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Carnets de JLK - Page 89

  • Chemin faisant (94)

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    Rues piétonnes.- Le voyage est une modulation particulière de l'observation de la réalité sous ses multiples aspects, où il n'est rien. La rue des Etuves de Montpellier, un samedi après-midi de la période de l'Avent, est un lieu aussi digne de visite, par sa prodigieuse diffusion d'énergie vitale et de chatoiement pictural,  que les divers monuments recommandés par les Tours Operators aux touristes multinationaux, non tant d'ailleurs à Montpellier qu'à Paris ou à Monaco: faites la queue pour la Sainte Chapelle ou le Rocher, c'est tout comme crever douze heure à la porte des Offices de Florence dans l'éternuement énervé des scooters...

    022.jpgToutes les rues piétonnes de Blois, de Porto, de Séville ou de Barcelone méritent d'ailleurs la même attention qu'à Montpellier: là converge l'Humanité bonne -  et quelle fabuleuse librairie que celle de Sauramps sur la place de la Comédie où se démantibulent des danseurs de hip-hop sur fond de rythmes afro-cubains. Si vous avez un rendez-vous à fixer à des amis chers, ne cherchez pas plus loin: devant la librairie Sauramps, sur la terrasse dont la cantinière servira de l'eau à votre meilleur ami de l'homme.

     

    Feu sur le philistin. - L'an dernier à Portofino, dans la baie mythique idéalisée par des poètes en costumes blancs et des femmes fatales, un terrible paquebot américain mouilla et déversa moult chaloupes de touristes hagards qui tous se précipitèrent sur les boutiques de mode italienne, de sacs italiens de marques ou de pseudo-marques  issus des ateliers clandestins du sud de Naples, de savates italiennes griffés à Taiwan ou de bijoux italiens aussi couteux que les montres suisses qui se débitent sur la Bahnhoftstrasse de Zurich où déferlent autant de cars chinois. Telle est la caricature hideuse du tourisme actuel que, sacré prince, j'interdirais aussitôt sous peine de déportation lointaine. Eussé-je été en mesure, pirate ce jour-là à Portofino, de couler ce paquebot de malheur et de noyer son entière cargaison de sous-humains suralimentés, que je m'y fusse employé avec mon équipage: au jus les touristes, et que les requins en fassent du sugo !  

     

     044.jpgAu Parc Rimbaud. - Qui, des Tours Operators sévissant aujourd'hui de par le monde, connaît le Parc Rimbaud de Montpellier ? Sans doute aucun et c'est très bien ainsi: cela donne aux amis le loisir de goûter le charme d'un lieu comme il en est partout pour qui se donne la peine d'aller voir, comme Alice  derrière le lapin, de l'autre côté du miroir. Du parc Monceau de Paris aux jardins de Murillo à Séville, des terrasses florentines des Boboli au Mozart Park de Vienne: ces îles des villes où nous nous reposons du flux des rues sont propices aux moments où, dans notre lecture du monde, nous relevons les yeux. Et c'est ainsi, aussi, que nous respirons mieux...   039.jpg

  • Ceux qui se shootent au Benidorm

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    Celui qui se came au Dragibus Tagada / Celle qui lit sur l'emballage que la kétamine est un anesthésiant pour chevaux et comprend alors la lassitude de Peter entre ses concerts de black metal / Ceux qui sont en quête (disent-ils) du blanc du temps / Celui qui a la phobie de l'en deça de l'au-delà / Celle qui connaît la formule des bains chimiques assurant la conservation des morts célèbres / Ceux qui ont mis à mal les waterbeds de Sin City / Celui qui demande l'asile politique aux îles flottantes / Celle qui se fait dépuceler dans un container martelé par la grêle / Ceux qui ont surtout apprécié la cafète du Gugenheim de Bilbao / Celui qui ne sait quel jour blanc s'est glissé la semaine passée entre elle et sa mémoire / Celle qui découvre un trou noir dans son emploi du temps perdu / Ceux qui savent qu'un certain gentleman apprécie aussi la griffe de Versace / Celui qu'une peur errante poursuit de son ombre / Celle qui répond à ce Monsieur Rorschach qui l'interroge sur ce qu'elle voit dans cette tache qu'elle y voit une tache / Ceux qui cherchent des trouvères sans brevets de chercheurs / Celui qui ne sait pas le goût de la rhubarbe ni du manioc / Celle qui fantasme un plan cul avec Philémon le magasinier sourd-muet de l’Entreprise / Ceux qui se lavent au borax / Celui qui découvre dans le JDD que ce Robbe-Grillet qui vient de d c d n’est autre que le blaireau qui draguait sa meuf à Courchevel il y a bien quarante ans de ça / Celle qui n’admet pas l’idée de son chef de projet selon lequel les sentiments ne sont que des scories de l’évolution / Ceux qui estiment que la tache suspecte apparue au front de Madame Dupanloup signale une punition céleste / Celui que ses besicles font ressembler à un carcajou / Celle à qui son père n’a jamais parlé que badminton et surpoids / Ceux qui se comportent en visiteurs même chez eux / Celui qui est connu pour ses trépignements d’impubère en dépit de ses trente ans de service aux Pompes funèbres de Pontarlier / Celle qui flaire le bicandier / Ceux qui ne sauraient situer le Daghestan sur la carte malgré leur culture générale plutôt top / Celui qui choisit médecine pour emmerder son oncle Fernand / Celle que la mort prématurée de son père dans un accident de métro a poussée vers l’ingénierie des puits de forage / Ceux qui trouvent une certaine ressemblance entre l’écrivain Christian Bobin et le pharmacien de leur quartier surnommé Camomille / Celui dont les poèmes « interrogent le silence du monde » à ce que prétend son amant luxembourgeois / Celle qui fait réellement chier sa parentèle avec ses projets de barjo rêvant d’accoucher dans un bassin plein de dauphins / Ceux dont l’altruisme a fait des tyrans / Celui qui s’affaire à recycler les dogmes mitchouriniens de Lyssenko dans son jardin bio / Celle qui estime que boire son urine matinale la rend plus réceptive à la musique de Scarlatti / Ceux qui mettent tout sur le dos du syndrome d’alcoolisation fœtale / Celui qui polit les ongles de sa chienne Nestorine / Celle qui se fixe la date de péremption de son dernier yoghourt à la banane pour rompre avec son ami Berthier de Susanfe / Ceux qui savourent leur déjeuner à base soja et de surimi, etc.

    Peintures: Basquiat, Indermaur.

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  • Chemin faisant (93)

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    Derniers feux. - On n'en finirait plus de marcher le long de la mer au déclin du jour, mais ces après-midi d'hiver il tombe soudain contre toute attente, et voici que la lumière cristalline tourne soudain à l'indigo flammé d'orange et que  la côte aux forêts de pins se découpe bientôt sur le velours noir semblant tendu derrière la mer qui frémit d'ultimes reflets.

    Entretemps on a marché sur la corniche de pierre orangée longeant les hauteurs de la baie, au-dessus des roches où se regroupent les oiseaux de mer, et l'on se rappelle les jours passés, les années au même rivage, les aubes et les crépuscules, nos vies qui refluent...      

     

    044.jpgD'autres rivages. - C'est entendu: il y a Benidorm et d'aucuns se lamentent: il y a tous les lieux gâchés par le béton ou pourris par l'argent, mais la mer et la terre ont encore des immensités à parcourir, et quarante jours durant nous l'aurons respiré, ce grand large encore possible, ces horizons, ces espaces, ces forêts immenses et ces collines, aussi, cultivées à main d'homme, ces dunes hier et ces terres maraîchères gorgées de riches alluvions du delta de l'Ebre - et tout ce qui non seulement nous soulève de joie sauvage mais se fertilise à vues humaines - le sauvage et le civilisé...

