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Livre - Page 110

  • Confusion

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    C'est l'une des seules fenêtres qui restent éclairées dans la masse ténébreuse de la cité, et le voyeur engoncé dans son pardessus continue d'espérer que des corps vont apparaître de dessous les draps formant là-bas comme un nuage.

    L'idée de corps enlacés dans cette nuit en banlieue le rend fou. L'idée qu'un couple fasse des choses sous ces draps qui bougent et qu'il n'en voie rien lui est une espèce de supplice, mais il ne perd pas tout espoir. À trois reprises déjà il a senti le froid le gagner quand la lumière s'est éteinte, puis la lumière est revenue.

    Et tout à coup il y a du nouveau. Hélas on dirait une infirmière et pas le temps de l''maginer nue sous la blouse car voici sortir des draps la tête d'un vieil oiseau déplumé qui lui rappelle celle de Clara.

    Alors cette pensée le ramène chez lui: ne se reproche rien pour autant mais se promet que, demain soir, il reprendra la lecture à sa vieille locataire aveugle qui lui dit que l'écouter la fait jouir.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Ceux qui font l'inventaire

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    Celui qui scrute le ciel au microscope / Celle qui a découvert les Sept Merveilles du Monde sur un drap de lit servant d'écran à la lanterne magique de son oncle Pamphile / Ceux qui assisteront au mariage gay du fils du pasteur Dessous-l'Eglise / Celui qui était de la bande des incendiaires du Bois de la Grêle en 1960 / Celle dont on a dit qu'elle tounait mal au motf qu'elle a porté la première ce qui préfigurait la minijupe en à peine moins olé olé / Ceux dont l'enfance fut de sauvageons vu que leurs parents les savaient en forêt plutôt que dans les quartiers de l'Ouest où la misère ouvrière rend (parfois) vicieux / Celui qui se rappelle les folles glissades en luges attelées du haut en bas du quartier / Celle qui en pinçait pour le grand Marco à la caisse à savon rouge pétant / Ceux qui avaient des longueurs d'avance sur la classe tout en occupant ses derniers rangs / Celui qui n'ajamais célébré l'Ouvrier pour se faire bien voir / Celle qui sait parler aux employé du garage / Ceux qui respectent le Travail / Celui qui pense que le travail rend libre mais ne le crie pas sur les toits / Celle qui a toujours recommandé à son fils le scribe de moins travailler alors qu'il s'est toujours considéré comme un plus ou moins jean-foutre / Ceux qui creusent à mains nues dans les anciennes galeries minières du Katanga pour en tirer des sacs de minerai en vrac qu'ils revendent à des Chinois pour des sommes de galère /Celui qui retrouve le sens du mot vertu / Celle qui polit les mots sur son établi à la lumière du jour / Ceux qui se complaisent dans le vague-à-l'âme / Celui dont la bonté acquise est de type rabelaisien ou disons christo-rabelaisien ce qui revient au même n'est-ce pas ? / Celle qui aime les complications horlogères / Ceux qui reprochent à Barack Obama de se comporter en ennemi de la Banque suisse alors qu'il est juste l'otage de la Banque américaine / Celui qui dit qu'il sait ce qu'il sait d'un ton si menaçant qu'on en conclut que ce qu'il ne sait pas pourrait constituer la vraie menace / Celle qui sait qu'elle ne sait rien mais passe néanomins pour une poseuse aux yeux de ses cousins plus ignorants qu'elle mais ne lui pardonnant point son Diplôme Cantonal de maïeutique prospective / Ceux qui redoutent un peu les 50 nuances d'ennui du dernier "best" genre Barbara Cartland relooké SM soft mais faudrait le lire et ça c'est pas demain mon p'tit Maxou / Celui qui rêve de se faire fouetter nom de sort mais pas trop fort vu le prix actuel de la peau des fesses / Celle qui trouve son intérêt professionnel à faire une pipe au sous-directeur non-fumeur / Ceux qui ont découvert un monde mieux dessiné avec leurs premières lunettes de myopes du Poitou et même d'ailleurs / Celui qui se rappelle le poële de fonte qui devenait en hiver un personnage important de la maison / Celle qui n'aurait jamais osé interrompre le soliloque de son arrière-grand-mère paternelle dite aussi la mémé de Crissier / Ceux qui ne se rappellent même pas les prénoms de leurs aïeux des deux côtés sans en conclure qu'ils n'ont jamais existé mais c'est tout comme en somme, etc.

    (Cette liste a été notée au crayon Caran d'Ache 4B dans les marges de l' Autobiographie des objets de François Bon, récemment parue au Seuil dans la collection Fiction & Cie)

    Image: Philip Seelen

  • Joël Dicker et le littérairement correct

    Dicker7.jpgÀ propos du Prix Goncourt 2012 et de la "littérature littéraire". Dialogue schizo.

     

    Moi l'autre: - Ainsi donc, Joël Dicker à loupé le Goncourt !

     

    Moi l'un: - Mais pas du tout ! Je dirai plutôt que le Goncourt s'est privé de Dicker, qui rime avec dessert. Et je trouve que le Goncourt se dessert en loupant une belle occase...

     

    Moi l'autre: - En quoi cela ?

     

    Moi l'un: - Parce que l'Académie avait une chance de se faire un peu mieux connaître à Toronto, à Sydney ou au Japon, sans parler des kiosques d'aérogares internationaux où l'on ignore tout du dernier Goncourt s'il n'est pas signé Houellebecq, alors que les noms d'Amélie Nothomb ou de Jean d'Ormesson cartonnent avec ou sans bandeau de prix. Or le roman de Dicker était, de toute évidence, le plus traduisible des papables, et je te fiche mon billet qu'il va circuler un peu partout.

     

    Moi l'autre: - Tout ça parce que La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert n'était pas assez littéraire au gré des académiciens ? Ou parce que Dicker avait déjà eu droit au prix de l'Académie française ? Parce qu'il est Suisse ? Parce qu'il est mal rasé et que dame Edmonde Présidente craignait que ça piquât ( du verbe piquâter) ? Parce que ces vioques sont jaloux de ce jeune talent craquant ?

     

    Moi l'un: - On n'en sait rien et peu importe, mais j'ai l'impression que l'argument du "pas assez littéraire" a compté, ou bénéficié par défaut au "très littéraire" Ferrari dont le roman va faire fuir le public ça c'est sûr...

     

    Moi l'autre: - On aime pourtant pas mal la littérature toi et moi ?

     

    Moi l'un: - Toi je sais pas, mais moi la littérature littéraire me gonfle de plus en plus, essentiellement en langue française je précise. Autant que la poésie poétique ou plus exactement poëtique. Je ne dis pas pour autant que Le sermon sur la chute de Rome soit un maivais livre, loin de là. Je ne l'aurais pas lu jusqu'au bout si je n'avais pas eu à en rendre compte à la radio, et j'y suis allé sans trop souffrir; mais après la magnifique ouverture et le jeu de miroirs de la filiation, entre les générations, j'ai trouvé les protagonistes et leur descente aux enfers assez téléphonée - surtout ces "ébats sataniques" m'ont paru manquer de chair, si j'ose dire. Restent pourtant les phrases et leur musique, tout à fait à mon goût proustien en revanche malgré certaine trivialité qui fait un peu rustine sur le pneu. Mais bon: c'est de la vraie littérature, Ferrari est un auteur et en somme tant mieux qu'on le décore pour une oeuvre suivie depuis pas mal de temps et qui se tient. Là où je suis plus sceptique, et rien à voir avec lui, c'est qu'il soit défendu au nom de ce que j'appelle la "littérature littéraire", genre bon genre pour profs de lettres et libraires bon genre bon chic.

     

    Moi l'autre: - Pas vraiment le genre de la bande à Ruquier...

     

    Moi l'un: - Je n'en sais rien: pas vu l'épisode fameux. Et de ce critère aussi je me fous bien. Ce qui m'intéresse seulement, c'est le roman de Dicker, qui non seulement me paraît de la bonne littérature comme je l'entends aussi, vu que c'est cent fois plus proche de Martin Amis que de Marc Levy. Ce que j'aurais aimé entendre, dans le débat des académiciens, c'est l'argumentation des uns et des autres. Je me rappelle les arguments débiles d'un Angelo Rinaldi, parlant en imam de mosquée littéraire veillant sur la pureté de sa vierge, quand il a démoli Les Humeurs de la mer de Volkoff, immense roman beaucoup plus ample que celui de Dicker, mais d'un auteur dont la puissance narrative et la profondeur de pensée ne pouvaient qu'effaroucher notre esthète à talonnettes.

     

    Moi l'autre: - Donc cette défense de la "littérarure littéraire" relèverait de la posture sociale élitaire plus que de la position fondée sur l'Objet...

     

    Moi l'un: - Il me semble qu'il y a pas mal de ça. Et pas mal de tartufferie pusillanime là-dedans. Genre "il est de nôtres", ou pas. Très Jockey-Club de parvenus tout ça. Et surtout ne pas entrer en matière sur le contenu du livre. On a quand même moins de ça aux States qu'en France, même si les snobs universitaires ne sont pas moins coincés aux States qu'en France. J'ai vu leur moue quand j'évoquais là-bas une Sagan ou une Nothomb, et leurs yeux aux ciels à la seule mention des noms de Duras ou de Sarraute...

     

    Moi l'autre: - Reste à voir si les lycéens du Goncourt ont déjà le souci du "littérairement littéraire". Ce sera le 15 novembre...

     

    Moi l'un : - En attendant on souhaite bon vent à Jérôme Ferrari, en espérant qu'il ne paie pas trop cher ce que Jean Carrière a appelé le "prix du Goncourt", gloire et déprime consécutive pour pas mal de lauréats, jusqu'à l'auto-destruction pour certains. On peut relire son bouquin documenté perso...

    Moi l'autre: - Notre ami Chessex l'avait surmonté crânement en 1973...

    Moi l'un: - C'est vrai que, tout en faisant suer pas mal de gens avec le rappel de la chose - tu te souviens quand il insultait, sous nos yeux ébahis, sa proprio du vieux quartier lui réclamant son loyer, lui balançant que son Goncourt supposait d'autres égards - il n'en a pas moins repris l'enseignement tout gentiment après avoir fait construire sa jolie maison au coin du bois.

    Moi l'autre: - Quant à Joël Dicker,il aura peut-être autant de lecteurrs à Noël que Maître Jacques en ce temps-là.

    Moi l'un: - C'est tout le mal qu'on lui souhaite, autant qu'à L'Age d'Homme et à Bernard de Fallois. Mais surtout: que son livre soit vraiment lu et discuté parce qu'il module de vrais thèmes, en rapport avec la gloire littéraire et ses aléas, la violence dans la société actuelle, la folie éventuelle de l'écrivain et les multiples pulsions ou délires de frustrations qui peuvent aboutir à un crime. Joël Dicker ne fait pas du tout un polar à thèse mais il pose des tas de questions en passant, et puis le montage de son roman et son développement interne, enté sur l'enquête du jeune romancier venu à la rescousse de son pair aîné, l'enchevêtrement clair de tout ça, le vertige final et la "vérité" qui ne se laisse pas vraiment saisir - tout ça dépasse décidément le divertissement de plate consommation qu'on cherche à dégommer en toute mauvaise foi fondée sur le littérairement correct. Dicker9.jpg

     

  • Goncourt ou pas...

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    Le formidable roman de Joël Dicker, La vérité sur l'affaire Harry Quebert, n'a pas, finalement, obtenu le Prix Goncourt 2012. Les académiciens lui ont préféré Le sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari, très beau livre d'un tour plus littéraire assurément que le roman de notre préférence. Or celui-ci a déjà fait un magnifique parcours, gratifié du Grand prix du roman de l'Académie française et plébiscité par le public. Belle aventure qui continue maintenant, avec un jeune auteur qui a la vie devant lui. Evohé !   

