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Carnets de JLK - Page 94

  • Le sage fou du désert

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    Théodore Monod plaide pour l’hominisation de notre espèce. S'il a presque l'âge du siècle, le merveilleux «fou du désert» n'a rien perdu de sa fougue idéaliste.

    Savant naturaliste aux multiples curiosités, militant du pacifisme et de l'écologie - ainsi parlait-il en mars 1996.

     

    Il est certains individus dont l'expérience et le rayonnement ont de quoi rendre confiance en l'humanité, et tel est, assurément, un Théodore Monod. A 92 ans, ce scientifique de vieille souche protestante et d'immense famille oscillant entre la science et le pastorat, qui commença d'écrire gravement à 9 ans («Que la foi soit mon toit, que la bonté soit mon rez-de-chaussée»...), accomplit sa cinquième à Lausanne en 1913 («Jesuis très ému quand j'entends de la musique», écrit-il alors), édicta les 10 commandements du parfait voyageur à 12 ans, puis traversa le siècle et les guerres, les déserts de sable (toujours hyper vivants à ses yeux) et d'eau (sa passion pour les crustacés) en passant par tous les avatars d'une existence d'infatigable observateur de la Création — ce supervivant, selon l'expression de Chesterton, cumule les expériences du Muséum (où il enseigna dès 1922) et des «méharées», du botaniste ou du géologue, du patriarche familial ou du citoyen luttant contre la folie guerrière dont il prit conscience en son adolescence.

    —  Quels sont  les «défis» du siècle prochain auxquels nous devrons faire face.

    images-3.jpeg—  Rassurez-vous, je ne vais pas jouer les devins! Ce qui m'intéresse en priorité, c'est l'état actuel du monde, qu'il s'agit de considérer avec lucidité. Plutôt que de faire des prédictions oiseuses, je vais m'efforcer de retracer les grandes lignes de l'aventure humaine pour mieux éclairer l'ère nouvelle que nous vivons. Le changement de millénaire ne signifie pas grand-chose à mes yeux. Je crois en revanche qu'une nouvelle ère, l'ère atomique, a commencé le 6 août 1945, qui fait suite à l'ère chrétienne. Ce qui la caractérise est que, pour la première fois de l'histoire de l'humanité, les armes sont capables d'atteindre une population dans son héritage biologique. C'est en quoi j'estime l'arme nucléaire proprement diabolique.

    —  L'homme ne tire-t-il aucun enseignement de ses expériences?

    —  Il n'y a visiblement de progrès que technique et matériel. Vous voyez bien que, depuis 2000 ans, l'homme n'a pas fait la moindre avancée du point de vue moral. Mais attention: je parle des sociétés, et non de tel ou tel individu. Le bipède se considère évidemment comme le roi de la Création, et dès la Genèse vous lisez des phrases terribles posant l'homme en «terreur des êtres vivants». Or, cette attitude risque fort de lui être fatale. La nature ne le regrettera probablement pas... 

    —  Par où commence alors ce que vous appelez l'«hominisation»?

    images-5.jpeg—   Par le respect de la vie. Notez que je ne fais pas de la nature une idylle: le respect n'est pas la soumission béate, mais il vise à la préservation d'équilibres sans lesquels on court à la catastrophe. Or la religion du profit nous menace du pire. 

    —  Comment considérez-vous, vous qui avez votre passeport de citoyen du monde, l'actuelle tendance à la mondialisation?

    —  Tout dépend de ce qu'on entend par là! Un gouvernement mondial au nom de la fraternité humaine, ou une Europe fédérée en fonction d'un projet commun, sont évidemment synonymes d'espérance. Mais tant que le dieu reste l'argent, comme nous le voyons dans le monde actuel, je crains que le pessimisme soit de mise.

    —  Qu'est-ce pour vous que la résurrection?

    —   C'est un grand mystère dont je ne puis pas dire grand chose. Je suis sûr qu'il s'est passé, alors, quelque chose. Quoi? Je n'en sais rien. Mais voyez donc: en terme d'ères, l'Histoire a basculé à ce moment- là. Je puis vous dire que la résurrection est une espérance. Bon. Mais formuler une certitude: certes non. Je ne sais pas, et je revendique d'ailleurs cet aveu d'ignorance: je crois que nous avons le droit, aussi, de nous taire. Lorsqu'il allait quitter ce bas monde, le philosophe Thoreau, contemplatif des forêts, répondit à son entourage, qui le pressait de dire quelque chose à propos de l'après: «Un monde à la fois!» » Ce dont je puis témoigner en revanche, moi le protestant libéral, c'est ce que je tiens pour essentiel: et c'est alors le Sermon sur la montagne, par opposition à ce qui me paraît accessoire, de querelles théologiques stériles en guerres justifiées par la religion. 

     

    La véritable saga que constitue la vie de Théodore Monod a été racontée par Nicole Vray dans une volumineuse biographie intitulée Monsieur Monod, Scientifique, Voyageur et Protestant, publiée chez Actes Sud.

     

  • Continent Cendrars

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    À propos de l’édition critique du bourlingueur en 15 volumes, dirigée par Claude Leroy. 

    Plus de quarante ans après la mort de Blaise Cendrars (1887- 1961), l'œuvre de celui que le grand romancier américain John Dos Passos appelait l' «Homère du Transsibérien» n'a pas cessé de rayonner, fascinant chaque nouvelle génération par la modernité de son langage et de ses mythes, l'extraordinaire variété de ses curiosités et de ses inventions, la densité épique et poétique de ses livres, ses personnages et ses paysages géographiques ou oniriques, son énergie et sa verve anti-conventions. 

     

    De fait, la première remarque qui s'impose à réception des volumes inaugurant cette collection intitulée «Tout autour d'aujourd'hui», pour reprendre une formule de Cendrars lui-même, est que cette édition critique sans précédent ne «pèse» ni par l'excessive qualité du papier (nous le disons sans dépit, préférant la vraie passion de lire à l'élitisme bibliophilique), ni non plus par un appareils cientifique trop envahissant. A l'heure où se prépare une intégrale de Ramuz qui fleure déjà le gouffre à subventions et le train blindé de gloses, on salue ici la brigade légère...

     

    cendrars2.gifUn guide avisé

    Claude Leroy, professeur à l'Université Paris X-Nanterre et très compétent explorateur du continent Cendrars, n'a rien pour sa part du cuistre pesant ou jargonnant et la solution qu'il a choisie, d'introduire chaque volume par une préface, de laisser vivre et chanter le texte et de renvoyer en queue de convoi un dossier commun de notes et notices, nous paraît satisfaisante. 

     

    L'idée de reproduire les illustrations, ou même les couvertures d'éditions originales (celle par exemple du Panama, signée Raoul Dufy en 1918), est également bienvenue, même si la mise en page ou la reproduction pourraient être parfois plus soignées. Or l'important est ici, on l'aura compris, dans le texte et sa substance, à l'approche desquels Claude Leroy fait office de guide avisé. 

     

    Par-delà les clichés

    Dès la préface du premier volume, consacré aux Poésies complètes, enrichies de 41 poèmes inédits, Claude Leroy resitue très clairement Biaise Cendrars dans  les grandes lignes de sa personnalité paradoxale, qui «échappe à la saisie en se surexposant». Lui qu'on a souvent pris pour un écrivain de l'aventure était probablement plus encore un aventurier de l'écriture, dont le projet de «disparaître» en tant que porteur d'un nom lié à une filiation (un certain Freddy Sauser, fils d'un homme d'affaires de La Chaux- de-Fonds, etc.) pour se faire porte-nom ou prête-nom poétique de l'humanité multiple, comme les anonymes bâtisseurs de cathédrales, Cendrars au nom de braises et de cendres, Protée et phénix à la fois, jamais installé et vivant la poésie autant qu'il l'écrivait. Si maints aspects de la légende de Cendrars, que lui-même forgea souvent, correspondent bel et bien à une réalité, sa prétendue mythomanie cède le pas à un projet d'écriture qui va bien au-delà de l'affabulation superficielle et se nourrit, par ailleurs, d'une existence hors du commun, loin des conforts lettreux. 

    Après avoir rappelé l'importance des années d'apprentissage de Biaise Cendrars, jeune poète bilingue qui fonda à Paris une revue franco-allemande en 1912 {Les Hommes nouveaux), fréquenta les anarchistes russes et européens tout en publiant des textes dans les revues de Berlin, Claude Leroy souligne l'importance cruciale, dans la vie du poète,de la guerre où il laissa une main. 

    «Cette blessure est à l'origine, dans sa vie comme dans son œuvre, d'un tournant dont la portée est restée longtemps énigmatique, relève Leroy. Au cours de l'été 1917, cette blessure de mort s'est renversée en blessure de vie...» 

    Cette transmutation des données existentielles en composantes poétiques, l'œuvre entier de Cendrars en témoigne à travers ses périodes successives, de l'époque des poèmes (1912-1924) à celle des romans (1925- 1929), ou de ses écrits journalistiques(1931-1940) aux chroniques assimilables à des Mémoires (1945-1949). 

    Cendrars16.jpgQu'il fasse flamber son nom une première fois avec ses mystiques Pâques ou qu'il nous entraîne dans ses grandes stances épiques du Transsibérien, qu'il brasse et brise et reconstruise le langage contemporain du «profond aujourd'hui» en poète moderne qui ne s'est jamais affilié pour autant à aucun «isme» esthétique ou politique, qu'il rêve de révolutionner l'art cinématographique, raconte sa guerre, nous emmène une fois de plus au bout du monde (par exemple à Sao Paùlo du Brésil, dans ses Feuilles de route inédites, où «seuls comptent cet appétit furieux cette confiance absolue cet optimisme cette audace ce travail ce labeur cette spéculation qui font construire dix maisons par heure de tous styles ridicules grotesques beaux grands petits nord sud égyptien yankee cubiste»), se reconnaisse foudroyé, renaisse ensuite en poète de la main gauche et nous laisse finalement en compagnie de Moravagine,de Dan Yack et de tant d'autres incarnations de son moi multiple — toujours Cendrars fait poésie de tout, dans l'orientation supérieure d'une cosmogonie poétique que le premier vers du Panama préfigure et concentre sous un rayon lustral: "Ce matin est le premier jour du monde"...

     

    Blaise Cendrars. «Tout autour d'aujourd'hui». Volume I: Poésies complètes, avec 41 poèmes inédits. Textesprésentés et annotés par Claude Leroy. Denoël, 430 pp. Volume 2: L'or, suivi deRhum et de L'argent. Textes présentés et annotés par Claude Leroy. Denoël, 356pp. Volume 3: Hollywood La Mecque du cinéma; L'ABC du cinéma et Une nuit dansla forêt. Textes présentés et annotés par Francis Vanoye. Denoël, 232 pp.

     

    (Cet article a paru dans le quotidien 24Heures, le 11 décembre 2001)

  • Mémoire vive (84)

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    À La Désirade, ce mardi 17 mars. – Au réveil (5 heures du matin) je me dis que je devrais renoncer à ce qui, dans mon roman, reste trop littéraire, trop précieux ou trop recherché. Pierre Gripari, dès mon premier livre, m’avait reproché certaine obscurité, et je crois qu’il avait raison même si, dans sa postface, Dimitri relevait que cette obscurité était le « sceau du poète ». 

    De son côté, Nancy Huston, qui avait beaucoup aimé L’Ambassade du papillon, trouvait Le viol de l’ange par trop écrit, concluant au fameux words, words, words qui m’a chiffonné sur le moment, mais elle aussi avait raison. Donc je vais relire les cinquante premières pages de La vie des gens et tâcher de chausser des lunettes à la Léautaud ou à la Marcel Aymé, bons conseillers en la matière. 

    simenon15.JPGAu demeurant, je me garderai de sabrer jusqu’à l’automutilation, vu que mon écriture aime les mots et que tout le monde ne peut être Simenon. C’est à vrai dire affaire d’équilibre. À propos de Simenon, je me rappelle que Colette ne lui passait rien quand il se montrait trop « littéraire », elle si soucieuse de mots choisis et de beau style. Du moins avait-elle compris le génie très particulier de ce romancier, exprimant le plus avec le moins d’adjectifs et de mots non usuels.

    °°°

    La série historico-politique documentaire consacrée par Oliver Stone à L’histoire jamais racontée des Etats-Unis est d’une virulence critique à vrai dire sidérante, pourtant étayée par des documents irréfutables  et structurée avec plus de sérieux , me semble-t-il  que les brûlots d’un Michael Moore. Qui aime l’Amérique ne peut qu’apprécier cette descente en flammes de l’américanisme primaire.

    °°°

    En une journée, j’aurai un peu avancé sur la révision de mon roman, vu un épisode (JFK : au bord du gouffre) de la grande série documentaire d’Oliver Stone consacrée à L’histoire jamais racontée des States, composé une liste, revu Pas de printemps pour Marnie d’Hitchcock que Truffaut taxait de « grand film malade », lu trente pages (tout à fait excellentes) du nouveau roman de Mélanie Chappuis intitulé L’empreinte amoureuse, et repris mon portrait de Lady L. que je vais beaucoup avancer ces prochains temps non sans reprendre ma série de 100 Cervins – tout cela sans cesser de trier et de classer les quelque 1000 livres qui s’empilaient pêle-mêle dans un placard de mon antre… 

    °°° 

    Il s’agit à présent d’envisager le roman sous l’aspect de l’exercice. Ecrire le roman signifiera donc s’exercer à penser en situation  et à trouver la forme adéquate de chaque sentiment et de chaque idée portés par les personnages, chacun à sa façon.

    °°°

    Toujours très impressionné par la série documentaire d’Oliver Stone, dont j’ai regardé tout à l’heure la suite avec les épisodes de la guerre au Vietnam, du règne désastreux de Nixon et de la suite non moins lamentable des présidences de Reagan et de la triste paire des Bush père et fils. 

    °°°

    Unknown-1.jpegComme j’ai assez peu d’estime pour les quadras actuels (je sais bien que c’est un préjugé, mais je leur préfère réellement les trentenaires), et que les romans « sur » le cancer me rebutent a priori, c’est un peu à reculons que j’ai entrepris la lecture de L’Empreinte amoureuse de Mélanie Chappuis, qui m’a retourné, comme on dit, en moins de vingt pages. 

     

    Tout de suite, en effet, j’ai été touché par la justesse du ton et la finesse des observations portées sur sa vie par le narrateur, qui vient d’apprendre que son foie est atteint par le cancer et qu’une opération s’impose, à quoi il se refuse absolument dans un premier temps, au dam de sa compagne Marion et de ses amis, refusant de se voir « traité » et voué à une déchéance juste ralentie avant sa fin annoncée de toute façon. Plutôt que de confier son sort aux médecins, il entreprend alors de rédiger une espèce de journal rétrospectif de ses amours, dès son enfance au Nigeria (son père diplomate étant en poste à Lagos), au fil duquel défilent les figures très variées des femmes qui l’auront peu à peu révélé à lui-même et dont il se demande ce que, de son côté, il leur a laissé – quelle empreinte amoureuse leur est restée de lui.    

    Le thème de l’ « homme pris au piège », selon l’expression de Chestov parlant de La Mort d’Ivan Illitch de Tolstoï, chef-d’oeuvre du genre, repris par Kurosawa dans le génial Ikiru (Vivre), a nourri toute une littérature, et notamment « autour »  du cancer, notamment avec le fameux Mars de Fritz Zorn, puis du sida avec Hervé Guibert, mais il est moins question, dans L’Empreinte amoureuse, de la menace possiblement mortelle qui plane sur Bruno, que de ce qu’aura été sa vie jusque-là, en attendant d’envisager ce qu’elle pourrait être encore, par-delà ce qu’on pourrait dire une conversion intérieure « du côté de la vie ». 

    La grande réussite de ce livre tient à sa limpidité et à sa parfaite honnêteté, à son incarnation très saine et très ondoyante à la fois, sensible et sensuelle, de ce Bruno souvent flottant, suivant ses parents d’un pays à l’autre (d’Argentine à Berne via New York) avant de vivre très librement au fil de ses études, de Berlin à Genève ou ailleurs, aimant beaucoup  mais s’attachant difficilement jusqu’à sa rencontre de Marion.

    Il y a du « héros de notre temps » chez ce quadra sympa que la romancière n’idéalise pas plus qu’elle ne le juge, dont le regard sur sa vie gagne bel et bien en densité sous l’effet de l’urgence et au fil de retrouvailles diversement vécues. Comme chez une Alice Munro, le roman de Mélanie Chappuis interroge en somme « ce que nous sommes devenus », sans amertume ni flatterie – avec une sorte de compréhension amicale. L’écriture très nette et fluide, les dialogues naturels et justes, la qualité des sentiments reliant tous les personnages (et jusqu’au ratage d’une amitié, avec un Damien plein de ressentiment), l’approche sans pathos d’une réalité dernière que nous nous masquons trop souvent, font de ce roman, où la tendresse le dispute à un bon sourire d’humour, un livre qui rompt avec la platitude ordinaire ou les effets de style. Mais j’aurai encore pas mal à en dire…           

    Proust2.jpgÀ La Désirade, ce vendredi 20 mars. - Circulant en voiture, je me passe et me repasse la lecture du Temps retrouvé par Michael Lonsdale. Régal que l'interminable et irrésistible pastiche de Goncourt évoquant les Verdurin, après l'évocation des ridicules du milieu mondain commentant la guerre et ses opérations du point de vue du GQG. On ne relève pas assez le comique de Proust, notamment dans sa façon de singer les rombières et les imbéciles. Quelle énergie prodigieuse chez cet éternel maladif, et quelles pointes, mais aussi quelles incomparables aquarelles paysagères ou affectives, et quelle mélancolie, quelle poésie ouvrant leurs clairières dans l’immense murmure pénombreux... 

    ***

    J'ai passé beaucoup de temps, ce derniers jours, profitant du séjour de Lady L. à Amsterdam, pour faire de l'ordre dans le capharnaüm de mon antre, notamment en sortant, d'un placard, quelque mille livres empilés et donc non identifiables, que je vais reclasser dans un nouveau système de bibliothèques. J'ai vociféré, hier soir, contre la firme Interio où j'ai acheté un élément de bibliothèque blanche, aux montants et rayons très pesants, que je croyais  donc solides, mais qui ont cassé au fur et à mesure du montage, me sont tombés dessus, ont refusé d'être cloués et m'ont tellement enragé que j'ai tout jeté par la fenêtre dans la neige d'en bas, après minuit. 120 francs de foutus. Après quoi je me suis rabattu, ce matin, sur le bas de gamme franchouille de la firme Conforama, où j'ai trouvé exactement ce qu'il me fallait: 5 bookcases fabriqués en Malaisie, que j'ai montés ricrac et qui me permettront de bien ranger, comme sur un fil,  mes foutus rossignols

    BookJLK17.JPGÀ La Désirade, ce samedi 21 mars. - Je poursuis ce matin le premier jet de ces carnets dans la maquette à pages blanches des Passions partagées, où j'avais rédigé, au Ball Pentel Fine Point, quelque 150 pages, laissant vides les 250 autres. Cela me fait tout drôle de retomber sur des notes de 2004, à commencer par celle-ci, datant du 12 mars: "Revenir sur les attentats de Madrid. Aujourd'hui l'on parle des islamistes plus que de l'ETA. Mais si c'était la même chose ? Même mouvements de la haine, j'entends: fondés sur des mécanismes huilé par la haine. Or je ne me sens pas habilité à en juger, sans défendre en rien le terrorisme, même s'il découle d'une sorte de logique. De fait il est logique que les damnés de la terre se soulèvent, mais il me semble que les terroristes trahissent ceux-ci en choisissant les armes des oppresseurs, sans parler de la psychologie du terroriste nous ramenant aux Démons de Dostoïevski. Logique du serpent qui se mord la queue."

    Or ce que j'écrivais en 2004 reste plus que jamais actuel après les attentats de janvier et le massacre du Bardo de cette semaine. Enfin je note que, sur les 70 pages précédentes, j'avais transcrit mes entretiens avec Amos Oz (le 25 février à Paris,à propos d'Une histoire d'amour et de ténèbres), de Jean-Claude Carrière et d'Henri Godard (à propos d'Une grande génération et de son édition de Céline à La Pléiade), à coté des notes relatives à une quinzaine d'autres livres. 

    °°°

    L'idée m'est venue, ces derniers jours, de compléter mes carnets de Mémoire vive, courant sans discontinuer de 1973 à 2015, par une série de notes de mémoire que je pourrais intituler Retour amont, titre d'un recueil de René Char que je vénérais autour de mes dix-huit ans, et qui remonterait jusqu'en 1966, date de mes premiers poèmes également  « très Char » - comme l'avait relevé Georges Anex auquel je les avais soumis - et des notes consignées sur deux cahiers acquis à Cracovie et marqués POLSKI.          

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    Je lis ce matin, dans Marianne, que Manuel Valls reproche à Michel Onfray de se référer à Alain de Benoist, essayiste de droite qu'il dit préférer, quand il a raison, à un BHL estimé dans son tort. Cela nous ramène à l'énormité caractéristique des aveuglements idéologiques volontaires de notre génération, quand on affirmait qu'il valait mieux avoir tort avec Jean-Paul Sartre que raison avec Raymond Aron...

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    Dans L'Obs de la même semaine, à propos du même sujet, une dame Pia Quelque Chose, qui interroge à son tour le même Michel Onfray, évoque la"droite trouble" à laquelle participerait Benoist. Fichtre ! J'aimerais bien savoir comment on distingue une droite "trouble" d'une droite claire  ! Et qu'en est-il de la gauche de L'Obs ? Est-elle donc si limpide ?  Pour sa part, Onfray remet les pendules à l'heure avec aplomb et justesse, relevant le fait qu'il en a vu d'autres et me donnant très envie de lire son pavé de Cosmos...                 

    Ce qu'attendant je vais revenir à son journal, qui m'a un peu raccommodé avec cet essayiste pléthorique à l'écriture par trop plate à mon goût, quoique beaucoup moins "trouble" que celle d'un Bernard-Henri Lévy...

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    images-4.jpegLouis Calaferte dans ses carnets de Situation, en 1991, alors âgé de 63 ans, trois avant le grand départ qu’il pressent plus ou moins dans sa carcasse  mal en point : « Plus question pour moi de jardiner, à demi impotent que je suis sur mes deux cannes – toute cette beauté printanière m’est tristesse».

    Ce qui ne l’empêche pas de noter joliment le lendemain : « La petite pluie serrée grignotait le gravier » .

    Mais quelques jours plus tard : «À voir une fois encore toutes ces beauté du printemps, le regret de devoir disparaître à un épais goût d’amertume ».

    Or j’aimerais ne jamais céder à cette aigre tristesse, même s’il n’est pas de jour où ma carcasse à moi ne grince un peu plus aux jointures, douleurs jambaires et fatigues croissantes, crampes nocturnes et palpitations dès que trop d’alcool dans le sang, souffle en baisse et pertes d’équilibre sur les pavés urbains, déclinant sourdingue et plus capable de rien lire sans lunettes - mais je me rappelle la joie de mon père au jardin alors qu’il en était à  sa énième opération, s’excusant presque de tomber mais restant debout d’humeur et de regard, sans se plaindre jamais. Mon père est mort à 68 ans. Je l'aime toujours, mais j'aimerais bien, aussi,  lui survivre un peu... 

     

    Louis Calaferte : « Toute cette jeunesse en allée… »

    Et moi : « Mais non, vieux con : toute cette enfance qui revient »…  

     

  • Mémoire vive (83)

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    La pensée comme un exercice matinal,et ensuite ne pas lâcher le fil rouge. L’écriture est l’exercice par excellence, mais tout y contribue : la lecture, les rencontres, les virées, la vie.Tout fait miel. HM : « Le matin, quand on est abeille, pas d’histoire, faut aller butiner ».

    °°°

    Que penser de ce qu’on appelle le « retour du religieux » ? Et d’abord, est-ce un fait avéré ? Qu’observe-t-on en réalité ? Qu’est-ce que ce « religieux » alors que les églises et les couvents se vident ? Les manifestations de masse et les poussées de fanatisme relèvent-ils du « religieux » ? Que penser de tout ça ?

    À la fin  des années 50, nous nous trouvions, chemises bleues et jambes nues, à chanter crânement autour du feu de camp : «La lutte suprême / Nous appelle tous / Et Jésus lui-même /Marche devant nous/ Que sa vue enflamme /Tous ses combattants / Et soutienne l’âme / Des plus hésitants / Du Christ la bannière / Se déploie au vent / Pour la sainte geurre / Soldats en avant ! ».

    Or lequel d’entre nous, aujourd’hui, verserait une goutte de son sang pour la « sainte guerre » ? 

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    De qui ou de quoi parlez-vous lorsque vous prononcez le nom de Dieu ? Réfléchissez bien à cela sans penser à rien.

             

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    10614131_643543409093263_2962820132941386854_n.jpgRépondant à ma question  de savoir ce qu’il pensait du road-reportagede Daniel Cohn Bendit, notre ami Eric Mathyer, installé à Curitiba depuis quelques années, me répond ceci qui en dit cent fois plus long que maintes analyses de prétendus spécialistes: « Aïe ! À ta question simple, on ne peut répondre de façon succincte car le problème est complexe. Le foot est bien sûr le « sport national » au Brésil mais il représente beaucoup plus que cela. C’est une façon de vivre, une phénomène de société, donc lié à la vie. On joue au foot à n’importe quel âge depuis qu’on se tient sur ses jambes jusqu’au moment où les jambes ne portent plus. On joue partout sans exception, dedans, dehors, au chaud au froid, en prison à l’école et à la pause au bureau. Le football influence les horaires scolaires, ceux des entreprises,c eux des familles et même ceux des églises ! Il y a des terrains de foot partoutet de toutes les tailles. 

     

    Au dernier Mundial les Brésiliens croyaient, plus par loyauté  et par habitude, qu’ils pouvaient redevenir champions du Monde, mais sans une totale conviction. La désillusion a tout de même été grande et la douche glacée. Mais le Brésilien est optimiste et a toujours pensé que ce serait mieux demain. 