     

    015.jpgNotre joie demeure. - Magnifique est le monde et magnifiques sont les oiseaux. Devant la mer, ce soir, je me rappelle le vieil Alexandre Issaïevitch ouvrant les bras au monde et célébrant sa magnificence.

    "Le monde est magnifique !" clamait Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne dans la forêt moscovite où le filmait Sokourov, lequel venait de lui rappeler ses années de bagne et l'horreur du goulag - oui les hommes ont inventé le bagne et n'en finissent pas de s'entretuer, convenait le vieil indomptable, mais que de grâce dans le geste de l'enfant et de l'oiseau.

    Ah, les enfants: magnifiques sont les oiseaux, et magnifique est le monde...  

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  • Chemin faisant (92)

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    De l'organisation. - La formule du voyage organisé m'a toujours paru dissuasive, tant l'idée de processionner en groupe ou en troupe m'est contraire, et pourtant on rend la chose plus astreignante et plus assommante sans la préparer tant soit peu. Or ce qu'il y a de bien, dans l'organisation non gouvernementale que nous formons, avec ma bonne amie, est qu'elle se charge de tout. On sait la femme, en général, plus soucieuse de l'élément pratique que l'homme: la science le prouve, à commencer par Einstein qui fut toujours infoutu de cuire un oeuf. En ce qui concerne notre présente virée, Lady L. a donc tout planifié, non sans aides considérables liées aux nouvelles technologies. Je veux parler du réseau de Booking.com, qui non seulement propose un répertoire étendu et détaillé des lieux de séjour correspondant à vos moyens, y compris la présence parfois rédhibitoire d'un chien même peu corpulent ou stylé, mais encore dispose d'une application satellitaire qui vous conduit au seuil de l'établissement recherché d'une façon analogue à l'étoile des bergers de la légende biblique. C'est ainsi que, sur une trentaine d'étapes, du Morvan au fin fond du Portugal ou du pays basque en Catalogne, nous aurons trouvé, presque partout, le meilleur accueil, les meilleurs oreillers et des petits dèjes plus originaux ou variés que le fade Continental breakfast à l'américaine.

      

    016.jpgQuestion dépense . - À ceux qui, notamment parmi les gens raisonnables de notre connaissance, se demandent comment, à l'âge de se montrer enfin économe, deux personnages de notre espèce ont eu l'idée de filer sur les routes, de passer d'un hôtel de bonne tenue à une maison d'hôtes non moins cotée, de manger tous les jours dehors et de se payer moult extras sans compter les timbres de leur abondante correspondance, nous répondrons que, certes, nous aurons claqué plus d'argent qu'à vingt ans lorsque nous roulions en 2CV et dormions sur les plages ou sous les ponts, mais qu'en somme nous n'aurons fait qu'investir un peu, en terme de dépense, d'ailleurs modérée par la basse saison, tout en faisant quelques rencontres de qualité et en découvrant une multitude de lieux inconnus souvent admirables, et donc en amassant une somme appréciable d'impressions, d'observations enrichissantes et de plaisir partagés.           

      

    JLKPIGS.jpgAu niveau du couple. - Il va de soi que cela ne regarde personne, et j'hésite même à le révéler à mes quelque 3500 amis de Facebook, dont je sais pourtant la discrétion et la réserve, mais je me dois d'ajouter que, malgré nos 32 ans de vie conjugale à peu près sans tempêtes, ce petit périple d'une quarantaine de jours nous aura permis d'éprouver, une fois de plus, la solidité d'une relation qui dépasse la convention conjugale souvent trompeuse ou l'espèce d'hystérie qu'on pare du nom d'amour ou pire: de passion glamour. Une fois de plus, ma bonne amie m'aura étonné. Par exemple en faisant l'acquisition d'une petite bouilloire qui nous aura permis, les soirs ou les matins, de nous faire du thé sur tel balcon surplombant la mer ou de la soupe  dans notre chambre transformée en bivouac. Enfin, non moins inspirée, Lady L. aura monté et démonté tous les soirs, sur plus de 7777 kilomètres, telle petite cabane de toile dans laquelle le chien Snoopy se sera pelotonné chaque nuit tout en nous foutant la paix,  pour y rêver comme un ange...

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  • Chemin faisant (91)


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    De "Vegas" au "Vietnam". - On passe en moins d'un jour d'une Espagne à l'autre, ce qui ne saurait étonner des Helvètes qui accoutument de changer de climat en franchissant un de leurs innombrables cols  en quelques heures, changeant du même coup de langue ou de confession, de type d'habitat et de coutumes . Or je pensais aux multiples régions qui constituent la multiple Europe transitant, en quelques heures, de la plantation de buildings de Benidorm  aux vastes étendues planes des rizières du delta de l'Ebre, avec toutes les métamorphoses humaines que cela suppose. Après avoir roulé de long en large le long des petits canaux quadrillant les grandes étendues inondées "au repos", jusqu'aux dunes du front de mer et aux urbanisations absolument désertes ces jours, nous avons fini par trouver, à la Casa Paca de Riumar, une seule auberge ouverte dont la tenancière nous a accueillis tout sourire, puis nous a préparé de quoi nous sustenter avant d'évoquer les travaux dans les rizières, en son adolescence, plantations en mai et récolte en septembre, images à l'appui...  

     

    Rougemont01.jpgUne nouvelle approche. - Les parcs naturels se développent de plus en plus en Espagne, un peu partout, comme nous l'avons constaté des Asturies en Andalousie, au Cabo de Gata ou dans cette région du delta de l'Ebre, entre tant d'autres exemples. Or cette nouvelle mise en valeur des microcosmes régionaux m'a rappelé  ce que me disait, il y a quarante ans de ça, l'un des visionnaires les plus intelligents de l'idée européenne, Denis de Rougemont, dont le ralliement à l'écologie n'avait rien de dogmatique ni rien d'abstrait, fondé sur une approche concrète des régions et des cultures.

     

    037.jpgL'Europe des cultures. - Pour le grand écrivain de L'amour et l'Occident ou de Penser avec les mains, la seule Europe viable était, par delà les prérogatives égoïstes des Etats-nations, et bien sûr à l'opposé de l'Europe du fric ou des fonctionnaires: l'Europe des cultures et des régions. L'on a ricané à n'en plus finir et taxé le "poète" d'idéalisme: on ne voit pas moins aujourd'hui, alors que les séparatismes se ravivent - ces jours se constate même l'exacerbation du nationalisme catalan -, que Rougemont avait raison et que ce qu'on appelle "la crise" n'est rien d'autre que l'échec d'une Europe qui reste, on peut en rêver pour nos enfants, à venir...   050.jpg  042.jpg

  • Ceux qui font attention

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    En signe de reconnaissance à Claude Pahud, Jean Prod’hom et François Bon.

