L’Académie « innove » en rebaptisant sa Bourse. Tatiana Arfel eût été une découverte moins convenue que les papables…
La découverte d’une voix «inouïe », d’une nouvelle « papatte » ou d’un univers «jamais-vu » constitue un moment gratifiant pour le passionné de lecture. L’apparition de Ramuz par Aline, premier chef-d’œuvre d’un garçon de vingt-quatre ans, ou celle de Michel Houellebecq par Extension du domaine de la lutte, ont fait date. Si la catégorie du premier roman n’est pas une valeur en soi, il paraît légitime de soutenir un auteur prometteur à ses débuts. D’où les divers prix et autres bourses qui mettent en exergue l’appellation, sans oublier le Festival du premier roman de Chambéry...
Depuis 1977, le Prix du premier roman, actuellement présidé par Joël Schmidt, a signalé, sur l’ensemble des lauréats, un bon quart de jeunes auteurs dont les œuvres ont « décollé » par la suite, tels Alexandre Jardin, Isabelle Jarry, Christophe Bataille ou Boualem Sansal. A signaler pourtant que le palmarès s’en tient exclusivement à l’édition parisienne, et que son impact médiatique ou commercial reste limité. Même remarque pour le Prix du Premier roman du Doubs, parrainé cette année par David Fœnkinos, romancier primé dès son premier livre (Prix Mauriac de l’Académie française) et qui remarque : «Un prix pour un premier roman, c’est un coup de pouce décisif. Il paraît tant de livres chaque année qu’il n’est pas facile de se faire remarquer autrement. D’ailleurs, il n’y a pas de petits prix. D’abord parce que c’est toujours agréable d’en recevoir un, ensuite parce que ça ouvre des portes, retient l’attention des libraires et des lecteurs, suscite d’autres prix ».
Label Goncourt
Edmond de Goncourt prévoyait, dans son testament, un soutien particulier aux jeunes auteurs. La chose s’est parfois concrétisée avec le Prix Goncourt lui-même, mais un legs, datant de 1914, a institué la Bourse Goncourt du premier roman, dont le palmarès de ces trente dernières années est à vrai dire plus chiche en vraies découvertes que celui du Prix du Premier roman lui-même, et très marqué par le label Gallimard.
Or la liste des six derniers nominés du nouveau Prix Goncourt du premier roman, qui remplace la « bourse » de naguère et sera décerné le 3 mars prochain, recycle également deux poulains Gallimard de la course au Goncourt de l’automne dernier, avec certain air de réchauffé: le finaliste de novembre Jean-Baptiste del Amo, pour Une éducation libertine, et Tristan Garcia, avec La meilleure part des âmes, déjà très largement médiatisés. Or on espère un choix moins « téléphoné », même si les autres lauréats, tel Laurent Nunez avec Les récidivistes (Champvallon), Paul Andreu avec La maison (Stock) ou Justine Augier avec Son absence (Stock) font assez pâle figure. Quant à la plaisante vacherie bien parisienne de Marion Ruggieri, avec Pas ce soir, je dîne avec mon père (Grasset), elle ne relève guère non plus de l’alternative excitante. Le premier roman de Tatiana Arfel (lire encadré) nous semble d’une tout autre originalité. Son premier « prix » aura consisté en son insertion, chez José Corti, dans la prestigieuse collection Merveilleux, à côté de Robert Walser, de Daniel Defoe ou de Bram Stoker. Excusez du peu !
Une belle fable de l'enfance bafouée
C’est une sorte de grande fable, apparemment naïve, en réalité lestée d’une profonde expérience de la vie, que L’Attente du soir de Tatiana Arfel. La jeune romancière (née à Paris en 1979) y raconte l’histoire, qui pourrait sembler invraisemblable, de trois naufragés de l’existence dont le récit des destinées alterne avant de les faire s’entrecroiser: un vieux clown malmené par ce qu’il appelle « le Sort», une femme «éteinte» par le manque d’amour et un enfant sauvage, « slumdog » des gadoues contemporaines qui aurait dû y crever. Cela pourrait être d’un kitsch achevé, et c’est immédiatement prenant, envoûtant même, évoquant à la fois les enfants d’Agota Kristof ou de Romain Gary, avec quelque chose de pourtant inouï et de jamais vu qui tient à la saisissante porosité émotionnelle de l’auteur et à sa capacité d’exprimer, avec ses mots, simples, et ses images, très concrètes, toute la tristesse de la vie froide et toute la merveille du monde revivifié par les gestes de la tendresse et par la capacité créatrice de notre drôle d’espèce, de Lascaux à l’art brut.
L’Attente du soir ne se raconte pas. Une analyse de ce roman très substantiel, mais toujours lisible, demanderait un long développement. J'y reviendrai d'ailleurs. Mais plus important me semble cependant, dans l’immédiat, de «vivre» ce livre de la solitude et des séquelles du manque d’attention et d’affection, mais aussi de la possible rédemption. Face à la grisaille du monde et au mur d’indifférence qui sépare les êtres, Tatiana Arfel réaffirme une foi candide mais non moins impérieuse en les pouvoirs du langage poétique ou artistique. D’aucuns ricaneront peut-être, tant l’ingénuité de ce livre, en rupture totale avec le cynisme ambiant, détone et surprend, mais c’est aussi sa force, exigeant du moins la plus vive attention, et le même abandon qu’en nos enfances, à rire et pleurer en lisant nos premiers livres…
Tatiana Arfel, L’Attente du soir. José Corti, 325p.
Ces articles ont paru dans l'édition de 24Heures du samedi 21 février 2009.
Commentaires
C'était le coup de coeur du libraire de la librairie "Passages" à Lyon, présenté hier soir à "La grande librairie" sur France 5.
C'est idiot comme commentaire mais cela me permet de vous dire un petit bonjour.
>coup de coeur
merci pour la brèche ! bonjour à touches et longue vie à ton épicerie fine, mononk...
Merci les enfants. J'aurai encore beaucoup, beaucoup à dire de ce drôle de livre...
Se détacher de la photo pour plonger dans le texte! Le texte j'ai dit!
C'est fou comme on respire mieux dans ce billet que dans celui sur Monsieur Onfray!
C'est d'ailleurs à Passages que je l'ai acheté... et quel roman ! Je n'ai jamais été déçue encore par les petits cartons que les libraires épinglent sur les couvertures... Merci !
Une découverte kaléidoscope de couleurs et d'émotions que ce bouquin là...
Merci, Jean-Louis, j'ai trouvé ! Je viens de terminer le livre. Tout ce que vous dîtes est exact. J'ai été très sensible aussi à la construction en tressage de ces trois voix du livre et l'étonnant décalage de la voix du môme souvent postérieure à la scène vécue et racontée par Giacomo ou Mlle B. J'aime aussi l'interrogation sur la couleur grise qui creuse une présence-absence dans l'attente du môme. Dans ce livre "apparemment naïf" il y a l'approche de l'autisme, un peu comme dans "L'enfant bleu" d'Henri Bauchau et cela est vraiment très fort. Il est construit de telle sorte qu'il y ait un aboutissement de ces destinées ; étrangement, je crois que j'aurais aimé qu'il reste dans l'esquisse dans les possibles ou impossibles. J'aime tant l'inachevé... Merci