    La politique ! Aïe ! Après la dictature (qui ne s’est terminée vraiment qu’il y a 30 ans, c’est peu) il y a eu ce même espoir du lendemain. Mais la démocratie brésilienne est un bel habit sur une histoire qui a toujours été de rapports de force, de violence et d’inégalité sociale, de l’arrivée des portugais en 1500, jusqu’à aujourd’hui. Les deux législatures du président Lula ont déclenché une sorte d’euphorie en enseignant au peuple le plaisir de la surconsommation payée par le surendettement encouragé parl’Etat. Les politiques démagogues, et la Présidente Dilma ne se sont pas le moins du monde projetés dans l’avenir pour ne voir que le moment présent, comme tout bon Brésilien qui a été enchanté de savoir qu’il entrait dans le groupedes grands du monde et que ce n’était qu’un début. 

    L’inébranlable optimisme brésilien est bien agréable, léger et vivifiant, mais tout nouveau pour le Suisse habitué à penser que le futur va être bien difficile et bien pire et que tout progrès, « on va bien devoir le payer un jour »…

    Après la Coupe du Monde il y a eu les élections où lescitoyens, pas éduqués ni encouragés à revendiquer ou protester mais bien à suivre et obéir, se sont dit pourquoi ne pas garder la même, sachant pertinemment que la corruption avait atteint des sommets. Mais l’habitude de se débrouiller (la « jeitinho », la combine), des plus pauvres aux plus riches,est bien ancrée. On a réélu (le vote est obligatoire) la même en se disant quel’autre candidat serait peut-être pire et qu’on ne savait pas vraiment. Tousles candidats avaient d’ailleurs le même programme : moins de pauvreté, plusd’éducation, moins de violence et surtout moins de corruption. De nombreuxpoliticiens impliqués dans des procès de corruption ont été élus. Un candidatnon corrompu n’a quasiment pas la possibilité de se présenter.

    Le Brésil a voté, me semble-il, un peu comme quand, face à un terrain clairement boueux on décide de s’y aventurer quand même disant « ça va surement tenir ». Non ça n’a pas tenu. Trois mois après les élections,le Brésil s’embourbe et prend conscience de la situation. Il s’intéresse enfin un peu plus à ce qui se passe, il voit les ravages de la corruptions, les milliards partis dans des poches particulières (la Coupe du Monde a été une manne céleste pour bien des corrompus), il ne doute plus guère de l’implication de la plupart de ses dirigeants qui se sont enrichis  d’une façon éhontée.

    Je suis frappé de voir à quelle rapidité beaucoup, encore optimistes il y a quelques mois, ont changé de discours. 

    Aujourd’hui la rue pense et dit que le pays commence seulement à s’enfoncer et qu’il faudra beaucoup de temps pour un éventuel recommencement.Les immigrés de 2ème ou 3ème génération tentent d’obtenir un passeport européen, d’autres se renseignent sur les possibilités d’immigration au Canada ou ailleurs. On ne compte plus les dirigeants impliqués dans des scandales, on compte ceux qui ne le sont pas. La monnaie baisse sans cesse, les prix se sont envolés depuis le début de l’année (l’essence qui baisse partout est montée de15% en un mois), des subsides promis ne sont pas versés, on entend des craintes de retour des militaires, de dictature, de coup de force. Dimanche prochain une manifestation nationale inquiète, celle pour l’ « impeachment » de la présidente Dilma. 

    Les Brésiliens sont des gens merveilleux, on trouve dans un même pays des indigènes n’ayant jamais eu de contact avec la civilisation, des régions d’avant-garde technologique, la misère la plus sombre et des riches aux fortunes sans limite. Ce  pays est un continent aux nombreux climats,les paysages sont d’une beauté et d’une diversité sans pareil, la musique est partout… mais en début 2015 les optimistes sont bien discrets ».

    °°°

    Unknown-11.jpegJe reviens ce matin à Mon premier livre, acheté l’autre jour à La Pensées sauvage pour la somme exorbitante de 60 francs suisses, prix des reliques vintage à plus-value sentimentale indéniable. La couverture représente trois enfants réunis autour d’une table : un garçon de sept ou huit ans qui déchiffre, le doigt pointé, les lettres d’un livre ouvert ;son aînée, de neuf ou dix ans à sage ruban blanc dans les cheveux, qui a l’air de le chaperonner ; et la petite au museau juste affleurant la surface de la table. Les jeux (un ours en peluche et un train de bois) ont été abandonnés, et l’Attention se concentre sur l’exercice de lire. L’édition (« Nouvelle édition entièrement refondue » par diverses dames, dont la poétesse Vio Martin) date de 1958. J’avais onze ans et je venais de lire Michel Strogoff de Jules Verne, je collectionnais les bandes dessinées « pulps » de la série Artima et j’étais déjà accro à Bob Morane, en attendant les premiers San Antonio et la collection de Cinémonde, puis des Signe de piste… 

    °°°

    La première page deMon premier livre illustre quatre voyelles (A comme Avion, I comme Iris, O comme Orange et U comme usine), le E étant absent on ne sait trop pourquoi - improbable préfiguration de La Disparition de Perec… Quant à la thématique immédiate, suisse au possible, c’est Nature et Travail, avec l’avion pour aller de l’avant. Ensuite viendront Maman (ma / mi / mo /Mu ) et Papa (pa/ pi / po / pu), puis les verbes en page quatre: Papa téléphone et maman tricote. La voyelle E n’arrive qu’en page trois, avec le chien et le soleil… 

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    Unknown-12.jpegEn alternance avec Mon premier livre, je lis Le Piège Daech – L’Etat islamique ou le retour de l’Histoire, très édifiante remontée aux sources du cancer islamiste en train de proliférer au Moyen-Orient, et bien au-delà, dont l’auteur rappelle les tenants colonialistes (la trahison et le cynisme de la Grande-Bretagne, notamment, au début du XXe siècle), avant de détailler les conséquences désastreuses de la politique américaine (notamment en Irak), d’expliquer sur quelles bases, pourries par la corruption et le mépris des populations, l’Etat islamique a progressé de quelle fulgurante et machiavélique façon, jouant à la fois sur le ressentiment occidental des musulmans et la décomposition d’Etats « dont la viabilité était largement viciée dès l’origine ».

     

    °°°

     

    Le roman est à mes yeux le genre accompli de la narration en ronde-bosse, dont l’espace sphérique et l’autonomie des personnages définissent la spécificité même si sesavatars formels sont multiples. La Commedia de Dante n’est pas un roman mais un poème composé d’une suite de chants. Le Quichotte en revanche est le parangon du genre romanesque européen à ses débuts, comme l’a défini René Girard, après quoi la sphère du roman sera, cela va sans dire, à géométrie infiniment variable selon les époques et les cultures, mais le repérage du genre, dont le Nouveau Roman n’est qu’un avatar critique et formel parmi d’autres, n’en est pas moins intéressant à l’heure actuelle ou tout et n’importe quoi se dit roman alors que prolifèrent le récit de vie déguisé et le feuilleton planplan…

  • Miss you kids

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    …Nous sans les enfants on s’ennuie, c’est vrai qu’ils sont chiants et demi les enfants, les petits qu’un rien fait crier et les ados cons qui se tamponnent, et les grands qui sont encore plus cons que leur enfants et leurs ados, mais ce qu’on se fait chier sans les enfants fous de joie et les ados qui se bécotent et les grands qui retombent au bon temps où ils étaient de vrais enfants chiants et demi…

    Image : Philip Seelen

  • Mémoire vive (82)

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    Des digressions qui émaillent Les misérables, la suite de chapitres consacrée au couvent de femmes du Petit-Picpus, en plein Paris, est particulièrement savoureuse, et notamment quand Hugo s’attarde à l’évocation haute en couleurs d’une centenaire au parler picard qui fut « du monde » avant la révolution. :« Une autre fois, la centenaire racontait des histoires. Elle disait que dans sa jeunesse les bernardins ne le cédaient pas aux mousquetaires, mais c’était le dix-huitième siècle. Elle contait la coutume champenoise, et bourguignonne des quatre vins avant la révolution. Quand un grand personnage, un maréchal de France, un prince, un duc et pair, traversait une ville de Bourgogne ou de Champagne, le corps de ville venait le haranguer et lui présentait quatre gondoles d’argent dans lesquelles on avait versé de quatre vins différents. Sur le premier gobelet on lisait cette inscription : vin de singe, sur le deuxième : vin de lion, sur le troisième : vin de mouton,sur le quatrième : vin de cochon. Ces quatre légendes exprimaient les quatre degrés que descend l’ivrogne: la première ivresse, celle qui égaye, la deuxième, celle qui irrite ; la troisième, celle qui hébète ; la dernière enfin, celle qui abrutit »...  

    À Le Désirade, ce samedi 7 mars. -  Bonne conversation ce matin avec lady L., à propos des possibles malentendus liés au nouveau type de communication instaurée sur la Toile et par les réseaux sociaux. Elle toujours sur la réserve, ne tenant guère à s’exposer hors du cercle des très proches, et moi beaucoup plus impliqué, en bête de langage que je suis, prioritairement attentif à la communication et à ses limites, ses faux semblants, ses effusions plus ou moins illusoires, ses dérives et ses  délires, ses complicités réelles ou factices, ses pièges, ses impasses et parfois ses réels échanges.

    Comme il y a dix ans que je tisse ma toile virtuelle, depuis Hotmail.com et son forum littéraire où je sévissais sous le nom de Livia, concierge lettrée de la rue des Comédiens, à Bruxelles, je suis pas mal rompu à cet exercice qui n’est en somme que ce qu’on veut qu’il soit.

     J’en ai, personnellement, très vite évalué les limites,surtout au contact des  pédant(e)s de la République des pions à la française et de quelques taré(e)s caractérisés, mais les virtualités de l’instrument n’ont cessé de se développer, avec l’ouverture de mon blog perso  et sur Facebook, jusqu’à devenir une espèce d’orgue verbal aux multiples registres.

     

    De mon activité sur la Toile procède, en outre le développement à la fois kaléidoscopique et panoptique de mes carnets, dont la conception, la structure et la distribution des contenus et des signifiants n’ont cessé de cristalliser en nouvelles formes à travers les années.

     

    En postface à l’Esquisse d’un troisième journal de Max Frisch, Peter von Matt rappelle que, dès les années 1940, Frisch a composé un Journal dont la visée concertée et la forme se distinguent du processus ordinaire des journaux intimes : « Il s’agit d’une composition rigoureusement structurée, de textes de réflexion et de narration, dont les liens tissent unréseau de thèmes et de motifs récurrents. Un « Journal », au sens où l’entend cet autreur, n’est donc pas la somme des notes quotidiennes que l’on prend en plus de son travail d’écrivain, mais un résultat de la volonté artistique au sens le plus strict. En tant que forme littéraire, il a une valeur identique à celle du roman, du récit, de la pièce de théâtre. Il y a toujours eu aussi chez Frisch des notes ordinaires de l’autre espèce, jetées en passant sur le papier, mais il ne les a jamais jugées dignes d’être publiées ».

     

    Cette question de la publication n’est pas à négliger. À tout moment ainsi, il convient de se demander ce qui « mérite » d’être livré à l'attention d’autrui, ce qui doit rester « privé », et ce qui relève de la corbeille.    

      

    °°°

     

    11043353_10206181992455633_601554381733059667_o.jpgNous retrouvons cet après-midi le lac encore gelé de Joux, la vallée  suspendue et ses assez moches villages agro-industriels, enfin la librairie à l’enseigne de La pensée sauvage  où,régulièrement, j’échange des centaines de livres arrachés au corpus invasif de mes bibliothèque contre deux ou trois ou treize ou trente-trois rossignols. 

     

    Ainsi, contre vingt sacs, représentant à peu près 500 livres, distraits de mes trois antres aux rayons surchargées de plus de 20.000 bouquins aurai-je choisi, cette fois, les pamphlets antisémites de Céline dont la rareté explique le prix – mais je tenais une bonne fois à m’en faire une idée sur pièce -, une anthologie de la poésie contemporaine éditée à la Guilde par Jean Paulhan et Dominique Aury (avec l’adjonction d’une brochure des « dissidents » Eluard et Aragon, qui chipotèrent à l’idée de se trouver inclus dans une édition dirigée par le patron point assez communiste de la NRF), une édition de1958 de Mon premier livre aux images délicieusement désuètes et dont l’idéologie helvétiste module les thèmes familiaux et patriotiques de notre enfance (à la lettre N on voit un Nègre en pagne bleu clair décent…), un autre monument rare de notre culture populaire intitulé Le Testament de Jean-Louiset recueillant mille recettes de tisanes médicinales, onguents et autres remèdes de nos aïeux ; une évocation de Paris signée Victor Hugo et parue dans la collection de l’Oiselier que j’aime bien compléter, enfin un recueil de poèmes de Claire Krähenbühl intitulé La table des liens, pour retrouver une voix proche. Ma bonne amie, pour sa part, aura jeté son modeste dévolu sur un album photographique de belle qualité, consacré à un renardeau et qu’elle entend offrir à un enfant de notre connaissance. Tout cela sans la moindre prétention bibliophilique, cela va sans dire, dans notre goût simplet du moment…

    °°°

    Philippe Sollers dans L’école du mystère : « Tu ne trembles pas, carcasse, mais tu tremblerais peut-être si tu savais où je te conduis. J’aime cette poussière qui meconstitue et qui écrit. Qu’elle en soit capable reste quand même un mystère ».

    °°°

    L’un des thèmes récurrents, quoique non explicite, de mon roman en chantier, La Vie des gens, pourrait être dit la quête d’une immunité sensible et spirituelle dans le froid glacial de la société contemporaine, et j’aime en repérer les lieux possibles, comme cette librairie à l’écart, au bord de ce lac gelé, à l’enseigne de La Pensée sauvage, qui relève à la fois du sanctuaire de l’écrit mais sans prétention de luxe, et du cabinet de curiosité. Y revenant je trouve cette Prière des morts en langue inconnue, sur une longue bande de peau de chèvre ;et sans un mot je salue la présence de Shitao dont François Cheng célèbre la mémoire. 

    10923700_10206182002495884_7322055301947565034_o.jpgLe maître de céans me présente sa balance à opium, qui me fait penser à deux poètes passés par les fumées, Michaux et Cocteau, puis je retrouve la série d’Amadou qui enchanta nos enfances - toute une paroi dévolue là derrière à la mémoire de nos enfances et qui jamais n’oubliera de rajeunir tant Bibi Fricotin et les  Pieds Nickelés restent d’attaque, les Filou Boys ou Bécassine campant avec les scouts. Et partout de quoi s’échapper de la platitude et du bilan mortifère, partout où se retrouver…     

     

    Enfin ces mots de La Maison de verre d’Odilon-Jean Périer dans ce livre rouge et or que j’emporterai au prix de 25francs :

     

    « À la limite de la lumière et de l’ombre

    Je remue un trésor plus fuyant que le sable

    Je cherche ma chanson parmi les bruits du monde

    Je cherche mon amour au milieu des miracles »…

     

    °°°

     

    Henri Michaux à propos de la Lettreau père de Franz Kafka : « Dans ce texte, d’ailleurs capital, lemanque d’insoumission m’éberlueu et m’indigne ». 

     

    À la Désirade,ce dimanche 8 mars. –  En traitant ce matin le tas de journaux et d’hebdos que j’ai mis decôté depuis le début de l’année, je me dis comme tant d’autresfois :  à quoi bon ? tout en continuant de trier et de découper ce qui m’intéressera d’une façon ou del’autre. Par ailleurs, les événements de janvier ont suscité de très nombreux écrits à chaud, parfois intéressants. À notre retour d’Espagne, j’ai constaté que mes anciens camarades de 24 Heures avaient  assuré et même plus, notamment notre correspondant à Paris, Xavier Alonso alias El Jefito, qui a su tenir la bonne distance à la fois empathique et lucide. En revanche m’a sidéré, et crescendo, la violence et, parfois, la vulgarité (surtout chez certaines femmes idéologues excitées  et certains vieux notables fachos à la coule) qui s’est bientôt déchaînée sur les blogs et les forums de droite plus ou moins extrême, dont la plateforme de Boulevard Voltaire  où j’ai copié/collé divers appels à lahaine raciale concluant à la stigmatisation des musulmans de France au titre d’ennemis de l’intérieur. Or c’est le moment, je crois, d’être attentif à ce genre de détails d’époque, dont le roman de Michel Houellebecq manque décidément.

     

    Quant à mon obstination à accumuler les coupures et autres documents de mémoire dont j’aurai rarement, à vrai dire, fait un usage conséquent, elle remonte à plus de cinquante ans puisque cela m’a pris le lendemain de la mort de Kennedy (j’avais seize ans et je me trouvais au théâtre de Beaulieu au moment où la terrible nouvelle a été annoncée aprèsle tomber de rideau, et je me rappelle comme d’hier l’abattement général des gens quittant la salle…), et repris ensuite en mai 68, à l’entrée des chars russes à Prague, à la chute de Saïgon puis à celle du mur de Berlin, après le 11 septembre et en maintes autres occasions, de l’élection de Barack Obama aux printemps arabes et jusqu’aux attentats  des 7 et 9 janvierdernier.  

    Cependant je me demande, finalement, si le contenu de ces milliers de coupures n’est pas moins important que le seul geste de retenir, ou d’essayer de retenir, de découper des bouts de temps, de plier et de trier des moments marquants de notre histoire collective, quitte à revivre des moments non moins précieux de notre histoire personnelle ?

     

    °°°

    Céline3.jpgAprès cinquante pages de L’école des cadavres, je cale et me demande si vraiment je vais m’infliger beaucoup plus de ces éructations contre les « youtres », la France pourrie, la démocratie moisie, l’Amérique encore pire et les Soviets encore plus pires  d’ailleurs engendrés par les youtres, et le serpent de la haine de se mordre la queue.

     

    Le cher Guillemin me fait sourire, rétrospectivement parlant, quand, dans sa causere télévisée, il « sauve » les pamphlets de Céline au nom de la littérature, n ‘est-ce pas, en arguant que jamais l’écrivain n’a dénoncé de juif ni confié aucun article aux journaux de la Collaboration, puis en mettant son délire sur le compte du génie égaré voyant du juif partout. Même argument chez un Marc-Edouard Nabe : on ne touche pas au génie.

     

    Bien entendu c’est la rioule, mais je n’aime pas tant. C’est d’entrée la chtite musique jazzy sur l’air de la sirène, et ensuite que ça expectore à tout-vat !

    D’abord le Tout Gros Amalgame sur le mortel dentier mondial : « Allons tout de suite au fond des chose Les Démocraties veulent la guerre. Les Démocraties auront la guerre finalement. Démocratie=Masses aryennes domestiquées, rançonnées, vinaigrées, divisées, muflisées, ahuries par les Juifs au saccage, hypnotisées, dépersonnalisées, dressées aux haines absurdes, fratricides. Perclues, affolées par la propagande infernale youtre : Radio, Ciné, Presse, Loges, fripouillages électoiraux,marxistes, socialistes, larocquistes, vingt cinquième-heuristes, tout ce qu’il vous plaira, mais en définitive : conjuration juive, sa trapie juive, tyrannie gangrenante juive ».

     

    Et la machine est lancée qui va bientôt embrayer à l’exclamative :« Oyez cartel ! Fienteuse Rivalerie ! Bourbilleux stylophores ! Ergotoplasmes des 82.000 paroisses ! Maisons Culturiphages des 188.000 ghettos rédactorigènes ! Détergez-vous l’eschare !Grignotez-vous la croûte et poignez-vous horrible ! Le jour de bander enfin nous arrive ! »

     

    Et comment dire alors ? Je dirai que cette rioule ne me fait pas rire tant je la sens dressée « aux haines absurdes », tout le contraire du Michaux de La Marche dans le tunnel, à la même époque, qui disait sa haine de la guerre en poète moins intoxiqué d’idéologie rance.

     

    Cela étant, le Ferdine ne dit pas là-dedans que des conneries, de loin pas, mais l’ennui est que, dès qu’on serait prêt d’abonder, par exemple surl ’indéniable racisme de la première tribu juive, dans le sens de l’emporté Fulminator,on se sentirait à son tour emporté et le délire  rebondirait comme aujourd’hui entre néo-déments idéologues de l’un et l’autre bord.  

     

    Quant à censurer les pamphlets de Céline, j’y reste absolument opposé, et d’autant plus que sa Correspondance a trouvé sa place dans La Pléiade, qui contient des morceaux aussi gratinés que la page 114 de L’école des cadavres dont je tiens en mains la 27e édition, parue en 1938 et qui fut donc, en ces temps admirables, un franc succès de librairie :  « La religion judaïque est une religion raciste, ou pour mieux dire un fanatisme méticuleux, méthodique, anti-aryen, pseudo-raciste. Dès que le racisme ne fonctionne plus à sens unique,c’est-à-dire dans le sens juif, au bénéfice des Juifs, toute la juiverie instantanément se dresse, monte au pétard,  jette feux et flammes, déclare le truc abominable, exorbitant, très criminel »…

     

    Tout cela qui me rappelle un entretien avec l’ami Pierre Gripari, pour l’hebdo Construire (sous-titré « journal du capital à but social», que la rédactrice en chef m’avait prié de censurer au motif que l’énergumène traitait le Dieu de l’Ancien Testament d’« ordure nazie » et le Christ de « fiote sentimentale »… 

     

    °°°  

     

    Ne plus trop aller vers, mais accueillir ça oui : volontiers…

     

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    L’idée me vient que Théo, le peintre de mon roman, né en 1939 à Amsterdam et partageant la vie de Léa, née dans les hauts d’Annivers en 1945 – ils ont donc une guerre entre eux -, serait doté d’un pouvoir romanesque spécial lui permettant de rencontrer les morts dans le labyrinthe de ses rêves. Ma conversation de la nuit dernière avec Robert Walser, dans une auberge des hauts de Hundwil, est à l’origine de cet artifice narratif dont je vais probablement faire quelque chose... 

    °°° 

    À l’enseigne du cynisme mondialisé, trois pages sont consacrées, dans le dernier numéro de L’Obs, au motard extrémiste Alexandre Zaldostanov, « ange noir de Poutine » fan de MadMax  dont les dehors de nazi à la russe me semblent bien compléter le tableau du dictateur russe à dégaine de serpent et menées de tueur d’Etat. Dans le droit fil du KGB dont il est issu, le Poutine encanaillé, court sur pattes mais d’autant plus crâne, montre bien sa vulgarité fondamentale dans ce nouveau style rock SM de la culture macho tous azimuts où les bikers Hell’s Angels et les Yakuzas japonais roulent les mécaniques en ligne comme autant d’escadrons de la mort.

    Путин_и_Хирург.jpgRécemment encore, Zaldostanov en appelait à l’extermination des opposants, dont le plus flamboyant, Boris Nemtsov, vient aussi bien d’être abattu en pleine rue, comme le fut Anna Politovskaïa, assassinée en 2006. Dans la manif géante anti-Maïdan de février dernier, à Moscou, Zaldostanov avait lancé le cri de guerre « Tous des pédés ! », qui situe assez exactement le niveau mental de ce taré et de ses Loups de la nuit. 

    Sur quoi l’on se demande, après avoir lu sa dernière chronique pro-russe du Matin-Dimanche, quand enfin Slobodan Despot va se mettre à la moto et se faire tatouer..

     

    Dans L’ Esquisse de son trosième journal, qu’il a repris en 1981 après l’achat d’un loft à New York, Max Frisch exprime aussitôt ses sentiments violemment contradictoires à l’encontre de l’Amérique de Reagan («  I LOVE IT / I HATE IT / I LOVE IT / I Don’t KNOW / I LOVE IT »), en affirmant que les USA le font « gerber » (j’aurais plutôt traduit par « vomir », question de génération), cela me ramenant à ce que j’éprouvais l’autre soir en sortant de la projection d’American Sniper, film crédité de pacifisme par certains critiques alors qu’il relance l’idéologie nationaliste armée la plus chauvine et dédaigneuse des autres nations. 

    Que dirait le pauvre Max s’il revenait en tram bleu sur notre planète orange pour apprendre ce qui s’est passé à New York dix ans après sa mort ? sans parler de la relance impérialiste de Bush et mêmed’Obama ?

    En 1981, il écrit « Ce qu’attendent nos amis américains : un miracle ! Ils veulent être à la fois redoutés et aimés. Si nous n’y parvenons pas, ils considèrent cela comme de l’anti-américanisme ».

     

    Or aujourd’hui, je serais curieux de savoir ce que dirait Frisch d’ un film tel qu’American Sniper, exaltant le fait d’armes le plus vil (la cible traitée à trois cents mètres de distance, et 300 morts au palmarès du sniper) enréduisant l’adversaire à une horde de sauvages ? Lui qui aimait assez lesStates pour les critiquer, durement, ne sacrifierait sûremenet pas son senscritique au mol consentement actuel qui feint de trouver du pacifisme dans ledernier « film culte «  de ce bon vieux Clint si sympa n’est-ce pas…   

     

    °°°

    Unknown-6.jpegTu m’énerves, Jean Ziegler, tu me gonfles  avec tes dénonciations tous azimuts à n’en plus finir, tu me gonfles et d’autant plus que tout te donne de plus en plus raison, à croire que les banquiers actuels ont lu La Suisse lave plus blanc et tâchent de faire encore mieux ! Et voilà : nous avions à peine fini d’avaler de travers Destruction massive, que tu remets ça avec la réédition de Retournez les fusils, augmentée d’une préface qui actualise les nouvelles avancées des prédateurs - non mais tu ne vas donc jamais nous laisserprofiter du panorama, sacré Jean Ziegler, mon ami, dont je suis très humblement très fier de partager la colère et l’amour de la vie…  

     

    À La Désirade, ce mercredi 11 mars .- « Sacré Dany ! » me disais-je hier soir en regardant, à la télé, l’espèce de road-reportage réalisé par Cohn-Bendit à bord d’un camping-car joliment tagué à l’effigie du footballeur mythique Socrates,à travers le Brésil tout secoué de haine-amour pour « sa » coupe dumonde. 

    Sacré bougre de juif allemand de notre jeunesse, dont l’œil vif et malicieux de frondeur est resté le même, à passé 70 balais, qu’au temps des barricades du Quartier latin !