    La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, deuxième ouvrage du jeune auteur genevois Joël Dicker, est le roman en langue française le plus surprenant, le plus captivant et le plus original que j’aie lu depuis bien longtemps. Comme je suis ces jours en train de relire Voyage au bout de la nuit, en alternance avec le Tiers Livre de Rabelais, je dispose de points de comparaison immédiats qui m’éviteront les superlatifs indus. Mais la lecture récente de très bons livres à paraître cet automne, tels Le Bonheur des Belges du truculent Patrick Roegiers, Notre-Dame-de-la-Merci du tout jeune Quentin Mouron tenant largement ses promesses, Après l’orgie du caustique Jean-Michel Olivier ou Prince d’orchestre de Metin Arditi qui donne son meilleur livre à ce jour, m’autorise aussi à situer le roman de Joël Dicker dans ce qui se fait de plus intéressant, à mes yeux en tout cas, par les temps qui courent.

    La publication prochaine de La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert marquera-t-elle l’apparition d’un chef-d’œuvre littéraire comparable à celle du Voyage de Céline en1934 ? je ne le crois pas du tout, et je doute que Bernard de Fallois, grand proustien et témoin survivant d’une haute époque, qui édite ce livre et en dit merveille, ne le pense plus que moi. De fait ce livre n’est pas d’un styliste novateur ni d’un homme rompu aux tribulations de la guerre et autres expériences extrêmes vécues par Céline; c’est cependant un roman d’une ambition considérable, et parfaitement accompli dans sa forme par un storyteller d’exception, qui joue de tous les registres du genre littéraire le plus populaire et le plus saturé de l’époque – le polar américain – pour en tirer un thriller aussi haletant que paradoxal en cela qu’il déjoue tous les poncifs recyclés avec une liberté et un humour absolument inattendus. Cela revient-il à situer le livre de Joël Dicker dans la filiation d’Avenue des géants, le récent best-seller, tout à fait remarquable au demeurant, de Marc Dugain ? Non : c’est ailleurs il me semble que brasse l’auteur genevois, même s’il interroge lui aussi les racines du mal au cœur de l’homme.

    Limpidité et fluidité

    Ce qu’il faut relever aussitôt, qui nous vaut un plaisir de lecture immédiat, c’est la parfaite clarté et le dynamisme tonique du récit, qui nous captive dès les premières pages et ne nous lâche plus. L’effet de surprise agissant à chaque page, je me garderai de révéler le détail de l’intrigue à rebondissements constants. Disons tout de même que le lecteur est embarqué dans le récit en première personne de Marcus Goldman, jeune auteur juif du New Jersey affligé d’une mère de roman juif (comme Philip Roth, ça commence bien…) et dont le premier roman lui a valu célébrité et fortune, mais qui bute sur la suite au dam de son éditeur rapace qui le menace de poursuites s’il ne crache pas la suite du morceau. C’est alors qu’il va chercher répit et conseil chez son ami Harry Quebert, grand écrivain établi qui fut son prof de lettres avant de devenir son mentor. Mais voilà qu’un scandale affreux éclate, quand les restes d’une adolescente disparue depuis trente ans sont retrouvés dans le jardin de l’écrivain, qui aurait eu une liaison avec la jeune fille. D’un jour à l’autre, l’opprobre frappe l’écrivain dont le chef-d’œuvre, Les origines du mal, est retiré des librairies et des écoles. Là encore on pense à Philip Roth. Quant à Marcus, convaincu de l’innocence de son ami, il va enquêter en oubliant son livre… qui le rattrapera comme on s’en doute et dépassera tout ce que le lecteur peut imaginer.

    Un souffle régénérateur

    Je me suis rappelé le puissant appel d’air de Pastorale américaine en commençant de lire La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, où Philip Roth (encore lui !) retrouve pour ainsi dire le souffle épique du rêve américain selon Thomas Wolfe (notamment dans Look homeward, Angel) alors que le roman traitait de l’immédiat après-guerre et d’un héros aussi juif que blond… Or Joël Dicker aborde une époque plus désenchantée encore, entre le mitan des années 70 et l’intervention américain en Irak, en passant par la gâterie de Clinton... qui inspire à l’auteur un charmant épisode. On pense donc en passant à La Tache de Roth, mais c’est bien ailleurs que nous emmène le roman dont la construction même relève d’un nouveau souffle.

    La grande originalité de l’ouvrage tient alors, en effet, à la façon dont le roman, dans le temps revisité, se construit au fil de l’enquête menée par Marcus, dont tous les éléments nourriront son roman à venir alors que les origines du roman de Quebert se dévoilent de plus en plus vertigineusement. Roman de l’apprentissage de l'écriture romanesque, celui-là s’abreuve pour ainsi dire au sources de la « vraie vie», laquelle nous réserve autant de surprises propres à défriser, une fois de plus, le politiquement correct.

    De grandes questions

    Qu’est-ce qu’un grand écrivain dans le monde actuel ? C’était le rêve de Marcus de le devenir, et son premier succès l’a propulsé au pinacle de la notoriété ; et de même considère-t-on Harry Quebert pour tel parce qu’il a vendu des millions de livres et fait pleurer les foules. Mais après ? Que sait-on du contenu réel des Origines du mal, et qu'en est-il des tenants et des aboutissants de ce présumé chef-d’œuvre ? Qui est réellement Harry ? Qu’a-t-il réellement vécu avec la jeune Nola ? Que révélera l’enquête menée par Marcus ? Qui sont ces femmes et ces hommes mêlées à l’Affaire, dont chacun recèle une part de culpabilité, y compris la victime ?

    Je n’ai fait qu’esquisser, jusque-là, quelques traits de ce roman très riche de substance et dont les résonances nous accompagnent bien après la lecture. Il faudra donc y revenir, Mais quel bonheur, en attendant, et contre l’avis mortifère de ceux-là qui prétendent que plus rien ne se fait en littérature de langue française, de découvrir un nouvel écrivain de la qualité de Joël Dicker, alliant porosité et profondeur, vivacité d'écriture et indépendance d'esprit, empathie humaine et lucidité, qualités de coeur et d'esprit.

     

    Ce qu'en dit Bernard de Fallois, éditeur:

    "Dans une expérience assez longue d'éditeur,on croit avoir tout lu: des bons romans, des moins bons, des originaux, plusieurs excellents... Et voici que vous ouvrezun roman qui ne ressemble à rien, et qui est si ambitieux, si riche, si haletant, faisant preuve d'une tellemaîtrise de tous les dons du romancier que l'on a peine à croire que l'auteur ait 27 ans. Et pourtant c'est le cas. Joël Dicker, citoyen suisse et même genevois, pourson deuxième livre, va certainement étonnenr tout le monde".

     

    Joël Dicker. La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert. Editions Bernard de Fallois / L’Age d’homme, 653p.

     

    En piste pour le Goncourt 2012

    «Peste & choléra», de Patrick Deville (Seuil)

    «La vérité sur l'affaire Harry Quebert», de Joël Dicker (Fallois)

    «Le sermon sur la chute de Rome», de Jérôme Ferrari (Actes Sud)

    «Lame de fond», de Linda Lê (Bourgois)

  • Ceux qui y croient

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    MERDE à ceux qui n'y croient pas. MERDE à Barack Obama et à Joël Dicker. MERDE à à ce jour J qui pourrait marquer l'accession d'un jeune auteur romand à la Maison Blanche et voir Barack enfin consacré par le Prix Goncourt qu'il convoite fébrilement après un Nobel de la Paix peu suivi d'effets...

    Et (re)voici ma liste de novembre 2008...

    Celui qui aime les gens ordinaires / Celle qui rebaptise ses tortues Malia et Sasha / Ceux qui vont repeindre la devanture de leur salon de coiffure en l’honneur du Nouveau Président auquel ils s’identifient en tant que métèques amateurs de basketball supporters du club de l’université d’Oregon / Celui qui avait pointé les vers de Nostradamus annonçant La Baraka de Barack / Celle qui a réalisé un buste d’Obama en résine teintée mais pas trop / Ceux qui estiment qu’Armageddon est compromise avec ce Black probablement séropositif / Celui qui va recommencer à fumer sans états d’âme / Celle qui habillera ses filles Molly et Dolly à l’imitation de la First Lady pour le Bal de la paroisse évangélique de South Atlanta / Ceux qui se demandent si les démocrates vont enfin purger le parc municipal des écureuils gris / Celui qui est resté devant son téléviseur à écran plasma la nuit durant pour pouvoir dire à ses enfants « j’y étais » / Celle qui a enregistré la première déclaration de Barack pour se la repasser à tête reposée / Ceux qui sont amis avec Michelle Obama sur Facebook sans se douter que sous ce nom se cachent deux jumelles texanes fans de Dolly Parton / Celui qui n’enlèvera pas le poster de McCain de la porte de son garage d'auxiliaire des pompiers de Macon (Georgia) / Celle qui avait écrit un si beau poème à l’éloge de Sarah Palin / Ceux qui ont fait une liste de revendications à adresser à la Maison Blanche au nom des Républicains Déçus / Celui qui se rappelle une promesse non tenue de Barack alors qu’ils fréquentaient la même école de Punahou d'Hawaï / Celle qui a obtenu le désamiantage d’un local social grâce à l’appui de ce sacré battant de Barack / Ceux qui estiment que le futur hôte de la Maison Blanche a une chance sur deux de ne pas être assassiné / Celui qui insinue que la mère d’Obama aurait également couché avec le frère de son ex / Celle qui croit fondamentalement à la bonne foi des deux tiers de l’humanité voire plus / Ceux qui estiment que John McCain eût mieux fait de se choisir une Sarah Palin mulâtre, Celui qui lit Histoire d’O à Bamako / Celle qui envoie un SMS à Oprah Winfrey pour lui dire que sans son soutien ce freluquet ne passait pas la rampe / Ceux qui n’ont pas trouvé le temps de voter, etc.

  • Ceux qui cliquent sur la bannière

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    Celui que la novlangue amuse sans l'abuser / Celle qu'on dit la Sévigné des SMS / Ceux qui p'tain disent FUCK tous les trois mots non mais, p'tain, tu trouves pas ça p'tain de grossier ? /Celui qui surveille son langage sans trop se faire chier / Celle qui est peuple de noble pensée et parle comme un charretier distingué / Ceux qui font des pipes aux dés comme d'autres font des pompes dans le verger / Celui qui assume sa différence de muet albinos suisse allemand addict à Twitter / Celle qui lit Le Bleu du ciel de Bataille pour pas suffoquer dans l'esprit du temps genre 50 nuances de Grey sans rien d'Earl / Ceux qui n'aiment que les livres dont on ne sent pas que les auteurs y ont été contraints / Celui qui revit en lisant d'affilée L'Arrêt de mort et Les pieds maternels / Ceux qui se transmettent le titre de la nouvelle Sarrazine avec des airs entendus et comme d'un secret / Celui dont le gris troublé du regard évoque un cigare éteint / Celle que son obsession quitte à la première panne de courant / Ceux qui n'aiment que les livres genre sterling / Celui qu'attriste la chair non consommée / Celle que les mots ébranlent et qui s'en inonde / Ceux qui dégagent le fumet fétide des fauves au saut du lit / Celui qui se demande un peu que faire de Dirty un dimanche matin après l'amour et se rappelle qu'elle aime bien avec de l'Earl Gray ces beignets qu'on appelle cuisses-de-dames / Celle qui dit aimer qu'on l'embrasse "dans la bouche" avec un peu de sel et de citron genre moule Poulette / Ceux dont le coeur bat si fort qu'on l'entend sous les habits du dimanche comme le tam-tam dans les fourrés / Celui qu'on disait réservé et qui danse à présent sur le ventre de la mariée couche-toi-là / Celle qui glousse en rotant et lance au liftier qu'elle n'a pas besoin de ses couilles mais bon c'est dans ce livre juté par Bataille et maintenant on va faire un tour sous le ciel aux 50 nuances de bleu / Ceux qui se réjouissent de se rencontrer en 3 D la semaine prochaine du côté de Manchester / Celui qui se rappelle les allumés de Hyde Park Corner mais à peu près rien d'autre de son seul trip londonien en 1970 / Celle qui a joué son rôle d'oiseau de malheur que mon cafard a mazouté / Ceux qui se prénomment Lazare et ne ressuscitent pas pour autant faute d'exercice ou parce qu'ils se sont trompé de gare au départ / Celui qui a le don des langues mais peine un peu au french kiss avec l'Américaine à dégaine de jackalope en baskets / Celle que revigore les "j'aime" saluant ses poèmes genre coin de ciel bleu sur Facebook / Ceux qui resteront quelque temps sur Facebook après leur décès mais là plus tant moyen de cliquer "j'aime" que voulez-vous c'est la vie quand on est mort, etc.

