Une lecture de La Divine Comédie (43)
Le Purgatoire, Chant IX.
Dante s’endort et rêve. Réveil près de la porte du Purgatoire. L’ange portier. Ouverture de la porte
(Nuit du dimanche au lundi de Pâques, 11 avril 1300)
Le neuvième chant du Purgatoire, après un début d’ascension assez physique, est marqué par un rêve mythologico-féerique digne d’inspirer un peintre mystico-psychédélique à la William Blake ou, quelques étages en dessous, un Salvador Dali, dont les illustrations de la Commedia sont assez mollement liquéfiées au demeurant.
Mais le chant débute par un vrai galimatias, en tout cas à nos oreilles contemporaines.
En voici la traduction française :
« La concubine de l’antique Titon
blanchissait déjà au balcon d’Orient
en sortant des bras de son doux ami ;
son front resplendissait de gemmes,
formant la figure de l’animal froid
qui frappe l’homme avec sa queue ;
et la nuit, au lieu oùnous étions,
avait fait deux pas dans sa montée,
et baissait déjà son aile pour le troisième ;
lorsque, chargé encore du fardeau d’Adam,
vaincu par le sommeil, je m’inclinai sur l’herbe,
où nous étions assistous les cinq. »
On imagine l’éberluement perplexe de la collégienne romaine ou du lycéen florentin tombant sur ces vers alambiqués signifiant que, bon,la nuit est tombée « en montant » et que Dante va monter en « tombant » dans un rêve…
John Cowper Powys a raison, une fois de plus, en soulignant que la Commedia date à divers égards, à la fois par son contenu dogmatique et par ses multiples références à la mythologie gréco-romaine.
Et pourtant la poésie,musicalité et splendides images à l’appui, sauve la mise de chaque Cantica, indépendamment de son sens moral ou théologique.
En l’occurrence, le rêve, qui fait l’esprit « presque devin dans ses visions », acquiert un surcroît paradoxal de présence en combinant la figure d’un aigle à plumes d’or, d’essence résolument chrétienne, et celle du jeune Ganymède, bel éphèbe de souche grecque « ravi au consistoire des dieux » par Zeus, dont l’apparition onirique coïncide, en temps réel, avec le passage subreptice de Lucie, sainte spécialement affectée à la protection de Dante, dont Virgile lui explique l’intervention quand il se réveille.
Compliqué tout ça, giovanotti ? Pas plus que le méli-mélo New Age de vos séries merveilleuses flirtant avec le fantastique !
Et la suite va se corser encore, presque jusqu’au kitsch, avec l’apparition de l’ange portier aux pieds sacrés posés sur la troisième marche de l’escalier accédant à la« porte sainte ».
En cas de film, l’on appréciera le contraste de couleurs destrois marches : la première de marbre blanc (lisse comme un miroir révélant au voyageur ce qu’il est tel qu’il est), la deuxième de pierre noire raboteuse (comme une âme nécessitant un bon récurage) et la troisième de porphyre enflammé « pareil au sang qui jaillit d’une veine », symbolisant pour les uns le feu ou la charité, pour les autres l’Empire dont la mission est, selon Dante, de rétablir (hum) la justice et la paix dans le monde.
Là encore : génie du détail caractérisant la poésie de Dante, qui voit ensuite son front marqué de sept P par l’épée de feu de l’ange lui recommandant comiquement, prévenant infirmier : «Souviens-toi de laver, quand tu seras dedans, ces plaies »…
Or ces sept P, il faut le préciser à l’attention de la collégienne milanaise ou du lycéen napolitain, représentent les sept Péchés capitaux qu’il incombera à Dante d’effacer successivement en franchissant les sept corniches du Purgatoire…
Dante. Le Purgatoire. Traduction et commentaire de Jacqueline Risset. Flammarion GF.
À consulter aussi pour ses utiles explications érudites : Lire la Divine comédie, Le Purgatoire, par François Mégroz. L’Âge d’homme, 1994.