     

    653086-daniel-cohn-bendit-au-bresil.jpgOui, c’était touchant, et même réconfortant, malgré sa nostalgie et certaine mélancolie même, liée à la déprime fameuse des militants, de retrouver ce vieux gauchiste pur et doux et de le voir rencontrer ses anciens amis et, bien au-delà des scies complaisantes genre ancien combattant, de se mettre à l’écoute de telle jeune Indienne guarani défendant les droits de sa tribu ou telle activiste lumineuse du Mouvement pour la terre, entre autres figures du foot ou de la politique. 

    Dans la foulée, on aura remarqué le contraste entre son évidente déception, devant le Brésil actuel où les avancées des dernières décennies on tété suivies de retours en arrière, alors que ses camarades plaident plutôt pour la patience sans désarmer. 

    Mais quel beau témoignage, quoi qu’il en soit, fût-ce sous les dehors d’une opération médiatique, et quelle fidélité, comparable à celle d’un Jean Ziegler, chez cet increvable résistant qui n’a pas besoin de se dire CHARLIE pour rester fidèle à la Cause de sa vie... 

  • Ceux qui écrivent de LONGUES PHRASES

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    Celui qui s'est longtemps couché de bonheur au motif que sa mère bossant la nuit à l'aciérie voisine ne pouvait le border avant l'heure où elle pointait là-bas et donc alors qu'elle avait déjà pris sa place dans la chaîne lui à peine sa bougie éteinte n'avait pas encore pu se dire "je m'endors" qu'il pionçait déjà pour être réveillé plus tard par l'idée qu'il ferait bien à présent de s'endormir alors que son esprit flottait encore dans le livre que Maman avait emprunté pour lui à la bibliothèque du syndicat et c'était par étrange osmose comme s'il était lui-même un objet ou un personnage du roman par elle conseillé qu'il devenait par exemple cette petite madeleine qu'il émiettait dans la soupe au gruau vespérale ou ce fier ouvrier sidérurgiste au torse luisant de sueur contre lequel son imagination déposait sa joue empourprée tandis que les écailles du sommeil pesaient de nouveau sur ses yeux et voici que les joues de l'oreiller se substituaient au torse de l'ouvrier et que sonnait minuit et que Maman prenait la pause à la cafète et que lui s'imprégnait de l'immobilité des choses et du silence au point de devenir chose lui-même et silence même duquel naissait bientôt la mélancolique mélodie d'une espèce de sonate ouvrière qui était celle-là même que Maman entendait là-bas dans l'usine aux voussures de cathédrale et aux vitraux violets qu'enflammait la pourpre des grands feux et voilà que le branle était donné à sa mémoire et que les images affluaient de sorte que loin de se trouver séparé plus longtemps de Maman celle-ci sortait en imagination comme Eve naquit d'une côte d'Adam chez lui née d'une fausse position de sa cuisse et son corps de petit prolétaire sentait par la seule évocation diaprés du corps de Maman à sa chaîne la chaleur lui revenir et c'était alors qu'il se réveillait pour écrire tout exactement comme il l'avait ressenti dès le début de son endormissement le récit qu'il ferait lire à Maman à son retour des ateliers après quoi tout comme exactement il s'en souviendrait plus tard celle qu'il aimait lui dirait bonsoir tandis que le jour se lèverait, etc. 

  • Ceux qui n'y sont pour rien


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    Celui qui dit n’être pour rien dans les tractations foireuses et frauduleuses de l’Union de Banque Scélérate quoique faisant partie de son gang directorial / Celle qui ne dira rien de ce qu’elle a appris sur l’oreiller du banquier scélérat Gospel vu qu’on ne crache pas dans la soupe / Ceux qui estiment qu’un procès public fait à l’Union de banque Scélérate serait dommageable aux privés dont toi et moi mon p’tit gars / Celui qui ne dira rien à son homologue chinois vu que c’est pas avec des droits de l’homme qu’on fait tourner la boutique et surtout pas une fabrique d’horlogerie à complications / Celle qui ne comprend rien aux lois du marchés mais estime que si le ministre en charge estime que les lois du marchés sont les lois du marché alors faut lui faire confiance vu qu’il a quand même fait l’école de commerce celui-là / Ceux qui renoncent à changer de banque vu que toutes sont soumises au lois du marché les pauvres / Celui qui te plume en souriant du fait que tu n’as jamais rien pigé aux lois du marché / Celle qui t’a épousé en toute connaissance de cause en se disant qu’elle pourrait te revendre le cas échéant conformément aux lois du marché / Ceux qui se couchent devant les puissants et se justifient en se tortillant devant les médias innocents / Celui qui n’ose pas dire en public que le tabloïd qui l’emploie le fait gerber en privé / Celle qui n’ose pas dire même ce qu’elle ne pense pas vu qu’on sait jamais / Ceux qui n’osent pas dire que ce qu’ils préfèrent dans la vie est leur travail et ceux qu’ils aiment et la sieste et la volière d’à côté / Celui qui n’ira pas à la réu des anciens militants / Celle qui se faufile plus qu’elle ne se défile / Ceux qui se défaufilent avec l’âge et même sans / Celui qui ne prend plus l’avion sans son parachute doré / Celle qui excuse les banquiers scélérats qui vont quand même à l’église et tout ça / Ceux qui concluent que nous sommes tous des banquiers suisses allemands, etc.
    Image : Philip Seelen



  • Un plaidoyer salutaire

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    À la Désirade,ce mardi 17 février. – J'ai reçu de matin, des éditions Albin Michel, cePlaidoyer pour la fraternité du philosophe Abdennour Bidar, auteur de L'islam sans soumission et d'une remarquable Lettre ouverte au monde musulman largement diffusée.

    Amorcé dans l'urgence le 12 janvier 2015, ce texte d'intervention, que j’ai lu en une heure, devrait être distribué largement dans toutes les écoles et les bibliothèques. Je reviendrai sur son contenu mais j’en retiens, ce soir, trois citations importantes :

     

    « Tout ce qui monte converge, disait Teilhard de Chardin. Cette invitation supérieure à répondre au mal par le bien est le point de convergence de toutes les sagesses de l’humanité, qu’elles soient religieuse ou profanes. On l’appelle communément la règle d’or humaniste, présente sous des formes diverses aussi bien dans le bouddhisme, l’hindouisme, le confucianisme, que dans les monothéismes et les philosophies ou les morales athées. Ce n’est pas seulement « : Ne fais pas à autrui le mal que tu ne voudrais pas qu’il te fasse. » Ce serait trop peu ! C’est : « Fais à autrui tout le bien que tu voudrais qu’il te fasse. »

     

    °°°

    « La France doit donner aux musulmans des lieux de savoir, des lieux de culture…au lieu de chercher encore et toujours à leur donner des chefs religieux comme ceux du Conseil français du culte musulman ! Quand donc arrêtera-t-on de considérer les musulmans de France comme un troupeau gardé par des bergers – des gardiens du culte ! Même si l’urgence est de s’assurer de la formation des imams à nos valeurs, de marginaliser voire de réprimer ceux qui racontent n’importe quoi dans leurs prêches du vendredi en contradiction avec ces valeurs, le problème de fond est au-delà. Beaucoup de nos concitoyens de culture musulmane cherchent à élaborer un rapport libre à leur culture, à leur religion – et non pas à être sempiternellement encadrés par des clercs, même éclairés. Ils en ont assez des prêchi-prêcha ! »

     

    °°°

    Je suis croyant. Mais je ne crois pas plus ni moins en un Dieu qui serait celui des musulmans que celui des juifs, des chrétiens ou des hindous. Je crois que tous les chemins mènent à l’homme – c’est-à-dire au divin en l’homme, en tout être humain, et là on n’est pas très loin de la fraternité. Je crois en philosophe et en mystique, c’est-à-dire en étant critique à l’égard de la religion au nom d’une expérience intérieure. Une expérience spirituelle à la profondeur de laquelle la religion conduit rarement, et dont trop souvent elle prétend pourtant détenir lemonopole. Je n’ai rien contre l’athéisme parce que j’ai rencontré des athées plus mystiques que bien des croyants.

     

    Unknown-4.jpegAbdennour Bidar.Plaidoyer pour la fraternité. Albin Michel, 106p.

     

    Nota Bene : ce Plaidoyer, contient un hommage fraternel ( !) à l’essayiste érudit et poète Abdelwahab Meddeb, animateur pendant des années de l’émision Cultures d’islam sur France Culture. Abdennour Bidar en est le successeur après la mort du grand passeur Meddeb dont il faut lire, absolument, La Maladie de l’islam et les Contre-prêches, parus au Seuil..

  • Je ne suis pas MUSULMAN

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    Flash-back sur une rencontre et un entretien avec Rafik Ben Salah, en 2011

    Le dernier roman  de l’écrivain tunisien établi à Moudon, en dessus de Lausanne,   évoque, sous les dehors d'une truculence débridéede conteur,  les terribles caves de Ben Ali.  L’auteur a vécu le  printemps arabe avec espoir, mais reste vigilant. Nous l'avons accompagné en Tunisie en juillet dernier...

     « Je suis écoeuré par l’islamisme ! », s’exclame Rafik Ben Salah dès que nous lançons la conversation sur les bouleversements récents du monde arabo-musulman, qu’il a suivis jour après jour. « Ce qui me frappe, d’ailleurs, c’est que la plupart des fanatiques que je rencontre ne connaissent pas le Coran. Moi je l’ai lu de A à Z, et j’ose dire que je ne suis pas musulman. Je l’ai dit, adolescent, à ma mère analphabète, lorsque j’ai refusé la première fois de célébrer le ramadan. Ce qu’elle a accepté, pourvu que je me cache, et c’est ainsi que, pleine de bons sens,  elle m’a nourri à l’insu des autres. Cela étant, dire qu’on n’est pas musulman continue de choquer. L’an dernier, ainsi, dans une université de Tunis, j’ai senti le froid glacial et même réprobateur qu’a provoqué cette affirmation claire et nette, de ma part, chez des lettrés évolués qui ne sont pas plus religieux que moi. Comme si cela faisait de moi un traître !»  
            Rafik7.jpgÀ cette table du Major Davel, à Cully, où il a écrit une partie des Caves du Minustaire, Rafik Ben Salah voit aussi rouge que la couverture de son douzième livre : un roman truculent d’apparence où le conteur satirique s’en donne à cœur joie, mais  dans lequel la dictature de Ben Ali est montrée, par le détail, dans sa férocité mafieuse. Ses sœurs et frères restés au pays doutaient d’ailleurs, il y a quelques mois, qu’il puisse jamais y remettre les pieds. Mais le vent de l’Histoire a tout chamboulé et voici que le rebelle de la première heure, plusieurs fois menacé de mort pour ses écrits, se sent rejoint et conforté par la jeunesse tunisienne. « Ce qui me réjouit surtout, c’est que les religieux ne sont pour rien dans ce mouvement d’émancipation ! Reste à espérer que celui-ci ne soit pas récupéré».  Pour le vérifier sur le terrain, l’écrivain a déjà en poche son billet d’avion pour Tunis le 24 juillet prochain, jour des élections… »
    Les coups au bâton d’âne
    Sa révolte, Rafik Ben Salah l’a vécue dans sa chair. Né en 1948 à Moknine – dont l’étymologie du nom évoque un pays de collines, comme celle de Moudon ! -, il fut battu tout au long de son enfance par un père instituteur ne tolérant pas la moindre contestation. Aîné de dix enfants, donc supposé donner le bon exemple, le turbulent garçon n’en faisait qu’à sa tête.  Châtié un jour par son maître d’école pour un devoir mal fait, roué de coups au bâton d’âne, rentré en sang à la maison et soigné par sa mère, il reçut ensuite triple volée supplémentaire de la main du père, auquel il en aura toujours voulu, autant qu’à la religion justifiant cette violence.
    Autre expérience douloureuse : l’internat de mille garçons dans lequel il fut placé de 11 à 14 ans, où il dit avoir découvert tous les aspects de la bassesse humaine; et le lycée huppé de Sadiki où il fut ensuite casé, par souci disciplinaire, ne lui laisse pas un meilleur souvenir.
    « Tout était interdit dans notre jeunesse, sauf aux gosses de riches. Nous écoutions Europe 1 et savions bien ce qui se passait dans le monde, mais interdiction de recevoir le téléphone d’une fille, interdiction de sortir, interdiction de tout… ce qui me forçait à sortir le soir par la fenêtre pour me réfugier dans les bars italiens où je retrouvais mes copains… »
    Autant dire que le mouvement de contestation de la fin des années 60 ne pouvait trouver meilleur adepte que le jeune Rafik, qui assista cependant personnellement, à l’université, à la sévère  mise en garde du Président Bourguiba: « La politique, c’est moi, et vous êtes là pour étudier ! »
    Mais la politique, chez les Ben Salah, avait un relent particulier. Ce qu’il faut préciser, alors, c’est que l’étudiant Rafik est le neveu d’une des grande figures de la politique tunisienne de l’époque, en la personne d’Ahmed Ben Salah, qui mena une politique agricole de type socialiste vouée à une croissante opposition, jusqu’à sa disgrâce, en 1970, sa condamnation à dix ans de prison, son évasion, l’exil et le retour tardif au pays. Or ledit ministre, sans faveurs particulières, aidera du moins son neveu à obtenir une bourse d’étude de cinéma à Paris, à l’époque même où l’IDHEC suspendait son activité pour cause de Révolution – et la bourse de lui passer également sous le nez…
    Trois mois durant, tout neveu de ministre qu’il était, « prenant sur lui » avec fierté, l’étudiant allait donc manger de la vache enragée jusqu’au coup de pouce d’un ambassadeur qui l’aida  à s’inscrire à une école de journalisme parallèlement à des études de Lettres en Sorbonne – son rêve tellement inaccessible que, présentant son premier travail de séminaire, le brillant sujet, follement impressionné, en tomba dans les pommes !  


    RaFIK4.jpg« La peur de ma vie »…
    Fort d’une licence de lettres et d’un diplôme de journalisme, mais bien plus riche, encore, d’une expérience humaine exceptionnelle, nourrie par la révolte autant que par l’amour des gens et de la vie, Rafik Ben Salah a débarqué sur les rives du Léman en 1972 où il commença d'enseigner, et c'est par la lecture de Ramuz que fut satisfait, une première fois, son besoin d'intégration. « J'ai trouvé, en Ramuz, un frère humain dont l'approche des êtres et l'écriture, aussi simple qu'essentielle, m'a profondément touché. Grâce à Ramuz, je ne me suis jamais senti seul dans mon exil, et depuis lors je n'ai cessé de le faire lire. » 
    Pour autant, il n’a jamais rompu non plus avec sa culture d’origine, dès son premier récit intitulé Retour d’exil, qui lui valut un premier prix et dont son père ne lui dit pas un mot. C’est qu’il y exprimait, notamment, la vie difficile faite aux femmes en pays musulmans, et la misère sexuelle plus largement partagée. « Tu ne devais pas parler de ça aux étrangers ! », lui reprochera son oncle proscrit de passage à Lausanne : « Tu n’avais pas le droit ! » 
    Or cette conquête de  la liberté individuelle semble aujourd’hui encore, à l’écrivain, loin d’être acquise. Un épisode de sa vie récente, entre beaucoup d’autres, l’illustre violemment. Invité  à l’université de Mulhouse à un colloque sur la peur, et amorçant son exposé par l’affirmation que la religion musulmane est fondée sur la peur, il fut immédiatement interrompu par les hurlements d’un doctorant syrien flanqué de deux femmes voilées, qui le traita de « salaud » et de « traître » avant d’être circonvenu et tenu en respect par les hôtes de l’écrivain.
    « Je n’en ai pas dormi », confie-t-il aujourd’hui comme si cette explosion de violence avait fait remonter en lui une peur ancienne exorcisée par des années de lutte personnelle, d’exil, de partage avec son ex, ses deux fils Hakim et Nessim et les élèves auxquels il s’efforce de transmettre ce qui l’a aidé à devenir lui-même…        
    Rafik Ben Salah. Les Caves du Minustaire. L’Age d’Homme, 220p

  • Virée à La Pensée sauvage

     

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    Les amateurs de balades et de livres feront coup double à cette adresse. Philippe Jaussy, qui vous attend dans sa librairie, a l’enseigne de La Pensée sauvage, sise le long du quai du lac de Joux, au  Pont, est toujours tout sourire...

     

    11034476_10206181992415632_5671133040319950793_o.jpgOr le sourire, assez malicieux, de ce libraire pas tout a fait comme les autres, traduit bien la nature a la fois débonnaire et indépendante  de celui qui vous proposera rituellement un café avant de vous confier que ce qui l’enchante particulierement, dans sa librairie spacieuse aux fenêtres donnant sur le lac et le ciel, c’est qu’il peut y venir à pied depuis le chalet isolé des hauts du Pont qu’il a retapé naguère et ou il vit avec Martine et leurs deux enfants, Philémon et Lucille.

     

    Gagner son lieu de travail à pied: voila qui convient joliment a un bipède qui a toujours préferé la qualité de vie à la course à la réussite, dès ses débuts de fils de petit artisan de l’Ouest lausannois fourvoyé dans un premier apprentissage, parti a l’aventure avec un pote au tournant de sa vingtième année (long périple en Afrique du nord ou il a fait des rencontres inoubliables) avant de revenir au pays pour y survivre de petits boulots. Le lascar avait 18 ans en mai 68, mais il dit s'être toujours senti plus a l’aise avec les “bandits” de la banlieue lausanoise de Renens, qui se retrouvaient au bar Le Pam-Pam,  qu’avec les intellos gauchistes lausannois, même s’il lui arriva de participer à l’une ou l’autre manif des annees 70-80.

     

    10553935_10206182024736440_2074342683153929901_o-1.jpgSans vocation particulière, Philippe  Jaussy est venu aux livres... par la lecture, se lancant d’abord, à la vingtaine, dans les Oeuvres complètes de Freud, avant d’explorer... les explorateurs de l’anthropologie, tel Claude Levy-Strauss auquel il a emprunté le beau titre de Pensée sauvage. Auprès d’une “bonne amie” libraire, il développa ensuite son goût naturel pour la lecture, répondit en 1981 a une offre des éditions Delachaux et Niestlé, s’y sentit a l’aise  avec les fameux “naturalistes”  Paul Géroudet ou Robert Hainard, puis devint représentant de la maison de distribution SNL, en complicité avec l’editeur Michel Moret avec lequel il  lanca, en 1991,  la Foire aux livres de Romainmôtier, drainant chaque année des milliers de lecteurs au week-end du Jeûne federal, et dont il est désormais le cheville ouvrière avec une equipe de bénévoles.  Au fil des années, ce qui n’etait qu’un stock personnel modeste, encombrant  le chalet familial de cartons  à bananes plus ou moins appreciés par Madame Jaussy, est ainsi devenu un fonds de quelque 100.000 livres...  

     

    10530503_10206182013656163_4447301014815987793_o.jpg“Ce qu’on trouve dans ma librairie est un peu a mon image”, précise le Combier d’adoption. Et d’énumerer ses domaines de prédilection, à commencer par toutes les théories philosophiques ou spirituelles par le truchement desquelles l’homme a essayé de répondre aux questions éternelles, et la littérature évidemment,  mais les récits de voyages ou les livres traitant de nature sont tout aussi chers a l’ancien sauvegon des bords de la Venoge, alors que notre anar humaniste regarde d’un peu plus loin les ouvrages, combien plus “vendeurs”, traitant de santé ou de developpement personnel...

    Rien pour autant du “foutoir” dans cette Pensee sauvage, où voisinent, bien rangés, les éditions rares, comme la fascinante serie des gravures de Louis Agassiz, les tirages sur grand papier  d’auteurs de nos régions ou de France voisine, entre autres curiosités à n’en plus finir, revues, journaux d’époque, bandes dessinées de collection et cartes postales. 

    Or on remarquera que les prix du bouquiniste  ne sont jamais forcés. “J’essaie d’etre juste, pas tant en fonction des cotations du marché qu’au vu de l’objet, de sa rareté mais aussi de mon désir de satisfaire une clientèle qui n’est pas forcément fortunée. Cela dit, le plouc qui entrerait chez moi avec ses grands sabots, me reprocherait de vendre “trois cents balles un vieux rossignol”  dont il ne verrait pas la valeur faute de connaissance, risquerait d’être mal recu”, lance enfin notre chineur de qualité qu’on devine, selon la devise fameuse, bon mais pas poire...

     

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    Ma pioche du jour:

     

    Mon premier livre.  Payot, 1958.

     

    Le Testament de Jean-Louis. Véritable Trésor médical du Foyer. Plantes et maladies; recette utiles pour tous; remèdes naturels. Epuisé et recherché.

     

    Louis-Ferdinand Céline. L'école des cadavres. Denoël, 1938.

     

    Louis-Ferdinand Céline. Les beaux draps. Nouvelles Editions françaises, 1941. 

     

    Victor Hugo, Paris. Photographies d'Henrot. Aux Portes de France, collection de l'oiselier,1947.

     

    Claire Krähenbühl. La Table des liens. Editions de L'Aire. 

     

    Jean Paulhan et Dominique Aury, Poètes d'aujourd'hui. Avec une brochure ajoutée aux noms de Louis Aragon et Paul Eduard. Guilde du Livre 1947.

     

    Infos:Penseesauvage@gmail.com 

  • Mémoire vive (80)

     

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    Gustave Thibon à propos de l'ère du vide: «Un monde qui devient de plus en plus irréel à mesure qu'il s'évapore en pur spectacle, qu'il n'existe que pour être vu». 

    °°° 

    À La Désirade, ce jeudi 5 mars. – En collationnant ce matin les pages de mes carnets accumulées depuis novembre dernier et reprises (avec les coupures qui s’imposent) dans Mémoire vive, je constate que le tapuscrit de ce work in progress compte aujourd’hui plus de 500 pages, que je pourrais étendre à 1000 pages d’ici au 14 juin 2017, jour de mon 70e anniversaire sous le signe des Gémaux, incluant alors 50 ans d’écriture continue puisque j’ai entrepris la rédaction régulière de ce journal intime / extime en 1966-67, dans mes cahiers Polska ramenés de Cracovie, donc l’année de nos vingt ans.

    Cet ensemble, dont j’ai déjà publié cinq volumes représentant plus de 2000 pages et que j’ai qualifié de « lectures du monde » aura été, parallèlement à mes diverses tentatives en matière de narration et de fiction,comme une base continue dont tous le fragments, apparemment épars, sont liés au même noyau et à la même voix.

    BookJLK15.JPGOr, au fur et à mesure des publications, après le première tranche quasi brute de L’Ambassade du papillon, recouvrant les années 1993 à 1999 et dont la courbe « romanesque » va de ma rupture d’avec Dimitri à l’amitié folle du loup, la forme de ces carnets n’a cessé d’évoluer, vers l’extime et la cristallisation de notations poétiques ou satiriques brèves, pour aboutir aux constellations kaléidoscopiques de Riches Heures (2009),  Chemins de traverse (2012) et L’échappée libre ( 2014).

     

    Depuis 2005, donc ça va faire 10 ans, mon blog des Carnets de JLK, comptant ce matin 4257 textes, a été le lieu de multiples modulations nouvelles, du point de vue de l’écriture, incluant proses brèves et gloses littéraires ou cinématographiques, notes de voyage et fragments panoptiques de toute sorte, dialogues ou extraits de travaux en chantier. Tout cela sans beaucoup d’effort et de moins en moins : juste pour le plaisir, l’intérêt de la Chose (intérêt tout égoïste mais volontiers partagé avec quelques-uns) et le bénéfice à la fois éthique et esthétique d’une notation scrupuleuse évitant, sinon les redites, du moins la répétition de comportements imbéciles observés sur soi autant que chez les autres…

     

    (Soir) – Retrouvé tout à l’heure, au Major Davel de Cully, le compère JCB, mon camarade à l’armée d'il y a quarante ans de ça. Svelte sexa aux cheveux blancs, dont je retrouve illico un tic rigolo et qui me paraît cuit par l’age  sans être recuit. Je verrais assez son portrait par un maître rhénan, avec un habit noir et un lacet de cuir sur chemise de lin. Le vélo l’a gardé en forme à ce qu’il semble. Actuellement avec une troisième femme et deux filles quadras. Conversation soutenue et nourrie. Lui ai dédicacé Les bonnes dames en lui détaillant plus précisément les caractères de mes vieilles fées aux cœurs de petites filles. La discussion, après divers thèmes dont mon amitié brisée avec RG et mes démêlés avec Maître Jacques, a porté sur la mort, notamment à propos de la biopsie qu’on m’a prescrite ce matin. Lui voit la chose sereinement, comme un passage vers autre chose. Pour ma part, je considère essentiellement la résurrection de chaque aube nouvelle, de plus en plus étranger à ce que croient savoir les théologues et les croyants ordinaires. Enfin remonté à La Désirade sous un clair de lune que je n’ai pas envie de qualifier de « magique » vu que l’usage actuel de cet adjectif le réduit au toc publicitaire.

    °°°    

    Louis Calaferte : « J’ai soixante-trois ans – et j’ai un impérieux besoin de la douceur de l’amour ». Ou ceci que je partage aussi :« J’ai une force intérieure. J’ai une force d’âme. Je dois l’utiliser. C’est une affaire entre Dieu et moi ». Et cela de prémonitoire en1991 : « Ce sont les guerres de religion qui troubleront le XXIe siècle ». 

    °°°

    À la Désirade, ce vendredi 7 mars. – Basta cosi, me suis-je dit à la première heure de ce matin, après avoir regardé le dernier des douze épisodes de la série Gomorra, d’après les écrits de Roberto Saviano. Basta ! Assez de cette violence qui prétend dénoncer le crime et la corruption en reproduisant ladite violence, poussée à l’extrême, non sans composantes fascinantes voire délétères, où toute pensée se réduit finalement à des conclusions douteuses puisque le discours selon lequel le crime ne paie pas (ici la mort atroce de quelques très jeunes gens) paie bel et bien la série en question et son exploitation...