    Peinture: Toscane rêvée, fecit JLK. Huile sur toile, 2008. 

  • Le Goncourt en Suisse profonde ?

    Soutter9.JPGDialogue schizo

    La dernière rumeur. Un D chasserait l'autre. Le génie helvétique à Morges. Louis Soutter et les Forel. Yersin notre prof de gym. La sale gueule d'Alexandre Yersin, pareille à celle de Stanley...

     

    Moi l'autre: - Donc la dernière rumeur dirait que le Goncourt serait bel et bien attribué lundi à un auteur dont le nom commence par la lettre D, mais qui ne serait pas Suisse.

    Moi l'un: - C'est en effet ce qu'elle nous balance par SMS. Non pas Dicker par conséquent, mais Deville. Peste et choléra, de Patrick Deville.

    Moi l'autre: - Et ça te navre, après que nous avons (virtuellement) attribué notre Goncourt 2012 au très savoureux et sapiençal Bonheur des Belges, de l'ami Patrick Roegiers, avant de nous rallier au panache de Joël Dicker ?

    Moi l'un: - Non, et pour autant que la rumeur s'avère, je trouverais ce choix équitable et juste, qui consacrerait une oeuvre déjà considérable et un livre dont le protagoniste est bonnement extraordinaire, et l'écriture incisive et d'une parfaite musicalité, nette et vive, parfaitement apropriée à son objet. À part quoi ça me ferait un vieux plaisir de revenir dans le Morges mômier des "aristocrates de la foi" et des grands originaux en rupture de banc d'église que furent le génial Louis Soutter, les Forel et les Yersin.

    Moi l'autre: - Mais on ne lâche pas Joël Dicker...

     

    Moi l'un: - Absolument pas ! D'ailleurs rien n'est sûr sûr. Et puis on emmerde résolument celles et ceux qui prétendent que La vérité sur l'Affaire Quebert serait moins de la littérature que Le sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari, cousu de longues phrases somptueuses et sondant les temps humains avec beaucoup d'originalité, ou que Peste et choléra. La littérature est un très vaste pays, même s'il ne faut pas tout mélanger. Jamais on ne mettra Michael Connelly ou Jo Nesbo sur le même plan que Faulkner ou que Fitzgerald, mais le mépris des cuistres ou des coincés pour ce qu'on dit la sous-littérature est parfois à réviser, comme avec Patricia Highsmith ou Simenon. Quant à Joël Dicker, il pourrait encore nous étonner...

    Moi l'autre: - David Caviglioli a parlé de lui comme d'une espèce de sous-Roth sur canevas de téléfilm...

    Moi l'un: - Je trouve ça plutôt méchant et surtout superficiel. C'est vrai qu'on pense à Philip Roth, mais aussi à John Irving ou à Salinger, même à Bret Easton Ellis en lisant Dicker, mais ça n'a rien de l'imitation mimétique ni même de la référence littéraire. Je l'ai plutôt pris comme un élément du "décor" américain. Philip Roth est un peintre de moeurs-styliste dès Portnoy et même avant, et toute son oeuvre est nourrie par sa mère juive et son père barde à Newark, si j'ose dire, sans parler des enchevêtrailles de la relation homme-femme. Et puis il y a la magnifique Trilogie américaine, et le bouleversant Patrimoine, etc. L'oeuvre de Roth est un grand labyrinthe et en constante évolution. Quant à l'oeuvre de Dicker, peut-on dire autrechose qu'elle en est à son tout début, déjà saisissant ? Et le mec n'a pas l'air de se prendre pour plus qu'il n'est. Et je crois qu'il a les épaules assez solides pour ne pas être foutu en l'air par un grand prix. Mais bon: on s'en fout. Sauf qu'un Goncourt à L'Age d'Homme et De Fallois aurait été sympa. Or les rentrées semblent assurées pour ces braves gens, alors...

    Moi l'autre. - Et le roman de Linda Lê, la dame du dernier carré ?

    Moi l'un: - Hélas pas lu, et notre escadron ne parle que de livres qu'il a lus: c'est marqué sur son Ordre de Marche. Donc je me répète: on emmerde les jaloux cauteleux que réjouirait évidemment l'éviction de Dicker, qui a déjà le public, le Grand prix du roman de l'Académie française et la vie devant lui. Mais attendons plutôt lundi...

    Moi l'autre: - À part ça, tu ne trouves pas que l'appellation de "roman" pour le livre de Deville est un peu limite ?

    Moi l'un: - Non, je ne trouve pas. Ce n'est pas une bio d'Alexandre Yersin. C'est une espèce de montage narratif à la fois très précis, hyper documenté, et très libre, moins fluide et vague que de l'Echenoz mais aussi juste et exact, avec sa poésie. Et puis il sent Morges, ce qui n'est pas évident pour un auteur français. Il sent la Suisse chez Yersin, et c'est quelque chose de profond cette Suisse- là. La mère du savant est un géant à elle seule. Je retrouve à fond ma grand-mère dans cette Fanny, qui citait l'Ancien Testament plus souvent qu'à son tour. Et ce protestantisme-là va bien plus loin qu'on ne croit. Il est explorateur et change de vie plusieurs fois en une existence.

    Moi l'autre: - Deville montre bien aussi le côté savant fou de Yersin.

    Moi l'un: - Son Yersin me rappelle un prof de gym du même nom d'Yersin. Fort en dessin et passionné de botanique et d'entomologie, comme le père d'Alexandre, souple comme une liane et violoniste, féru d'astrophysique et de voyages partout, célibataire présumé et fana de motos. Je ne sais s'il avait de la parenté avec le personnage de Deville mais c'est plus que probable, comme tous les Forel savants toqués et bolchévisants sont parents de ce Morges mythique dont on ne peut que foutre le camp évidemment comme le pauvre Louis Soutter ou comme Alexandre Yersin.

    Moi l'autre: - Il y a aussi de l'horloger chez Deville...

    Moi l'un: - Ouais, Joël Dicker est plus ingénieur en mouvement, porté à l'épique à rapides enjambées de phrases, tandis que Patrick Deville travaille dans la dentelle barbelée, si j'ose dire. Sa phrase a de la schlague et de la grâce et du chien. Et puis j'apprécie beaucoup ses mises en rapport. À un moment donné, il rapproche le caractère teigneux de Stanley et de Yersin. Cartographier le Congo aurait d'ailleurs été dans les cordes du Morgien. Comme on imagine Stanley grimpant au sommet du Grand Cornier pour voir plus loin.

    Moi l'autre: - Tu fais allusion à Congo, là , le phénoménal essai-récit de David Van Raybouck.

    Moi l'un: - Oui, là encore on a une sorte de "roman" dicté par la vie. Et qu'on ne fasse pas la moue devant l'"universel reportage" puisque c'est intéressant...

    Moi l'autre: - C'est ça. C'est ce que disait Michel Butor à Bernard Pivot qui lui demandait le pourquoi de son intérêt pour Balzac: parce que c'est intéressant.

    Moi l'un: - On me dira que ce n'est pas un critère de jugement littéraire bien raffiné, mais je nen ai rien à scier: La vérité sur l'Affaire Quebert est un livre intéressant. Pour d'autres raisons, Peste et choléra est également un livre hyper intéressant. Pareil pour l'Autobiographie des objets de François Bon qui nous fait grappiller plein d'objets-souvenirs dans le grenier de nos mémoires vives à partir des mots magiques. Pareil pour le dernier roman de Pierre Assouline dont le personnage nous ramène à Simenon.

    Moi l'autre: - Simenon qu'a j'amais eu le Goncourt !

    Moi l'un: - Je ne te le fais pas dire...

    Image: Souplesse, peinture au doigt de Louis Soutter.

  • Ceux qui se croient malins

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    En mémoire de Michel Bakounine, conseiller littéraire particulier du Tsarévitch.

     

    Celui qui se pique de parler des livres qu'il n'a pas lus vu que tout le monde le fait et qu'il aime faire comme tout le monde même s'il prétend le contraire / Celle qui a fait se poiler le professeur Pierre Bayard en lui lançant comme ça devant 150 étudiants que son livre Comment parler des livres qu'on n'a pas lus était le plus nul des livres qu'elle n'avait jamais lus / Ceux qui ne lisent que les livres auxquels fait allusion Cauet dans ses émissions vues par des millions de gens qui ne lisent pas / Celui qui prétend avaoir lu tous les romans de Nadine de Rotschild / Celle qui kiffe grave ce Dicker qui ne se rase pas genre Gainsbarre ou DSK en fin de partouze / Ceux qui ne lisent rien et ne s'en portent pas plus mal sauf certains qui feraient bien de faire le test / Celui qui tire sur toute forme d'enthousiasme non provoqué par ses seuls cacas bien moulés de vieux gamin chafouin / Celle qui achète tous les Goncourt sans les lire / Ceux qui se rappellent le dialogue marrant de Jules Renard sur l'Académie Goncourt dans L'Oeil clair (Gallimard, 1949,pp. 167-182) qui finit comme ça: - Décidément votre petite Académie n'a pas d'importance. - À qui le dites-vous! - Votre prix est sans valeur. - Il vaut 5000 francs. C'est un joli lot et le billet ne coûte que la peine d'écrire un livre, autant que possible un bon livre. - Qu'est-ce qu'un bon livre ? - Isolément, chacun des Dix le sait, mais, réunis, pourraient-ils se flatter le savoir encore ?" / Celui qui revient souvent au Journal de Jules Renard mais préfère encore les pointes sèches de L'Oeil clair ou le persiflage implacable de L'écornifleur / Celle qui se dit la Renarde du quartier des Bosquets au motif qu'elle a le buisson roux / Ceux qui aiment bien les prix littéraires des autres tout en préférant encore ceux qu'ils reçoivent enfin quoi c'est humain, etc.

     

    Image: Claude Verlinde

  • L'effet Dicker

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    Dialogue schizo

    Moi l'autre: - Et toi, ce battage ou prétendu battage, ce "buzz" autour de Joël Dicker et son roman, ça t'énerve aussi ?

    Moi l'un: - Quel buzz ? Quel battage ? Ce qui m'énerve surtout c'est la façon pour certains de prendre, de plus en plus, les effets pour des causes. Comme il en allait de Jonathan Littell en 2006, je constate d'abord que ceux qui sont les plus sceptiques, voire les plus critiques, n'ont pas ouvert le bouquin. Aussi, le succès déjà fracassant du livre, auprès du public, est forcément suspect aux yeux des "purs" ou des jaloux.

    Moi l'autre: - D'aucuns reprochent au roman de n'être pas assez littéraire pour faire un bon Goncourt.

    Moi l'un: - C'est vrai qu'il est moins littéraire que les romans de Jérôme Ferrari et de Patrick Deville, d'ailleurs excellents tous les deux. Mais cet argument me semble hypocrite. Autant que celui de cette dame, dans le courrier des lecteurs de 24 Heures d'hier, qui salue la qualité du polar en déplorant qu'il soit plus qu'un polar. Mais comme elle dit, dans la foulée, qu'on en arrive bientôt à sauter une page sur deux pour savoir le mot de la fin, on voit le malentendu total. De fait si tu sautes une page dans ce livre, tu en perds la vraie substace et, finalement, le dénouement n'est pas du tout ce qu'on croit. Cette dame ne voit absolument pas, par ailleurs, le questionnement que Dicker pose incidemment sur le contenu même du présuméchef-d'oeuvre de Harry Quebert. Et si c'était un succès sans rapport avec sa valeur réelle ? Et si c'était du sous-Ajar ou du sous-Schmitt. Et si l'imposture allait jusque-là ?

    Moi l'autre: - Un plumitif a évoqué Marc Levy et Guillaume Musso à propos de Joël Dicker...

    Moi l'un: - C'est n'importe quoi. Mais là encore on mélange tout. Parce qu'un livre cartonne il ne peut être littéraire et c'est donc forcément de la daube...

    Moi l'autre: - C'est souvent vrai...