    Celui qui est assis sur un banc au soleil à côté d’un vieux type dont il n’a pas remarqué que la bouche ouverte dit qu’il a passé /Celle qui se dit en recherche sans trouver la porte du château de papier qu’ils appellent La Recherche avec l’air d’en savoir tellement plus qu’elle / Ceux qui pensent parfois au cimetière dans lequel ils se sentiront le mieux / Celui qui trouve bien que Vera et Vladimir (Nabokov) soient réunis sous la même dalle de marbre noir à proximité de celles d’Oscar (Kokoschka) et de l’Abbé Bovet / Celle qui de son vivant a déjà un profil de cire perdue / Ceux qui savent que le parcours d’un écrivain va d’un point à un autre en passant aujourd’hui par La Toile en laquelle d’aucuns ne voient qu’une marge du Papier / 12002541_10207794832655630_6747880051450184974_o.jpgCelui qui a choisi le miroir de la page pour y étendre ses Marges / Celle qui déambule dans le Texte en fléchant son itinéraire après coup style : j’étais là, telle chose advint, et je n’y suis plus mais CELA reste / Ceux qui constatent que ce qui apparaît (ou pas) se manifeste quand on y pense (même peu) le moins / Celui qui se hisse à la crête du livre pour voir les lumières de la ville là-bas donc c’est la nuit et Jude l’obscur est encore petit / Celle qui écrit pour être lue entre les lignes / Ceux qui s’excusent de ne point écrire alors qu’ils le font à leur façon si vous y prêtez la moindre attention / Proust.jpgCelui qui sait d’expérience qu’il y a une autre langue dans la langue (Beckett à propos de Proust, ou Deleuze à propos de Genet, je ne sais plus) à quoi la pratique du patin dit langue fourrée n’aide pas forcément - quoique / Celle qui se rappelant le chemin des Meilleries (on ne dit pas, Jean Prod’hom, se rappeler « du » chemin des Meilleries) voit encore les haies alentour que les oiseaux avaient encore à se mettre (pourquoi, François Bon, un oiseau ne pourrait il pas se « mettre une haie » alors qu’on se met bien un chapeau ou un manteau ?) / Ceux qui écoutent les arbres se taire / Celui qui oublie sa liste de merveilles sur le comptoir de l’épicerie tenue le matin par Greta la blonde qui a ce qu’on peut dire « du bois devant la maison » / Celle qui craque pour le rose aux joues du timide boulanger qui assure pourtant à la lutte à la culotte/ Ceux qui remercient Dieu sans se soucier de la question secondaire de son existence / Celui (François Bon dans son opuscule sur Proust) rappelle qu’à eux deux Baudelaire et Proust n’auront pas occupé plus de cent ans sur terre, à l’instar de Jules Renard et Simone Weil ou de Mozart sans Mathusalem) / Celle qui pense incarner l’humanité entière dans son poème où le Spécialiste ne voit que du feu / Ceux qui sont diplômés ès inattention / Celui qui recevant une tuile sur le coin de la tête remercie sainte Pollyana de ne pas lui avoir  mieux fait sa fête / Celle qui te remercie d’exister en attendant la pareille non mais des fois / Ceux qui ont tellement le souci de l’Autre qu’ils l’écrasent de sa majuscule / CINGRIA5 (kuffer v1).jpgCelui qui (Ramuz) t'enjoint de« laisser venir l’immensité des choses » alors qu’un autre de tes camarades de ruisseau (Cingria » te rappelle que « ça a beau être immense, comme on dit : on préfère voir un peuple de fourmis pénétrer dans une figue »/ Celle qui reproche à l’arole gesticulant au bord du gouffre (ce qu’on appelle là-haut un Illgraben en français valaisan) certaine ostentation romantique peu dans le goût du nouveau design / Ceux qui vont se rendre aujourd’hui au pied du Sapin Président/ Celui qui constate que la terre meuble lui fait des pieds de plomb / Celle qui envoie un poke à Jean Prod’hom après avoir lu cette phrase encourageante ce matin d’automne : « Les cris des moineaux,fous de printemps, tiennent à deux mains l’assiette du jour. La vie est un don »/ Ceux qui ont joué parfois à la main chaude au chemin des Glaciers / Celui qui n’aime point la grimace satisfaite de l’aigre pion soucieux surtout de tout« démystifier » / Celle qui se creuse un trou dans le Mur pour écouter la mer dans le coquillage de son oreille ce qui ne va pas de soi avec tous ces coups de feu des deux côtés et même à la radio / Ceux qui font petite mine quand on leur parle de Grand Remplacement ou de Grand Complot / Celui qui pensait d’abord exiger une interruption immédiate de l’averse avant de courir à l’abribus par manière de compromis lié aux Lois du Marché / Celle qui a ses règles et le dit tout haut alors que d’autres se saignent à blanc sans moufter/ Ceux qui font des plaisanteries attendues en amorçant la descente du couloir des Branlettes après avoir fait le Miroir par la fissure surnommé la Grande Fente / Celui qui à l’auberge de Donneloye fait remarquer à son ami qu’un peu plus bas un coin de paysage « fait très Toscane » / Celle qui se sent chez elle à Sienne sauf sur le Campo où il y a trop d’Allemands parlant anglais / Ceux qui trouvent que l’automne de cette année est encore plus réussi que l’an dernier sans savoir trop qui féliciter vu que c’est eux qui s’en réjouissent / Celui qui se rappelle que l’Enfer est ce lieu de l’univers où nous serons persécutés par nos souvenirs / Celle qui recommande la gomme à effacer les mauvaises souvenances / Ceux qui aiment « ces jours de décembre semblables aux boules à neige où rien ne vient remuer le temps », etc.

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    ( Cette liste découle de la suite de la lecture du recueil de Jean Prod’hom paru sous le titre de Marges aux bons soins de Claude Pahud qui l’a édité (et préfacé) chez Antipodes, avecune postface non moins avisée de François Bon dont on peut lire (en marge) Proust est une fiction paru au Seuil en2013)  

  • Chemin faisant (90)

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    Ce fol élan. - La beauté de la ville debout, que figure par excellence la pointe de Manhattan, telle que l'a célébrée Paul Morand dans sa prose étincelante et magnétique de New York,  se retrouve au même miroir marin de Benidorm dont certains gratte-ciel ont une réelle élégance dans l'effilement et les audaces architecturales - et c'est le cas, notamment, de l'Hôtel Bali, tenu quelque temps pour le plus haut établissement du genre en Europe. Or, monté, peu avant la fin du jour, sur sa terrasse du quarante-cinquième étage, je me suis rappelé les sentiments que, peu de mois après les attentats du 11 septembre, j'avais éprouvés à Toronto sur de semblables tours, concevant soudain physiquement le traumatisme des Américains qui découvrirent la fragilité de tels formidables bâtiments.

     

    007.jpgLe Système en panne. -   Un autre aspect de cette fragilité sa manifeste, à Benidorm, dans le spectaculaire arrêt de deux immenses chantiers, figés par l'aventurisme manifeste de leurs promoteurs et de leurs constructeurs.  En pleine zone résidentielle du bord de mer, à Finestrat, c'est par exemple cette monstrueuse structure de béton et de ferraille immobilisée depuis cinq ans faute d'autorisations de poursuivre la construction. Plus frappante encore: la fantastique tour à deux arches, dite Residencial in tempo, haute de 200 mètres, qui devait symboliser le renouveau de la construction espagnole et que moult scandales et tribulations ont freinée voire paralysée, résultat de la folie des grandeurs d'une époque et de la course au profit à court terme.

     

    015.jpgHybris coupable. - Vu des hauteurs, le site urbain de Benidorm ne manque pas d'une certaine grandeur harmonieuse, qui fait mieux apparaître l'aberration de ces deux chantiers paralysés par l'incurie des hommes. Or il y a là, me semble-t-il, la marque même de la folie déséquilibrée d'un Système échappant  à toute mesure et à tout contrôle, sous l'effet de ce que les Anciens appelaient l'hybris. À savoir: l'orgueil prétentieux, la vaniteuse démesure.

    009.jpgL'hybris a caractérisé les périodes de décadence et d'effondrements. C'est à cause de l'hybris que les empires se sont cassé la gueule, pour parler comme la cousine de César. Or on sait que les Anciens punissaient gravement l'hybris, le plus souvent de mort. Mais alors comment admettre que des financiers, des promoteurs, des ingénieurs marrons, des architectes frivoles imposent au candide peuple espagnol de telles pratiques ? Que fait le Gouvernement ?

