Une lecture de La Divine Comédie (44)
Le Purgatoire, Chant X.
Montée à la première corniche. Exemples d’humilité sculptés dans le rocher. Marie, David, Trajan. Apostrophe contre l’orgueil humain.
(Lundi de Pâques, entre 9 heures et 10 heures du matin)
Le savoir élitaire n’est point trop en odeur de sainteté par les temps qui courent, mais sans lui pas de salut (ou presque) à la lecture de la Commedia, c’est le moins qu’on puisse dire et à tous les sens des termes historique ou politique, littéraire ou philologique, philosophique ou théologique.
À commencer par celui-ci, la porte du Purgatoire, ouverte par l’ange portier aux deux clés d’or (symbole de ceci) et d’argent (symbole de cela) s’est refermée derrière les deux poètes (l’antique Latin et l’Italien de ce matin) sur fond de Te Deum tombé du ciel céleste, et gare si Dante se retourne !
Ensuite, de la métaphysique revue par les Pères de l’Eglise et passée à la moulinette du poème, l’on saute à la physique des corps, et sans Alpenstock : ainsi les deux compères se ripent-ils dans une espèce de gorge rocheuse à tournure de cheminée (symbole un peu tautologique de la montée-qui-monte) jusqu’à une vire formant corniche sur tout le pourtour de la montagne, surmontée de scènes sculptées de main probablement divine.
L’on passe en effet à la dimension esthético-apologétique du poème, illustrée d’abord par une image sculptée figurant l’Annonciation avec le duo de l’Ange Gabriel et de Marie - on pense illico à Fra Angelico, avec deux siècles d'avance, quoique Dante évoque plutôt l’art de Polyclète, plasticien grec encore fameux à l’époque, et Giotto serait encore plus proche...
Dans la foulée se distinguent plusieurs scènes diversement édifiantes, à commencer par le transport de l’arche sainte des Hébreux devant laquelle on se rappelle (mais si !) que dansa et psalmodia le roi David à la « robe troussée », précise Dante, après quoi celui-ci remémore la légende médiévale selon laquelle l’excellent pape Grégoire pria tant qu’il parvint à tirer l’empereur Trajan des enfers pour saluer un geste de commisération montré par celui-ci à l’égard d’une pauvre veuve dont le fils fut accidentellement tué par l’armée romaine- vous suivez au fond de l'avion ?
Tout cela pour montrer quoi ?
Entre autre ceci : que l’humilité et le repentir seuls pallieront l’orgueil, qui ne cesse de freiner notre élévation. C’est aussi bien ce que montre enfin, sur la même corniche, une procession de chenilles humaines qui se traînent en gémissant force « je n’en puis plus »…
Or comment trier dans ce fatras, ce qui relève de l’érudition empilée et ce qui peut nous toucher encore spontanément ?
De toute évidence, le poème hyper-codé, à multiples strates de signifiés (comme le sera l’Ulyssse de Joyce 7 siècles plus tard),n’en finira pas de servir, sinon à l'édification de la jeunesse italienne préférant le clip au poème, à la promotion d’innombrables nouveaux dantologues récusant tout ce qui a été dit avant eux, pour mieux « décaper » texte (et sous-texte) à l’occasion de multiples communications et congrès en divers lieux ensoleillés de la planète, mais nous apprennent-ils à mieux lire pour autant ce que le poète, de loin en loin, exprime de simple et beau en quasi 3D, par exemple sur l’amour ? Sûrement pas !
Assez comiquement alors, sur cette corniche des orgueilleux, me revient le souvenir du commentaire le moins humble qui se puisse imaginer, de Philippe Sollers pérorant à n’en plus finir « autour » du Purgatoire, dans son ouvrage modestement intitulé La Divine comédie (lequel consiste en réalité en entretiens avec les très patient Benoît Chantre), sans dire à peu près rien (non, j'exagère !) du contenu du texte lui-même alors qu’il pontifie à grand renfort de références à Bataille ou Heidegger…
Bref, voyons plutôt en la Commedia ce qu’elle est, pareille à une cathédrale à la fois sublime et désaffectée à beaucoup d’égards, dont les détails qui nous parlent encore ressortissent au langage, compréhensible par tous, de ce qu’on appelle la poésie - mais qu'est-ce au juste ?
Dante. Le Purgatoire. Traduction et commentaire de Jacqueline Risset. Flammarion GF.
À consulter aussi pour ses utiles explications érudites : Lire la Divine comédie,par François Mégroz. L’Âge d’homme, 1994.
Et ce monument d’autosatisfaction aux vues parfois éclairantes, voire fulgurantes de justesse dans l'aperception musicale du texte : Philippe Sollers. La Divine Comédie. Folio.