    Moi l'un: - Bien entendu! Mais aurait-on l'idée de mettre Simenon sur le même rang que Barbara Cartland ? En fait ce qui gêne c'est que Dicker écrive un roman passionnant qui intéresse les gens et qui dise en plus quelque chose. On a fait le même procès, à l'époque, aux romans de Martin Suter, qui apportait lui aussi un regard incisif sur la société actuelle avec une dynamique narrative stupéfiante propre à consterner nos autrices et auteurs-autruches. Et voilà que que Dicker se risque à nous faire un peu réfléchir et donne dans la critique du système éditorial ou médiatique américain, entre autres ! Joël Dicker a des idées, tu te rends compte ! C'est comme si on disait que Crime et châtiment ne tient pas la route en tant que polar...

    Moi l'autre: - Tu ne vas pas jusqu'à comparer Joël Dicker à Dostoïevski !

    Moi l'un: - Bien sûr que non, même sil y a quelque chose de dostoïevskien dans la problématique de la culpabilité inscrite dans le roman, par rapport au crime, mais aussi par rapport à la duplicité de l'écrivain. Mais non! Dicker n'est ni Céline ni Dostoïevski. Mais il s'affirme déjà comme un grand "pro" de la narration en dépit de son très jeunes âge. Dicker n'a ni la fluidité musicale de Jean Echenoz ni la proustité somptueuse des phrases de Jérôme Ferrari, ni l'écriture étincelante d'un Patrick Deville, c'est entendu. Mais Dicker est un formidable storyteller et il dit des choses. Or c'est précisément ce qui nous accroche dans le roman, à part la story, comme on dit. Dans le polar, on a quand même à peu près tout vu et ce n'est pas par là que Joël Dicker apporte du neuf et du vif. Stylistiquement, sa phrase n'a pas non plu la ciselure ni l'éclat de la prose d'un Cormac McCarthy, dans le genre parapolar existentiel, poétique ou philosophique, ni le souffle faulknérien d'un James Lee Burke, pour en rester au rayon américain...

    Moi l'autre: - Au rayon français, tu le situerais où ?

    Moi l'un: - Je le situerais parmi les narrateurs à la Volkoff ou à la Marc Dugain, qui ont également touché aux genres du thriller ou de l'essai-roman, avec la même clarté et la même énergie. Mais les personnages de Joël Dicker ont plus de résonance intérieure que ceux de Volkoff, surtout les femmes.

    Moi l'autre: - Vladimir nous a pourtant dit, une fois, qu'un vrai romancier se reconnaissait à la qualité de ses personnages féminins...

    Moi l'un: - Hélas, il ne parlait pas pour lui, quoique puissant romancier... Blague à part, la frise des personnages de Dicker, et la qualité d'évocation de tous les lieux qu'il leur fait traverser, sont impressionnantes. Et puis le montage narratif du roman est assez vertigineux dans le genre des architectures àla Escher...

    Moi l'autre: - Content que ce soit un Romand ?

    Moi l'un: - On s'en bat l'oeil, non mais vraiment. D'ailleurs Joël Dicker est aussi atypique à cet égard qu'un Quentin Mouron, avec une puissance de feu évidemment bien supérieure. En revanche cela me plaît assez que le livre soit défendu par Bernard de Fallois, vieux proustien qui sait mieux que personne ce qui est littéraire ou pas, en complicité avec L'Age d'Homme qui reste historiquement la plus grande maison littéraire de Suisse romande. On est juste triste que Dimitri ne soit plus là pour se réjouir de ce qui arrive au jeune homme dont il a été le premier à reconnaître le grand talent...

  • Ceux qui accueillent les Esprits

     Pajak17.jpgCelui qui a gardé à l'Esprit d'enfance une petite place genre strapontin pour revoir Le Kid ou Amarcord / Cellerqui prendrson café grande tasse du matin avec le Courage / Ceux qui comminiquent avec les Esprits sans faire tourner lestables / Celui qui pressent le pire mais reste serein /  Celle qui voit de loin la Douleur parler avec la Joie sur un banc du parc de l'établissement médico-social La Bonne Rive / Ceux qui ont moins peur de la Peur depuis que le Chagrin les a grandis / Celui qui sait que sous la table il y a d'autres tables / Celle qui les entend soupirer dans son propre soupir / Ceux qui habitent lamaison d 'autrefois qu'il y a en eux tant d'années après qu'elle fut incendiée / Celui qui aimbe bien la Bêtise et l'Impatience qui l'ont fidèleent accompagné dans ses menées souvent fébriles et plus ou moins imbéciles/ Celle qui se tait en compagnie de la Mélancolie montée dans le train à Passau sur la Donau qui se dit Danube en français et au masculin / Ceux qui se demandent ce qui va s'avancer aux frontières avec les années/ Celui qui se rappelle la ruine sur lacollie aujourd'hui menacée par l'esprit win-win /  Celui qui sait que la Pitié a élu domicile dans une bâtisse menacée par les promoteurs / Celle qui se doute que la Mort rôde sans trop s'en inquiéter ce soir pourtant bien noir / Ceux qui reconnaissent la Douleur à ses stigmates / Celui qui n'a jamais lâché la main du Doute / Celle qui est restée fidèle àl'Etonnement sans trop s'étonner du reste / Ceux qui restent interdits devant la Réalité de leur enfat à deux coeurs / Celui qui ne pense pas que les mots d'esprit soient forcément appréciés par les Esprits mais c'est plus fort que lui cette manie / Celle qui accueille la Confiance dans son taudis donnant sur cour / Ceux qui contestent sa majuscule à l'esprit de mesquinerie  Celui qui rôde vers les étangs à guetter l'Esprit des eaux que préfigure l'éclat du diamant au front de la Vouivre / Celle qui nie le monde des Esprits au nom de la science scientifique / Ceux qui se rappellent que l'esprit soffle où il veut y compris dans les églises et les mosquées et les synagogues et même les gogs s'il veut / Celui qui se méfie de la Méfiance / Celle qui fait du trapèze avec l'Hardiesse et baise avec la Sensualité lesbiche parfois comme on sait /Ceux qui culbutent la Beauté avec leur scooter / Celui qui répond à l'esprit de questionnement qui est un attribut avéré de la Curiosité / Celle qui fume sur le trottoir avec le Lyrisme en jeans serrés / Ceux qui préfèrent l'Insolence à l'Indifférence / Celui que la Mort n'inquiète pas même à l'approche de sa Cheffe de Projet /  Celle qui sent battre un autre coeur dans son coeur / Ceux qui aiment les livres qui les aident àlire celui qu'il y a en eux / Celui qui fréquente laPrésenceà tout instant ou tout a moins s'y efforce / Celle que l'Absence a terrassée avat qu'ellene rencontre laConsolation / Ceux qui ont un deal avec la Tendresse, etc.

    (Cette liste a été posée dans les marges du dernier chapitre du Manifeste incertain de Frédéric Pajak, intitulé Les Esprits).

     

  • Ceux qui se rappellent Ibiza

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    Celle qui est sensible au jeu du noir et du blanc genre domino mobile / Ceux qui ont ourdi des complots à Formentera / Celui qui n'a fait que passer dans la villa de l'escroc non sans pisser dans le lavabo / Celle qui se souvient de l'île du Salut d'où elle s'enfuit en notant: "Ce n'est qu'en quittant une chose que nous la nommons" / Ceux qui conseillent le plagiat aux jeunes écrivains en tout cas pour commencer / Celui qui était une véritable anthologie de citations à dix-huit ans au dam de sa girl friend au caleçon de bain de laine bleu pâle peu seyant mais non sans charme / Celle qui a ingéré de la fleur bleue dans la baie de San Antonio / Ceux qui ont capté les mots de l'écrivain balbutiant devant ses tapas. "Les citations dans mon travail sont comme des brigands sur la route qui surgissent tout armés et dépouillent le flâneur de sa conviction" / Celui qui tout à fait nu sur la plage noire se dit que la paix aujourd'hui est toute relative puisqu'elle se nourrit de guerres loitaines et locales qui se détachent de nous sous forme d'images désespérantes / Celle qui tenait les mains de Louis-Ferdinand Céline quand il angoissait le soir vers 1960-1961 / Ceux qui creuseront la notion de fantastique social chez Céline et Thomas Bernhard quand ils auront un moment / Celui qui a remarqué la battue du pied droit de TB pendant sa fameuse interview d'Ibiza où il parle de pureté / Celle qui a suivi le cours sur les Mayas auquel assistait son amant compliqué et le poète Rilke en 1932 à Munich non loin de la cave où les nazis se réunissaient autour du caporal Hitler / Ceux qui ont appris que la petite-fille de la nudiste d'Ibiza s'était fait violer au Mali par des mercenaires islamistes / Celle qui a passé son après-midi dans la grande pièce ensoleillée en compagnie de 333 mouches engourdies par la touffeur / Ceux qui (j'en suis) estiment que la pensée est le plus court chemin entre deux images / Celui qui (c'est moi aussi) alimente sa mélancolie dans les rues de Turin/ Celle qui remarque que les chaises d'une bouleversante simplicité qu'elle regarde dans la pièce principale de la maison donnant sur la mer ont quelque chose à dire / Ceux qui se rappellent le tout vieux de Lanzarote dont le polo vert contrastait avec le noir de la terre de là-bas / Celui qui a relevé le relent phénicien et donc africain se dégageant des objets de poterie figurant la déesse Ishtar et le dieu Baal / Celle qui lisait Sens unique pendant que ses compagnons de la communauté de Villa Alegre se baignaient à poil dans la crique aux criquets / Ceux qui ne retourneront plus en l'île des femmes de ménage, etc.

     

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    (Cette liste a été notée en marge de la lecture du Manifeste incertain de Frédéric Pajak, paru aux éditions Noir sur Blanc)

     

    Image: dessins à l'encre deChine de Frédéric Pajak

  • Ceux qui restent incertains

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    Celui qui prétend qu'il a choisi de ne pas choisir sans en être sûr sûr /Celle qui a toujours préféré les maladroits aux habiles / Ceux qui ont acquis la raideur des gestes obligatoires en ne cessant de se montrer décidés n'est-ce pas / Celui qui estime que c'est avec les yeux des autres qu'on voit souvent le mieux / Celle qui éprouve en elle-même la pesanteur du temps qui éteint le temps / Ceux qui affirment que le présent actuel a perdu la présence du passé / Celui qui n'a jamais adhéré au présent post-hégélien fantasmé par la modernité / Celle qui a passé son enfance au secret et ensuite directement à l'enterrement du mariage / Ceux qui croient en une vérité totale mais hélas inexprimable dans les langues reconnues / Celui qui a échoué comme personne d'autre / Celle qui se la joue mal lunée sans se forcer / Ceux qui se disent épicuriens platoniques / Celui qui n'a jamais pris au sérieux les théories non contradictoires / Celle qui fait sienne l'observation de Karl Kraus selon lequel "plus on regarde le mot de près, plus il vous regarde de loin" / Ceux qui cherchent le mot qui se trouve au bout de la langue de celui qui n'accordera un french kiss qu'à celle qu'il kiffe / Celui qui sursaute en lisant dans le journal intime de Baudelaire: "Belle conspiration à organiser pour l'extermnation de la race juive" / Celle qui préfère la conversation des artisans à celle des assistants en philo / Ceux qui collectent les vestiges de récits oraux sur l'arc alpin / Celui qui est devenu conteur en subissant trop de conversations assommantes sur les thèmes éternels / Celle que le scribe Pajak dit "une fille faite exprès pour les adjectifs" / Ceux qui opinent du chef en retirant l'épine du talon du sous-chef / Celle qui songe à sa vie dans le café vide ce qui s'appelle vide / Ceux qui concluent leur rapport en affirmant que l'odeur de l'argent est essentiellement une odeur d'argent surtout dans les banques suisses où ça ne sent rien / Celui qui n'aime pas Rome ni Florence où l'on se cogne à tout moment à un monument / Celle qui aime s'en mettre pleine la lampe dans la pénombre de l'arrière-salle où Joe le Sicilien lui sert son lieu noir du vendredi soir / Ceux qui déclarent ouverte la chasse aux vieux sans être sûrs sûrs de leur bon droit,etc.