    010.jpgSi nous étions citoyens de Benidorm, nous nous en inquiéterons: nous réclamerions même des têtes. Mais nous ne sommes que de platoniques passants helvètes et demain matin nous aurons quitté notre gratte-ciel modeste de 22 étages dont la finition n'appelle que des éloges. Soit dit en passant, un appartement de deux pièces, avec cuisine et corbeille à papier, vaste table à écrire et terrasse,  en ce lieu surélevé, ne coûte que 55 euros la nuit, soit le tiers d'une méchante chambre au Niederdorf de Zurich (Suisse) tenue par des Chinois taciturnes. Qui plus est, le restau de la même tour est agrémenté le soir par un chanteur de charme distillant les succès des années 1955-1972, qui porte les résidents à danser librement le cha-cha-cha et le fox-trot. On ne voit pas qu'il y ait à redire à de telles moeurs, auxquelles les Anciens souscriraient...   011.jpg          

  • Chemin faisant (89)

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    L'apparition. - Ce qu'on voit soudain là-bas le long de la côte, au détour d'une colline pelée surplombant la route venant d'Alicante, relève d'une sorte de fantasmagorie visuelle, comme on le dirait d'un mirage et produisant le même ébranlement physique et psychique qu'à la découverte, surgi de la plaine texane, du fascinant massif de buildings de marbre et de titane de Houston downtown ou encore, d'une rive à l'autre de l'Hudson, de la prodigieuse échine de Manhattan découpant le ciel au ciseau vif, à cela près qu'on ne voit ici, à l'horizon, qu'un frémissement argenté sur fond de bleus délavés, bientôt effacé par les premiers plans de terre aride...

    047.jpgL'envers du cliché. - Les conglomérats balnéaires, autant que l'esprit de station, d'hiver comme d'été, nous ont toujours fait fuir, mais cette fois une occurrence familiale nous a poussés à risquer, le temps d'une escale, l'épreuve de ce que d'aucuns nous décrivaient comme l'horreur absolue, style Miami à l'espagnole, et particulièrement en cette saison rassemblant les plus vieux oiseaux migrateurs de l'Europe retraitée, pour ainsi dire le mouroir de la classe moyenne flapie. Or il ne nous a pas fallu plus d'une heure pour découvrir, au pied des buildings et dans les ruelles coupant les avenues rectilignes, ou prolongeant le Paseo maritim où tous vont et viennent, l'envers de ce cliché tout à fait réducteur, du côté de la vie...

     

    039.jpgDu popu à l'espagnole. - Cela a commencé, pour la bonne bouche, avec une fabuleuse paella que nous avons dégustée tandis que l'Hidalgo, conjoint de ma frangine aînée dite la dona Hermana Grande de La Fuente - tous deux ayant quitté leur Casona des Asturies glacialement bruineuses pour jouir du climat plus doux de ces lieux -, nous détaillait sa vision peu complaisante d'une forme d'invasion touristique qui ne favorise en rien l'échange entre les cultures. Et de nous évoquer, ensuite, sa première découverte de la "rues des vieux", à Benidorm, où défilent journellement des milliers de Teutons et de Bataves  et autres Anglais jamais familiarisés avec le pays (à commencer par sa langue) en dépit d'années d'installation ou de migrations saisonnières; et de soupirer sur la question sempiternelle de l'imposition de cette immigration de nantis selon lui plus coûteuse à l'Espagne que rentable...

    020.jpgMais l'Hidalgo, comme une foultitude d'Espagnols séjournant eux aussi à Benidorm après une vie de labeur et d'économies, est précisément de ceux qui conservent à ce lieu leur touche, qui n'a rien à voir avec la couleur locale du pittoresque touristique,  mais bien plus avec le mélange des multiples Espagnes se retrouvant là comme sur une paradoxale place de village...           

     
  • Ceux qui écrivent dans les marges

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    Celui qui va de maux en merveilles / Celle qui est modeste comme une note en bas de page / Ceux qui composent une petite Recherche dans les marges de la grande / Celui qui a repéré des ruisselets dans le cours du ruisseau et des étages dans l’eau du lac / Celle qui nage entre deux flots / Ceux qui remontent le talus de leur jeunesse aux genoux écorchés / Celui qui écoute le silence de la clairière en stéréo polyphonique / Celle qui se rappelle l’odeur sexuelle de la mare printanière / Ceux qui l’ont fait dans les herbes humides du gour noir / Celui qui posait des collets à l’insu de son oncle à sourcils sourcilleux / Celle qui noue ses lacets comme personne / Ceux qui ont appris à voler sous le nez de l’épicier terre à terre / Celui qui s’étant trompé de bus à la gare de Sienne a débarqué dans un quartier de HLM / Celle qui sans jouer le jeu a gagné sa partie / Ceux qu’on dit irréguliers alors qu’ils suivent une autre règle / 12029717_10207794832615629_454520269713550160_o-2.jpgCelui qui n’a jamais cherché à se montrer original vu qu’il l’était à l’origine / Celle qui trouve un peu tout (et le reste) en cherchant autre chose / Ceux qui ont acquis (vers l’âge de douze ans ) la conviction que la merveille est sous nos yeux sans que ceux-ci la voient forcément / Celui qui prend la peine ce matin de noter ceci : « Il convient peut-être de rester modeste en la circonstance et de se contenter, plume à la main, de ce qui est là jour après jour, là, sous nos yeux, le ciel d’opale , le chant du coq ou ce rayon de bibliothèque sur lequel des livres aux habits d’Arlequin, blottis les uns contre les autres, se tiennent compagnie jour et nuit pour dessiner l’arc-en-ciel de la mémoire des hommes, avec la conviction que l’inouï est à notre porte » / Celle qui surprenant son enfant à la fenêtre se dit comme ça que « la solitude qui l’habite, unique en son site, peut être douce s’il n’a pas à y répondre autrement qu’en y persévérant, petite mélodie, naïve expression » / Ceux qui ont résolu de nager à contre-courant pour mieux s’abandonner ensuite aux bras de la rivière / Celui qui est juste capable d’un demi-sourire en attendant son autre moitié / Celle qui se rappelle l’odeur des bocaux pleine des tritons capturés par ses frères alors qu’on en manquait pour la confiture / Celui qui ne sait pas trop si je est un autre quand il se déguise / Celle qui est accoudée à la table de ping-pong sans qu’on sache si c’est avant ou après la partie / Ceux qui ont un caleçon blanc sur leur peau bronzée quand l’été tire à sa fin / Celui qui n’a pas de calepin sous la main pour noter « simplement une succession d’approximations passagères »/ Celle qui pleure dans le Bois du Grésil avant de fumer une sèche/ Ceux qui se rappellent assez précisément les balades dans lesquelles on se lance sans savoir comment on enreviendra et dont on revient sans savoir comment on y est allé / Celui qui tire à la carabine sur des piafs et ça craint même quand ce ne seraient pas des Italiens mais de banals moineaux / Celle qui a fondé un ordre déchaussé dans lequel on ne foule que la mauvaise herbe / Ceux qui vont par les chemins de traverse jusqu’au repaire du poète illettré / Celui qui a tagué les piliers de l’autoroute traversant son ancien royaume / Ceux qui sourient parmi les décombres / Celui qui vibre à l’unisson des bouteilles vides alignées sur le camion bleu ciel / Celle qui accueille les garçons du quartier et ça se sait mais on se tait sauf les filles c’est pourtant vrai / Ceux qui chinent dans le bazar aux vocables / Celui qui écoute « la pluie bien serrée qui pianote ssur les tuiles » / Celle qui pose nue pour le peintre sourd / Celles qui se retrouvent au tea-room pour décocher à celles qui n’y sont pas des flèches empoisonnées / Celui qui dit qu’il ne va pas bien sans penser à mal / Celle qui dit à son confident Joseph que ça « reva » / Ceux qui se sont connus dans les jardins ouvriers où leurs enfants ont conçu leur première start up /Celui qui s’est exhibé jadis dans le Bois du Pendu avant de se retirer naguère à La Trappe / Celle qui regarde le soir son ombre se fondre dans la pénombre après quoi vient le moment de rentrer à la maison bien éclairée que vous voyez là-bas / Ceux qui se rappellent le crime de Maracon où ils conduisent cet après-midi leur fille pour sa leçon de piano avec le beau Javier, etc.