     

    Mais aussi : quel aperçu désespérant (et combien terrifiant de précision) de la misère sociale et morale dans ces villes-mondes pourries par la drogue et les « facilités » offertes aux jeunes sans travail ni espoir par le crime organisé. Plus que jamais : le serpent qui se mord la queue, sempiternel cercle vicieux de la course au profit et de l’enrichissement des plus riches au dam des plus pauvres. Ma basta ! me disent les mésanges et les piafs accourant ce matin au McDo de La Désirade…  

    °°° 

    Numériser 4.jpegEl domingo 6 de marzo 1927, a las nueve de la mañana, Gabriel Garcia Marquez naciò en Aracataca, pesando cuatro kilos doscientos gramos. Desde el principio, y para augurarle un futuro inmejorable, el abuelo coronel Marquez empezó a llamar al niño « Napoleoncito »…

     

    °°° 

    Malgré les nids à poussière, il vaut parfois la peine de s’attarder dans les greniers mémoriaux de certains hommes de lettres bien encaqués dans leur époque, comme Robert Sabatier le fut dans l’espèce de province parisienne que représente le milieu littéraire du second demi-siècle dans les 650 pages de cesMémoires  relevant du bottin semi-mondain autant que de la chronique poncée d’un romancier-poète moyen très adulé du bonhomme public pour des raisons simples (le sentimentalisme un peu misérabiliste enrobant des récits d’enfance dopés à l’émerveillement, célébrant avant l’heure les « petits riens » genre allumettes suédoises, noisettes sauvages et autres sucettes à la menthe…), auquel son pair Alain Bosquet, plus teigneux,  reprochait de manquer d’ennemis.

     

    C’était un patelin fumeur de pipe que le « père d’Olivier », il y avait chez lui de l’artisan appliqué (comme il le relève à propos de Simenon dans un  paragraphe d’une rare platitude) et du percheron de la plume, ses poèmes m’ont toujours paru composés à la machine à coudre et je reste vraiment sur ma faim après cette morne énumération de dîners littéraires et de salons du livre, de réunions de jurés (il siégeait quand même à l’Académie Goncourt, mais pas une ligne mémorable ne saille de ses souvenirs au  mol imparfait) et  autres invitations en France ou dans lemonde. On apprend là qu’il a voté pour Jacques Chessex - qui écrit des poèmes comme lui donc ne doit pas être le mauvais bougre… -, mais pas un mot sur L’Ogre, et quand il salue le Goncourt de 1987 à Tahar Ben Jelloun, alors qu’il avait voté pour Guy Hocqenghem (ouf !), c’est avec un salamalec d’une pertinence critique relative : « Le lauréat a l’étoffe d’un grand écrivain : il le prouvera par ses prochaines œuvres ». Ah bon ?

    Bref, alors que la moindre page du Journal de Jules Renard (qu’il cite en passant non sans reprocher à l’auteur d’être trop peste), de Léautaud ou de Jouhandeau, et jusqu’à Matthieu Galey aux mémorables croquis et portraits, ne cessent de retenir l’attention par leurpâte humaine ou leurs coups de patte, le pauvre Sabatier rase et endort sans nous apprendre rien de neuf ou de vif sur ce milieu auquel il ne cesse de se flatter, mine de rien, d’appartenir.

    Mais là je m’y retrouve, dans la mesure où ce que j’ai connu dudit milieu m’a toujours paru factice et guindé, surtout dans ces eaux stagnantes des antichambres éditoriales et des restaus chics style Lipp ou Lasserre, où j’ai été invité bien des fois mais n’y serais jamais allé de mon propre gré, préférant mes chemins de traverse et quelques vraies gens dans les recoins du Lucernaire ou de la brasserie Chartier, entre autres lieux  plus louchement allurés… 

    °°°

    images-12.jpegOn pense à la Chasse aux vieux de Dino Buzzati en suivant les menées terrifiantes des voyous napolitains de l’épisode intitulé Tueurs nés, dans la série Gomorra, à cela près qu’on a passé ici, et de loin, le cap du conflit de générations momentané, pour atteindre le fond de l’abjection, où des enfants encore frais sont entraînés dans une course à la mort par des ados prolongés  et pervertis, le plus souvent camés et ne pensant qu’à s’éclater. Du moins cela est-il montré sans dorer la pilule, sur fond de décombres, et l’on ose espérer que, loin d’attirer nos belles jeunesses dans ce cercle infernal, l’abomination de celui-ci les fasse s’en détourner. Ma basta si !

     

    °°°

     

    Unknown-14.jpegDans la journée, enfin, je me suis senti tout requinqué par la lecture d’un entretien remarquable, paru dans 24Heures, où le juriste palestinien Sami Aldeeb Abu-Sahlieh, spécialiste des droits arabe et musulman, répond au compère Federico à propos des limites de la compatibilité de la Lettre coranique avec le contexte social et juridique démocratique. Après les écrits d’Abdelwahab Meddeb et d’Abdennour Bidar, et recoupant en somme le témoignage du jeune Waleed El-Husseini, l’on trouve ici une nouvelle expression de la raison et de l’honnêteté intellectuelle, opposée aux arguties dilatoires des imams autant qu’au rejet haineux des anti-musulmans.  

     

    °°°

    Sami AldeebAbu-Sahlieh : « Le Coran impose au musulman le devoir d’obéir à la loi de Dieu, qu’il considère dans tous les cas supérieure à la loi de l’Etat. Il ne peut choisir les normes à appliquer comme vous choisissez votre repas à la carte (verset 2: 85). Le droit musulman est un tout: à prendre ou à laisser.On peut laisser tomber un certain nombre de normes en cas de faiblesse ou de contrainte, mais le musulman se sentira toujours coupable de ne pas appliquer l’ensemble des normes islamiques. Dès que l’occasion se présente, il revient à l’intégralité du texte et des pratiques. A moins d’abandonner totalement l’islam pour ne pas vivre dans une situation de schizophrénie. De ce fait, il ya un mouvement d’athéisme sans précédent parmi les musulmans. Remarquez que même les musulmans modérés ne céderont que très rarement sur certains principesqui sont pourtant contraires aux droits de l’homme, comme en matière de mariages mixtes ou de cimetières. C’est cela qui empêche la bonne intégration des musulmans dans la société occidentale. »

     

  • La vérité sur le Coran

     

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    À lire absolument,  dans l'édition de 24 Heures de ce 6 mars 2015: l'entretien de Sami Aldeeb Abu-Sahlieh, spécialiste du droit arabe et musulman et grand connaisseur du Coran, avec Federico Camponovo. 

     

    Une pluie de publications, un enseignement dispensé à travers l’Europe entière, des conférences – la dernière, il y a quelques semaines, devant la Société vaudoise de théologie –, une vie consacrée à l’étude du droit arabe et musulman. 

    Né en 1949 à Zababdeh, près de Jénine en Cisjordanie, Sami Aldeeb Abu-Sahlieh est un juriste qui n’a pas peur de ses convictions. A ses yeux, le Coran, qu’il a notamment traduit en français en classant les sourates par ordre chronologique, porte en lui les germes de la violence. Rencontre dans la maison de Saint-Sulpice où il vit avec son épouse.

     

    Depuis les événements tragiques du mois de janvier, la plupart des discours officiels tendent à disculper l’islam de cette violence. Vous soutenez la thèse contraire. Pourquoi?

     

    Les fondements du droit musulman, qui a pour première source le Coran et qui est la matière que j’enseigne, sont la clé pour comprendre ce que l’islam est devenu. Le Coran a été révélé de 610 à 622 à La Mecque, et de 622 à 632 à Médine. Si le Coran de La Mecque peut être qualifié de plus ou moins pacifique, le Coran de Médine est par contre un texte qui accompagne le nouvel Etat islamique guerrier, qui vise à s’étendre par la conviction ou, à défaut, par l’épée. Tant que les gens sont d’accord de se convertir à l’islam, il n’y a pas de problème. Mais ceux qui refusent de le faire de bon gré ont le choix entre le paiement du tribut en état d’humiliation ou l’épée s’ils sont monothéistes, ou simplement l’épée s’ils sont polythéistes (verset 9:29). C’est ce qu’applique Daech dans les territoires qu’elle domine, allant jusqu’à enterrer vivants des centaines de Yézidtes (enfants, femmes, hommes et vieillards) considérés comme polythéistes pour avoir refusé de se convertir à l’islam. Cette doctrine est valide en tout temps et en tout lieu tant que les musulmans ont le pouvoir de la mettre en pratique. Le Coran dit aux musulmans de n’appeler à la paix qu’en état de faiblesse (verset 47: 35). La doctrine de Daech se trouve même dans les livres juridiques d’Averroès, pourtant considéré à tort comme un philosophe éclairé par les Occidentaux.

     

    En France et ailleurs, il est plus facile de se moquer du christianisme que de l’islam. Comment l’expliquez-vous?

     

    L’Occident a intégré dans son système de pensée la liberté d’expression pour faire face aux excès de l’Eglise et des autorités politiques inféodées à cette dernière. Face à l’islam, l’Occident préfère se taire, soit par peur de la réaction de la communauté musulmane, soit parce qu’il ignore le danger que représente l’islam. Il y a donc un manque de discernement de la part des autorités politiques occidentales. Si vous diagnostiquez un danger de façon erronée, vous payerez toujours la facture de votre mauvais diagnostic en subissant des conséquences que vous n’avez pas prévues. Imaginez ce qu’a coûté la traque de deux individus par des milliers de soldats et de policiers après la fusillade meurtrière contre Charlie Hebdo!

     

    Vous ne croyez pas à la possibilité de vivre ensemble?

     

    La vie est un combat continuel et désespéré, bien sûr, mais j’ai envie de vous répondre qu’il est presque trop tard. Je ne pense pas que nous disposions du personnel politique capable d’avoir le courage et les facultés de raisonnement nécessaires en pareilles circonstances. Prenons à nouveau l’exemple de la France: depuis plusieurs semaines, il y a des arrestations pratiquement tous les jours, sur l’ensemble du territoire, apparemment parce que l’on s’est aperçu qu’il y avait un péril. Nous sommes donc fondés de poser une simple question aux autorités: où étiez-vous avant, et que faisiez-vous?

     

    Comment devraient se comporter nos démocraties avec les musulmans qui décident d’y vivre sans les comprendre?

     

    Il faut leur expliquer que leur système de pensée ne correspond pas au nôtre. Je prends un exemple imagé: si la reine d’Angleterre vient en visite officielle en France, on ne peut en aucune manière permettre à son chauffeur de conduire à gauche, quelsue soient la sympathie et le respect que l’on puisse éprouver pour le monarque. Ce serait un grave danger pour elle et pour les autres. L’exemple routier est choisi à dessein: à Paris, il existe des rues qui sont bloquées à l’heure de la prière. Comment peut-on le tolérer? On nous rebat les oreilles avec l’intégration: mais comment voulez-vous intégrer quelqu’un qui affirme que jamais il ne permettra à sa fille d’épouser un chrétien, alors même que les liens du sang sont la meilleure voie pour une véritable intégration? Et comment voulez-vous intégrer quelqu’un qui refuse d’être enterré avec des mécréants, qui veut être séparé d’eux jusque dans la mort?

     

    Mais les musulmans scrupuleusement orthodoxes peuvent être également des citoyens loyaux de pays majoritairement non musulmans, non?

     

    Le Coran impose au musulman le devoir d’obéir à la loi de Dieu, qu’il considère dans tous les cas supérieure à la loi de l’Etat. Il ne peut choisir les normes à appliquer comme vous choisissez votre repas à la carte (verset 2: 85). Le droit musulman est un tout: à prendre ou à laisser. On peut laisser tomber un certain nombre de normes en cas de faiblesse ou de contrainte, mais le musulman se sentira toujours coupable de ne pas appliquer l’ensemble des normes islamiques. Dès que l’occasion se présente, il revient à l’intégralité du texte et des pratiques. A moins d’abandonner totalement l’islam pour ne pas vivre dans une situation de schizophrénie. De ce fait, il y a un mouvement d’athéisme sans précédent parmi les musulmans. Remarquez que même les musulmans modérés ne céderont que très rarement sur certains principes qui sont pourtant contraires aux droits de l’homme, comme en matière de mariages mixtes ou de cimetières. C’est cela qui empêche la bonne intégration des musulmans dans la société occidentale.

    Considérez-vous donc que l’islam est incompatible avec nos lois?

    Abdel Fattah al-Sissi, président de l’Egypte, pays musulman, ne dit pas autre chose quand il affirme qu’avec les normes musulmanes il est impossible de construire une société. Le droit musulman, dont la première source, je le répète, est le Coran, n’est pas compatible avec la modernité, avec la vie en commun. Stricto sensu, c’est une religion de conflits permanents. C’est bien la raison pour laquelle le président Al-Sissi, dans un discours prononcé au cœur de la mosquée Al-Azhar, l’une des plus anciennes universités islamiques, a sommé les imams de revoir l’ensemble de l’enseignement religieux.

     

    Vous recommandez également que les imams et leurs prêches soient surveillés. Pour quelle raison?

     

    Parce que les prêches des imams sont contrôlés dans tous les pays arabes, mais pas chez nous! En Egypte, par exemple, les textes des prêches des imams leur sont distribués par l’Etat. Les musulmans ne disposent pas d’autorité principale, à l’instar des catholiques, c’est donc à l’Etat de veiller au grain. Il faudrait aussi que les imams soient formés: aujourd’hui, il y a autant d’imams que de mosquées et donc d’opinions diverses qui échappent à tout contrôle. Savez-vous que, sur le territoire français, la moitié des appareils de brouillage sont achetés par les mosquées, afin d’empêcher l’enregistrement de ce qui se dit à l’intérieur?

     

    Un débat sur la reconnaissance de la communauté musulmane a lieu dans le canton de Vaud. Quel est votre point de vue?

     

    Je suis opposé à la reconnaissance de n’importe quelle communauté. Chacun est libre de constituer la communauté qu’il désire, selon les normes du Code civil, et c’est bien suffisant. En reconnaissant une communauté, on prend le risque de devoir reconnaître son droit: que fera-t-on si la communauté musulmane, un jour, demande que garçons et filles soient séparés dans les écoles? Une société moderne doit se garder d’accorder des passe-droits.

     

    Le modèle laïque est-il une solution?

     

    Il n’y en a pas d’autre, ne serait-ce que parce que tous les pays qui ont une gouvernance à composante religieuse sont politiquement faibles et exposés à d’incessants conflits.

     

    La France a aboli le délit de blasphème et Charlie Hebdo en a fait son fonds de commerce. Comprenez-vous que les rescapés de la tuerie aient tenu à caricaturer à nouveau Mahomet dans le premier numéro?

     

    Il ne s’agissait pas d’une caricature à proprement parler, c’était juste un dessin représentant le Prophète. Charlie Hebdo aurait fait ça ou autre chose, le résultat aurait été le même. Dernièrement, un journal palestinien a mis une ampoule allumée en couverture, et le président Abbas a ordonné une enquête afin d’établir si l’intention de la rédaction était de représenter Mahomet.

     

    Avec les thèses qui sont les vôtres, ne craignez-vous pas pour votre vie?

     

    On me pose souvent cette question, et je réponds toujours que je n’éprouve de haine pour personne. Je mets tous les prophètes dans le même sac, et tous les livres sacrés sont pour moi de sacrés livres. Je vois les musulmans comme des victimes, des prisonniers, auxquels je dis qu’ils ne devraient avoir peur de moi que si je leur mentais, parce que seule la vérité les sauvera. C’est le discours que je tiens depuis toujours à mes étudiants: il faut s’aimer les uns les autres, mais cela ne veut pas dire qu’il faut en faire de même avec les idées. (24 heures)

     

  • Ceux qui ont l'air dans la lune

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    Celui qui veille la convalescente / Celle qui fait la sieste dans la chambre bleue / Ceux qui gardent les yeux ouverts dans la pénombre / Celui qui entend le cliquetis des sabots sur le marbre blanc du quai de l'île de Hvar /Celle qui retrouve ses amies du Cercle des brodeuses éclectiques / Ceux qui jouent aux Dames en invoquant la domination masculine en matière de théologie dogmatique / Celui qui se prépare à Carnaval / Celle qui rêve à 15 heures qu'elle est morte et se réveille vivante à l'heure du goûter / Ceux qui s'enfilent entre les draps des heures paresseuses /Celui qui relit les récits de Tchekhov dans le square ombragé / Celle qui reçoit à 14 heures le Monsieur posé / Ceux qui ont gardé leurs vieux mocassins / Celui qui effeuille l'effeuilleuse / Celle qui de rage te jette un cil / Ceux qui ont l'âme rouillée et le coeur genre poisson sec / Celui qui ne connaît bien de Menton que son cimetière à monuments Art Nouveau / Celle qui s'attarde au reposoir avec le garçon aux joues orangées et lèvres pulpeuses d'abricot humain / Ceux qui se dandinent dans le couloir des juges / Celui qui lit Une vie de Maupassant en se curant les dents au moyen d'une tige de rotin dite ndongo ndongo / Celle qui se dit que sa vie est un jeu d'échecs dont elle est la Reine en attente du Cavalier puisque le Roi s'est fait coffrer pour blanchiment d'argent / Ceux qui écrivent des lettres aux gens / Celui qui évite tout rassemblement de plus de deux personnes / Celle qui voit une étoile dans son absinthe / Ceux qui dans le TGV se racontent des histoires de Q / Celui qu'un ange protège / Celle qui offre un train miniature à son conjoint retraité des postes / Ceux qui jouent à chat perché entre chiens perdus / Celui qui a tué une fois pour toutes / Celle qui entreprend des démarches concernant la vie après la mort et tout ça / Ceux qui pensent que leur vie est sur écoutes / Celui qui pense que la douleur est un mystère / Celle qui croit que la poésie est un mystère / Ceux qui savent que le mystère de la poésie soigne le mystère de la douleur, etc.

  • Mémoire vive (79)

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    On écrit un roman en l’écrivant, me dis-je sans  craindre du tout la lapalissade, car il est vrai que la chose se fait une phrase et une page après l’autre où chaque phrase et chaque page nouvelles découlent d’une expérience à tout coup surprenante. C’est ainsi que j’ai écrit Le viol de l’ange, à la fois à tâtons et dans une sorte de transe lucide relancée chaque matin, encore à fleur de subconscient et sous fine lame de surconscience. A tout coup et dans le mouvement: cette révélation de chaque nouvelle phrase et de chaque nouvelle page.

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    Le roman comme une grande rêverie modulée par des personnages aimables, au double sens du terme, qui soient à la fois des sentiments et des pensées incarnées. 

    Jonas serait ainsi l'incarnation du fils échappant à la tyrannie suave de son père écrivain à succès assez typique du pervers narcissique, en somme l'opposé du rejeton ressentimental de la Lettre au père de Kafka. 

    Nemrod est le type du littérateur qui se paie de mots, touchant un public qui n'attend en somme que ça: qu'on dore la pilule. Or, dès son enfance, Jonas voit clair, soutenu par les regards entendus du vieux Sam jamais dupe des simulacres, de Rachel également revenue de loin, autant que de Marie qui voit de près le double jeu de son conjoint despotique se la jouant très humble et très incompris sur les estrades et lui ramenant ses camisoles à laver entre deux cavalcades. Le roman se promenant alors comme une loupe sur ce petit monde - le roman comme science parallèle.

    La peinture de Théo, et plus précisément le portrait de Léa auquel il travaille à ce moment-là, brasse l'histoire de Léa et l'histoire du portrait des origines à ces derniers jours, dans la synchronie de l'Oeil convaincu que ce qu'il voit le regarde, aussi son histoire à lui se mêle-t-elle à ce brassage, où les portraits antérieurs de Jonas et de Christopher marquent d'autres étapes. Or cela me tient lieu de repère tandis que je traque le visage de Lady L. qui a passé par tous les états de l'approche sans dessin (je ne dessine qu'avec les couleurs et de strate en strate) qui l'ont fait ressembler à une pomme crue puis à une pomme cuite, à une ado bronzée puis à un humoriste célèbre (le nom de Franck Bosc lui est venu pour me scier), mais ce matin j'ai ses yeux pervenche bruns-gris-vert-bleu et la bouche viendra dans la journée, enfin on peut rêver - formule idiote.

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    Henri Michaux à propos de ce thème récurrent du grand langage oublié qui m'a souvent fait songer: "Le désir, l'appel et le mirage d'une vraie langue directe subsistent encore en moi malgré tout."

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    Les mystiques vaticinent « en langue » et le poète  tâtonne de sa canne blanche de sourcier.  

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    Unknown-4.jpegJe reviens à Michaux depuis ma seizième année, comme le kangourou, à petits sauts parfois latéraux ou rétrospectifs, rarement attardés mais vifs viatiques, bons pour la poche. Georges Anex nous lisait Plume le samedi matin. C'était entrer dans un monde parallèle plus dense que le monde à la fenêtre (les arbres de la cour de la Cité comme sous une loupe où les hannetons processionnaient tels de petits moines espagnols à pèlerines brunes et palpeurs cherchant Dieu), et je me souviens d'avoir relevé le défi que nous lançait le même prof, familier de Charles-Albert Cingria et de Gustave Roud, en nous proposant d'ahurissants thèmes de composition française tirés de Face aux verrous - j'ai dû garder ma copie  quelque part qui a eu droit à une prime à l'audace, mais j'hésite sur le titre, où il était question de Rolls-Royce... 

    En y cherchant je trouve d'autres perles: "Comme on détesterait moins les hommes s'ils ne portaient pas tous figures", ou "Ne pas se laisser condamner à défaire les chignons de bronze", ou "New York vu par un chien doit se baisser", ou "Les jeunes consciences ont leplumage raide et le vol bruyant", et ceci que je me répète à chaque éveil:"Le matin, quand on est abeille, pas d'histoires, faut aller butiner". 

    Fausses sentences et vraie semblance de sagesse.

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    Le roman est à avancer tout ensemble, tous les chapitres se tirant-poussant les uns les autres en synchronie polyphonique.

     

    Simenon4.jpgÀ La Désirade, ce samedi 28 février. -   En faisant tout à l’heure mes 30 kilomètres de home-cycle sur place alors que le soleil descendait sur le lac, j’ai regardé Le chien jaune de Simenon, adapté au ciné par Claude Barma, avec Jean Richard dans le rôle de Maigret. Vraiment pas mal, dans un noir/blanc tantôt velouté et tantôt plus bitumé rendant bien le climat portuaire (à Boulogne-sur-mer) de cet épisode plombé par le portrait de groupe de deux abjects personnages, ratés et salauds, en contraste avec deux braves jeunes gens mal barrés mais finalement « sauvés » par le commissaire.  Toujours le bon vieux préjugé du fils d’Henriette, contre les bourgeois et pour les braves gens. 

     

    Ensuite, en prime time, nous aurons subi les vingt premières minutes d’une nouvelle série de la télé romande, intitulée Station Horizon et se la jouant western bike-movie sur fond de montagnes valaisannes. Or, autant le découpage du Maigret, ses personnages et son dialogue sont reconstruits dans l’esprit du romancier, avec autant d’intelligence narrative que de sensibilité, autant le feuilleton romand défaille illico par manque de psychologie, accumulant les clichés et les références-poncifs sans aucun ancrage crédible. Le Route 66 relookée bas-Valais avec ses ringards à catogans et ses bimbos genre cousines texanes de Bonnie Raitt, non mais ! Et le geste fatal du youngster aux yeux farouches versant le contenu de son demi sur la rude botte du dur de dur le regardant de haut : rien que du déjà-vu…

     

    À croire que, dans ce pays où il y a tant de matériau  social, ou bonnement humain, à travailler, l’on soit infoutu d’imaginer autre chose que du copié-collé pseudo-ricain et platement nostalgique (la séquence supérieurement idiote où l’ex-taulard biker barbu explique à  une petite-fille que de son temps on voyait des films en plein air sans forcément regarder l’écran tu-comprends-petite-ouais-je-comprends), et que je te colle une affiche de La fureur de vivre en arrière-plan etque je te sorte ma musique à bouche pour musique à boucher le trou de tout ce vide…  

    Le cher Nicolas Bideau, toujours à la pointe du marketing culturel  disait il y a peu son désir de séries suisses cartonnant dans la foulées de Borgen, et c’est vrai - Jean-Stéphane Bron l’a prouvé avec Le génie helvétique,avant le formidable docu-fiction qu’il a réalisé avec Cleveland contre Wall street – que la Suisse pourrait être le décorde séries aussi crédibles que The Wire,genre docu, ou que Breaking bad, dans l’exploration des zones grises ou graves de notre admirable pays, si tant est que des scénaristes et des dialoguistes (et des producteurs et peut-être même une industrie chocolatière du cinéma suisse ) surgissent contre toute attente, ce qui manque un peu même à Zurich où, à ma connaissnace, le mémorable Grounding de Michael Steiner n’a pas eu de suite…

     

    Unknown-7.jpegÀ L’Atelier, ce dimanche 1er mars. – En finissant de préparer les vingt sacs de livres que je vais apporter prochainement à la Pensée sauvage, impatient de faire un peu de place dans mon capharnaüm sans me résoudre facilement à me séparer de tant d’ouvrages que probablement je ne lirai jamais dans ce qui me reste de vie et que j’estime cependant faire partie du corps de ma bibliothèque, je ne cesse de retomber sur tel ou tel rossignol que je cherchais récemment, tels ces écrits terriblement fumeux  de l’Internationale situationniste et, moins daté, La société du spectacle de Guy Debord, l’essai sur la religion d’Albert Caraco, les carnets de Louis Calaferte et l’édition anglaise complète des nouvelles de William Trevor; ou alors j’en retrouve d’autres pas censés se trouver ici et qui semblaient m’attendre, telles ces Folies françaises de Sollers que j’ai failli racheter faut de le retrouver alors que je voulais y comparer l’inceste père-fille avec le non moins sulfureux inceste frère-et-sœur de L’école du mystère. Sur quoi je retrouve, aussi, le dialogue de Sollers avec le « journaliste transcendantal » Maurice Clavel, intitulé Délivrance et remontant aux lendemains de Mai 68, où l’ex-hégélien-ex-mao de Tel Quel en découd (assez amicalement à vrai dire) avec le kantien du Nouvel Obs’ rappelant qu’il avait senti venir (et espéré) le vent frondeur ; ou enfin Nabes’Dream, le premier volume pléthorique du journal intime de Marc-Edouard Nabe dans lequel il est souvent question de ses compères foireux de Hara-Kiri et Charlie-Hebdo… 

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    Pour le Vocabillard : le verbe Solutionnementer, procéder à la solutionnementation de la problématique. Ne se disant qu’en envisageant tous les niveaux du contexte au plan du cadre. Ou ceci encore : Psycholérapeute, porteur du psycholéra.