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    (Cette liste a été notée en marge du Manifeste incertain de Frédéric Pajak, qui vient de paraître aux éditions Noir sur Blanc, à Lausanne et Paris)

    Images: Walter Benjamin dans la foule de l'Italie fasciste, en 1924. Dessins à l'encre de Chine de Frédéric Pajak.

  • Ondine

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    Pendant qu’il est en Chine elle est tentée de se taper tous les gars du village, mais elle n’en fait rien: elle préfère se balader seule dans les bois et se rappeler son odeur de poisson, en attendant la nuit et le rêve. C’est par le rêve qu’elle a compris que Nemrod était une façon de silure galbé. Elle reposait dans la vase, elle ouvrait la bouche, il entrait en elle et ressortait les yeux grand fermés; il avait le ventre lisse et jouait à l’envelopper de ses nageoires couleur de lune ou de prune.

    Ce qui la trouble le plus, dans le rêve, c’est qu’il ne la prend jamais avant de lui avoir enfilé par la fente un lingam de jade sur lequel ses dents d’en bas se brisent, après quoi le poisson remonte en elle jusqu'à la rose à fin battant de sa pendule intime.

    Son amie Nulle, dont l’ami est casserolier à l’Auberge du Cerf, lui dit qu’elle est tellement grave qu’elle devrait demander une assistance psy. Or voici que la préposée aux Affaire oniriques du Département freudien de la culture d'Etat, section Bellouve, produit un rapport enrichi naguère par la déposition d'un chamane des Indiens Wipibos. Le document fait état d'une légende amazonienne analogue, où le buisson de la dormeuse abrite une gueule de renarde, dont les dents se brisent sur le bâton du veilleur. Comme quoi le complexe de castration voyage, et parfois jusqu'en la Cité interdite.

    D'ailleurs, quand Ondine pense aux Chinoises elle se sent toute petite: elle sait que là-bas les loutres ont encore le nombre pour elles.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Le grand Tim

    Phallus.gifDe tous les garçons du bourg c’était lui le plus fort au jeu du panier. La moyenne ne tenait guère à plus de deux ou trois pommes; et déjà ceux qui montraient cette vigueur inspiraient le respect. Cependant au milieu des gars déculottés derrière le bosquet du Mort, le grand Tim faisait sensation, le membre en levier, le panier plein et sans s’aider des mains.

     - Bientôt les femmes y feront de la barre, lançait-il crânement. Et de fait le grand Tim fut quelque temps un amant recherché du canton, jusqu’au jour où les siens se mirent en tête de s’installer dans les Laurentides.

    Ainsi les jeunes promesses sont-elles éventées, souvent, par le Temps ou les océans. Vous qui êtes resté, le vieux Clapier vous interroge, au détour du chemin, sur les anciens de la bande dont il disait pis que pendre, comme pour se rassurer, aussi vous faites-vous le plaisir d'affabuler. Ah mais Fanfan la guitare, que vous savez commis de banque, est à présent célèbre dans les pays et donc riche et à femmes, lancez-vous au chafouin. Et celui-ci est à Paris, celui-là dirige une Fanfare - vous savez qu'un tel détail rendra fou jaloux le vieux mesquin - cet autre encore a partout réussi, dont vous savez qu'il a tout foiré. Quant au grand Tim, dont vous ne savez plus rien depuis tant d'années, vous le citez à l'Ordre du Record à l'ancien adjudant qui n'en peut mais:

     - Tim   lève encore, lui balancez-vous. Et Clapier, claqué, va pour se mettre au garde-à-vous...

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Ceux qui subliment

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    Celui qu'insupporte l'usage fautif du verbe sublimer dans le sens intransitivé au dam de la tradition patristique relancée par la psychoanalyse / Celle dont les tabloïds incultes écrivent qu'elle a sublimé le concours de la Star Ac / Ceux qui touchent au sublime en se réappropriant la ptéroductilité de la langue française dans leurs raps post-raciniens / Celui qui est né avec une prédisposition à la chasteté qu'il n'a découvert qu'à 33 ans au Mont Athos où quelques moines s'attouchaient au vu des chèvres candides / Celle qui qui affirme que seul le Seigneur l'a jamais fait jouir et pas vraiment au propre / Ceux qui en sont revenus à la prière du coeur mais n'en font pas un thème de pub / Celui qui a été entouré de tant de soins tendres dans sa prime enfance qu'il lui en est resté des brins de plumes d'ailes ici et là / Celle qui semblait d'un naturel posé mais sortait la nuit / Ceux qui estiment que le porno le plus hard est moins faux-cul que le soft même en prime time / Celui qui s'est toujours défié des vertueux sauf de ses parents qui ne semblaient même pas l'être / Celle qui regrette parfois de ne point avoir assez piné mais c'est du passé alors que le plaisir du jardin lui reste aujourd'hui encore / Ceux qui ont renoncé à la chair sur les injonctions de l'Abbé fort amateur de chère / Celui qui est sorti de ses langes pour entrer en louanges / Celle qui a regretté d'être née protestante à cause du manque de pourpre et d'or dans les temples mais à seize ans la fanfare municipale lui a permis de compenser avec les soutaches ganseés et le képi apparié genre shako / Ceux qui se sont intéressés aux scarabées à sept ans et ensuite aux miracles de Jésus et ensuite aux dirigeables allemands et ensuite aux yeux du Fayoum et ensuite à l'araméen et ensuite aux séries B du porno et ensuite au baroque anglais et ensuite ils ont rencontré Gilberte et tout est rentré dans l'ordre / Celui qui a tant aimé le monde jusqu'à l'immonde qu'il a fui les mondains / Celle qui a tant aimé le monde qu'elle regrette un peu de n'avoir qu'un fils unique à donner aux pompiers / Ceux qui n'embrassent rien faute de tout restreindre / Celui qui s'émerveille de cela qu'il y ait quelque chose plutôt que rien dans sa boîte à messages de ce matin / Celle qui ne consentira pas au mariage gay de son fils Nestor sans prendre des renseignements sur les antécédents du beau-père / Ceux qui n'ont cessé de faire l'amour entre 7 et 77 ans mais après c'est Tintin / Celui qui croit qu'il a l'âge de ses haltères mais c'est à vérifier / Celle qui trouve juste grave qu'on fasse tel un plat de tout ce Kama Soutra et compagie quand la planète crie vermine et famine / Ceux qui ont goûté aux délices des amours et jusques aux orgues de leur enterrement, etc.

  • Ceux qu'il faut museler

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    À notre chien Snoopy et à son compère Droopy condamné par des imbéciles

     

    Celui qui propose d'euthanasier tous les chiens qui aboient / Celle qu'on appelle la Muselière de l'Etat / Ceux qui ont perdu tout sens commun / Celui qui prône le baptême des bichons / Celle qui se fait lécher par son collie / Ceux qui dressent leur pitbull à mordre l'étranger / Celui qui engueule son épagneul quand il ne lui répond pas même en espéranto / Celle qui fait écouter de l'Elton John à son chihuahua / Ceux qui ont le même psy que leur corbeau / Celui qui envie son âne pour le succès de ses Mémoires / Celle qui achète un uniforme de majorette à sa chienne Canule / Ceux qui apprennent la prière à Médor / Celui qui capture un lézard pour lui enseigner le solfège / Celle qui affirme que toutes les toiletteuses de chiens sont des gouines / Ceux qui font repeindre leur tortue aux couleurs du drapeau national / Celui qui préfère les chats aux enfants vu que ça coûte moins et que ça ne déçoit jamais / Celle qui milite pour la décriminalisation de l'IVG des hamsters / Celui qui tire sur les escadrilles d'étourneaux qui survolent son jardin privatif sans autorisation du Ministère / Celle qui a mangé tous ses chiens tant elle les aimait / Ceux qu'émeut l'anorexie de leur levrette plus que la faim dans le monde / Celui qui veut se faire enterrer avec Iago le fidèle / Celle qui crucifie son chat pour qu'il ressuscite / Ceux qui ouvrent un Doggy Blog / Celui que fascinera toujours la beauté sans pareille de l'animal / Celle qui aime le chat domestique au propre et le sauvage au figuré / Ceux qui abandonnent les chats qu'ils ont adoptés et ne savent que faire de leurs enfants non désirés / Celui qui préfère son chat Gabin à sa femme Simone / Celle dont la chiennerie est naturelle / Ceux qui proposent de châtrer tous les chiens non affiliés au Parti du progrès social-démocrate-chrétien-conservateur / Celui qu'on euthanasie pour son non-respect des lois du marché / Celle qui vote avec sa queue / Ceux qui avaient oublié que les humains fussent si bêtes, etc.

  • La pécheresse

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    …Voilà, mon cher François-Marie, voilà ta mère, je tenais à ce que tu le saches, je n’ai pas approuvé sa conduite et qu'elle posât ainsi devant un débauché notoire, mais cela aussi tu devais le savoir. Maintenant que tu as prononcé tes Voeux et reçu la Tonsure je pense que tu es en mesure, comme je l’ai fait après t’avoir confié aux Ursulines au lendemain de ta venue au monde, de lui pardonner à ton tour sa Faute…

    Image : Philip Seelen

  • Entrée de jeu

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    Ce ne serait pas un livre de cul mais une féerie. L'érotisme y jouerait volontiers, au sens le plus large et comme dans un rêve où la chair est tellement plus réelle - comme dans un poème dont le verbe exulterait. En outre, s'agissant bel et bien de ce qu'on appelle La Chose, il y aurait le rire qu'elle appelle et par la surprise jouissive de son irruption, et par son incongruité. Quelle chose en effet plus étonnante et plus saugrenue pour l'enfant que de bander pour la première fois ! Donc ce rire serait joyeusement interloqué, pouffant comme chez la toute jeune fille, touffu comme une motte ou un buisson, jailli comme un lézard de son muret ou comme un nichon de son balconnet, clair comme le mot clair.

    Car ce serait avant tout une affaire de mots que ce livre de baise au sens très large, je dirais: rabelaisien, mais sans rien de la gauloiserie égrillarde trop souvent liée à ce qualificatif. Rabelais est trop immensément vivant et aimant en son verbe pour être réduit à ce queutard soulevant rioules et ricanements dans les cafés et les dortoirs. Rabelais est le premier saint poète de la langue française, qui ne bandera plus d'aussi pure façon jusqu'à Céline, le terrible Ferdine. Et Sade là-dedans ? Non: il y a trop de Dieu catholique chez Sade, trop méchant de surcroît à mon goût.

    J'ai bien écrit: à mon goût, et j'entends qu'on souffre ici que je me tienne à mon goût, bon ou mauvais, lequel se retrouve au reste dans toute la Nature, qui jouit et se rit de tout.

    Serait-ce alors un livre seulement hédoniste que La Fée Valse ? Certes pas, et moins encore au sens actuel d'un banal bonheur balnéaire. Je voudrais ainsi ce livre joyeux et grave, allègre et pensif, tendre et mélancolique, sérieux et ludique au sens du jeu le plus varié - et quoi de plus sérieux et grave que le jeu de l'enfant ?

    L'érotisme de l'enfance est plein de mystère échappant aux sales pattes de l'adulte. La pureté de l'enfant échappe encore à toute mauvaise conscience, dans le vert paradis de la chair innocente que retrouve la mère-grand des contes quand elle se branle.

    La Fée Valse découlerait de la même recherche d'une pureté sans âge dégagée des miasmes de la morale, sans obsession ni provocation criseuse, lâchée dans ses cabrioles matinales et vivant ensuite au gré des journées, de la jeune baise aux vieux baisers, sans cesser de rire ni de sourire à la bonne vie.

     

    La Désirade, ce 23 octobre 2012.