     

    (Cette liste et ses citation plus ou moins explicites font à écho à la lecture du recueil de proses et d’images paru sous la signature de Jean Prod’hom et le titre de Marges, aux éditions Antipodes, avec une préface de François Bon. Le soussigné reviendra sur ce livre richissime en cristallisations sensibles et autres méditations rêveuses à multiples perspectives douces ou plus sombres  En attendant on peut se balader aussi sur le site www.lesmarges.net)  

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  • Chemin faisant (88)

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    L'assassinat de Grenade. - Les parfums de Grenade sont ces jours comme figés par le froid malgré les couleurs persistantes des bougainvillées se détachant sur le blanc des murs et le bleu pur du ciel de décembre, mais le sang de Lorca n'en finit pas d'entacher de rouge les mémoires de ceux qu'a marqués sa poésie.

    059.jpgLa mort a frappé à sa porte en août 1936, sous les sinistres visages d'assassins dont on croit savoir aujourd'hui les noms et les motifs du crime: exécution crapuleuse, sur fond de haines familiales et de vindicte homophobe, plus que mise à mort à seul mobile politique; mais le fascisme franquiste a perpétué l'infamie en censurant l'oeuvre du poète vingt ans durant, avant la reconnaissance finale, combien tardive, en sa terre même.

     

    057.jpgTerre humaine. - En traversant l'Andalousie de part en part, tantôt verger et tantôt pierrier, tantôt fertile et tantôt âpre, évoquant parfois les collines de Provence ou de Toscane, et parfois les monts afghans entre failles rouges et hauteurs neigeuses, on découvre un grand pays dans les multiples pays d'Espagne, mais le même nom d'Andalousie revient, que Lorca disait consubstantiel à sa poésie - et les drames terriens de sa trilogie théâtrale (Noces de sangYerma et La maison de Bernarda Alba) l'illustrent mieux encore que les incantations de sa poésie, ainsque le confirment ses propres paroles: "Mes premières émotions sont liées à la terre et aux travaux des champs . Sans cela, sans mon amour de la terre, je n'aurais pu écrire Yerma ou Noces de sang..."

     

    GarciaLorca02.jpgChemins113.jpgNoces de sang. - Ayant quitté Grenade ce matin, nous nous retrouvons ce soir, un peu par hasard, tout proches des lieux où se passa le drame qu'on pourrait dire le plus caractéristique de l'âme andalouse, tissée de passion, de poésie et de violence, comme l'exalte le Romancero gitan.

    La tragédie paysanne dont Lorca a tiré Noces de sang s'est passé en ces lieux âpres à la lumière intense, que le poète a connus en sa prime jeunesse, entre Almerìa et Nijar. En 1928, plus précisément, à Nijar, une fiancée abandonna son futur époux au jour de leurs noces pour s'enfuir sur une mule avec son cousin. Ce dernier fut tué par le fiancé alors que la promise se faisait tenir pour morte afin d'échapper à la mort. De ce fait divers sanglant, le poète a tiré un poème dramatique d'une puissance expressive liée à toutes les composantes familiales et psychologiques d'une passion empêchée, sublimées par la poésie - du plus pur Lorca somme toute, sous le ciel que nous avons vu, ce soir, saigner sur la mer ...   

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  • Chemin faisant (87)

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    Séville grésille. - Certaines villes au monde ont une électricité particulière. Il y a de ça souvent à Paris et à Rome, et sûrement à Rio si j'en crois certains informateurs particuliers, mais à Séville cela bourdonne et grésille comme nulle part ailleurs - en tout cas c'est ma sensation et mon sentiment de la première fois, et dès que j'y suis revenu c'était relancé: cela grésille à Séville.

    Or à quoi cela tient-il ? Probablement, me semble-t-il, à un mélange érotique de féminité en mantille et de rudesse sauvage des hommes-chevaux: à une vibration de l'air et des couleurs aussi qui ne se retrouve ni à Madrid ni à Barcelone non plus; et même à Grenade c'est autre chose de plus arabe, et c'est encore autre chose à Cordoue dont la poussière et la couleur des taxis n'ont pas l'immatérialité si subtilement sensuelle de Séville.

    169.jpgGénie des cafés. -  Car il y a aussi les cafés de Séville. Nulle part au monde, même à Cracovie, les cafés n'ont, me semble-t-il, le génie grave qu'ils ont à Séville, surtout pour les hommes il faut le reconnaître: les notables, les poètes et les amoureux largués.

    Il est possible que les femmes de Séville l'entendent un peu autrement, de même que les femmes de Cracovie. Mais de toute évidence les cafés de Séville surpassent les cafés de Florence et de Rome voire ceux de Barcelone et de Madrid, au moins selon mes critères et ceux des poètes et autres médecins de l'âme, et compte non tenu des cafés de Montevideo ou de Buenos Aires dont nous sommes sans nouvelles récentes.

    202.jpgPâtisseries et librairies. - Un préjugé négatif, notamment en France, frappe le peuple espagnol de dureté ou de morgue. Or l'objectivité, fondée sur l'examen de l'Histoire, contraint à rétablir la vérité. De fait l'Espagne a de la mémoire: l'Espagne se rappelle les cruautés de l'Empire, confirmées par la déposition d'un Goya. Les Espagnols se rappellent la cruauté des Français, comme les Indiens se rappellent la cruauté des Espagnols, mais c'est une autre histoire...

    Mieux vaut considérer le beau  côté d'un peuple: La Fontaine chez les Français ou la pâtisserie chez les Espagnols, ainsi que la libraire, chez les Français et les Espagnols. Les voyages ne sont pas faits pour autre chose que ces vérifications. Après quoi l'on peut revenir chez soi mieux avisé d'un peu tout...

     

     

  • Chemin faisant (86)

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    De Palos, de Moguer... - C'est en romancier visionnaire qu'Antonio Lobo Antunes a évoqué le retour des caravelles mythiques en plein vingtième siècle, mais nous pensions plutôt à leur départ en quittant le Portugal pour entrer en Andalousie, là-bas où, entre Palos et Moguer, les navigateurs se sont embarqués "comme un vol de gerfauts", ainsi que nous le récitions en écoliers appliqués sans savoir au monde  à quoi pouvaient bien ressembler de tels volatiles.


    029.jpgOr nous remontions par les collines d'Andalousie, de pinèdes en plantations d''oliviers, j'avais commencé de lireManuel le Gitan de mon socio David Fauquemberg , au rythme verbal illico scandé par le flamenco tel que le vit le protagoniste en son quartier gitan de Santiago, à Jerez de la Frontera ; puis nous avions écouté les chants du Mozambique rappelant à ma bonne amie son séjour, là-bas, au temps de l'indépendance, et voici que le nom de SEVILLE s'annonçait le long de l'Autovia où routiers et capitaines se pressaient de concert...    