    Ou encore : Sensuline, médicament qui fait palpiter les vierges. 

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    Ado66.jpgEntre autres propositions recevables d’une contre-folie d’époque,  glanées dans L’Ecole du mystère : « Entrer dans le noir nocturne des arbres, pour mieux voir leur vert les matins d’été. Être assis négligemment au bord de la fosse qu’on a fait creuser pour vous enterrer, et là, surprise dans le film, allumer une cigarette. Être somnambule très tôt, noter ses rêves,s’endormir n’importe où en trois minutes, Être sourd quand il faut. Mais rester attentif au moindre changement d’accent dans les mots. Être familier de toutes les fenêtres et de toutes les portes. Garder son enfance au bout des doigts, mystère de la foi ».

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    Vernet.jpgEn novembre dernier, sur les Zattere de Venise, sorti de l’église dai Gesuati, je m’étais assis à la terrasse ensoleillée quand Sollers a passé, massif et concentré, pour s’enfiler dans la trattoria dont il parle dans Médium, son roman précédent. Le roman continuait en somme. Et je lis à l’instant dans L’école du mystère : « Quel roman, mes enfants! Une divinité sans nom se balade sur les océans en choisissant ses fidèles. Ca ne se mérite pas, c’est gratuit, seule une attention soutenue suffit. Soudain, la voici. Rien n’est changé, mais tout change ».

    Je souligne : « Seule une attention soutenue suffit »...

     

    Ziegler02.jpgÀ La Désirade, ce lundi 2 mars. – Des jours sans. Plus aucune énergie. Manque aussi de motivationet d’aucune stimulation après un quart d’heure confronté à la cata mondiale filtrée par les journaux et les médias. Hier soir repris la lecture de Retournez les fusils de Jean Ziegler, mon gâte-sauce préféré, qui nous enjoint de « choisir notre camp », ce qui va de soi, mais la politique et la philosophie ne me suffisent pas à certains moments. Besoin de souffles plus vitaux. Alors Théo revient à Rembrandt, à Soutine et à Cézanne, et je reprends Révérence à la vie du vieux Monod qui me disait, un soir au téléphone, que l’avenir selon lui était aux scarabées vu que l’homme avait tout gâché.

     

    Et c’est vrai que l’Art et la Poésie sont plus forts que la force. Ainsi,cet après-midi, captant par hasard, en voiture, l’émission Vertigo, j’entends le sculpteur Yves Dana parle de ses dialogues avec la pierre. Discours parfait: l'intelligence sensible au bout des doigts.

     

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    Et puis tant d’amours nous soutiennent, au sens multiple de nos très proches et de quelques amis choisis - or voici le nouveau tapuscrit de Max le Bantou qui m’enchante par sa façon de vocaliser la mémoire d’une merveilleuse vieillarde se rappelant l’enfantement à douleurs de l’Indépendance. 

     Unknown-3.jpegEt les chers disparus qui la ramènent en se faufilant de livres en livres. Ainsi aurai-je repris ce matin la lecture de la monumentale bio de Michaux par Jean-Pierre Martin, vraiment surprenante et par sa matière et par sa façon très personnelle de restituer celle-ci, intéressante aussi par la quantité des détails concrets ou cocasses, à tout le moins révélateurs, notamment sur l’enfance verrouillée et l’arrière-plan familial – ce matin aussi les lettres de guerre du grand frangin Marcel aux siens, avec ses affectuosités à Poussy. Vraiment très bien d’imaginer que le cher HM ait pu se trouver surnommé Poussy en ces années plus ou moins tendres.

     

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    Louis Calaferte dans Situation, carnets de 1991 : « Je suis faiblesse dans ce monde de vainqueurs ». Ou ceci à méditer : « Les enfants sont d’abord attentifs à leur sécurité morale ». À distinguer autant de la morale moralisante que de l’immoralisme. Ou ceci encore : « La poésie, c’est la Joie intérieure, la Force à l’état pur, la Violence de Dieu ». Rien à voir, en effet, avec la poétisation poétique des poètes poétisant en cénacles subventionnés et se remerciant mutuellement d’exister.

    Ou cela enfin : « Les doigts entendent » et, cité deTertullien et me faisant tomber des nues: « Les Tables de la Loi nesont pas écrites dans la pierre mais dans la nature ».

     

    Ainsi valait-il la peine de « faire avec » ce « jour sans »… 

     

    À La Désirade, ce mercredi 4 mars. – Jour blanc. Toutes les heures à disposition. Tâcher dene pas dévier de la Voie. Commencé par la pensée du roman, à propos de Théo.Tâcher de mener à bien sa première traversée de la chair, à propos du portraitde Léa. Ce qu’il aimerait en saisir et les obstacles. Ce qu’il endure dans sachair à lui en proie au crabe, où la sourde doulouprogresse – grande fatigue ce matin. Et ce qu’il voit de Léa. Le plus difficilequi l’attend sera d’en capter l’aura. Risposta col tempo. Ne pas citer cependant le nom de Giorgione. Je voudraisun roman pure de toute référence explicite.

     

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    images-2 2.jpegCeci de troublant dans Meursault contre-enquête, à propos de L’étranger de Camus, par la voix du vieil Haroun : « Le succès de ce livre est encore intact, à en croire ton enthousiasme, mais je le répète, je pense qu’il s’agit d’une terrible arnaque. Après l’Indépendance, plus je lisais les livres de ton héros, plus j’avais l’impression d’écraser mon visage sur la vitre d’une salle de fête où ni ma mère ni moi n’étions conviés. Tout s’est passé sans nous. Il n’y a pas trace de notre deuil et de ce qu’il advint de nous par la suite. Rien de rien, l’ami ! Le monde entier assiste éternellement au même meurtre en plein soleil, personne n’a rien vu et personne ne nous a vu nous éloigner. Quand même ! Il y a de quoi se permettre un peu de colère,non ? Si seulement ton héros s’était contenté de s'en vanter sans aller jusqu’à en faire un livre ! Il y en avait des milliers à comme lui, à cette époque, mais c’est son talent qui rendit son crime parfait ».

     

    Est-ce dire que Kamel Daoud confonde, par la voix de son vieux témoin, l’Auteur et son meurtrier ? Pas vraiment et pourtant, pourtant, on est troublé. Et vous, où étiez-vous à  quatorze heures cejour-là ?  

     

  • Le Temps de la peinture

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    C’est en repassant par les bases physiques de la figuration  qu’on pourra retrouver, je crois, la liberté d’une peinture-peinture dépassant la tautologie réaliste. Thierry Vernet y est parvenu parfois, comme dans la toile bleue qu’il a brossée après sa visite à notre Impasse des Philosophes, en 1986, évoquant le paysage qui se découvre de la route de Villars Sainte-Croix, côté Jura, mais le transit du réalisme à l’abstraction est particulièrement lisible et visible, par étapes, dans l’évolution de Ferdinand Hodler.

    Hodler77.jpgNous ne sommes plus dans cette continuité, les gonds de l’histoire de la peinture ont été arrachés, les notions d'avant-garde et de progrès sont des foutaises dépassées, mais chacun peut se reconstituer une histoire et une géographie artistiques à sa guise, à l’écart des discours convenus en la matière, en suivant le cours réel du Temps de la peinture dont la chronologie n’est qu’un aspect, souvent trompeur.

    DeStaël45.JPGDe là mon sentiment qu’un Simone Martini ou un Uccello, un Caravage ou un Signorelli sont nos contemporains au même titre qu’un Bacon, un Morandi  ou un Nicolas de Staël…

    Images: Thierry Vernet, La route à Vufflens-la-Ville, 1987; Ferdinand Hodler, Lever de soleil sur le lac Léman; Nicolas de Staël, de la série Agrigente.

  • Ceux qui se font mal voir

     

     

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    Celui qui dit volontiers ce qui ne se dit pas au moment où ça fâche les amies de Maman / Celle qui trouve idiote la sentence (d'ailleurs hypocrite) d'Aragon selon laquelle la Femme est l'Avenir de l'homme alors qu'elle en est juste son éternel présent de retour dès que la lessive sera suspendue et les enfants couchés/ Ceux qui aiment les femmes sans le vouloir / Celui qui va à contre-courant dans le sens de la marche alors que les rebelles auto-proclamés régressent en rangs serrés/ Celle qui traite l'ado très cultivé (ça existe encore dans les Vosges et les Ardennes bleues) de has been / Ceux qui tirent sur l'ambulance remplie d'armes de la paix / Celui qui respecte certains tabous dont il fait ses tabourets / Celle qui se prénomme Manon et se reconnaît dans ce passage du dernier livre de son frère Philippe limite incestueux ou même plus:"On a toujours aimé se cacher, Manon et moi, et on continue de plus belle. La Nature aime à se cacher, de même que les vices enfantins qui résistent à tous les dressages. Heureux les enfants vicieux, sournois, dérobés, intenses ! Heureux ceux qui préservent leur intelligence de l'insouciance ! Vive leurs caresses poivrées! Le temps les traverse et ne les noie pas. Ils restent frais comme des mouettes rieuses dans l'espace. Ils sont très coupables. Ils connaissent la haine inévitable dont il sont l'objet" / Ceux qui promettent à Maman de ne pas recommencer en se réjouissant de la consoler demain d'être déçue/ Celui qui fait toujours la même chose dont la poétesse chinoise (il en faut) dit que ça "dépayse et libère"/ Ceux qui félicitent les anciens maoïstes d'avoir loué Mao vu que ses crimes l'ont été pour le bien du peuple chinois mal préparé au commerce international / Celui qui met les pieds dans le plat pays genre Hollande rend visite au polder à l'abri de sa digue / Celle qui affirme que les regards des personnages de Hopper (le peintre ricain à la mode) sont vides et provoque aussitôt les regards outrés de ses amies lectrices du tea-room Chez Althusser / Ceux qui se réunissent pour exécuter un quatuor de Beethoven qui pourtant ne leur avait rien fait / Celui qui a enregistré les râles de Virginie Despentes en train de rédiger un paragraphe grave jouissif de son prochain roman dans le studio de Courchevel où elle séjourne depuis hier avec Doc Gynéco mais allez pas l'ébruiter / Celle qui lisant Un petit bout de femme de Franz Kafka se demande comment ce diable d'écrivain judéo-tchèque a fait pour identifier ainsi sa trisaïeule Gerda connue à Vienne pour son caractère inquisitorial de duègne jamais contente à l'instar de Yahweh l'ashkénaze jaloux et tâtillon/ Ceux qui se font du mouron dans le boudoir de Sans-Souci, etc. 

     

  • Au secours série suisse !

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    D'une adaptation crédible du Chien jaune de Simenon, au premier épisode consternant d'une nouvelle série de la télé romande, intitulée Station Horizon et cumulant tous les poncifs ringards... 

     En faisant tout à l’heure mes 30 kilomètres de home-cycle sur place alors que le soleil descendait sur le lac, j’ai regardé Le chien jaune de Simenon, adapté au ciné par Claude Barma, avec Jean Richard dans le rôle de Maigret. Vraiment pas mal, dans un noir-blanc tantôt velouté et tantôt plus dur rendant bien le climat portuaire (à Boulogne-sur-mer) de cet épisode plombé par le portrait de groupe de deux abjects personnages, ratés et salauds. Quant à moi, je préfère Gabin en Maigret, mais l'humanité profonde de Simenon, et son art du détail   révélateur et des arrière-plans, sont ressaisis par le cinéma, les images et les silences de ce film sans prétention.

     

    Ensuite, en prime time, j'aurai bonnement subi les vingt premières minutes d’une nouvelle série de la télé romande, intitulée Station Horizon et se la jouant western bike-movie sur fond de montagnes valaisannes. Or, autant le découpage du Maigret, ses personnages et son dialogue sont reconstruits dans l’esprit du romancier, avec intelligence narrative et sensibilité, autant le feuilleton romand défaille illico par manque de psychologie, accumulant les clichés et les références-poncifs sans  aucun ancrage crédible. 

     

    À croire que, dans ce pays où il y a tant de matériau  social, ou bonnement humain, à travailler, l’on soit infoutu d’imaginer autre chose que du copié-collé pseudo-amerloque platement nostalgique (la séquence supérieurement idiote où l’ex-taulard biker barbu explique à  une petite-fille que de son temps on voyait des films en plein air sans forcément regarder l’écran tu-comprends-petite-ouais-je-comprends), et que je te colle une affiche de La fureur de vivre en arrière-plan et que je te sorte la musique à bouche pour musique à boucher le trou de tout ce vide…  

     

    Le cher Nicolas Bideau, toujours à la pointe du marketing culturel, disait il y a peu son désir de séries suisses cartonnant dans la foulée de Borgen, et c’est vrai - Jean-Stéphane Bron l’a prouvé avec Le génie helvétique, avant le formidable docu-fiction qu’il a réalisé avec Cleveland contre Wall street – que la Suisse pourrait être le décor de séries aussi crédibles que The Wire, genre docu, ou que Breaking bad, dans l’exploration des zones grises ou crades de notre admirable pays, si tant est que des scénaristes et des dialoguistes (et des producteurs et peut-être même une industrie chocolatière du cinéma suisse ) existassent, ce qui manque un peu même à Zurich où, à ma connaissnace, le mémorable Grounding de Michael Steiner n’a pas eu de suite…

  • Mémoire vive (78)

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    À la Buvette de Jaman, ce dimanche 23 février. – J’avais oublié, vendredi, mon Samsung en ces lieux, donc je m’y suis repointé ce midi avec une dense foule de skieurs montés aux Hauts-de-Caux. Prenant place en face de moi, la femme moderne typique, quadra saine et solide, disant bientôt à sa voisine genre rando qu’elle rêvait de passer un week-end aux Grisons dans un tipi typique, engoncée dans des peaux de bêtes. « Une expérience ultra-forte »,imagine-t-elle tout haut. En outre très remontée contre une Japonaise, dans le compartiment voisin, tardant à débarrasser sa banquette de ses affaires alors que des skieurs suisses se pressaient dans le couloir. Son impatience fébrile à « leur apprendre ».   

     

    M’a rappelé le « petit bout de femme » de Kafka et la Fanny de Sollers. Ma phobie de toute surveillance, qui me rendrait fou dans un téléphérique plein d’imams ou de pasteurs non-fumeurs.

     

    °°°

     Sollers82.jpgLa lecture de L’école du mystère, le nouveau « roman » de Philippe Sollers, m’est à la fois une stimulation tonique, sous l’effet de sa liberté d’esprit et de ses multiples curiosités, de sa vivacité et de son écriture parfaite,  et un sujet d’agacement récurrent chaque fois que le cher homme se félicite ou se console en se flattant de ne pas être assez félicité. Mais bon : passons sur son solipsisme condescendant, pour l’apprécier tel qu’il est, extraordinairement présent et à son affaire de poète. Je l’entends dans un sens profond, rapport à   son rapport à la langue et à la joie, à son bonheur d’être et à la musique verbale qu’il en tire, à ce qu’on pourrait dire chez lui la musique du sens et de la mise en mots. 

     

    Je ne vais pas le clamer sur les toits, vu que ce serait mal vu, mais je n’en pense pas moins qu’aujourd’hui Sollers est l’écrivain français vivant le plus intéressant, moins sympa et moins empathique que Le Clézio mais plus aigu dans son travail sur la langue, moins romancier évidemment que Modiano mais imposant son « roman » à lui, nettement moins Quignard que Quignard mais pourquoi vouloir deux Quignard ?

    Ces comparaisons n’ont d’ailleurs aucun sens, vu que tout écrivain véritable est incomparable, mais je parle pour moi,songeant à ce que j’attends d’un écrivain pour mon usage perso. Or Sollers m’apporte, à chaque fois du neuf, en tout cas depuis ses grands recueils de« lectures du monde », de La Guerre du goût à Fugues en passant par Discours parfait, mais aussi avec ses « romans ». 

    Je me rappelle avoir été très vache, dans mes chroniques littéraires,  avec les premiers avatars du genre, du Portrait du joueur aux Folies françaises ou à L’étoile des amants, qui me semblaient du chiqué, comme j’avais trouvé forcée l’écriture de Paradis ou même de Femmes, mais l’immense lecteur, le vivant heureux, l’amoureux de Venise et de maints écrivains que j’aime aussi (Saint-Simon, Stendhal, Céline, Proust, Morand,Fittzgerald, etc.) m’est devenu un compagnon vivifiant sinon sympathique, et flûte : tout ça fait une œuvre cohérente et prodigieusement variée non moins qu’obstinée, donc géniale au sens où Proust disait que le génie est affaire d’obstination. 

     

    Surtout je trouve, chez cet auteur qui est le moins gay qui se puisse imaginer, une gaieté communicative, à la fois dans la célébration de ses préférences (ici, par exemple, les chanteuses de jazz) et dans la formulation de ce qu’il exècre, dont Fanny fait en l’occurrence les frais.

     

    Kafka.jpgQui est Fanny ? Tout de suite elle m’a fait penser au « petit bout de femme » de la nouvelle éponyme de Kafka, qu’on pourrait dire le parangon de l’emmerderesse insidieuse. C’est Pierre Gripari qui, le premier, a attiré mon attention sur cette nouvelle, affirmant que selon lui ce« petit bout de femme » n’était autre que le Yahweh de l’AncienTestament, figure par excellence de la mauvaise conscience et de l’incessante réquisition d’un amour jaloux. Sur quoi j’ai lu la nouvelle, sans être vraiment convaincu par l’interprétation « théologique » de notre ami. En revanche, le côté rabat-joie, sourdement inquisitorial, moralisant à « reproches muets », le côté cousine Bette du personnage m’a évoqué ce personnage qu’on retrouve aujourd’hui dans la figure de la vertueuse gardienne du politiquement correct que Sollers prénomme Fanny, notre amie à tous, flanquée d’un Fanny garçon comme la Barbie de nos filles a son Barbie Mec.  

    Et notre « romancier » de filer le thème en multipliant les chapitres possibles rappelant les séries de Martine aux sports d’hiverMartine à la plage ou Martine se marie :« Fanny s’ennuie avec moi. Elle me reproche de ne pas aller au cinéma, de ne pas lire de romans américains, de ne pas avoir envie de visiter des expositions, d’être insensible à la poésie telle qu’elle la ressent, de rester sourd aux animaux, de pas suivre la vie sentimentale des stars et de leurs enfants. Elle me trouve arrogant, méprisant, désinvolte. Sa mère prend la parole dans sa voix. Mes amis aussi sont bizarres : ils se crispent soudain, maman est là ».

    Oui, la terrible maman : la mère américaine ou juive ou calviniste ou musulmane ou psy new age : pire que Yahweh…   

    °°°

    Il s’agit de se rejoindre. Le roman n’a pas d’autre fonction ce matin : rassembler des mots, et des idées, des sensations et des impressions, des  sentiments et des observations vécus  par les personnages, lesquels sont à la fois réceptacles et diffuseurs.

     

    °°°

    Angetombé.jpgLes personnages de romans sont des truchements ou plus précisément : des messagers. Est-ce à dire qu’ils se définissent par un « message »à délivrer ? Le moins possible, mais il n’y a pas de règle. Tchekhov se défendait de délivrer aucun message, et pourtant ses personnages sont, comme ceux de Simenon, des messagers. 

    On pourrait alors entendre le terme de messager dans son sens angélique, mais là non plus il n’y a pas de règle. 

    Mystère de l’incarnation, qui n’advient pas dans tous les romans. Mais je prononce le nom d’Aliocha, et le voici, ou le nom de Javert, et le voilà, comme le nom de Volodia ou de Meursault ressuscitent en moi la présence de l’ado se suicidant dans une nouvelle de Tchekhov, ou du protagoniste de L’étranger. 

    Tous me reviennent par un nom et sans présence del’auteur. Pareil chez Modiano, Simenon ou Thomas Mann. Mais pas un seul personnage de Sollers qui me revienne avec le même statut autonome. Ce qui me fait penser que ses « romans » sont plutôt des éléments d’une chronique personnelle dont les figures romanesques n’apparaissent jamais en ronde-bosse…

    °°°

    Le personnage de Jonas, dans La vie des gens, est sorti de la cuisse d’un tyran, en la personne de Nemrod,protagoniste d’une première nouvelle que j’entendais consacrer à un littérateur qui se paie de mots, brillant phraseur et représentant à mes yeux de la fausse parole.  Jonas, lui, incarne ma nostalgie de la cabane dans les arbres, en d’autres termes : de ce qui nous protège du Grand Animal.

    Dans la foulée, le projet des nouvelles est devenu un roman dont les personnages se sont pour ainsi dire engendrés les uns les autres. Jonas a 44ans et se trouve à New York quand le roman commence sur l’évocation de son enfance dans l’ombre écrasante de Nemrod, écrivain plutôt méconnu jusque-là, que la publication de Quelques petits riens, recueil évoquant les minimalistes des années 80, propulse soudain au pinacle de la notoriété. 

    D’une extrême et lucide précocité, Jonas voit (et surtout vit) l’imposture de l’écrivain se la jouant vie minuscule alors qu’il ne rêve que pouvoir, au dam de sa compagne Marie. L’agacement que j’ai éprouvé à la lecture de la Lettre au père de Kafka,monument de littérature psy également honni par Henri Michaux, m’a donné l’envie de retourner la situation avec un fils envoyant dinguer son père  jouant les victimes style mai 68. L’idée que les tyrans patriarcaux de naguère sont devenus de fragiles feinteurs m’est chère: à vrai dire je préfère les despotes philistins incarnant le Commandeur, à la gueule duquel on crache. Cracher contre un pervers narcissique cotisant à Amnesty est plus délicat… 

    soutine.jpgMais Jonas a des alliés en les personnes de Sam, père de Marie forgé à l’ancienne (compagnon réfractaire de Teilhard et de ThéodoreMonod dans les déserts) , de Rachel dont toute la famille a disparu, d’un Monsieur belge spécialiste de Confucius et de Théo le peintre dont j’ai bricolé le personnage à partir de Thierry Vernet, de Lucian Freud et de Gulley Jimson (personnage d'un roman de Joyce Cary), de Francis Bacon et de Lovis Corinth ou de Varlin, de Soutine, des écorchés vifs de Goya et de Rembrandt… Le comique étant que pas un seul de ces noms ne fera jamais référence faute d'être cité, car je veux un roman sans aucune référence explicite. 

     

    Et puis il y a les femnmes, surtout elles : Rachel, Marie, Léa,Cécile, Chloé, Clotilde, Lady  Light, toutes venues de la vie…

     

    °°°

    Guy Debord en son Panégyrique :« Pour la première fois, les mêmes sont les maîtres de tout ce que l’on fait et de tout ce que l’on dit ». 

     

    °°° 

    La lecture m’est vitale, et les livres aussi m’arrivent comme des messagers. Pas un hasard ainsi que je trouve, dans les entretiens de Kenzaburo Oé, intitulés L’écrivain par lui-même, ce que je cherchais précisément à ce moment-là.

    Le grand écrivain japonais  raconte ainsi comment le souci d’attention lui est venu, dès son enfance, et cela rejoint aussitôt ma réflexion actuelle sur l’attention défaillante de la plupart de nos contemporains, éparpillés et distraits par un peu tout et n’importe quoi. 

     

    Peu avant sa mort le vieux Maurice Chappaz, allongé sur une espèce de divan russe et couvert d’une capote miliaire, me disait avec son accent valaisan à couper au couteau: « Voyez-vous, ce qui manque vraiment de nos jours, que c’est un péché : c’est l’attention ! »  

     

    Au début de ses entretiens avec Oé Kenzaburo, Ozaki Mariko lui cite un de ses poèmes, fameux au Japon, datant de ses dix ans:

     

    Sur les gouttes de pluie

    Le paysage se reflète

    Dans les gouttes

    Un autre monde se retrouve.

     

    Puis elle dit au vieux Maître : «Le Oé Kenzaburô qui observe attentivement le monde existait donc déjà alors que vous alliez avoir une dizaine d’années ».

     

    Unknown-5.jpegEt lui : « Oui. D’une certaine manière, c’est grâce aux réprimandes des professeurs que « si on ne regarde pas avec attention,c’est comme si on ne regardait pas ». C’est ce que j’ai découvert par moi-même, c’était la sagesse de de mes jeunes années. Et j’ai ensuite réalisé que que regarder, mais aussi penser, c’était mettre en mots »

     

    °°°

    C’est en m’attardant le long des ruelles du quartier de Kanda, à Tôkyo, où voisinent des milliers d’échoppes de livres essentiellement japonais, que je me suis dit qu’il était merveilleux d’écrire et tout aussi légitime en somme de n’en rien faire, comme je l’ai éprouvé une autre fois dans l ‘Hyper U de Cap d’Agde devant les piles de best-sellers du monde entier, où j’eusse en vain cherché un roman de Oé Kenzaburô en dépit de son prix Nobel… 

     

    Ainsi est-ce à partir du moment où l’on entrevoit la totale inanité de l’acte d’écrire, au regard des galaxies ou des multitudes humaines, que la chose devient réellement intéressante et se recharge de sens comme, à Kanda ce même jour, en découvrant, dans telle immense librairie internationale,  les milliers d’ouvrages du monde entier accessibles dans toutes les langues, tout Proust en japonais ou tout Kawabata en français…   

     

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  • Mémoire vive (77)

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    À La Désirade, ce dimanche 1er février.– Nous brassons ces jours la neige, tombée en abondance et proche d’atteindre bientôt le mètre d’épaisseur. Mais c’est une autre matière que je m’impatiente de brasser ces prochains temps en reprenant sans tarder mes travaux d’écriture et, demain, de peinture, portraits de paysages et paysages de personnes. 

    °°°

    Le mérite de Michel Houellebecq est de voir les choses autrement, comme sous une loupe « sociale » ou « psychologique », sans faire pour autant de la sociologie ou de la psychologie, et de l’exprimer franchement et même fraîchement, sans crainte de déplaire. Il peut passer pour un mufle arrogant, mais il a des choses à dire, bien plus de choses que nombre de ses contradicteurs trop pressés d’évacuer le gêneur, ceux-là même qui voudraient que l’écrivain dérange, si possible sans être dérangés eux-mêmes. 