     (Ce texte constitue le préambule de La Fée Valse, recueil à paraître)

  • Ceux qui triangulent

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    Celui qui répercute le contenu perso de la correspondance qu'on lui adresse sur l'ensemble des réseaux sociaux et environs / Celle qui vient aux nouvelles de la vie intime de celui que surveillent ceux qui en ont le temps / Ceux qui ont perdu toute notion de réserve / Celui qui diffuse de fausses infos sur Internet pour en observer les effets directs ou collatéraux / Celle qui se mouche avec l'Index catholique / Ceux qui prennent les vessies de Facebook pour des lanternes vénitiennes / Celui qui est virtuellement déconnecté tout en faisant comme si de rien n'était / Celle qui sait très exacement ce qui est publiable et ce qui ne l'est pas / Ceux qui font objet publicitaire de tout ce qu'on dit à propos d'eux où que ce soit / Celui que fatigue l'indiscrétion généralisée / Celle qui affrime que la muflerie l'a tuer / Ceux qui communiquent en toute limpidité sur fond glauque / Celui qui chante même sans être écouté / Celle qui aime les choeurs d'enfants et les regards clairs / Ceux qui font dans le ragot utile / Celui qui se remet à la correspondance postale en dépit de son écriture indéchiffrable à l'encre verte peu prisée des postiers / Celle qui conserve toutes tes lettres dans la classique boîte de bois de rose entourée d'une faveur / Ceux qui ont encore quelques secrets non divulgués dans les revues Gala et autres Look my Asshole / Celui qui écrit pour être moins seul alors que seuls Dieu et son chien le lisent encore / Celle qui prétend qu'elle lit dans les pensées de Dieu mais sa concierge estime que c'est exagéré / Ceux qui jabotent dans les buvettes / Celui qui se dit très seul pour faire l'intéressant / Celle qui se gausse du vieil égomane kleptophile / Ceux qui font un peu de stretching sur le toit pour se calmer quand ils bandent au bureau / Celui qui lit Congo et en apprend de belles sur le pillage philanthropique des Belges et autres Bienfaiteurs / Celle qui trouve que son chien Snoopy et les animaux en général araignées comprises incarnent la Beauté pure / Ceux qui se parlent le temps de la pause et ensuite plus rien, etc.

    Image: Philip Seelen

     

  • Ceux qui maximisent leurs perfos

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    Celui qui donne raison au plus offrant / Celle qui est toujours d’accord avec le prochain qui parlera / Ceux qui se laissent convaincre par le bleu cobalt de la cravate du chef de projet genre Ara hyacinthe / Celui qui braconne dans les Préalpes et se viande sur les vires de schiste au ravissement des dames bouquetins /  Celle qui proteste qu’elle n’est pas futurologue quand tu lui demandes poliment ce qu’elle fera dimanche avec votre fils Kevin dont elle a la garde malgré ses dix-neuf ans et son addiction à la colle / Ceux qui se rendent à la discothèque en corbillard / Celui qui s’ennuie à la réception de L’Entreprise dont il a la garde la nuit sans même un chien d’attaque / Celle qui lève des haltères pour rester fit / Ceux qui voient l’ambulance s’éloigner avec un serrement de cœur / Celui qui se détache de lui-même et prétend que c’est sans regret mais son air dit le contraire / Celle qui du Minitel a passé à Meetic et Twitter pour en revenir au Muscadet / Ceux qui hantent les ports embrumés de leurs verres de Brandy / Celui qui n’a jamais supporté les angles de la réalité / Celle qui fuit dans les parenthèses de neige / Ceux qui n’ont pas profité des indépendances pour se faire des empires / Celui qui ne peut plus régater faute d’alizés / Celle qu’on oublie dans la zone tampon / Ceux qui estiment que tout est à repenser en termes générationnels sinon comprendre ces Y qui se demandent why ? / Celui qui se dit philosophe sociologue et qui fait pas mal non plus les œufs au plat / Celle qui s’est occupé du linge de corps de plusieurs membres connus de l’Ecole de Francfort / Ceux qui voient Norbert péter un plomb à la salle de musculation et ne s’en étonnent point vu son manque de perfos en affaires / Celui qui affirme donner tout Montaigne pour une page de La Boétie et se fait ainsi remarquer des dames du premier rang qui se demandent si cette Boétie avait du bien / Celui qui explique à ses lycéens que Montaigne et Pascal ne boxaient pas dans la même catégorie / Celle qui s’enquiert de ta santé avec la sollicitude de  qui cherche à monter en grade / Ceux qui se reconnaissant dans le bain de vapeur s’ignorent aussitôt / Celui qui n’en peut plus de se contenter de si peu même en comptant ses Bonus /  Celle qui dispose des petits numéros à côté de chacun des morceaux du suicidé au plastic / Ceux qui s’étonnent de ne plus s’étonner, etc.

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui se lâchent

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    Celui qui jerkait déjà au temps du twist / Celle qu'on appelle la fontaine / Ceux qui élèvent des pulsions sauvages / Celui qui t'assome de bons conseils / Celle qui se signe quand elle saigne / Ceux qui souffrent de n'être pas vraiment reconnus dans le quartier chinois dont ils sont les seuls habitants à se nommer Pilon-Mortier / Celui qui prétend qu'il se jette du haut de la falaise chaque fois qu'il écrit ses poèmes de présumé maudit / Celle qui se jette au cou du très beau condamné en passe de se le faire couper ah mais quelle excitation n'est-ce pas / Ceux qui avalent un pâté de maisons et en recrachent les pavés cariés / Celui qui a un coeur de pierre à briquet / Celle qui pratique l'humour libre en écoutant G Love dans son jacuzzi multifonctions / Ceux qui se réjouissent de voir de vraies vaches en Gruyère après tant de marcheuses allemandes à Marrakech / Celui qui écrivait comme ça que les machines sont le seules femmes que les Américains savent faire gémir / Celle qui constate que les Anglais ont des bouillottes en guise de vie sexuelle / Ceux qui ont fait inscrire "La vie sexueelle fut sa mort" sur la tombe du bicandier jamais repu / Celui qui ne sait pas si son voisin Gédéon est vraiment bon faute d'y avoir goûté / Celle qui reconnaît avec humilté qu'elle s'est mariée le même jour que son époux Clothaire Troublefête / Ceux qui estiment que Miss Météo ne brasse que du vent / Celui qui finalement se trouve pas mal dans le miroir déformant / Celle qui te répond zut en cinq lettres / Ceux qui écrivent des livres qui bourrent sans remplir / Celui qui commente ce dont il ignore tout avec l'imbécillité satisfaite de l'intellectuel responsable prisé des plateaux de télé / Celle qui roule des pelles au chauffeur de son cercueil décapotable / Ceux qui ont des réserves de capotes de fiacre dans leur baise-en-ville, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Destination Terre de feu

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    Matteo, alias Matthieu Ruf, et Daniel Vuataz, dit le Kid, se font la malle. Première destination du duo: le Pays basque. Ensuite solo pour Matteo: la Terre de Feu. Bon vent les lascars !

     

    16 octobre 2012, 6h42, gare de Lausanne, Suisse. L’heure de partir en voyage.

    Une (vague) destination, de celles qui font rêver, malgré toutes les tentatives de les déromantiser: la Terre de Feu. Un itinéraire: le Pays basque, Madrid, le port d’Algeciras (Gibraltar), la traversée de l’Atlantique à bord du cargo Hanjin San Diego, New York, peut-être Montréal, peut-être Boston, puis la Colombie, l’Equateur, le Pérou, le Chili, et enfin l’Argentine…

    Au cours de ces six mois de voyage, écrire à l’encre de Patagonie ce qu’on traverse, ceux qu’on rencontre, ce qu’on lit et ce qu’on voit. Ecrire des reportages et prendre des photos. Partager un bout de chemin avec des amis d’ici (Daniel Vuataz) et de là-bas (?). Se prendre des coups de vent dans la figure et, comme disait García Marquez, vivir para contarla.

    Récit de voyage à suivre sur le blog de Matthieu: http://Matthieuruf.wordpress.com

     

     

  • Ceux qui vont leur chemin

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    Celui qui file droit en multipliant les zigzags / Celle qui peint même quand elle a l’air de ne rien foutre / Ceux qui se tiennent par la main dans la foule endiablée de la Love Parade / Celui qui retrouve ses papiers de jeunesse et les promesses qu’il s’est faites ou pas et qu’il a tenues ou pas / Celle qui redoute les hésitations de son amant Janus / Ceux qui sont peu aimés en retour de leur peu d’amour / Celui qui met ses œufs dans plusieurs paniers sans se rappeler au juste quels œufs et dans quels paniers / Celle qui dit à Fanfan qu’un chien vaut deux tu l’auras mais Fanfan l’aura point de chien à la fin / Ceux qui se laissent survivre / Celui qui pense trouver la faille de l’Auteur dans ses écrits posthumes / Celle qui ne voit en l’Auteur qu’un petit garçon plutôt chiant comme la mère de Proust sauf que la mère de Proust était encore plus chiante que Proust / Celle qui cherche des allusions dans tout ce que Jean-Sébastien écrit sur Facebook / Ceux qui renoncent à Farmville pour se remettre au jardinage évidemment plus pénible quand on a un début d’arthrose / Celui qui joue du clavecin dans son mas des alentours de Grignan / Celle qui identifie Scarlatti dans la garrigue / Ceux qui écoutent le solo solitaire de Jeannot Loiseau sous la lune rousse / Celui qui sublime ses angoisses en peignant des naufrages à la Turner ou ce genre de choses / Celle qui est physiquement sous le coup du physique pour ainsi dire métaphysique du fantastique Abbé Python / Ceux qui se sont rencontrées à la Braderie des Brodeuses dite des Pisseuses par Jaquemin le zoophile / Celui qui reste très Chaminadour dans ses nostalgies cantonales / Celle qui se vante d’avoir fait ceci et même cela avec Tite-le-Long mais on n’a pas de preuves / Ceux qui se rencontrent en certaines maison où le père Céleste du Mesnil de droite souverainiste partage les faveurs des plus belles Roumaines avec son fils Hector-Aurélien de gauche extrême / Celui qui se reconnaît dans le journal intime de l’écrivain M. qui le lui a légué pour achever de le séduire à mort / Celle qui se sert des papiers secrets de son ex sans pouvoir fournir de photos au tabloïd qu’elle sollicite donc c’est cuit ma salope / Ceux qui se régaleront ce midi d’un haricot bien gras dont Molière affirme qu’il est le top du top, etc.
    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui prennent du recul

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    Celui qui se retrouve à fumer tout seul dans la première neige / Celle qui jette du pop-corn aux mouettes du même blanc cireux que son teint de jeune fille éternelle / Ceux dont le miroir a un peu froid ce matin / Celui qui cherche une rime à solitudine mais rejete la facilité d'abitudine/ Celle qui endosse un chèque sans provisions pour cet hiver / Ceux que Facebook éloigne ces jours les uns des autres / Celui qui aime les auteurs que les snobs snobent genre André Gide ou Jules Romains / Celle qui se refuse un croissant au beurre de plus après avoir lu un article du Matin sur les enfants de Somalie / Ceux qui ne connaissent que la faim des autres / Celui qui se rappelle ce que sa tante lui racontait à propos de l'entrée des Prussiens à Metz (ou à Colmar) qu'elle devait tenir d'un grand-oncle bottier ou peut-être du père de celui-ci bottier lui aussi et fumant du petit gris / Celle qui qualifie de vieillerie tout ce qui n'est pas neuf ou plus ou moins américain / Ceux qui lisent la prose d'Echenoz pour se fluidifier les bielles mentales / Park Hotel.jpgCelui qui se souvient nettement d'un Monsieur Bureau et d'une dame Frelon rencontrés dans un rêve fait en la chambre 219 du Park Hotel de Lubumbashi / Celle qui portait une coiffe d'intérieur à bordure de dentelle sur l'autochrome photographique rappelant son souvenir à ses hôtes de la rue de Seine tous enterrés depuis longtemps eux aussi /Chet2.jpg Ceux qui aiment entendre dialoguer Gerry Mulligan et Chet Baker en se rappelant le dernier concert de celui-ci dans une cave parisienne dont j'oublie le nom qui n'est pas le Blue Note mais la mélancolie n'en est pas moins là même le jour dédié à Sainte Thérèse d'Avila / Celui qui reste pensif devant cette pensée de Paul Morand selon lequel "la honte n'est pas toujours la conscience du mal que nous faisons, elle est souvent la consciece du mal qu'on nous a fait" / Celle qui se rappelle que Thérèse d'Avila commençait ses instructions spirituelles aux novices en les faisant récurer les salles communes du couvent / Ceux qui font un pas de côté pour mieux avancer / Celui qui aura vite fait le tour du petit cynique genre monte-en-selle / Celle qui selle la jument Céleste / Ceux qui n'en finissent pas de se rafraîchir au torrent des matinées passées ou présentes ou à venir tant qu'ils y sont , etc.