     

    173.jpgTombeau du Génois. - Ensuite il s'est trouvé, devant le dernier tombeau de Christophe Colomb, dans la cathédrale de Séville, que m'est revenu le souvenir de Simone Boccanegra le pirate de même origine, dont je connais les airs de l'opéra de Verdi par coeur. Notre génération de soixante-huitards n'a cessé de déconsidérer les héros, mais les deux Génois ont de quoi nous faire la pige, l'un au titre de la conquête et l'autre à celui de la  liberté acquise et défendue au prix de la clémence...

     

    193.jpgConquêtes et reconquêtes. - L'histoire de l'Espagne est faite de reconquêtes, sur l'empire musulman, et de conquêtes quasi simultanées en d'autres lieux. La nouvelle Afrique est pantelante à ses côtes, d'affreux drames humains se perpétuent des rives d'Italie à celles du Portugal, mais partout aussi, du pays basque en Andalousie, ou de Séville à Cordoue, se rappelle notre histoire européenne à tous qui ne peut se vivre et survivre que dans la connaissance réciproque et le dépassement des prétentions exclusives: dans la reconnaissance attentive des autres cultures...

  • Chemin faisant (85)

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    Suavidade portuguesa. - Lady L. s'est fait du bien en Algarve, et plus précisément à Carvoeiro la blanche, au Castelo de la dona Eunice et de don Joao Bernardo Trindade, château d'hôtes dont les terrasses couleur vanille donnent sur la mer turquoise. L'art de vivre passe aussi par le vrai confort qui n'est pas tant de luxe que de goût et d'accueil, comme nous l'avons vécu de Noirmoutier, chez le compère Beaupère, à la Vila Duparchy de Luso, en passant par la Casona de Andrin chez la dona Hermana Grande et son hidalgo Ramon de La Fuente.

    153.jpgChez les Trindade de Carvoeiro, au Castelo dont il faut préciser qu'il ne fait plus de restauration (contrairement à ce qu'affirme le Routard), l'accueil  à la fois discret et généreux de don Joao Bernardo, et l'harmonieuse décoration conçue par dona Eudice procèdent en somme de la même culture conviviale qui s'est développée ces dernières décennies en marge de l'industrie hôtelière. Or le maisons que j'ai citées étaient toutes tenues par des "amateurs" éclairés, anciens profs ou autres sexas de professions diverses, et tous visaient le respect d'un certain bien-vivre plus que le profit; tous firent en outre bon accueil à notre ami Snoopy, dont les futures mémoires seront empreintes, sans doute, de la même suavidade...       

    184.jpgUn autre Portugal. - Comme on le voit en Espagne ou en Tunisie et sur tout le pourtour méditerranéen colonisé par le tourisme de masse ou de luxe, il suffit de faire quelques kilomètres à l'intérieur du pays pour découvrir un aspect moins clinquant, et parfois plus attachant, parfois aussi plus attristant, du pays traversé, et c'est particulièrement vrai en Algarve. Passer ainsi d'Albufeira aux bourgs de l'arrière-pays, comme nous l'avons vérifié nous-mêmes en nous baladant, à quelques kilomètres à l'intérieur des urbanisations somptueuses de Carvoeiro, dans le centre populaire plus ou moins décati de Lagoa - nous rappelant un peu le même centre plus ou moins sinistré de Moknine, en Tunisie pauvre jouxtant les palaces côtiers -, revient à entrevoir une partie du Portugal "oublié" par la prospérité, dont la Crise européenne n'a pas aidé les gens...

     

    197.jpgDe la carte au territoire.- Nous n'aurons fait que passer au Portugal. Dix jours à peine, du nord au sud, à peine un jour à Porto où nous nous sommes immédiatement promis de revenir, quelques jours en Algarve et déjà nous repartons pour l'Andalousie;  mais cette traversée nous aura permis, tout au moins, de donner à la carte les visages d'un territoire. Miguel Torga et les monts âpres de son enfance, Antonio Lobo Antunes et le quartier de Benfica ou les demeures patriarcales  écrasées de soleil de l'Alentejo, Pessoa aux quatre hétéronymes et ses multiples reflets de Lisbonne: le Portugal des poètes et des écrivains qui nous ont déjà marqués, par le coeur et l'esprit du verbe, auront aussi gagné à s'incarner en autres nuances et détails.

    Mais c'est avec les journaux que nous quittons aujourd'hui le Portugal, et sur une note encourageante en somme. Nous lisons en effet, dans l'édition lusitanienne du Courrier international, ces mots que nous déchiffrons sans dictionnaire et qui ne laissent de nous réjouir avec Lady L. : "Apesar da instatisfaçao, portuguesses resisten ao populismo: em tempos de crise,Portugal dà uma liçao de moderaçao e, a contrario do resto da Europa, nao surgem partidos antieuropeus ou   anti-immigraçao"...    



  • Chemin faisant (84)

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    Chassé du Paradis.- La diatribe amoureuse n'est pas gravée dans le marbre mais elle n'en reste pas moins indélébile, rédigée au Marker sur le dossier du banc de pierre propice aux épanchements  amoureux des fins de soirées d'été, à mi-hauteur de l'escalier tortueux descendant à la prahia do Paraiso (la plage du Paradis), au pied des falaises ocres tombant à pic sur l'eau turquoise. On imagine la scène: vacances, visages dorés, parfums entêtants, musiques montant du port en foule et tournoyant partout, désirs en boucles. Et là-haut, cette première rencontre... 

    004.jpgLe mot qui tue. - Le texte, à la fois douloureux et cinglant, signale son jeune romantique jurant que l'a trahi l'éternelle tentatrice à dégaine d'ange et coeur de  diablesse. Le ton et la manière, le choix des mots,  la scansion rageuse des images et des sons désignent le probable étudiant   américain ou peut-être anglais, qui croyait rencontrer la créature de ses rêves et s'est fait larguer, à ce qu'il écrit,  par une vraie bitch, laquelle lui inspire un final FUCK que Lord Byron, à Capri et dans les mêmes circonstances, eût remplacé par un mot peut-être plus choisi...008.jpg

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    Une autre story ? - Mais il va de soi qu'on peut ne pas le prendre au mot, le Jim ou le Jack (ou le John, ou le Tom ?). Penser que son réquisitoire est d'un petit raseur phraseur. Que la démoniaque Dulcinée en question s'est détournée de lui pour de bonnes raisons ? Qu'elle l'a trouvé trop poseur ? Qui sait? Se la jouant victime véhémente, il prend à témoin l'humanité passante, s'abandonnant au pouvoir des mots: la romance tournant du miel au fiel. Mauvais littérature que tout ça ? Révolte d'un coeur sincère ? Narcisse se saoulant de son propre sanglot ? Qui, jamais, démêlera le secret de ce qui se joua dans ce décor de roman-photo du quartier du Paraìso, sur les hauts de Carvoeiro ?010.jpg

  • Chemin faisant (83)

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    Comme un malaise.- De Lisbonne en Algarve, traversant les immensités montueuses de l'Alentejo, la splendide autoroute à six pistes, dûment subventionnée par la manne européenne en vue de la mise en valeur de la côte méridionale du Portugal - réputée "de rêve" pour le vacancier britannique, batave ou teuton -, déroule en novembre son ruban souple et lisse sans le moindre encombrement, quasi pur de trains routiers et autres pollueurs. Cependant une gêne vous prend à dévaler ce toboggan rutilant pour peu que vous pensiez à l'état économique du Portugal actuel et, plus précisément, aux paysans de ces régions souvent "oubliés" dans la course à la prospérité...      

