeux ouverts – mais quel beau désert nous avons là, lui disais-je dans mon rêve, sur quoi je me réveillais et je voyais alors tout ce que nous ne voyons pas faute d’ouvrir les yeux…

    De l’inconséquence. – Tu ne peux pas dire IL FAUT ou ON DOIT sans rien faire: cela t’empêcherait de le faire que de le dire tous les matins de ton air volontaire, allons, assez de morale et de volonté: ne fais que faire mais au sens qui a du sens, allez: il faut vraiment - tu dois vraiment ne faire que faire ce que toi seul peux et dois…

    De l’obstination. – Ils se demandent ce qu’il restera d’eux et tu souris d’un air entendu en retournant à ta table et tu te dis : c’est entendu, rien ne reste de Lascaux pour ceux qui ne l’ont pas en eux et si tu n’as pas en toi le bleu qu’on n’a jamais vu, jamais tu ne le verras, et du même air entendu tu écoutes la musique en toi et souris, une fois de plus, à cet air qui te survivra…
    Image: Philip Seelen

  • Pensées de l’aube (37)

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    Des claires matines. – Les petites heures de la matinée à venir ruissellent de l’horloge suspendue du glacier et cela fait dans la nuit une très imperceptible musique de nuit de harpe ou de cithare ou de cymbalum dans la chambre des enfants de partout, et de petites joues se gonflent à l’unisson sur d’invisible flûtes, et de petites mains courent déjà sur le clavier de la journée à venir…

    De la forme. – Quant à la mise en forme du jour elle tient du miracle, il faut le reconnaître une fois pour toutes quitte à se répéter: les saumons ont frayé et c’est la folle première descente des torrents en toboggan dans le cumul émerveillant des rivières et des fleuves en foules jusqu’à la houle de la mer – et tu te sens ce matin la perfection du poisson de l'aube dans la main de la mer tandis que le jour revient…

    De l’éclaircie. – Il fallait tous les jours à vos mères un coin de ciel bleu pour les encourager, et vous vous gaussiez, vous les trouviez tellement simples alors que vous démêliez l’étant de l’Être du néant du Naître - vous étiez tellement intelligents qu’elles se taisaient humblement, vous étiez tellement importants, chers imbéciles dont vos mères se rappelaient juste la clairière de vos yeux d’enfants…

    Image: Philip Seelen.

  • Ceux qui se retirent

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    Celui qui a un faible pour les jardins ouvriers sous la neige / Celle qui prend en grippe la pompe vaticane / Ceux que saisit la passion de la géographie des arrière-pays / Celui qui relit Crevel dans un hôtel miteux des Asturies / Celle qui se rappelle le temps des moulins / Ceux qui ont reconnu la morte sous la glace vitreuse / Celui qui se fait livrer ses caisses de vin du Rhin par la voie des airs / Celle qui bombe le torse pour mettre en valeur sa poitrine de catéchumène demeurée / Ceux qui se rappellent avec nostalgie le temps des corsets à baleines / Celui qui rêve de Punta Arenas au dam de sa fiancée danoise estimant que l’hygiène y laisse à désirer / Celle qui relit les livres de Jane Eyre (elle veut dire Jane Austen) en se rappelant son premier flirt à Lowestoft / Ceux qui découvrent le rouge Rothko / Celui qui mord le sein gauche de Blandine Loup jusqu’au lait / Celle qui se rappelle son arrivée triomphale au local du Club de curling de Bad Ragaz avec son trophée de l’hiver 1933 / Ceux qui se remettent de leur accident survenu le même jour mais à trois endroits différents / Celui qui se rend en Chine avec ses compères de la cagnotte du Café des Acacias / Celle qui regrette les vélos à système de freinage Torpédo / Ceux qui kiffent le kif, etc.