  • L'Afrique et après ?

    Lushi18.jpgDialogue schizo

     

    Moi l'autre: - Et après ça ?

    Moi l'un: - Après ça, quoi ?

    Moi l'autre: - Après l'Afrique, qu'est-ce qu'on en a de plus ?

    Moi l'un: - Après quelle Afrique ? Tu trouves qu'on a vu l'Afrique, toi ?

    Fiston13.jpgMoi l'autre: - Enfin si quand même, un peu. Que de loin, c'est vrai, comme en passant, mais on a vu des bouts de pays du haut du ciel, des bouts de bords de routes, des bouts de buttes à termites et des bouts de marchés populeux ... Et puis des gens, on a vu quelques gens, qu'on reverra peut-être plus tard. Quand même sympas, non ? La Bestine, l'Ana et la Domi, le Fabrice et le Mwanza Fiston, le Bofane et le Vincent au béret vert, plus quelques autres. On a vu le Gouverneur Moïse Kitumba dans ses meubles. On a vu un bout de la moquette de son stade. On a vu un bout de jardin du Consul de Belgique. On a vu quelques groupes de rumba congolaise et de rap de Lubumbashi à la Halle de l'étoile dont on a vu le complet blanc du directeur genre personnage à la Simenon à belle épouse et enfant noirs. On a vu là un bout de pièce de théâtre assez cocasse. On a vu divers profs distingués de diverses facultés de lettres parlant comme Bourdieu mais d'autres qui avaient des choses à dire aussi sans parler des écrivains venus d'un peu partout. On a vu les nids-de-poule des parkings de l'université. On a vu les chiottes côté mecs délabrées de la faculté des Lettres. On a vu les étudiants fêtant leurs diplômes en grandes tenues. On a vu moi l'un et l'autre se fagotant de chemise et de cravate dans une boutique de fringues du fond d'une cour avant de se pointer chez le Gouverneur. On a vu des ombres rôder le long des rues nocturnes comme dans les alentours du MAD à Lausanne. On a vu...

    Moi l'un: - Et tu trouves que c'est voir l'Afrique, ça ? Une paire de touristes lambdas n'en aurait-elle pas vu plus en voyage organisé ou au Club Med ?

    Moi l'autre: - Non, je ne crois pas, à part le gnou, l'okapi et quelques beaux paysages. Et d'ailleurs toi non plus...

    Tunisie88.jpgMoi l'un: - T'as raison, mais c'est pas facile à démêler, ce qu'on ramène d'un voyage, surtout ce genre de trips journalistiques ou culturo-littéraires. Tu te rappelles la Tunisie en 1972, le Texas et la Côte Est en 1981, le Japon et la Californie en 1987, Le Canada plusieurs fois, la Pologne trois fois, et l'Italie, la Suède, le congrès du P.E.N. à Dubrovnik en pleine guerre, Vienne en 2005, Toronto et Montréal en 2003, Vienne en 2005, l'an dernier la Grèce et la Slovaquie, après la Tunisie...

    Moi l'autre: - La Tunisie, c'était un voyage perso avec Rafik Ben Salah qui nous a fait rencontrer sa famille et des gens de sa connaissance: du coup c'était différent de ces "missions" et autres colloques.

    Moi l'un: - C'est vrai qu'en dix jours de Tunisie on a vu cent fois plus de choses qu'au Congo où finalement on est restés trois jours coincés entre deux immenses voyages et des travaux auxquels on ne pouvait pas couper - d'ailleurs parfois intéressants, je ne dis pas...

    Moi l'autre: - Fabrice Sprimont, l'un des organisateurs belges, avait l'air content qu'on soit là avec Max Lobe...

    Moïse.jpgMoi l'un: - Mais tout le monde il était content ! Même sans trop savoir comment se goupille ce "machin" de la Francophonie, pour reprendre l'expression du général De Gaulle à propos de l'ONU, on a joué le jeu sans trop se poser de questions sur les occurrences politiques de l'affaire. Etions-nous en train de cautionner indirectement le régime de Joseph Kabila ? Je ne le crois pas. Et remettre en cause le fait qu'on parle de littérature alors que la population a des besoins plus urgents n'a pas de sens non plus. Nous n'étions pas là que pour papoter mais pour nous frotter, même de loin, à un bout de réalité, et la légitimité académique et officielle reconnue à ces débats peut être le début de quelque chose - disons qu'on fait confiance aux gens de bonne volonté qui y ont travaillé. Et puis, et même avant tout, c'est bel et bien par l'écriture et la lecture qu'on se libère de la dépendance en général et des tyrans en particulier. Enfin c'est par ses écrivains que l'Afrique a commencé de nous parler et de vivre en nous...

    Moi l'autre: - On a lu Les Damnés de la terre de Frantz Fanon à vingt ans, et le Discours sur le colonialisme de Césaire qui est un fabuleux morceau de prose française, mais quad tu dis écrivains tu penses, plutôt qu'idéologie: pleine pâte du roman ou profération du théâtre.

    Kourouma.jpgMoi l'un: - Je pense à l'Afrique de Conrad et au Congo de Gide avant celle d'Amadou Hampaté Bâ ou de Mongo Beti, de Sony Labou Tansi ou de Tchicaya U'Tamsi. Et rencontrer les écrivains, aussi. Parce que rencontrer le géant Kourouma à Paris, rue Jacob, dans un troquet où il peinait à caser ses jambes, rencontrer Wole Soyinka de passage en Suisse après son Nobel, rencontrer Henri Lopes ou Boniface Mongo-Mboussa et parler de leurs livres a été la prolongation "physique" de ce début d'impérgnation par la lecture, comme de fouler la terre du Katanga. Quand, deux jours après avoir commencé la lecture de Mathématiques congolaise, on est tombé avec le Maxou sur Jean Bofane à Lubumbashi, ç'a été du vif même si ça n'aura pas de suite. Je n'en sais rien: je m'en fous un peu, les écrivains sont ce qu'ils sont et j'aime bien que chacun conserve sa liberté. Je me rappellerai la voix grave de Bofane et je l'ai vu danser, après quoi je lirai d'un autre oeil son prochain roman sur les Pygmées et la mondialisation qu'il nous a annncé...

    Moi l'autre: - Et les deux fistons...

    Maxou9.jpgMoi l'un: - Le Maxou, alias Max le Bantou, c'est une Afrique que j'aime dans son mélange de vitalité et d'inquiétude, de gaîté juvénile et de tristesse ravalée. Sans lui, ce voyage n'aurait pas été ce qu'il a pu être, avec autant de rencontres naturelles et d'échanges. L'ami Jean-Philipe Jutzi, à Présence Suisse, l'a choisi pour ses compétences particulières et son entregent, mais ce que j'aime surtout chez lui est sa façon,par l'écriture, de traduire la réalité la plus cuisante avec une espèce de clarté rieuse. J'y retrouve le pleurer-rire d'Henri Lopes...

    Moi l'autre: - Quant à l'autre Fiston, Mwanza Mujila, c'est aussi l'Afrique de demain...

    Moi l'un: - C'est du plus âpre et du plus lyrique que Maxou. Son Tram 83 dont il nous a envoyé le tapuscrit après le Congrès est une espèce de rhapsodie free jazzée. Cela me touche assez de penser que ce lascar est écrivain-résident à Graz, en Autriche, et qu'il ressaisit le bordel congolais dans ce roman-poème en quête d'éditeur. On a suivi l'aventure de la mise en forme de 39, rue de Berne, qui paraîtra enjanvier chez Zoé sous le nom de Max Lobe, et j'espère bien que Fiston Mwanza trouvera lui aussi un interlocuteur de cette qualité...

    Moi l'autre: - Sans oublier le manuscrit du bon Bona !

    Bona3.jpegMoi l'un:- Ca va de soi ! Mais ça aussi c'est l'Afrique: cette indolence fataliste. Le bon Bona Mangangu nous fait un roman épatant sur la dernière nuit du génial Caravage. On voit paraître des tas de livres "possibles" mais pas indispensables, et voilà un tapuscrit que trois éditeurs m'ont refusé jusque-là tandis que Bona se tourne les pouces dans son hamac. Mais on va le secouer, allez. Dès qu'on aura fini de lire Congo. Une histoire de David Van Broucker, cette fabuleuse épopée d'un pays aussi fascinant que martyrisé, on saute dans l'Easy Jet de Manchester et sus au bon Bona pour qu'il se sorte enfin les pouces...

    Congo14.jpgMoi l'autre: - Donc l'Afrique ne fait que commencer !

    Moi l'un: - Et comment ! Moi je la vois de plus en plus partout, pour le pire et le meilleur. En Suisse je la vois aussi comme un retour à nos sources, mais ce qui m'intéresse n'est pas le méli-mélo sentimental genre sanglot de l'homme blanc. Bien plutôt la confrontation avec le réel qui va de maux en mots et pour ce qu'on aimerait bien le bien de tous, ou tout au moins le moins pire...

  • Ceux qui vont au Fleuve

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    Celui qui sort à reculons de la case du sorcier / Celle qui voit ce qui est comme c'est / Ceux qui pensent ne pas savoir sans le dire / Celui qui constate que la matière brute du mensonge est sans éclat / Celle qui confirme que la matière brute du réel ne se négocie pas au rabais / Ceux qui se sont bercés de la chanson Un jour tu reviendras au pays / Celui qui n'en peut plus d'entendre leurs "alleluiardises" / Celle qui s'en remet aux artistes de rue / Ceux qui réapprenent à lire dans l'effacement du rationnel / Celui qui regarde le Fleuve se jeter dans l'océan comme une trombe expulsée par un trou de serrure / Celle qui se demande si vraiment l'état du monde la regarde / Ceux qui se trouvent au seuil d'un monde inconnu / Celui qui s'est mis à l'écoute des voix innombrables / Celle qui demande aux gens ce qu'ils mangeaient avant la guerre et pendant et après / Ceux qui découvrent la ville-monde aux couleurs délavées / Celui qui redécouvre l'unvers tactile / Celle qui ferme les yeux quand l'aïeul parle / Ceux qu'éblouit le blanc du manioc / Celui qui remplit un carnet des propos précis de l'homme-mémoire / Celle qui nettoie la poire à lavement du Tout-Vieux / Ceux qui sont plus grands que vous en "pouvoir de Dieu" / Celui dont la vie recoupe l'histoire de son pays sous divers régimes politiques et alimentaires / Celle qui se rattache à ceux qui sont "du fleuve" / Ceux que la curiosité fait bouger partout sans bouger parfois / Celui qui est ému par le seul terme de rift à cause du souvenir d'Olduvaï / Celle qui compare l'immense forêt vue d'avion à un brocoli sans fin / Ceux qui ont appris que le terme de bantou est le pluriel de mantu qui signifie les gens / Celui qui parle volontiers de l'élasticité de sa conscience tribale à ses potes de la fameuse boîte-monde Tram 83 / Celle qui se gave de bananes plantain dont les moustiques anophèles n'aiment pas l'odeur / Ceux qui communiquent par le moyen d'un langage tambouriné plus subtil que celui des SMS / Celui qui va passer une semaine de rêve dans le chalet Sun Arbois à Megève (France socialiste) qui se loue 35.000 euros les sept jours sans compter les massages et le chauffeur / Celle qui n'a jamais pris le train au Congo RDC vu qu'il n'y en a pas / Ceux qui apprécient la déco africaine très cool du chalet de sept pièces qu'ils louent à Verbier avec leurs amis échangistes investisseurs au Katanga / Celui qui sait qu'au XVIe siècle un missel valait plus q'un esclave à la courbe du Fleuve / Celle qui sourit quand elle lit ici que "le rêve et l'ombre sont de très grands camarades" / Ceux qui disent au poète qu'il ferait mieux de trouver un job utile genre médecin des riches ou trafiquant de produits structurés / Celui qui compte au nombre des disparus non recensés donc supposés inexistants / Celle qui s'est peroxydée afin de reconquérir le sexa qui se la joue Abou Chraibine Salem / Ceux qui slament en strings / Celui qui colle ses poèmes sous les roues de la locomotive 83 pour en marquer les rails virtuels / Celle qui a vu les cheveux de son fils blanchir en une nuit de cris / Ceux qui gardent la Parole comme un feu, etc. 