     

    images-2.jpegCe lundi 2 février. – Je suis arrivé la nuit dernière, après deux heures du matin, au bout de la cinquième et dernière saison de Breaking bad, très remarquable série américaine constituant une espèce d’exorcisme du Mal, incarné (entre autres) par le protagoniste Walter White, figure démoniaque du savant-ingénieur-chimiste génial et maléfique, imbu de son savoir-pouvoir et qui a trouvé, dans la fabrication de la drogue la plus pure, une façon de se venger d’une humiliation subie en ses jeunes années et, tout en affrontant un cancer en phase terminale, une manière de se poser en protecteur farouche de la famille… Autant dire que tout y est !

    Tout cela donne une sorte de thriller à rallonge magistralement ficelé, ponctué d’épisodes dramatiques, relancé par de surprenantes trouvailles narratives et développant une vraie réflexion sur le consentement avec, en arrière-fond, l’Amérique schizophrène, entre conformisme doucereux et violence extrême. 

    La chose tient plus du film d’auteur que du feuilleton divertissant, sous-tendue par une pensée et une vision critique réellement intéressantes. Il s’y trouve aussi de bons moments de cinéma – ce qui ne signifie plus grand’chose à vrai dire par les temps qui courent -, et tous les acteurs sont formidables. Par comparaison, regardant l’autre soir une ou deux séquences d’une série française à policière en uniforme bien repassé et aux yeux trop bleus, je me disais que ces sous-produits français (on aura la charité de ne pas parler des premiers essais de séries suisses) puent l’artifice à plein naseau et pèchent autant par la faiblesse de leur scénarios que par l’indigence tantôt guindée et tantôt outrée de leurs dialogues, alors que les Américains (ou les Anglais) ne forcent jamais le ton.    

    À La Désirade, ce mardi 3 février.– En ville ce matin où j’ai rejoint Julie, avec laquelle nous sommes allés voir Durak – L’Idiot de Yuri Bykov, que j’avais déjà vu à Locarno l’été dernier. Je me demandais si cette fable sociale et morale éminemment russe, dans l’esprit de Gorki, tiendrait une seconde vision et plairait à ma juriste internationale préférée ; et de fait,Julie semble avoir éprouvé autant d’intérêt, par delà la première scène très violente en milieu trash, à découvrir ce film, que j’en ai trouvé à le revoir, tout en distinguant, mieux que la première fois, ce qu’il a de forcé dans certains traits accusés des personnages, notamment les miséreux de l’HLM promis à l’effondrement et les « confessions » et autres« dénonciations » auxquelles se livrent les autorités pourries de la ville.

    °°°

    Comme nous descendions à Lausanne, avec Lady L. qui avait un autre rendez-vous,  j’aicommencé de nous lire La Fabrique d’absolu de Karel Capek, qui m’a aussitôt séduit par son bon air de conte conjectural, me rappelant mon séjour auprès de Pierre Versins, en 1972 ou 1973.

    °°°

    Ce que j’observe sur Facebook, et un peu partout, c’est le manque d’attention généralisé et la courses aux opinions et aux postures. On se connecte d’un clic, on zyeute et on zappe, on switche et on tague. On s’envoie un poke ou un cœur et ça jacasse à tout-va. Dans ce magma pourtant, ça et là, quelques échanges comme au café ou sur une place de village, quelques voix personnelle dans le désert en surnombre. 

     

    Philippe-Sollers-photo-Sophie-Zhang-artpress-fevrier14.jpgAu début j’étais plutôt sceptique à l’approche de Littérature et politique de Philippe Sollers, mais voilà pourtant la meilleure réponse du moment à la dispersion vague, aux opinions péremptoires non fondées et aux postures voyantes. Une écriture et une pensée sont bel et bien, ici, à l’œuvre dans la continuité têtue. Le prétendu dilettante travaille bien plus que ses détracteurs – dont j’ai été parfois -, en tout casil ne cesse de donner du grain à moudre et de filer de bonnes phrases heureuses.

    °°°

    images-3.jpegCe plot de Zola ne voyait pas ce que voyait son ami Cézanne, ainsi L’œuvre est-il le roman d’un philistin, assez cuistre en outre dans sa posture de parvenu parisien jugeant de haut son ancien pote de branloires  bronzéees dans le ruisseau de leur commune jeunesse. Mais on lui pardonne pour mille autres bonnes raisons.

    °°°

     À Zola qui essaie de lui démontrer la vanité de sa recherche des volumes (« Tu es doué. Situ voulais seulement soigner l’expression. Tes personnages n’expriment rien ! ») Cézanne répond fâché : « Et mes fesses, est-ce qu’elles expriment quelque chose? ».

    Le reproche de Zola revenant, en somme, à déplorer que Cézanne ne fasse pas de « littérature », constituant précisément son « progrès »sur l’époque.

     

    °°°

    Gare à l’intoxication. Entre les médias, les réseaux sociaux, les sollicitations incessantes de toutes parts, le risque de se disperser est pire que jamais aujourd’hui. S’en tenir ainsi à des points fixes dans le tumulte et le chaos.Pour ma pomme : l’Objet, ou plus exactement : les objets. UN, le roman ; DEUX, mes lectures et autres expériences ou rencontres et les notes qui en découlent ; TROIS, mes diverses relances quotidiennes sous forme de listes, de dialogues, de formes courtes ; QUATRE, la peinturlure.  Riches Heures toujours.

    °°°

    La notion d’exercice, de  sain et saint exercice, base de gymnasique physique et spirituelle quotidienne, stretching et tout le toutim, fonde la nouvelle somme de Tu dois changer ta vie de Peter Sloterdijk, possible coach d’un fitness philosophique en phase avec tous les aspects de la vie contemporaine, y compris la folie de Dieu et la méditation sur l’impôt. Avec quelques délirants de plus, dont un Michaux est le plus vif, la poésie au pied-léger va de pair avec une philosophie revitalisée « pour notre temps ».

    Unknown-11.jpegÀ La Désirade, ce jeudi 12 février.– Mort d’Anne Cuneo. Chère vieille emmerdeuse. Me restent surtout ses premiers livres, où elle parlait avec sincérité et précision de sa vie rugueuse, comme dans Le Temps des loups blancs, Gravé au diamant, Mortelle maladie ou encore Une cuillerée de bleu. 

    Respect à la bosseuse poursuivie par le guignon et à la self made writer-woman. Mais je donne tous ses livres à succès, pavés documentés mais dénués de la moindre grâce, pour une nouvelle d’Alice Munro ou une page d’Annie Dillard. 

    Je me rappelle l’ignoble comportement de Jacques Chessex à son égard, jaloux de sa popularité et me serinant qu’elle n’était pas ce qu’on peut dire un écrivain, ce qui me paraissait injuste. Mais quel acharnement chez elle à vouloir être tout, dans tous les genres, du rompol (moins que moyen) à la poésie (n’en parlons pas) en passant par le théâtre (très plat à ce que j’en ai vu) et le cinéma (non moins planplan), sans se donner le temps de respirer plus amplement de ressentir plus personnellement. 

    Ses Objets de splendeur, « autour » de Shakespeare, ou son Trajet d’unerivière, « autour » de Francis Tregian, sont des sortes de randos instructives mais dénuées de réelle épaisseur humaine. Bref, je respecte mais ne me joindrai pas aux hymnes locaux plus ou moins convenus et me demande ce qu’il « restera » de cette œuvre prolixe en songeant aux quelques nouvelles que je « sauve » de l’œuvre archi-célébrée naguère de Corinna Bille, aux romans d’Alice Rivaz qui s’imposent en revanche tranquillement avec le temps, à la prose toujours sidérante de Catherine Colomb, ou à Monique Saint-Hélier, entre autres « écrivaines » de nos régions toutes plus ou moins méconnues dans le VIe Arrondissement de Paris et à la cafétéria de l’Académie française, Ramuz et Cuneo compris…

    À La Désirade,ce vendredi 13 février. – Les salamalecs médiatiques accompagnant la disparition d’Anne Cuneo vont essentiellement à l’auteur « qui cartonne », selon l’expression hideuse qui nous a valu pas mal de titres accrocheurs ces dernières années, entre autres sornettes débitées sur« l’après-Chessex ». 

    Le « phénomène Dicker » en est la dernière cristallisation, dont le livre a commencé d’intéresser nos chers confrères à proportion de ses tirages et traductions. Rien de neuf en la matière, sauf en nos cantons coincés jusque-là dans le puritanisme de la paroisse littéraire romande louant de préférence le livre qui ne se vend pas après avoir été composé dans les « affres de la création », mais l’ennui est que  cette publicité tapageuse va de pair avec le rétrécissement proportionnel des vraies chroniques littéraires et, plus généralement, de l’attention portée à la littérature dont la télévision romande est plus que jamais championne du déni à moins de 50.000 exemplaires… 

     

    À La Désirade, ce samedi 14 février. – Passant à mon atelier de Vevey, où, chaque fois, dix ou cent titres des 7000 livres qui y sont entreposés  me font signe en s’exclamant « et moi !? », je tombe sur les Contre-censures de Jean-François Revel, dont j’avais oublié quel esprit vif était le beau-fils de Nathalie Sarraute et non moins paternel de Matthieu Ricard ( !), indépendant comme pas deux et passant si agilement entre réflexion politique et jugement esthétique, critique finement caustique (sa façon de déculotter Roger Peyrefitte pour ses Juifs est piquante à souhait) et grand lecteur de la société autant que des écrivains (Proust) ou des philosophes (Merleau-Ponty avec un gros bémol). 

    Après la disparition de Simon Leys et de Philippe Muray, qui laisse un tel vide dans le rang des essayistes non alignées, le retour à un Revel est une bonne façon, aussi, de se rappeler que l’intelligence et la sensibilité perdurent après la mort de leurs hérauts…   

     

    images-3 2.jpegÀ La Désirade,ce dimanche 15 février. -  Achevé la lecture de Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud. Vraiment de premier rang, et me donnant envie de revenir à L’étranger, lu pour la première fois il y a… cinquante ans ! et auquel j’ai préféré, les années passant, La Chute ou Le premier homme. Mais le roman de Kamel Daoud nous ramène, je crois, à un Camus à la fois clair et complexe, ardent et déchiré, mille fois plus humain que l’écrivain assez ignoblement taxé d’ « auteur pour les classes terminales » et dont je suis ému de me rappeler que j’ai récité,en 1964, devant trois cents ados, les Noces à Djemila apprises par coeur dans la cave de la maison de mes parents... 

    °°°

    Maxou10.jpgSoirée avec Max, que je trouve de plus en plus intéressant en dépit des petits conformismes de son âge qui me font le traiter de « coiffeuse camerounaise ». Mais combien il évolue et progresse ! Au retour de son récent séjour au Cameroun, il s’est lancé dans un nouveau roman où il me dit aborder, non sans inquiéter sa chère mère, le thème tabou du colonialisme français et, plus largement, les composantes individualisées de l’Indépendance, par la voix d’une vieille femme qu’il a rencontrée là-bas au fil de son périple. 

    Je me réjouis de constater que mon poulain piaffant, plus gay pinson que jamais et tortillant de la croupe comme une gazelle subsaharienne, est en réalité bien plus virilement engagé dans son travail d’écrivain que nombre de mecs « qui en ont » et  ne fichent rien, sans parler de tant de jeunes lettreux qui tournent en rond dans leur petit manège bien chauffé.

     

    À La Désirade,ce lundi 16 février. -  Cet après-midi au cinéma avec Sophie, après un repas sous le Cervin mandarine du Buffet de la Gare, pour L’Enquête, thriller médiatico-économique assez captivant et salutaire, consacré aux magouilles politico-financières de Clearstream &Co. Or sans révéler beaucoup de faits nouveaux sur ce scandale à épisodes déjà largement documenté,  ce film a le mérite d’illustrer, par le truchement de Gilles Lellouch dont le moins qu’on puisse dire est qu’il « assure », le courage intraitable d’un homme « contre tous », y compris ses chers confrères, en la personne de ce Denis Robert dont l’acharnement m'évoque  sur d’autres territoires, celui de mon ami Jean Ziegler. 

    On objectera peut-être qu’un tel film ne va « rien changer » à la corruption des plus hautes autorités de la République, mais le fait que la France n’ait pas accordé un sou au réalisateur, qui a trouvé meilleur soutien au Luxembourg ( !) en dit long sur la mauvaise conscience d’une certaine élite continuant, par ailleurs, à faire la leçon aux autres…

     

    À la Désirade,ce mardi 17 février. – Je reçois à l’instant, des éditions Albin Michel, un petit Plaidoyer pour la fraternité,amorcé dans l’urgence le 12 janvier 2015 par Abdennour Bidar, et que j’ai lu en une heure. 

    J’en retiens,notamment, trois citations importantes :

     

    « Tout ce qui monte converge, disait Teilhard de Chardin. Cette invitation supérieure à rendre le mal par le bien est le point de convergence de toutes les sagesses de l’humanité, qu’elles soient religieuse ou profanes.On l’appelle communément la règle d’or humaniste, présente sous des formes diverses aussi bien dans le bouddhisme, l’hindouisme, le confucianisme, que dans les monothéismes et les philosophies ou les morales athées. Ce n’est pas seulement « : Ne fais pas à autrui le mal que tu ne voudrais pas qu’il tefasse. » Ce serait trop peu ! C’est : « Fais à autrui toutle bien que tu voudrais qu’il te fasse. »

    °°°

    « La France doit donner aux musulmans des lieux de savoir, des lieux de culture…au lieu de chercher encore et toujours à leur donner des chefs religieux comme ceux du Conseil français du culte musulman ! Quand donc arrêtera-t-on de considérer les musulmans de Frabce comme un troupeau gardé par des bergers – des gardiens du culte ! Même si l’urgence est de s’assurer de la formation des imams à nos valeurs, de marginaliser voire de réprimer ceux qui racontent n’importe quoi dans leurs prêches du vendredi en contradiction avec ces valeurs, le problème de fond est au-delà. Beaucoup de nos concitoyens de culture musulmane cherchent à élaborer un rapport libre à leur culture, à leur religion – et non pas à être sempiternellement encadrés par des clercs, même éclairés. Ils en ont assez des prêchi-prêcha ! »

    °°°

    « Je suis croyant. Mais je ne crois pas plus ni moins en un Dieu qui serait celui des musulmans que celui des juifs, des chrétiens ou des hindous. Je crois que tous les chemins mênent à l’homme – c’est-à-dire au divin en l’homme,en tout être humain, et là on n’est pas très loin de la fraternité. Je crois en philosophe et en mystique, c’est-à-dire en étant critique à l’égard de la religion au nom d’une expérience intérieure. Une expérience spirituelle à la profondeur de laquelle la religion conduit rarement, et dont trop souvent elle prétend pourtant détenir le monopole. Je n’ai rien contre l’athéisme parce que j’ai rencontrée des athées plus mystiques que bien des croyants.

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    Le roman pour sortir de la dialectique binaire énervée (et plus énervante que jamais ces derniers temps) des médias.

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    On demande de vrais comiques pour détendre la situation au lieu del ’exacerber : non de ces démagos de droite ou de gauche à la Dieudonné, comme naguère un Guy Bedos, mais de vrais comiques irrécupérables à la Desproges ou à la Devos ou mieux, tant qu’on y est : à la Molière.

    Philippe Muray, dans une de ses chroniques d’Après l’Histoire, distingue précisément ce qui sépare fondamentalement l’humour de Dieudonné et celui de Desproges. De fait, Desproges peut balancer les pires énormités, sans y croire. Sa mauvaise foi est garantie de santé et de liberté. Tandis que Dieudonné croit, hélas, en ce qu’il dit à des rieurs qui le croient aussi. De même Guy Bedos a-t-il toujours été, à sa façon, un bien-pensant.

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    Achevé la lecture du Plaidoyer pour la fraternité d’Abdennour Bidar. Très bien. Après le plaidoyer « côté Français » d’Edwy Plenel, rappelant les tenants républicains de la laïcité et ne s’attardant guère, à vrai dire, sur le changement de mentalité qu’on est en droit d’attendre des musulmans crispés sur leurs seules réquisitions, on entre ici en matière sur une réalité musulmane vécue de l’intérieur par un esprit à la fois libre et responsable. Quant aux dix propositions constructives finales proposées par l’auteur, elles sentent par trop la passion institutionnelle à mon goût, mais le fond du message est d’un homme de bonne volonté.

    °°°

    Unknown-4 2.jpegMon ami Richard Dindo parle des critiques de cinéma comme de perroquets. L’un d’eux sévit cette semaine dans un hebdo de nos régions, taxant Homo faber de film « cérébral » et qualifiant le texte de Max Frisch de « dissertation ». On croit rêver, mais non : dès qu’un film rompt avec les poncifs du spectacle et les standards formatés - chez Godard à l’enseigne d’une pensée-en-images éclatée, et chez Dindo à l’écoute d’un verbe modulé dans les temps des âges divers, des sentiments et des expériences -, la conclusion paresseuse pointe la « prise de tête ». 

    Les mêmes perroquets dont la semi-culture entrevoit de la métaphysique dans le dernier gadget interstellaire genre Gravity, répétant ce qui a été dit dans Libé qui répète ce qui a été écrit aux States, ne voient pas la chose la plus simple : à savoir la réflexion d’un homme dont les convictions positivistes un peu raides se trouvent déjouées par le passage de trois femmes dans sa vie.  

    Mais bon : l’ami Dindo n’est pas tendance, au contraire des perroquets qui, demain, ne verront pas en American Sniper ni une « dissertation » ni un « film cérébral », moins encore un film démagogique et patriotard vu que ni L’Obs ni Libé ne l’ont dit…

    °°°

    Unknown-9.jpegAprès le déferlement de saletés non fondées  qu’on a pu lire ces temps, sur le site de droite plus ou moins extrême Boulevard Voltaire, à propos  des musulmans et de l’islam, j’ai très touché  de lire Blasphémateur ! de Waleed El-Husseini, jeune Palestinien persécuté, dans son pays, au motif qu’il refuse de « penser musulman » comme il l’a affirmé haut et fort sur Internet. 

     

    D’aucuns diront que l’auteur, réfugié à Paris, fait le jeu des sionistes. Ses compatriotes ont d’ailleurs amplement relayé la calomnie selon laquelle il était payé. D’autres, fidèles à un islam modéré, lui reprocheront de dénigrer leur religion. Ils auront raison, comme on peut reprocher au biologiste Richard Dawkins (cité par Waleed) de dénigrer le christianisme et toute croyance non fondée scientifiquement, dans son illustrissime Pour en finir avec Dieu. 

    Mais a-t-on foutu Dawkins en prison ? Et comment ne pas compatir avec un jeune homme dont (presque) tous les amis de son âge se détournent au motif qu’il ose dire tout haut ce qu’eux se contentent de penser tout bas ? 

     

    Notre ami Rafik nous a déjà raconté cette horreur, consistant à voir des gens éduqués tels que son oncle médecin comptabilisant ses houris, ou les profs de la fac de lettres de Tunis, plier l’échine devant la religion proclamée essence d’Etat. 

    Traître alors que Waleed ? Exactement le contraire : fierté de la nation palestinienne, au même titre que le grand poète mécréant Mahmoud Darwich, vrai croyant à sa façon, comme se dit croyant Abdennour Bidar. 

    Mais je n’ai pas dit l’essentiel, qui est que le témoignage du jeune Palestininen  dégage cette chaleur humaine, cette fraternité dont Abdennour Bidar déplore la raréfaction dans nos sociétés. 

     

    Et cela juge définitivement, à mes yeux, l’idéologie intégriste, qu’elle soit d’inspiration coranique, sioniste ou souverainiste à la française, qui stigmatise tout ce qui n’est pas d’origine et propre à sa seule secte : ce terrible froid du cœur. 

  • Celles qui ont des filles au pair

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    Celui qui est resté vieille fille après l’opération / Celle qui a quitté la brousse pour la jungle urbaine/ Ceux qui assistent au défilé en pères tranquilles / Celles qui se les échangent à l’essai / Celui qui ramasse le pain sec que la Valdôtaine laisse traîner sur l’armoire bressane / Celle qui a intégré HEC grâce au coup de pouce de la cousine de Ségolène Royal l’amie du peuple /  Ceux qui ont même confié leurs fils à une Ougandaise il est vrai fille de prince / Celui qui en a compté sept dans la famille recomposée genre élevage de hamsters / Celle qui fait des permanentes à ses patronnes au titre d’ancienne hair-stylist à Yaoundé / Ceux qui les ont toujours prises par paires pour le prix d’une avec accès au jardin mais interdiction de fumer dans le hamac / Celles qui se sont liées d’amitié avec certaines au déplaisir de leurs concierges / Celui qui se dit homme de ménage de direction / Celle qui chipe un bibelot dès que Madame trompe Monsieur/ Ceux qui ont appris diverses langues à leur contact au demeurant platonique quoique pas toujours / Celui qui a constaté que la Moldave laissait des traces sur son vélo d’appartement / Celle qui a parlé du Coran au fils de la thérapeute belge / Ceux qu’interloquait Jessica (nom d’emprunt) quand elle leur annonçait d’autorité qu’ensemble ils allaient faire de grandes choses / Celles qui ont reconnu un véritable instinct maternel à Ruedi l’Appenzellois par ailleurs lutteur à la culotte / Celui qui en a connu qui étaient à la fois hallal et pas chères / Celle qui a initié sa carrière en management de proximité au service de Bernard-Henri Lévy resté à l’écoute du prolétariat de couleur / Ceux qui ont laissé Aïcha-la-perle choisir entre Madame et Monsieur après leur divorce entre gens civilisés, etc.

  • Ô vous frères humains…

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    Flash-Back sur les Lettres d’Iwo Jima, film mémorable  de Clint Eastwood, avant le calamiteux American Sniper...

    C’est un film poignant d’humanité que les Lettres d’Iwo Jima de Clint Eastwood, d’une grande beauté d’inspiration et d’image, dont se dégage à la fois l’évidence de la ressemblance humaine et le caractère inéluctable de l’hybris des nations, exacerbé par la guerre. Une scène absolument déchirante marque le sommet de cette expression de la fraternité : lorsque le flamboyant lieutenant-colonel Nishi (Tsuyoshi Iharo), champion olympique d’équitation au Jeux de Los Angeles, en 1932, qui vient d’épargner la vie d’un jeune Marine, succombant cependant à ses blessures, traduit à haute voix une lettre de sa mère au jeune homme, dont les choses toutes simples qu’elle raconte font se lever, l’un après l’autre, les soldats japonais présents, bouleversés et muets.
    Le nom d’Iwo Jima me rappelle une bande dessinée des années 50 représentant cette bataille aussi symbolique qu’inégale, où les « Japs » étaient réduits à l’image de l’ennemi aux yeux bridés, cruel et fanatique. Or on n’est pas ici au rebours de ce cliché, qui se contenterait d’humaniser les combattants japonais, mais au cœur de la tragédie qu’ils vivent en étant à la fois prêts à mourir pour l’Empereur et conscients que celui-ci les a abandonnés à leur piège. Plus encore : le décentrage du regard d’Eastwood, qui réalise quasiment un film japonais d’esprit et de forme, nous fait vivre les dernières heures de leur vie comme s’ils étaient sans uniformes et sans grades, seuls et nus devant la mort entre tunnels et tonnerre, mer et ciel crachant le feu.
    On est ici à la fois dans le piège de l’Histoire et n’importe où ailleurs, dans un rêve halluciné aux objets fantomatiques (un seau de merde, des tanks semblant de pierre, des épées contre des lance-flammes) et traversé de personnages infiniment proches, du général Kuribayashi (Ken Watanabe) au petit boulanger Saigo qui, par la grâce d’un extraordinaire jeune acteur (Kazunari Ninomyia), irradie tout le film de son demi-sourire candide.
    Voici les hommes, voici la guerre, voici l’Armada américaine surgissant de la nuit sur une mer de plomb et voilà le premier cheval tué sous la première attaque aérienne. Tout se passe entre sable noir et grottes, comme dans un cauchemar de Frank Borzage ou de Kaneto Shindo, le film à l’air d’être en noir et blanc et voici que le gris tourne au brunâtre et que le blanc passe au bleu. Une obsédante petite musique distille d’un bout à l’autre ses gouttes de lumière froide tandis que dix hommes se fond sauter à la grenade après que l’un d’eux a été transformé en torche vivante. Violence sidérante et chaotique, mais tout restera dans quelques mémoires et voici les lettres exhumées entre la première et la dernière séquence – ces lettres des morts qui nous demandent de les enterrer en nos cœurs…

    Actuellement disponible en DVD: Mémoires de nos pères, premier élément du diptyque de Clint Eastwood

  • Mémoire vive (76)

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    À La Désirade, ce samedi 25 janvier.– Opposant son bon sens terrien et son intution poétique aux prétendues certitudes de ses amis fondus en idéologie d’époque (les frères Cingria latino-maurassiens et l’helvétiste germanophile Gonzague de Reynold que Charles-Albert gifla à la sortie d’une messe), Ramuz développait cette idée paradoxale, mais combien lumineuse,  que l’univers des idéologies (les idées dégradées en système socio-politique) est celui du vague et du flou, alors que l’univers des sentiments et de tout ce qui fonde les arts et la littérature est celui de la précision et de l’expérience féconde, de l’échange aussi et de la compréhension entre individus ou entre cultures diverses.

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    Céline en passant : « Ah ! qu’il est donc difficile de faire apprécier la pudeur, par les temps qui courent, où l’Obscénité tient bazar, où tout l’Olympe racole au Cirque ». 

     

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    Unknown-7.jpegFaut-il se réjouir du tirage à plusieurs millions d’exemplaires du nouveau numéro « post mortem » de Charlie-Hebdo, dont la UNE de Luz est à vrai dire épatante, annonçant que « Tout est pardonné » par le Prophète en personne rallié à la cause de CHARLIE ? Rien n’est moins sûr, au contraire : on peut craindre que l’argent et le succès ne fichent en l’air ce journal de l’espèce aventureuse par définition, survivant en marge et toujours en butte aux difficultés liées aux entreprises plus ou moins libertaires ou frondeuses;  mais puissé-je être démenti en ces temps où l’on ne positive point assez…

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    Chaque fois qu’un « littéraire » use du terme scientfiique, avec l’air supérieurement assuré de celui qui en sait tellement plus que le commun des mortels, je souris comme je sourirais à sœur Sourire qui invoquerait, contre toute attente, la Science du Sourire, alors que le sourire relève de l’Art, comme la véritable Science qui sait, mieux que tout docte « littéraire » du genre savantasse, ses limites.