     

    Chemins101.jpgLe Grand Tour.- Nous faisons en somme, à notre façon, une espèce de grand tour dévié, contre toute logique touristique, hors saison et en nous guidant à l'instinct et au désir plus qu'en vertu des conventions. Aux XVIIIe et XIXe siècles, le Grand Tour fut, à travers l'Europe, de Paris à Athènes via Venise (pour l'initiation érotique)  et Rome, le voyage-école des fils de bonne familles supposés compléter leur formation littéraire ou militaire (l'un et l'autre s'accordant alors), esthétique ou commerciale, philosophique ou botanique, entre autres disciplines réputées former l'honnête homme et plus rarement, la jeune fille policée.

    009.jpgTout cela est un peu révolu même si la notion de "tourisme" vient de là, qui voit aujourd'hui des cohortes de Chinois faire leur parodie de grand tour, de bijouteries suisses en boutiques de mode  italiennes ou parisiennes  et d'un Monument à l'autre, succédant aux ex-apparatchiks russes et autres émirs arabes. Dans le bled perdu d'Ocedeixe,  à la frontière de l'Algarve et de l'Alentejo, la seule boutique ouverte, ce samedi, était un grand bazar chinois. On en trouve, désormais, dans toutes les villes d'Espagne et du Portugal...     

     

    014.jpgContourner le Système. - Que nous le voulions ou non, le tourisme de masse est devenu le produit mondialisé du Système, et c'est avec "ça" qu'il faut faire.  Mais comment y échapper ? Et le peut-on seulement ? Il me semble qu'on le peut, en déjouant les automatismes de la consommation de masse et en bravant les mots d'ordre du conditionnement publicitaire. En restant soi-même, chacun est capable de distinguer ce qui est frelaté de ce qui ne l'est pas, le toc ou le faux de ce qui n'en est pas.

    Diaboliser le tourisme est aussi vain que de l'exalter: sachons juste rester éveillés...     

  • Chemin faisant (82)

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    033.jpgLe bois sacré. - 
    Au même siècle où des moines irlandais établissaient les premiers vignobles sur les coteaux de Lavaux surplombant les eaux limpides du Léman, leurs cousins bénédictins ibères installaient un ermitage parmi les pins et les chênes de la forêt primitive des abords de Luso. Dix siècles plus tard, ce furent les carmes déchaussés de Coïmbra qui développèrent, d'intense façon, la plantation d'arbres de multiples  sortes qu'on découvre aujourd'hui dans la forêt de Buçaco, où voisinent 400 espèces indigènes et 300 essences exotiques, dont le cèdre du Mexique. Pour mémoire pieuse, il faut rappeler que ces lieux boisés à recoins furent interdits aux femmes en 1622 par une bulle papale de Grégoire XV, sous peine d'excommunication, et qu'un pontife ultérieur, Urbain VIII, menaça de la même mesure tout déprédateur des bois en question. Or la respectueuse tradition arboricole s'est perpétuée puisque, après l'abolition des ordres religieux au Portugal, en 1834, l'Administration royale, puis celle des Eaux et Forêts, ont maintenu et même développé cette prodigieuse forêt, tenue pour l'un des plus anciennes d'Europe.

     

    021.jpgRoyale "folie".- Dans la foulée, l'on naura pas manqué de jeter un oeil, au moins de l'extérieur (l'intérieur est actuellement celui d'un palace ***** inaccessible aux fox-terriers et autres voyageurs bohèmes)à l'extravagant palais de Buçaco, typique de l'architecture fin de siècle (il date de 1897), plus précisément du néo-gothique manuélin cher aux Portugais, qui servit de palais de chasse aux derniers rois et fut converti en 1917 (chacun sa révolution) en hôtel de grand luxe...

     

    058.jpgAu sud du Sud. - Schopenhauer le grincheux affirme quelque part que "la vie n'est pas un panorama", mais nous n'en avons pas moins été émerveillés par la descente, de Coïmbra en Algarve, à travers les forêts de chênes-liège et de pins, les collines pelées rappelant la haute Toscane, les plaines tantôt ocre roux et tantôt gris bleu de l'Alentejo qu'on sait le coeur terrien et le grenier du Portugal. Sur la splendide autoroute à trois pistes à peu près déserte, je me suis rappelé néanmoins que la vie, pour le paysan portugais souvent "oublié" par la manne européenne, n'est certes pas un panorama...

    Ce qui ne nous aura pas empêchés, à notre arrivée dans le petit port aux maisons blanches de Carvoeiro, d'apprécier le charme du lieu et le wunderschönes Panorama...    

     

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  • Chemin faisant (81)

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    L'atmosphère d'Antunes. - Dès que nous sommes entrés dans la grande demeure aux murs vieux rose sous les arbres immenses agités par le vent, il m'a semblé retrouver l'atmosphère de vieille bourgeoisie provinciale à complications familiales, murmures et chuchotements, des romans d'Antonio Lobo Antunes.

    Ensuite, l'empressement immédiatement avenant de Madame, l'escalier de bois ciré aux tapis élimés, la vitrine aux saintes figures de porcelaine polychrome, la très grande chambre aux murs blancs ornée du chromo à la petite fille priant à genoux avec son petit chien (Forgive us our Trespasses), les deux lits chastement  séparés,   la componction de Monsieur m'expliquant avec gravité le fonctionnement de l'extravagante douche multifonctions, tout cela  n'en finissait pas de murmurer et de chuchoter comme cela murmure et chuchote dans les romans de Lobo Antunes, avec un cri parfois dans les chuchotements...

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    D'incroyables coïncidences. - Puis ce fut le deuxième et dernier soir et Madame nous convia, pour un verre de porto, dans le salons aux murs couverts de portraits de famille où Monsieur, à côté du feu de cheminée, suivait à la fois le match en cours (Benfica-Anderlecht) sur son ordi tout en prenant connaissance des dernières infos (divers ministères occupés à Lisbonne) non sans nous saluer aimablement. Et la conversation de rouler. Et Madane de nous révéler, à un moment donné, que Monsieur était l'aîné de sept frères. Alors moi de m'exclamer que c'était le cas, aussi, de l'écrivain Antunes qui m'avait raconté, à Paris, que son père les obligeait à parler français. Et Madame de s'animer soudain et de m'apprendre d'autres troublantes coïncidenecs. À savoir que, dans son livre intitulé Lettres de la guerre, rassemblant sa correspondance de jeune médecin participant à la guerre en Angola, Antonio Lobo Antunes, portant le même prénom que Monsieur, écrivait à sa première épouse, au même prénom que Madame, pour raconter les mêmes tribulations que Monsieur avaient vécues au Mozambique au même âge...

     

     

    013.jpgCe qu'en disent les oiseaux. - Ce matin nous ferons route vers l'Algarve, où se passe une partie de celui que je préfère des romans d'Antunes, Explication des oiseaux. Hier soir nous n'avons pas parlé, avec Monsieur et Madame, des autres livres du grand écrivain, dont je n'ai pas l'impression, d'ailleurs, qu'ils les aient lus. Les incroyabes coïncidences  à en juger par le peu de cas que paraît en faire Monsieur, ne sont probablement, à leurs yeux, qu'une curiosité de l'existence juste bonne à citer dans la conversation, avec un doigt de porto. Passons. La fiction, à la Vila Duparchy, trouve un décor assez idéal pour faire la pige à la réalité, qui n'en finit pas de tisser son roman... 

     

     

     

  • Chemin faisant (80)

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    Loin des foules. - Il y a de l'agrément à se balader hors saison, mais aussi son revers. Hier par exemple, nous débarquons de Porto, à Luso plus précisément, non loin de la vénérable Coimbra, à la Vila Duparchy, au milieu d'un grand parc, style vaste demeure bourgeoise rose érigée en 1898 et tenue par un vieux couple de Portugais délicieusement prévenants, immenses chambres à hauts plafonds et hautes fenêtres donnant sur la piscine et la tour pseudo-médiévale, mobilier cossu et gravures pieuses, tout cela pour 65 euros la nuit à deux pelés mais tout seuls.