    (Cette liste a été jetée en marge de la lecture des Carnets nomades de Bona Mangangu, de Congo. Une Histoire de David Van Raybrouck, et de Tram 83 de Fiston Mwanza Mujila )

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  • Ceux qui reviendront

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    Celui qui n'en finit pas de se poser des questions éternelles voire sempiternelles sur la véranda de l'hôtel colonial décolonisé / Celle qu'appelle le Seigneur mais qui ne l'entend pas vu qu'elle est en boîte-là / Ceux qui évoquent le "problème congolais" avec des mines concernées tout en préférant sans l'avouer le Continental Breakfast et les boutiques du Sheraton de Vegas/ Celui qui reste muet devant le Monument aux porteurs / Celle qui se rappelle que l'uranium des premières bombes A venait du site de Shinkolobwe près de Likasi / Ceux qui restent médusés devant la termitière / Celui qui invoque ses ancêtres bantous présents sur cette terre de Lushi dès l'âge de fer / Celle qui a fait son mémoire d'histoire sur les tribulations du roi des Baluba / Ceux qui vénèrent Moïse Katumbi le papa du Tout Puissant Mazembé l'équipe vedette du foot congolais / Celui qui a parlé de la richesse du sous-sol katangais comme d'un "scandale géologique" qui n'a pas vraiment scandalisé les compagnies minières de divers pays / Ceux qui se promettent de revoir Katanga Business après avoir serré la papatte de l'avenant Gouverneur aimé de ses concitoyens / Celui qui dédie un beau poème à la Lolita Kasaï / Celle qui reste baba devant les chutes de la Lofoï carrément plus hautes que celle de Lauterbrunnen pourtant chantées par Wolfgang von Goethe le poète teuton / Ceux qui font de la pêche à la bougie sur le lac Mwero / Celui qui chemine sur la piste de Kilela Balanda en fredonnant un hymne au Congo River / Celle qui se trouve réellement bouleversée (bouleversifiée écrirait l'écrivaine Maguerite Duras) par la nappe d'eau claire sous un calme ombrage figurant la source du fleuve / Ceux qui ont une pensée émue pour les étudiants massacrés à l'université-là par les séides du Maréchal vous-savez-qui / Celui qui va faire du beach volley au nouveau complexe sans complexes de La Plage avant d'aller draguer les belles expats du Karibu / Celle qui danse avec les locaux chez Ntemba / Ceux qui se promettent de se revoir au PICHA et plus si affinités, etc.   

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  • Ceux qui colloquent dans la forêt

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    Celui qui débarque pour la première fois en Afrique noire et se pique d’échapper aux moustiques grâce à l’application de l’Anti-Brumm Forte / Celle qu’interloque la première panne d’électricité générale sur le marché nocturne / Ceux qui viennent de diverses planètes au pied du baobab avec le même appareillage informatique / Celui qui présente son passeport à croix blanche avec le geste délié d'un danseur de flamenco que raillent ses amis à passeports bleus ou verts / Celle qui refile cinq euros au jeune type a veste marquée Katanga Express qui lui a promis de retrouver sa valise dans le tas de bagages empilés jusqu’au plafond devant le tapis roulant ne roulant plus et qui en concède cinq autres quand l’objet lui est ramené une heure plus tard / Ceux qui se sont juré de garder un flegme plus afro que british / Celui qui a rêvé dans l’avion qu’il dormait dans un lit de format King Size flottant sur le fleuve Congo / Celle qui recopie les enseignes lyriques des boutiques multicolores des bords de routes style Au jardin du seigneur ou Au bon poil coiffure ou Bienvenue marteau tout l’outillage ou Chez Vertu les beaux agrumes / Ceux qui découvrent le campus de l’Université de Lushi dont les étudiantes et les étudiants en surnombre lui évoquent une volière en folie / Celui qui raffole illico de la rue africaine après la tombée de la nuit / Celle qui esquisse un mouvement de rumba congolaise après avoir retrouvé son amant zoulou en costume lamé argent de prof de linguistique à Namur / Ceux qui remontent le fleuve de la rue bigarrée aux petits marchands / Celui qui est vacciné contre la fièvre jaune mais pas contre la transe de bonheur qui l’envahit dans la rue des gens / Celle qui a été nommée Commandante des ateliers d’écriture finalement remplacés par des tables rondes disposées en carré / Ceux qui descendent dans l’ancien hôtel colonial aux chambres vastes comme des cases de réus tribales / Celui qui écoute les parleurs parler / Celle qui a développé un petit projet culturel dans la région des grands lacs / Ceux qui ont lu Tintin au Congo et ne retrouvent pas Milou dans les couloirs de l’hôtel ex-belge / Celle qui prend l’évidence de la pauvreté en pleine poire / Ceux qui ont en Suisse un permis C et en Afrique un permis de sourire dont ils usent à bon escient / Celui qui se sent plus chez lui dans la foule congolaise que dans celle du métro de Tokyo à l’heure de la ruées aux bureaux / Celle qui aime les écrivains comme ils sont ce qui est tout dire / Ceux qui ont tant des choses à dire qu’ils le disent tous en même temps / Celui à qui sa mère recommande de Douala de ne pas oublier la parole en se pointant à ce congrès des écrivvaisn où il doir honorer la Suisse / Celle qui engage tout le monde à danser sur le rythme irrésistible de Karibu kwetu ku katanaga / Ceux qui redécouvent les vertus de la langue-geste, etc.

    (Cette liste a été jetée sur un carnet vert de marque PaperBlanks en marge des débats du Congrès des écrivains francophones de Lubumbashi en la chambre 212 du Park Hotel aux dimensions d’une suite ministérielle à véranda surplombant les rues populeuses).

  • Le parloir aux oiseaux

    Notes en Bofane7.jpgchemin (32) Premiers débats ardents avant la pluie battante, le 24 septembre.

    Le cafard du corbillard. - L'hymne solennel de la francophonie avait déjà marqué l'ouverture du Congrès de Lubumbashi mais nous avions manqué ça, nous avions manqué Fiston et roulions maintenant à tombeau entr'ouvert dans le 4x4 noir corbillard du Chef du Protocole à faciès de fossoyeur hilare, nous étions tombés du ciel des songes dans la réalité cauchemaresque de la route congolaise où le spectre de l'Accident me semblait déjoué follement par le chauffeur entre déboîtements slalomés et déhanchements zigzaguants, mais curieusement je n'éprouvai aucune anxiété réelle, tout à l'observation des visions quasi surréelles qui se déroulaient en travelling le long des chaussées aux boutiques chamarrées et aux enseignes lyriques, et partout les gens , partout des chantiers amorcés, de bizarres arbres perchés sur des buttes, des femmes portant de hauts paniers en ondulant noblement, et la ville s'annonçant, des terrains vagues et des friches et voici qu'a main gauche notre guide protocolaire nous signalait les bâtisses de l'Administration universitaire avant de bifurquer dans une zone défoncée flanquée de bâtiments décatis aux diverses inscriptions de facultés, enfin nous avions rejoint le Congrès - enfin la délégation suisse se pointait au seuil du grand parloir ouvert aux oiseaux où, tout soudain, une présence intruse se signala dans mes cheveux encore mal démêlés de notre récent vol de nuit, et Max le Bantou de chasser l'importun d'une chiquenaude élégante : bah, mon cher Milou, ce n'est qu'un cafard échappé de la calèche protocolaire, mais vise plutôt là-bas les beaux scarabées !

    L'Aréopage . - Plus beaux en effet, plus lustrés, plus étincelants dans leurs costars à rayures et leurs chaussures à reflets, plus dignes et plus fringants que les magisters universitaires africains, jamais je n'avais vu jusque-là et jamais mêlée, surtout, à tant de théâtrale apparence, tant de débonnaireté; et les écrivains nous accueillaient eux aussi tout sourires, plus décontractés en leur apparat, dont j'identifiai quelques-uns rencontrés entre Paris ou Genève et Saint-Malo; et voilà que se présentait ce grand diable de Jean Bofane que depuis trois jours j'avais tant espéré rencontrer...

    Voleurs et violeurs. - De nos premiers débats de francophones aux multiples provenances se dégagea, dès ce premier après-midi du parloir aux oiseaux, le thème délicat assurément du vol de la langue et du viol de celle-ci. Les avis étaient partagés, contrastés, aiguisés par la présence de quelques dames se tenant les côtes. Tel estimait que son usage de la langue française relevait d'un indéniable vol, tandis que tel autre objectait que les langues africaines pouvaient se prévaloir d'une antériorité remontant au siècle d'Hérodote ou à de plus haute sources dont le français découlait parfois, et la question du droit de cuissage exercé par l'écrivain fut également l'objet d'un échange peu académique tandis que l'orage y allait de ses arguments grondants.

    Or le premier jour des travaux tirait à sa conclusion. Le vent et la pluie à larges gouttes nous circonviendraient bientôt. Je n'en finissais pas pour ma part de m'enchanter d'un peu tout. Nous filions enfin le long d'une route aux boues ocres éclaboussée par les sacs de pluie crevant dans les nuées. Nous nous trouvions comme dans un rêve éveillé sur une chaussée élastique bordée de campements à feux couverts. L'on voyait des silhouettes bouger entre vapeur et fumée. C'était l'Afrique tout cela, me disais-je, mais comment le dire en français ?

    Image:In Koli Jean Bofane

  • Ceux qui accueillent le multimonde

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    Celui qui constate que son courrier électronique vespéral s’africanise à vue d’œil / Celle qui fonctionne au fluide sympathique / Ceux qui apprennent en se taisant / Celui qui a plein de devises étrangères dans ses poches et pas une coupure ni une pièce pour la mendiante décharnée / Celle qui sentimentalise toutes ses observations style paroissienne protestante bien intentionnée / Ceux qui faisant partie des cadres de la délégation de la firme Ernst & Young se tiennent à l’écart des autres sur le tarmac de Kinshasa en tant que produits structurés à l’occidentale / Celui qui se fait capturer dans le ravin des Reguibat où il s’est aventuré par intérêt ethnologique sincère de spécialiste des ouvrages artisanaux en pis de chamelle / Celle qui se fait monstre chier au Malawi en sa qualité d’étudiante berlinoise spécialisée en on ne sait trop quoi / Ceux qui découvrent à l’escale aérienne que le Malauwi est un pays comme c’est vérifié sur Wikipedia / Celui qui ne se console pas vraiment de la famine dans le monde à se dire qu’au moins les financiers prédateurs et autres organismes genre FMI seront punis « plus tard » / Celui qui a fait ses premières armes de critique littéraire dans La Liberté de Fribourg (Suisse) aux mains des Sœurs de Saint-Paul qui ont pas mal contribué à l’éducation des enfants africains et possèdent toujours la librairie principale de Lubumbashi / Ceux qui n’ont jamais ressenti au Texas ou au Japon ou en Norvège ou en descendant la Bahnhofstrasse de Zurich ce qu’ils ressentent au Katanga et environs / Celui qui ressortissant de Douala t’a appris que la tour de pierre du pont de bois fameux de Lucerne était un château d’eau et qui croit malin de te le rappeler alors qu’il ne sait même pas lui qui fut Lord Byron auteur du Chant du prisonnier dédié à Bonivard au château de Chillon / Celle que le rasta congolais fait réellement planer / Ceux qui se retrouvent dans l’anthologie Renaître ensemble publiée à Kigali par la Plateforme des écrivains des Grands Lacs / Celui qui a déjà rencontré Boubacar Boris Diop quelque part mais où était-ce encore ? / Celle qui ne trouve au Burundi que les contes pour échapper à tous les interdits visant les femmes y compris celui de la parole en public / Ceux qui descendent à haute voix des trains et racontent à haute voix des histoires d’argent / Celui qui a écouté pendant des heures le récit de vie de Fiston Mwanza Mujila en lequel ses antennes télépathiques ont aussitôt identifié un mec à part comme le corrobore ce matin la lecture de ses textes si magnifiqueent déjantés / Celle qui a pris le taxi du diable à défaut d’être reçue dans la limousine de Dieu / Ceux qui ont bricolé leur identité en rupture avec tous les discours identitaires mais sans jamais renier leurs sources sûres, etc.