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    Revenant par hasard aux Contre-censures de Jean-François Revel, je tombe sur une réflexion consacrée à ce qu’on appelle le beau ou le grand style, dont un Malraux ou un de Gaulle peuvent passer, en France, pour de notables représentants. Or, pas plus qu’un Guillemin, qui a montré l’envers peu reluisant des trop brillantes médailles de ces deux-là, avant un Simon Leys plus sévère encore à l’égard de Malraux, Revel n’est dupe de cette ronflante rhétorique masquant une politique dénuée de hauteur autant que  de générosité – on est alors en 1958 et Revel parle de l’Algérie. 

    Pour Henri Guillemin, de Gaulle fut « le roi du bluff »,qui parvint, malgré la longue opposition de Roosevelt, a se faire passer pour le Grand Soldat délivrant son peuple de l’Occupant et se pointant à Paris en premier libérateur alors que ses partisans actifs représentaient à peine 5% des Français. Et le sévère historien de rappeler avec quelle morgue cynique le génial comédien qualifia sa Première Armée débarquée le 15 août au sud pour marcher sur Strasbourg : «Avant tout des Noirs et desNord-Africains »…   

    °°°

    Victor Hugo l’aura écrit en vers : J’aime le rire, non le rire ironique aux sarcasmes moqueurs / Mais le doux rire honnête ouvrant bouches et coeurs ».

    °°°

    Unknown-7 2.jpegAutant la lecture du Houellebecq économiste de Bernard Maris est éclairante s’agissant des observations sociales ou psychologiques les plus originales du romancier, autant m’intéressent, sans me fasciner du tout ni me paraître même défendables, les opinions parfois vaseuses, entre autres  jugements oiseux, portant sur les nuances et détails de la vie ordinaire presque toujours mal portante voire grimaçante à son regard biaisé et sous ses nerfs tendus. 

     

    Ce type est un symptôme vivant du mal vivre contemporain. Je ne le juge pas pour autant, même si jeflaire une sorte de complaisance dans l’étalage public de sa gueule cassée genre Louis-Ferdinand Céline à sa toute fin finale, et pourtant l’image parle: le bilan dermatologique de cet auteur semble le pire qui soit, aussi désastreux que celui du protagoniste de Soumission.  

    Quant à dire que son délabrement physique et ses jérémiades publicitaires de prétendu maudit (la UNE de L’Obs qui le présente en persécuté…) m’en imposent : sûrement pas. Céline disait ne respecter que ceux qui ont payé et distinguait ceux qui ont passé par la prison et les autres. Je ne suis pas dupe non plus de la comédie du parano de Meudon, mais Céline a payé plus que l’amer Michel, cela ne fait pas un pli. Question de style aussi : parfois bien pantelant, dans Soumission, tandis que, du Voyage à Guignol’s band, celui de Céline ne cesse de bander et de chanter…  

    °°° 

    images-2 2.jpegSi j’ai lu Pas pleurer, le dernier roman de Lydie Salvayre couronné par le Goncourt 2014,  avec un certain intérêt, comme j’aurai lu avec intérêt les romans de Michel del Castillo en d’autres temps, c’est avec une intensité plus grande que je vis ces jours la lecture de Meursault, contre-enquête, de Kamel Daoud, que l’Académie Goncourt est une nouille cuite (mal cuite plutôt) de n’avoir pas offert à ses lecteurs. Une fois de plus, la cuisine éditoriale parisienne et ses jeux d’influence auront  prévalu, alors qu’il est clair qu’un tel livre, paru sous le label Gallimard ou Grasset, aurait décroché la timbale. 

    Mais baste: ce livrefera son chemin dans les cœurs et les esprits, et les millions de lecteurs de L’étranger de Camus feront bien d’y faire un détour même si le génie du Maître surclasse le très grand talent de Kamel Daoud. 

    Ce qui est sûr, c’est que Meursault, contre-enquête revêt aujourd’hui une signification multipliée par la terrible actualité récente en cela qu’il y est question, pour l’essentiel, de la relation entre deux cultures (la France et son ex-colonie algérienne)  incarnées par des personnages hautement significatifs dont Kamel Daoud modifie, subtilement et fermement, le jeu de rôles.  Donner la parole au frère de l’Arabe sans nom sur lequel Meursault tire avant d’enjamber son ombre de manière combien symbolique, est bien plus qu’une idée romanesque opportuniste comme il en a pullulé ces derniers temps : c’est ajouter la part manquante d’un grand roman à notre réflexion, d’abord en nommant l’innommé puis en prenant langue, littéralememt, avec l’Histoire, l’Indépendance, la Langue française, Camus qu’on aime et qui se discute, un Dieu là-haut qui pèse même absent et qui se discute aussi, la Vie et la Littérature qui continuent…       

    °°°Unknown-5.jpeg

    La première critique sévère, mais juste, que j’ai lu à propos de Soumission, était celle du philosophe Abdennour Bidar, dans Libé,reprochant à l’écrivain de présenter un islam par trop caricaturé, à tout lemoins coupé de la réalité présente et invraisemblale en sa projection d’avenir.

    Du même intellectuel de haut vol, on a pu lire aussi, en ce début d’année, une lettre ouverte à ses frères musulmans qui devrait faire honte aux idéologues identitaires  se répandant, ces derniers jours, notamment sur Boulevard Voltaire, en propos de plus en plus ouvertement fascisants dont la perversité consiste, précisément, à taxer les musulmans de France de nouveaux nazis...

     

    Et voici, par le roman, que l’invitation au dialogue lancée par Hubert Védrine sur Le Monde le13 janvier dernier, se prolonge à l’attention des gens de bonne volonté. Or l’Algérien Kamel Daoud, sur la tête duquel a été lancée une fatwah, prolonge,en poète et en romancier la méditation d’une autre grande figure de l’intelligentsia française d’origine musulmane en la personne d’Abdelwahab Meddeb, auquel je reviens souvent sans trouver aucun auteur, en France ou en Suisse, à part l’ami Rafik Ben Salah, qui daigne aborder cette matière inter-culturelle richissime…

     

    °°°

     

    À La Désirade, ce vendredi 31 janvier. – J’ai constaté que mes notes de lecture sur Soumission et sur Michel Houellebecq économiste avaient fait franchir en une nuit , sur mon blog, le cap des 1000 visiteurs. Or je ne l’ai pas cherché, et je ne ferai rien pour garder ces lecteurs. J’ai constaté souvent, sur quelques blogs cent fois plus fréquentés, dont la fameuse République des livres de Pierre Assouline, qu’un premier texte était ensuite suivi de 500 ou 1000 interventions, dont la dixième n’avait plus rien à voir avec la note initiale. Ce sont les nouveaux salons où l’on en cause et je n’en ai que faire. Sur mon blog des Carnets deJLK, je me suis fait une réputation de sale gueule en virant tous les anonymes et quelques insulteurs  patentés, à vrai dire rares. Sur Facebook, où tout le monde est identifié en principe, je compte une trentaine de correspondant (e)s plus ou moins complices sur 3637« amis » avec lesquels nous sommes convenus de louer un porte-avions pour notre première croisière conviviale…

    °°°

    Muray.jpgPhilippe Muray citant Picasso :« Qu’est-ce au fond qu’un peintre ? C’est un collectionneur qui veut se constituer une collection en faisant lui-même les tableaux qu’il aime chez lesautres. C’est comme ça et puis ça devient autre chose ». Et Muray d’enchaîner. « Qu’est-ce qu’un écrivain ? C’est un lecteur qui veutlire les livres dont il rêve et qui ne sont jamais exactement ceux des autres,C’est comme ça, et puis ça devient autre chose que de la lecture ». Ce qui me rappelle Dimitri parlant de son désir d’éditeur : pour combler les trous de sa bibliothèque. Et notre petite fille devant la bibliothèque : « Et c’est toi, papa, qui a écrit tous ces livres ? » Tellement plus gratifiant que le sempiternel : « Et vous avez lu tous ces livres ? » 

     

  • Ceux qui prennent conscience

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    Celui qui a pris conscience à dix ans – l’âge de raison selon les Anciens – qu’il était lui-même et pas un autre en vertu de quoi il a allumé son premier cigare / Celle qui a compris à sept ans qu’une kalache était trop lourde pour elle / Ceux qui ont pris conscience le 11 janvier qu’ils étaient nombreux à ressentir la même chose sans avoir à préciser quoi / Celui qui affirme son identité citoyenne contre tout ce qui ne lui ressemble pas - voilà / Celle qui se demande comment vivre ensemble et avec qui d’autre dans ce quartier où tout le monde est personne / Ceux qui ne vivent ensemble qu’entre eux sur présentation de la fiche de salaire du mois dernier / Celui qui n’ose pas dire qu’il est croyant sur le plateau de télé où tout le monde en rirait vu qu'on est tous libérés à mort / Celle qui dit « il en faut » chaque fois que sa cousine Marine lui dit qu’il y a un nouveau Noir à l’Académie française ou un Prix Nobel issu des banlieues / Ceux qui ont pris conscience de la chose le 11 janvier et ensuite il y eut le carnaval de Binche / Celle qui se dit victime mais jamais bourreau des coeurs alors qu'il y a des témoins / Ceux qui n’ont aucune conscience donc pas de problème s’ils assurent au panier de la Bourse / Celui qui n’a rien dans le cœur ainsi que l’a montré le scanner préludant à l’opération hélas soldée par un échec / Celle qui annonce son départ des Batignolles pour Israël où la France est plus sûre à ce qu’on dit à la télé / Ceux qui se lancent leurs vieux démons à la gueule pendant que la ravissante Aïcha, Syrienne de seize ans,  balance à son ami Facebook Maveric, dix-sept ans, la sentence du Coran La ikrâha fî Dîn, à savoir qu’il n’y a pas de contrainte en religion vu que le seul maître est intérieur, à quoi le jeune homme répond en russe Jentchina maya ty mnie mnoga podoba et autres citations du Cantique des cantiques prouvant que rien n’est perdu quand on a pris conscience de la valeur non négociable de la vie, etc.

  • Affreux, sales et touchants

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    (Dialogue schizo)

     

    De la merditude en littérature romande. Quand Antonoff, avec Meilleurs vœux toi-même, se la joue CHARLIE Bukowski…  

    Moi l’autre : - Alors qu’est-ce que t’en dis ? Tu kiffes le mauvais genre, pour parler comme Quentin Mouron ?

    Moi l’un : - Je kiffe, je capte, je percute même, pour le dire comme Sébastien Meier, mais ce n’est pas le mauvais genre qui me plaît dans ce premier roman, pas plus que chez Quentin ou que chez Sébastien ou que chez Antoine Jaquier, et tu sais que je ne suis pas le type à m'effaroucher ni à me laisser épater par des effets de mode, non : ce qui m’intéresse chez ces lascars est, à des titres divers, la justesse du regard et la qualité de la musique qu’ils filtrent. Antonoff est celui qui va le plus loin dans le crade sordide à la Deschiens en déglingue, mais sa façon d’en remettre n’est pas pire que celle de notre cher Bukowski, un peu de poésie en moins peut-être dans le genre down and out. Ce qui n’empêchera pas les grincements de dents dans la paroisse  littéraire romande qui reste toujours sous la coupe du prof guindé  et du pasteur coincé, quoique de moins en moins..

    Moi l’autre : - C’est sûr qu’il y a des bonnets de nuit, qui vont trouver qu’il exagère, Antonoff. Je cite demémoire : «On est dans la merde, Ninon a résumé. Elle exagérait toujours. On n’était  pas plus dans la merde que lors du vœu précédent, ce n’était pas Ninon qui s’était fait écraser le nœud par Madame Louise ; d’accord, ça sentait le pet foireux, mais pas encore la merde. Il fallait rester positif : rien ne nous serait impossible ce soir » 

    Moi l’un : - Le merde peut se raconter avec élégance : question de style, tout est là. Céline en est l’exemple suprême. Et à l’autre bout de la chaîne du langage : Reiser. L’important est que ça corresponde à un habitus et que ce ne soit pas forcé du point de vue de l’expression. L’habitus de Céline est doublement merdique, historiquement et socialement parlant, comme l’habitus de Bukowski, mais ni l’un ni l’autre n’affectent la vulgarité.  De la même façon, la merditude investie par Antonoff, entre le Lausanne-Palace et les terrains vagues du bas de la ville, est d’époque et sonne juste. Il y a de la merditude en Suisse : nousl’avons rencontrée...

    Unknown-3.jpegMoi l’autre : - Tu as parlé de merditude, et De la merditude des choses, c’est un film belge néerlandophone…

    Moi l’un : - J’aurais pu parler aussi, ne serait-ce que pour le titre si évocateur, d’Affreux,sales et méchants, le charmant tableau d’Ettore Scola avec Nino Manfredi, mais le film de Felix van Groeningen, De la merditude des choses, est plus proche par l’esprit et la forme, limite désespéré, foutraque quoique goguenard, de Meilleurs vœux toi-même. 

    Moi l’autre : - Le fonds social est quand même très différent. Le fond de la merditude est belge, économiquement sinistré et brassant toute une communauté. Ici, c’est à la fois les copains d’abord de Brassens, les paumés du petit matin de Brel et la dernière ligne de Gainsbarre, sur fond de boîtes lausannoises...   

    Moi l’un : - C’est une petite forme, presque une nouvelle étalée, avec des espèces de flashes intermédiaires genre clip animé.  Quant à la story, elle se borne à un réveillon durant lequel, en marge des festivités ordinaires, les cinq complices formulent à tour de rôle leur vœu le plus cher ou le plus inavouable, qui sera accompli « au niveau du groupe », et ça finit par où commence le récit; après la bascule d’une Mustang à dégaine de poubelle roulante dans le jus, dont un seul des cinq occupants, Stan, réchappe. Pour Benez l’Algérien, Madame Louise la doyenne, Ninon la frustrée de mômes   et Patrick l’obsédé, ce sera le bouillon et l’envol final à travers les bulles. Du moins les vœux des chers disparus auront-ils été accomplis. Mais j’en ai déjà trop dit quant à la story…

    Moi l’autre : - Que dire encore ?

    Moi l’un : - Disons que c’est drôle. Même quand ça frise le code de la bienséance au point que même le narrateur en est gêné (« J’ai choisi de censurer l’image en fermant lesyeux, et de ne garder que le son), quand la vieille Madame Louise s’éclate avecla jeune péripatéticienne très à son affaire des rues basses de l’ouest lausannois (le rêve de la senior était en effet de se « taper » une jeunote), les trouvailles verbales ou stylistiques d’Antonoff sont telles qu’on est plié. Curieusement, il y a  là-dedans un mélange de gouaille adolescente et de persiflage de vioque, avec un fond plus tendrement indulgent pas loin de la mélancolie, qui ne manque pas de vibrato bluesy, sans ça de tire-larmes…

     

    Moi l’autre : - Il y a un passage carabiné, dans une nouvelle de Bukowski, quand le narrateur sert, à de prétendus amis qui le snobent, les morceaux décongelés du jeune autostoppeur qu’il a embarqué quelque temps plus tôt. La lumière déclinante de la séquence ajoute à la beauté panique de la chose. On trouve le même bon goût chez l'affreux localier de 24 Heures...

    Moi l’un : - Et puis Antonoff a le sens de la formule gravée dans le marbre. Devant ses noyés le narrateur trouve ainsi les mots sentencieux qu’il faut : « Il ne fait pas bon devenir vieux. Ni être mort. Et ça l’était encore moins en cumulant les deux dans le lit d’un fleuve vaseux ».

    Moi l’autre : - Pour en revenir aux lascars mauvais genre du début, qu’est-ce que tu dirais que cet opuscule apporte à la littérature mondiale, française, romande et tribale du coin ?

    Moi l’un : - Je dirais que c’est d’un ton et d’une musique d’époque adéquats. On constate qu’il y a moinsde FUCK dans les films de gangsters des années les plus dures que dans les récents dialogues d’ados de Larry Clark ou de Martin Amis, et ce n’est qu’aujourd’hui qu’un Houellebecq ou un Mouron parlent par écrit de pétasses, ce qui ne les grandit pas vraiment , mais ce qui compte est la touche sensible et l’adéquation à l’habitus, et je trouve, quant à moi, plus de densité émotionnelle et verbale chez Antonoff que chez quantité d’auteurs romands ou francophones mieux coiffés. C’est ce qui a botté, sans doute, notre ami Pascal et sa muse Jasmine. Or le fait est, à ce propos,  que c’est un livre qui s’inscrit parfaitement dans la production récente des éditions d’autre part, où la littérature n’a pas l’air de se prendre au sérieux alors qu’elle fait dans la dentelle... plus ou moins  barbelée.

    Antonoff. Meilleurs vœux toi-même. Editions d’autrepart,  2015. 129p. 

     

  • Mémoire vive (75)

     

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    À La Désirade, ce mardi 21 janvier.– Enfin voici cet Houellebecq économiste de Bernard Maris, sur lequel un papier de Bruna Basini, dans le JDD, avait attiré mon attention, l’automne dernier à Venise, au point que je l’avais découpé, très intrigué par certaines réponses du fameux oncle Bernard de Charlie-Hebdo, et par exemple ceci  à propos de La Carte et le territoire qui l’a « ébloui » à ce qu’il dit : «Michel Houellebecq dépeint en visionnaire notre temps, la productivité, l’espace. Il m’a appris des choses que je savais mais que je n’osais pas dire en tant qu’économiste. Il montre, par exemple, des êtres très infantiles qui se comportent en poussins apeurés et toujours insatisfaits.  C’est très fort. Keynes ne dit pas autre chose lorsqu’il explique que le capitalisme infantilise en créant un désir d’accumulation perpétuel chez l’homme, et donc un état de frustration continu.  Houellebecq a lu et vu le vrai Keynes. Pas celui de la relance de la consommation de la gauche mais le chantre de la décroissance qui prône l’euthanasie des rentiers. Il m’a aussi beaucoup révélé sur les thèmes de l’utile et de l’inutile. Qu’est-ce que le travail utile ? Celui de l’ouvrier qui fabrique une passerelle ou celui du dircom qui marche dessus et qui est payé 10 fois plus. Il a lu Keynes, beaucoup de Fourier et Marx.  Le rêve de Marx, par exemple, était de transformer le travail pour qu’il soit désiré et non subi »… 

     

    Sur la même ligne claire, l’essai de Bernard Maris traverse toute l’œuvre de Michel Houellebecq, d’Extension du domaine de la lutte à La Carte et le territoire, en éclairant chaque chapitre par la référence à un économiste (Marshall, Keynes, Schumpeter, Fourier, Marx) non sans fustiger, d’entrée de jeu, la prétendue scientificité du savoir économique, à vrai dire ruinée « sur le terrain » par l’évidente incurie des prophètes auto-proclamés. L’ignorantin que je suis en la matière, mais à qui on ne la fait pas plus qu’au quidam sceptique moyen, est content d’apprendre, de la part, d’un spécialiste avéré, que ses pairs sont plus souvent des charlatans sectaires que des savants avisés et que les « lois du marché » invoquées à tout coup sont aussi flexibles, voire illusoires, que les belles paroles d’autres sortes de gourous.

     

    °°°

     

    Une « amie Facebook » de la vieille garde militante sincère, sincèrement de gauche et sincèrement athée,  déclare comme ça sur mon « profil » qu’elle ne lira pas Soumission, et pas un instant je n’aurais envie de la faire changer d’avis tant je suis rétif moi-même aux injonctions des multiples TU DOIS. Je suis entrain de lire Tu dois changer ta vie de Sloterdijk et m’en trouve bien. Mais qu’on me dise que je DOIS lire ce livre et je cesserai de le désirer, comme à l’époque où j’ai résisté au TU DOIS lire Cent ans de solitude ou TU DOIS lire Marsde Fritz Zorn. 

    Or ce refus d’obtempérer va de pair avec le refus d’engager toute discussion avec ceux qui, sans connaissance de cause,s’imaginent qu’ils DOIVENT la ramener. Je-l’ai-pas-lu-jel’ai-pas-vu-mais-voilà-ce-que-je-pense-quand-même-vu-que-j’ai lu-quelque-part-que-et-que-moi-je-pense-que, etc.

     

    °°°

     

    À un moment donné, le retour au roman s’impose comme un souci de revenir à un Objet ; et tout y ramènera, tout fera miel, tout sera filtré par rapport au sentiment ou à l’idée qu’on se fait de l’objet en question. 

     

    À ce propos je me rappelle ce que (me) disaient des écrivains aussi différents l’un de l’autre que Don DeLillo et Jacques Chessex, sur la genèse impalpable, à tout le moins involontaire, et le développement non moins imprévisible d’un roman, comme le relève aussi Houellebecq à propos de Soumission, initialement conçu comme une modulation sur le thème de la conversion au catholicisme, et ensuite raccroché à une thématique plus actuelle.

     

    °°°

    Le terme le plus approprié à la débauche d’opinions qui sévit ces jours sur les blogs et les réseaux sociaux, avec une virulence souvent haineuse proportionnée à l’amplitude d’un terrorisme tous azimutes, me semble la jactance. Plus qu’on échange des points de vue : on jacte. 

     

    °°°

     

    images-2 2.jpegJe retrouve, à la lecture de ce que ressent le protagoniste de Meursault, contre-enquête,de Kamel Daoud, à propos du Coran vociféré par un voisin, du vendredi musulman et de la prière collective, le même sentiment d’agacement viscéral que j’ai éprouvé l’an dernier  à Tunis en assistant aux étalages d’agenouillements masculins, en pleine rue ou sur les places, avec quelque chose d’ostentatoire qui m’a toujours fait horreur dans les manifestations de crédulité collective, à commencer par mon souvenir de l’évangéliste américain Billy Graham gesticulant dans le stade de la Pontaise, à Lausanne, dans un style plus commercial et publicitaire évidemment, genre marchand du Temple. Ou, plus sinistre, me revient le souvenir de cette voix hideuse, proprement hitlérienne, qui retentissait dans les escaliers de l’immeuble viennois où nous séjournions quelques jours, chaque fois que le voisin de dessous sortait de sa tanière et se répandait en invectives effroyables le temps, je présume, d’aller cherche son courrier cinq étages plus bas et d’en remonter toujours hurlant. 

     

    Or voici ce que raconte Haroun le mécréant algérien : « Mon voisin est un homme invisible qui, chaque week-end,se met en tête de réciter le Coran à tue-tête toute la nuit. Personne n’ose lui dire d’arrêter car c’est Dieu qu’il fait hurler. Moi non plus je n’ose pas, je suis suffisamment marginal dans cette cité. Il a une voix nasillarde, plaintive, obséquieuse. On dirait qu’il joue tour à tour le role de tortionnaire et celui de victime. J’ai toujours cette impression quand j’écoute réciter leCoran. J’ai le sentiment qu’il ne s’agit pas d’un livre mais d’une dispute entre un ciel et une créature. La religion pour moi est un transport collectif que je ne prends pas ».

     

    Moi non plus, foi de chien de chrétien, même si notre héritage culturel et spirituel m’est de plus en plus cher – je ne vais quand même pas, lecteur de Montaigne, me priver de Pascal ou de Rabelais, et j’aime bien me rappeler la foi peu fanatique de mes petits parents en leur paroisse protestante des hauts de Lausanne.

    En ce qui concerne la chape calviniste, dont je n’ai guère senti le poids dans ma famille, si ce n’est par la pudibonderie de notre grand-mère paternelle citant parfois des bribes de Bible, je me dis aujourd’hui, songeant à la révolte de l’ami Rafik, que pas un jour, moi non plus, pas une heure je ne supporterais aujourd’hui l’emprise sociale ou personnelle d’aucune religion me contraignant de penser ceci ou de faire cela sans que j’en aie reconnu le bien-fondé ou le fonds de vérité.

     

    Mais voici ce qu’en dit encore Haroun, le frère de l’Arabe sans nom tué par Meursault : «Est-ce que je suis croyant ? J’ai réglé la question du ciel par une évidence : parmi tous ceux qui bavardent sur ma condition - cohortes d’anges, de dieux, de diables ou delivres -, j’ai su, très jeune, que j’étais le seul à connaître la douleur, l’obligation de la mort, du travail et de la maladie. Je suis le seul à payer des factures d’électricité et à être mangé par les vers à la fin. Donc, ouste ! Du coup, je déteste les religions et la soumission ».

     

    °°°

     

    Olivier Roy dans La sainte ignorance : « Il n’y a pas de « retour »du religieux, il y a une mutation. Cette mutation n’est sans doute qu’un moment : elle n’ouvre pas nécessaireemnt vers un nouvel âge religieux ».

     

    °°°

     

    Cinquante pages du dernier roman de Virginie Despentes, Vernon Subutex, et j’ai la sensation de glisser à la surface d’un univers aussi convenu que branché, porté certes par la dynamique d’une expression chic et choc, mais tournant en somme à vide même si Vernon, irrésistible (a-t-il longtemps pensé) tombeur de meufs (c’est comme ça qu’on parle), commence à craindre après avoir été radié du RSA, et plus encore en voyant plusieurs potes lui fausser compagnie alors qu’on se croyait immortel en écoutant d’affilée le double live de Stiff Little Fingers et les Redskins ou le premier EP des Bad Brains, etc.  

     

    Je prends une phrase au hasard (« Jean-No avait épousé une meuf chiante. Il y a beaucoup de garçons qu’un contrôle strict sécurise ») et je me demande à moi-même en personne :  est-ce que vraiment je dois m’intéresser à ça ? Il me reste 350 pages pour en décider, alors qu’après trois pages du roman de Kamel Daoud j’étais « dans le bain » que représentent à la fois la réalité multiple et la littérature de la ville-monde. 

     

  • Je vous salue MARIS

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    À lire toute affaire cessante, avant ou après Soumission de Michel Houellebecq: l’essai de Bernard Maris, assassiné le 7 janvier 2015 par les obscurantistes, intitulé Houellebecq l’économiste. Une démystification roborative de la secte des économistes, prêtres autoproclamés de l’universel culte néolibéral du dieu Pognon.

     

    Voici, pour avant-goût, la conclusion de cet essai magistral, fait pour nous ouvrir les yeux :

     

    « Houellebecq économiste était un sourire, bien sûr… Un sourire pour dévoiler la triste morale et la forte poigne dissimulée sous les oripeaux d’une science. Car il n’y a pas de science économique : il y a de la souffrance masquée sous de l’offre et de la demande, autrement dit de la poésie et de la compassion constamment laminée par le talon de fer du marché – marché des biens, du travail, du sexe.

     

    « Elle voyait bien, elle voyait juste », fait dire Céline à l’un de ses personnages dans Mort à crédit. C’est de vie à crédit qu’il s’agit chez Michel Houellebecq, et le désespoir de ses personnages n’a rien à envier à ceux du docteur fou de Meudon.

     

    « Dans les rues désertes de Rouen errent des bandes de jeunes, analphabètes et antipathiques, vaguement violents, tandis que les ascenseurs de la Défense portent des cadres stressés, dévoués à leur boîte, à leurs chefs et à leurs rétributions, fébriles et malheureux, ignares malgré leurs tableaux Excel ; au pied des rutilants immeubles, se battent des clochards ; de vieux hommes achètent de jeunes sexes, tandis que des ados martyrisent un plus jeune, et qu’un hippie laisse crever son rejeton dans les excréments ; des snuff movies exhibent des actes de barbarie inouïe contemplés par des partouzards ; et tout ce monde immonde se farde des mots de l’économie : croissance, compétition, commerce, exportations… Quelle farce !

     

    «Osez regarder ce que vous êtes, petits esclaves bien nourris, osez regarder la ruine où vous conduit votre course. Vous vous précipitez en concurrence du haut des falaises, comme les porcs de la Bible. Osez regarder votre suicide collectif !« N’ayez pas peur du bonheur, il n’existe pas. » On a voulu en faire une idée neuve pour vous, nigauds, puis la quantifier, ce fut le rôle de l’économie, née de la toute-puissante Raison, des Lumières et de la Révolution. On vous promet du pouvoir d’achat ou des emplois ou des objets, et vous n’êtes que des chiffres dans des tableaux dressés par des employés du chiffre. Et encore : un chiffre a plus de réalité que vous, il appartient au monde mathématique, et vous ne valez même pas la série de votre carte de Sécu.

     

    « À moins que… À moins que vos yeux se dessillent au mot « amour » ?

     

    « Allons donc !Pour vous rabaisser, on a inventé les films porno, les clubs échangistes, et le cap d’Agde.

     

    « Rien. Rien ne vous sauvera ». 

     

    Bernard Maris. Houellebecq économiste. Flammarion, 2014, 152p.

     

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  • Le legs d'oncle Bernard

     

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    À lire Houellebecq économiste, on comprend que l’écrivain ait été particulièrement bouleversé en apprenant la mort de Bernard Maris, assassiné le 7 janvier avec ses amis de Charlie-Hebdo.

    Par delà ses hautes qualités de pénétration et d’intelligence explicative, cet essai est en effet la plus belle défense et illustration d’une œuvre souvent mal comprise.

     

     

    Bernard Maris. Houellebecq économiste. Flammarion,152p.

     

    -      BM parle des économistes comme d’une secte, avec leur jargon plus ou moins codé.

     

    -      Evoque les physiocrates del’époque de Louis XV…

     

    -      Les termes de l’économie envahissent notre quotidien.

     

    -      Avec les termes obsessionnels de croissance, compétitivité, mondialisation, etc.

     

    -      Des experts d’une pseudo-science.

     

    -      « L’économiste est celui quiest toujours capable d’expliquer après coup pourquoi il s’est trompé une fois de plus »…

     

    -      Un « incroyable charlatanisme qui fut aussi la morale d’un temps ».

     

    -      Le quidam n’y comprend rien.

     

    -      Mais BM nous rassure : qu’il n’y a rien à comprendre.

     

    -      Houellebecq n’est pas économiste mais tous ses thèmes se rapportent à l’économie.

     

    -      Ils évoquent Marx, Fourier,Malthus, Schumpeter, Smith, Marshall, Keynes, de façon le plus souvent implicite.

     

    -      Il parle de destruction créatrice (Schumpeter), de travail parasitaire et de travail utile (Marx), d’argent etc.

     

    -      BM pense qu’un écrivain peut parler de psychologie ou d’économie mieux que Freud ou que Marx…

     

    -      « Tous les écrivains dignes de ce nom feront une meilleure psychologie que Freud, qui savait écrire, et une meilleure sociologie que Bourdieu, qui ne savait pas ».

     

    -      Merci à l’oncle Bernard de souligner le fait que Bourdieu écrit mal. C’est si vrai !

     

    -      Pointe ensuite les « ronds de jambe du touffu Deleuze autour de Kafka » et pense que Schumpeter durera moins longtemps que Houellebecq…

     

    -      Il écrit ce livre en hommage aux écrivains qui cherchent « un fragment de la vérité de ce monde où nous sommes jetés et qui nous angoisse ».

     

    -       Selon BM, »pour comprendre la vie, les économistes ne cessent d’en chasser le sel, l’amour, le désir, la violence, la peur, l’effroi, au nom de la rationalité des comportements. Ils traquent pour la détruire cette « émotion qui abolit la chaîne causale » dont MH parle dans Rester vivant.

     

    -      Ils ont construit une économie du crime, où des bandits rationalisent leurs comportements criminels et leurs prises de risques en fonction des sanctions probables et des profits futurs »…

     

    -      Fustige les idées des nobélisés Gary Becker, Gérard Debreu et Larry Summers pour leurs théories sur la gestion des naissances, l’euthanasie des vieux improductifs ou le déversement des déchets du Nord dans les pays du sud…

     

    -      L’économie relève d’un humour cynique auquel celui de MH fait écho.

     

    -      Selon BM, « aucun écrivain n’est arrivé à saisir le malaise économique qui gangrène notre époque comme lui ». 

     

    -      Rappelle en outre que ce sont des écrivains, et pas des sociologues ou des philosophes, qui ont le mieux parlé del’homme face à la mort (cite La mort d’Ivan Illitch de Tolstoï) ou de l’homme face à l’amour (Madame de LaFayette dans La Princesse de Clèves).

     

    -      Précise que « faire de Houellebecq un économiste serait aussi honteux qu’assimiler Balzac à un psycho-comportementaliste ».

     

    -      Pense qu’un roman ou un poème sont anti-économistes par nature.

     

    -      Estime qu’on apprend, avec Houellebecq, « que la glu qui freine vos pas, vous amollir, vous empêche de bouger et vous rend si triste est de nature économique.

     

    -      Rappelle le titre de l’essai de Viviane Forrester, L’Horreur économique, décrié par l’intelligentsia.

     

    -      Pense que Nietzsche s’est trompé en affirmant que la science mettrait à mal la philosophie.

     

    -      À l’origine de ce livre se situe la révélation de La Carte et le territoire, goncourtisé en 2010.

     

    -       « Un grand roman d’amour, comme tous les romans de MH, mais aussi une fine analyse du travail, de l’art, de la création,de la valeur, de l’industrie et de la « destruction créatrice » chère au grand économiste Schumpeter ».

     

    -      À partir de ce dernier livre, BM refait tout le parcours, depuis les premiers textes, dont Extension du domaine de la lutte.

     

    -      Extension parle (notamment) de la compétition dans l’entreprise.

     

    -      Les particules élémentaires, du consumérisme et de l’individualisme absolu.

     

    -      Plateforme, de l’utile et de l’inutile, et de la demande de sexe.

     

    -      La possibilité d’une île, de la société post-capitaliste et du clonage des riches.

     

    -      Thèmes récurrents de MH : la compétition perverse, la servitude volontaire, la peur, l’envie, le progrès, la solitude, la frustration, l’obsolescence.

     

    -      Son commentaire apparie les livres et leurs thèmes aux dominantes de grands économistes.

     

    -      1) Le règne de l’individu avec Alfred Marshall.

     

    -      2) La destruction créatrice avec Schumpeter.

     

    -      3) La consommation insatiable avec Keynes.

     

    -      4)  L’utile et l’inutile avec Marx et Fourier

     

    -      5) L’art, le travail et la fin du capitalisme avec Malthus.

     

    -      6) La fin de l’espèce avec Keynes.

     

    Chapitre 1. Le règne absolu des individus. 

    - Avec Alfred Marshall.

    -      Le règne absolu des individus se fonde sur l’exaltation de l’individu-consommateur.

    -      Pour Alfred Marshall, il n’existera plus que des individus utilitaristes.

    -      Lesdits individus devraient être essentiellement rationnels.

    -      Or il va de soi qu’ils ne le sont nullement.

     -      Donne l’exemple d’Hélène, prof d’économie dans La carte et le territoire.

     -      Une économiste plutôt désenchantée : « Sa vie professionnelle pouvait en somme se résumer au fait d’enseigner des absurdités contradictoires à des crétins arrivistes ».

     -      « Or l’homme est un animal autrement complexe et intéressant. Personne ne travaille que pour de l’argent, personne n’a de comportement d’achat entièrement rationnel. 

    -       Hélène affirme que « l’individuation fondamentale  des motivations des producteurs, comme de celle des consommateurs, qui rend en théories économiques si hasardeux et en fin de compte si faux ».

    -      BM souligne l’intérêt« extraordinaire » de cette observation.

    -      Pour Margaret Thatcher, la« société » n’existe pas, dit-elle un jour…

    -      « L’économie libérale brise tout ce qui est collectif ».

    -      Les Particules élémentaires illustre précisément ce phénomène de l’atomisation.

    -      Critique Milton Friedman qui parlait des comportements « rationalisables ».

    -      Evoque la référence des commerciaux aux neurosciences en vue de transformer le consommateur…

    -      À cet effort de réduction rationaliste, MH oppose des personnages « qui ont mal au dos ».

    -      Le personnage du trader est hautement significatif.

    -      Un personnage qui ne produit rien et surfe sur le chaos.

    -      Le type du parasite.

    -      Affirme que les économistes sont néfastes par leur « morale de fer », leur idéologie « précise et vicieuse » relevant de la religion rationalisée.

    -      « La compétition économique est une métaphore de la maîtrise de l’espace et du temps ».

    -      Comment l’économisme a jeté ses bases sur les ruines du christianisme, favorisant le développement de la vanité, de l’envie, de la compétition, de la haine.

    -      Le désir du consommateur, fantasmé et boosté par la pub, contrairement au plaisir, est une source de souffrance et de détestation. 

    -      L’économie décrit un monde sans lieu, sans amour et sans bonté (mot fétiche de MH), où règne le chacun pour soi.

    -      MH fait de la poésie avec del’anti-poétique, affirme BM. Et c’est très vrai.

    -      Sois égoïste et sans pitié, conseille l’idéologie néo-libérale.

    -      Ce que Freud disait aussi dans Malaise dans la civilisation. 

    -       

    -      Chapitre 2.L’entreprise ou la destruction créatrice.

    -      Avec Joseph Schumpeter.

    -      Extension du domaine de la lutte est une « complainte du libéralisme ».

    -      Beigbeder, dans La Carte et le territoire, affirme que la pub n’est qu’une technique visant à « faire acheter à ceux qui n’en ont pas les moyens ce dont ils n’ont pas besoin »…

    -      L’Entreprise est le royaume de la servitude volontaire par excellence.

    -      Le cadre en est le type représentatif. Soumis et supposé sourire, ou viré.

    -      Le collaborateur apparaît « comme un enfant qui n’a pas droit aux larmes ».

    -      Le principe de vie du capitalisme est d’entretenir l’insatisfaction.

    -      Schumacher pensait que le système allait s’épuiser.

    -      MH penche plutôt pour l’Apocalypse.

    -      Avec des bols d’air…

    -       « On doit donner au salarié un peu plus que ce qui lui permet de vivre, afin qu’il puisse se perpétuer et fabriquer de nouveaux petits salariés »…

    -      Les personnages de MH intègrent la peur latente consubstantielle à ces mécanismes.

    -      « Aucune romancier n’avait, jusque-là, aussi bien perçu l’essence du capitalisme, fondée sur l’incertitude et l’angoisse ».

    -       

    -      Chapitre 3.  L’infantilisation du consommateur.

    -      Avec John Maynard Keynes.

    -      Rapproche l’infantilisation du consommateur de celle qu’exerçaient les bourreaux des camps nazis, décrit parBettelheim.

    -      Il s’agit de fabriquer des « kids » de tous âges.

    -      Cet aspect de l’infantilisation a été relevé par Keynes (p.73).

    -      Tous les objets deviennent jouets.

    -      Règne du joytoy

    -      Le haut lieu houellebecquien, dans La Carte et le territoire,  est le centre commercial.

    -      Jed adore s’y promener.

    -      Y décèle l’explosion d’un désir « criard et piaillant »…

    -      Les clients y apparaissent comme des poussins apeurés.

    -      Soumis à un impératif catégorique du genre : « Tu dois désirer. Tu dois être désirable. Si tu t’arrêtes, tu n’existes plus », etc.

    -      Plateforme illustre la consommation de masse du sexe et du tourisme sexuel.

    -      Souligne aussi la dérive de laculture vers l’entertainment.

    -      Valérie, dans Plateforme, est cadre sup’ de la com’.

    -      Elle se sent contaminée et prise au piège.

    -      Robert consomme du sexe et ne rencontre aucun amour.

    -      Le sexe de la femme est comparé à Dieu à plusieurs reprises dans les livres de MH.

    -      « L’amour très innocent, très pur des héros houellebecquiens est une plénitude, un achèvement »,

    -      La consommation est comme un supplice de Tantale. « Ce que tu as tu ne l’as plus, et ce que tu auras tu le perdras ».

    -      Il existe un « terrorisme de l’obsolescence », selon MH.

    -       

    -      Chapitre 4. L’utile et l’inutile.

    -      Avec Marx et Fourier.

    -      Revient sur le début de La Carte et le territoire, avec l’histoire du plombier.

    -      Celui-ci voudrait devenir loueur de scooters des mers.

    -      Ce qui déplaît à Jed Martin.

    -      Celui-ci respecte les artisans.

    -      Trouve le projet « touristique » du plombier assez abject.

    -      L’expression « marché de l’art » sonne comme un oxymore obscène sous la plume de MH.

    -       « L’artiste Jed aime l’outil ».

    -      Trouve en revanche les commerciaux inutiles.

    -      « Toute sa vie Jed avait eu envie d’être utile ».

    -      L’utile et l’inutile sont au cœur de la réflexion de MH.

    -      BM cite la parabole deSaint-Simon sur la disparition hypothétique de 30.000 courtisans, sous l’Ancien Régime, qui n’aurait pas eu la moindre incidence sociale.

    -      MH place le technicien et l’ingénieur au-dessus des publicitaires et des journalistes.

    -      « L’artiste, pour son malheur, est définitivement à part ».

    -      Le protagoniste est artiste, et MH se représente lui-même en personnage du roman.

    -      Le thème central de La Carte et le territoire est le passage du travail à l’art.

    -      Evoque une fable de Borges (p.100) à propos de la représentation photographique des cartes Michelin. 

    -      « Comment briser le carcan du temps sinon par l’art, producteur d’éternité ».

    -      Ce discours est évidemment l’opposé du cynisme ou du nihilisme prêtés parfois à MH, à tort.

    -      Jed Martin essaie de représenter les hommes au travail, par manière d’hommage critico-poétique, évoquant la peinture de Pierre Lamalattie, d’ailleurs complice de MH.

    -      La peinture de Jed intituléeDamien Hirst et Jeff Koons se partageant le marché de l’art relève d’une ironie délicieuse.

    -      Mais le véritable héritage de Jed sera le portrait du gérant de bar-tabac…

    -      Tous les personnages de MH, comme ceux de Simenon, sont approchés via leur travail, détaillé comme chez Balzac – chose rare dans le roman français.   

    -      À noter au passage que les personnages de Dostoïevski non plus n’ont pas de métiers, au contraire de ceux de Tchekhov…

    -      La Carte et le territoire pose la question du sens du travail.

    -      Beaucoup de nos contemporains ne trouvent de sens à leur travail que par l’argent qu’ils en obtiennent.

    -      Dans ses satires sur la société soviétique. Alexandre Zinoviev a développé le concept d’ « imitation de travail ».

    -      Des millions de fonctionnaires soviétiques s’y livraient, comme des millions d’Occidentaux aujourd’hui.

    -      Dans Soumission, le protagoniste, maître de conférences à la Sorbonne, travaille un jour par semaine. Pas un critique ne l’a relevé à ma connaissance.

    -      À l’inverse, et comme Simenon ou Céline, MH professe du respect pour le travailleur, autant que pour le travail bien fait.

    -      Comme un Orwell, il célèbre la « common decency » de l’ouvrier.

    -      « Ces gens de peu sont aussi hors de l’hubris, de l’accumulation forcenée, du désir mortifère d’argent ».

    -       

    -      Chapitre 5. Au bout du capitalisme.

    -      Avec Malthus.

    -      Malthus (auteur, notamment, de l’Essai sur le principe de populationparu en 1798) est « le triste contemplateur de la condition ouvrière »qui estimait qu’il ne fallait surtout pas aider les pauvres.

    -      Selon lui, toute aide aux pauvresles ferait proliférer. La nature se chargera de les éliminer.

    -      Dans La possibilité d’une île, c’est le grand asséchement futur quiréglera le problème de la surpopulation et de ses séquelles.

    -      « Le thème su suicideoccidental au terme du capitalisme hante l’œuvre de MH », relève BM.

    -      Dans La conversation de PaloAlto, tableau de Jed Martin, on voir sur fond crépusculaire, Steve Jobs et BillGates comme des anges mélancoliques de la fin d’un monde.

    -      Lequel sursaute encore sousl’effet de l’obsession sexuelle, autre parodie vitaliste.…

    -         La spirale de l’obsession frustrantealimente l’industrie exponentielle du porno, souvent pointée par MH.

    -      D’aucuns y ont vu du cynisme.C’est le contraire qui est vrai, mais jamais MH ne prend la posture du pasteurou du moraliste.

    -      Or « iln0’y a pas moinsmachiste, plus respectueux des femmes que Houellebecq », affirme BernardMaris.

    -      Qui ne s e laisse pas effaroucherpar l’usage récurrent du mot pétasse usité par les personnages de MH.

    -      À ce propos, et c’est vrai pourtous ses romans, les personnages et leur auteur sont à distinguer, même si MHentretient souvent la confusion avec malice, comme dans Soumission

    -      Pour MH, l’obsession sexuelle est« l’une des manifestations du mal ».

    -      Dans La Carte et le territoire, il écrivait : La sexualité luiapparaissait de plus en plus comme la manifestation la plus directe et la plusévidente du mal ».

    -      Philippe Sollers a raillé le« puritain ».

    -      Mais l’amour selon Houellebecq n’est pas celui d’un séducteur dominant ni d’un hédoniste fringant. 

    -      Bernard Maris :« L’amour implique de l’abandon, de la faiblesse, de la dépendance – ce dont les Occidentaux vénaux jusqu’à la moelle sont incapables ».

    -      Evoquant Les particules, BM note.« On veut rester jeune, on pense constamment à son âge. L’obsession sexuelle, inversement corrélative du déclin sexuel, est source d’une grande souffrance. Le sexe ronge les humains. »

    -      À l’opposé du donjuanisme solipsiste d’un Sollers, le réalisme tendre-acide de MH, en la matière, a touché leslecteurs par son honnêteté.

    -      Dans Soumission, le protagoniste est loué par son amie pour cettequalité qui est aussi celle de MH : l’honnêteté.

    -      Tout cela sou l’égide  d’une méditation nostalgique sur la fin del’âge industriel en Europe et, plus généralement, sur le caractère périssableet transitoire de notre espèce et de ses actes. 

     

    -      Epilogue. Qui mérite la vie éternelle ?

    -      Avec (de nouveau) John Maynard Keynes.

    -      Trois exergues très significatifs.

    -      « Ils avaient vécu dans un monde pénible, un monde de compétition et de lutte, de vanité et deviolence ; ils n’avaient pas vécu dans un monde harmonieux ». (Les Particules élémentaires)

    -      « Toute civilisation pouvaitse juger au sort qu’elle réservait aux plus faibles » (La Possibilité d’une île).

    -      « J’ai eu de plus en plussouvent, il m’est pénible de l’avouer, le désir d’être aimé ». (Ennemis publics).

    -      Houellebecq parle-t-ild’économie ?

    -      Oui et non.

    -      Pour l’essentiel, il parle ducaractère irréversible du temps.

    -      Or l’économie libérale occultecette réalité.

    -      À noter alors que MH est un réaliste, à lire au premier degré.

    -      Sollers raille le « réaliste social ».

    -      Mais Houellebecq ne se réduit pas aux dimensions d’un behaviouriste social ou psychologique.

    -      Contre la logique économiste prétendue « rationnelle », il parle de nos vies soumises aux fluctuations de l’argent, aux condition du travail ou à l’épuisement des ressources, entre autres.

    -      « Ricanement et cynisme sont les mamelles de notre civilisation », relève Bernard Maris, auxquelles l’écrivain oppose un regard conséquent, à tout coup nuancé d’humour.

    -      Houellebecq préfère les doux auxforts, les vaincus aux exploiteurs, les gens honnêtes aux faiseurs, et serontsauvé ceux qui sont capables de bonté.

    -      Selon BM, la bonté est peut-êtreme mot-clef de cette œuvre, rarement repérée par la critique. Houllebecq n’estpas chrétien, « car on ne peut pas pardonner », mais une bonté« évangélique » traverse son œuvre, fût-ce avec des yeux de chienbattu ou d’enfant paumé.

    -       Philippe Sollers, dans Littérature et politique, cite un long aveu de MH sur son enfance et la blessure inguérissable de n’avoir pas été aimé. 

    -      Dans Ennemis publics il disait : « La face lumineuse, c'est la compassion, la reconnaissance de sa propre essence dans la personne de toute victime, de toute créature vivante soumise à la souffrance. La face sombre, c’est le reconnaissance de sa propre essence dans la personne du criminel, du bourreau, de celui par qui le mal est advenu dans le monde ».

     

    -      Et Bernard Maris, admirable là encore : "Le capitalisme s’adresse à des enfants dont l’insatiabilité, le désir de consommer sans trêve vont de pair avec la négation de la mort. C’est pourquoi il est morbide. Le désir fou d’argent, qui n’est qu’un désir d’allonger le temps, est enfantin et nuisible. Il nous fait oublier le vrai désir, le seul désir adorable, le désir d’amour. Comme Midas qui, transformant tout en or, courait à son suicide, le cadre-consommateur ruine le monde en voulant s’enrichir »

     

    -      Notes personnelles au 29 janvier 2015.

     

    -      À lire Houellebecq économiste, on comprend que l’écrivain ait été particulièrement bouleversé en apprenant la mort de Bernard Maris, assassiné le 7 janvier avec ses amis de Charlie-Hebdo.

    -      Par delà ses hautes qualités de pénétration et d’intelligence explicative, cet essai est en effet la plus belle défense et illustration d’une œuvre souvent mal comprise.

    -      En ce qui me concerne ainsi, jen’ai jamais perçu la profondeur réelle, relative à l’infrastructure économique et sociale, des observations de MH, en dépit du haut intérêt que j’y ai trouvé.

    -      La critique littéraire, notamment en France, est rarement pratiquée avec cette intelligence des mécanismes économique ou sociaux (contempteur des idéologies et de leurs dérives vulgarisées, mais économiste lui-même, Bernard Maris maîtrise son domaine sans une trace de pédantisme ou de jargon), qui était le fait de critiques marxistes tels Lucien Goldmann ou Henri Lefebvre, pour citer le moins dogmatiques. 

    -      Or sur cette base, avec une connaissance complète de l’œuvre et des exemples adéquats tirés de chaque livre, BM nous invite bonnement à relire Houellebecq avec des yeux dessillés. 

    -      Grand livre que ce petit essai. Révérence à un lumineux martyr de l’obscurantisme.    

     

  • Homo Faber

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    À propos du dernier film de Richard Dindo, tiré du fameux roman de Max Frisch.

    À mon goût, c’est le plus beau film de Richard Dindo, d’une grande valeur poétique et philosophique à la fois. Bien plus qu’une illustration du roman, c’est une transposition libre, à la fois elliptique et très concentrée, touchant au cœur de l’œuvre et modulant admirablement trois portraits de femmes. À ce seul égard, et s’agissant d’une succession de plans fixes intégrés dans le flux de la narration, le travail avec les actrices est impressionnant de sensibilité et de justesse. Marthe Keller, dans le rôle d’Hanna, irradie l’intelligence sensible à chaque plan, dans tous les registres de l’extrême douceur et de la véhémence blessée, de la mélancolie ou de la lucidité. Avec la jeune comédienne Daphné Baiwir, incarnant la jeune Sabeth, Dindo a  trouvé une interprète infiniment vibrante de présence elle aussi. Sans autre dialogue que le récit modulé par le comédien Arnaud Bedouet, Dindo parvient à exprimer en images l'essentiel du roman, dans lequel le personnage d' Ivy (Amanda Roark) est également parfait. Bref, tant ces trois présences féminines que le découpage narratif des plans, le remarquable choix musical et le montage relèvent d’une poésie  inspirée de part en part, jusqu'à la sublime déploration finale rappelant la mort de Didon de Purcell. Enfin avec la variation de perception philosophique marquée du début à la fin par le protagoniste, de son positivisme initial d’homme ne croyant qu'à ce qu’il voit, à une vision plus profonde des êtres et du Temps, Richard Dindo a  restitué ce qu’on pourrait dire le sentiment du monde de Frisch, tel par exemple qu’on le retrouve dans L’Homme apparaît au Quaternaire, l’un de ses plus beaux livres. 

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    SORTIE DE HOMO FABER
     
    4 février à Genève (Grütli) 
    11 février à Neuchâtel et à la Chaux de Fonds
    11 mars à Lausanne (Cinémathèque suisse, cinéma Capitole)