    Avant Porto déjà, à la Casa Branca quatre étoiles donnant sur la mer, à 50 euros la nuit, nous n'étions que deux ou trois couples de tondus, mais il faut voir aussi le bon côté de la chose, qui facilite la conversation avec les hôteliers et le personnel ravis, au Portugal, de parler notre langue qu'ils ont souvent exercée entre Montreux et Villars, ou Lausanne et Verbier...

    Chemins81.jpgParadoxes du progrès. - C'est par Internet que nous avons, via Bookings, déniché la Vila Duparchy, signalée naguère par Le Routard, mais absente de la dernière édition. Peut-être trop vieille Lusitanie pour le guide en question, mais le détour "vale pena" !  N'était-ce que pour le petit-dèje fastueux à confitures faites maison, le confort absolu rappelant un peu la grande bourgeoisie provinciale des romans d'Antonio Lobo Antunes, et la prodigieuse cage à douche multifonctions, qu'on atteint par trois marches solennelles. Par un jeu de leviers et de manettes d'une sophistication quasi cybernétique, l'on peut ainsi  régler diverses sortes d'arrosages et de massages hydrothérapiques de face et de profil  autant que du haut en bas, en attendant juste que vienne l'eau chaude. Le maître des lieux précise, non sans onction et en français parfait: "Juste un peu de patience, car c'est une vieille maison"...

     

    010.jpgGentillesse portugaise. - On a beau se défier des généralités: force est de reconnaître que les Portugais, les hôteliers et les sommeliers portugais, les étudiantes et les étudiants portugais, les bouquetières et les camionneurs portugais, jusqu'aux retraitées et aux fonctionnaires portugais défilant dans la rue en criant "rua" au gouvernement qui les tond au nom de l'austérité, sont plus gentils que les Parisiens ou les Suisses allemands, moins rogues aussi que les Espagnols. Or il n'y a aucune flatterie dans cette gentillesse portugaise. On la sent naturelle: venue de loin. C'est une forme aristocratique de la vieille bonté populaire. Il y a du souvenir des îles et des suavités pimentées du Brésil et de l'Afrique, revenues avec les caravelles, dans cette gentillesse un peu mélancolique que le fado module...   

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  • Chemin faisant (78)

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    Ah, os dias felizes . - Cela fait un vieux bien de découvrir une belle grande ville, où l'on se dit tout de suite qu'on pourrait habiter. Je me le suis dit cent fois à Paris où je n'ai habité que de temps en temps, et à Berlin aussi, à Rome, à New York ou à Berlin, à Lisbonne mais pas du tout à Vienne dont les gens et Thomas Bernhard m'ont dégoûté, non plus qu'à Stockholm mais ce serait à réévaluer quarante ans plus tard, alors qu'à Porto je reviendrai comme nous reviendrons à Lisbonne ou à Madrid rien que pour le Prado ou le Rastro...

    360.jpgUne apparition. - Ce qu'il y  d'immédiatement splendide à Porto c'est que la ville, contrairement à Tokyo où l'on est toujours dedans et jamais avec assez de recul même au 60e étage d'une tour de Ginza, apparaît aussitôt et sous de multiples points de vue. Le fait qu'elle soit montueuse facilite évidemment les choses, comme à Rome ou à San Francisco, et les hautes rives du Douro, d'où l'on découvre l'ensemble de la ville ancienne,  nous réservent des vues d'ensemble incomparables...

     

     

    362.jpg374.jpg364.jpgRevenir, c'est relire. - Je ne sais plus qui disait: "Dis-moi ce que tu relis et je te dirai qui tu es" ? Ce qui est sûr est qu'on pourrait dire la même choses des villes grandes ou moins grandes (je pense à Sienne et à Séville) dans lesquelles on revient pour les relire, et déjà je sais, même en ne faisant que passer à Porto, que nous y reviendrons comme nous reviendrons à Lisbonne. Nous n'avons passé que quelques heures à Porto mais son ton, la tranquille amabilité de ses gens, le sourire immédiat de ses gens - dont les Espagnols sont plus avares-, la beauté des jeunes gens dans tel bar ou tel café agréablement enfumé, le mélange de baroque un peu sud-américain de ses églises et le côté napolitain parfois de ses façades où sèche le linge, la bigarrure populeuse de ses rues passantes et l'aspect bordéliquement organisé de sa circulation, les ponts immenses et l'empilement enchevêtré des façades au graphisme évoquant un peu Vieira de Silva, en un mot l'habitus de Porto - tout cela nous a donné l'envie de revenir bientôt et de relire Porto...        

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  • La mémoire d'un journaliste

    VALLOTTON_Jacques_C_www.veroniquebotteron.com--672x359.jpgÀ popos de Jusqu’au bout des apparences, autofiction de Jacques Vallotton évoquant, au tournant de la retraite quarante ans d’activités.

    Le métier de journaliste, si tant est que ce soit un métier – ce qui se discute selon les cas -, est aujourd’hui l’objet de critiques, parfois excessives ou infondées, autant que de louanges non moins complaisantes, voire outrées.

    Ce flottement  de l’opinion correspond au caractère composite de l’activité journalistique ou plus exactement : médiatique, qui oscille entre l’observation sérieuse et la jactance, le commentaire politique avisé et l’opinon manipulée, le reportage sur le terrain et le scoop comme fin en soi, l’enquête documentée et la recherche du scandale, l’info et l’intox.

    Assez significativement, les journalistes dont les noms « restent » furent à la fois des écrivains, tels Albert Londres ou George Orwell, Ernest Hemingway ou Joseph Kessel, Georges Simenon ou Vassili Grossman, Dino Buzzati ou Tom Wolfe.

    Plus récemment, en France, un Jean-Claude Guillebaud ou un Jean Hatzfeld se sont fait connaître par leurs livres autant que par leur travail de grands reporters, de même qu’un Niklaus Meienberg, en Suisse, a combiné l’investigation et la polémique engagée avec une patte d’écrivain, alors que son confrère Martin Suter passait du journalisme économique au roman. Mais le meilleur du journalisme relève-t-.il forcément de la littérature ? Je ne le crois pas, au contraire : rares furent les écrivains majeurs qu’on puisse dire les meilleurs journalistes.

    C’est que le journalisme s’inscrit dans une autre temporalité que celle de l’écriture personnelle, et à un autre niveau de langage. Le journaliste use, au fil de l’actualité instantanée, du langage de tous, dont il espère être compris dans l’immédiat, alors que l’écrivain travaille le langage au corps, dans un temps intime souvent hors du temps, sans penser forcément au lecteur.

    Jacques Vallotton, journaliste de longue expérience bien connu du public romand pour son travail dans la presse écrite autant qu’à la radio et à la télévision, vient de publier un récit  très personnel constituant le premier bilan de quarante ans d’activités journalistiques, sous la forme d’une autofiction. S’il se défend d’avoir fait œuvre littéraire, l’auteur de Jusqu’au bout des apparences n’en a pas moins eu recours à un artifice de narration en troisième personne, relevant de la mise à distance et d’une forme de fiction. Le temps du récit est celui d’un parcours nocturne en voiture entre les studios de la Maison de la radio, à Lausanne, que le journaliste quitte après son dernier flash, et les hauteurss valaisanness de Saint-Luc, où il va rejoindre la compagne de sa vie, prénom Gerda.  Tout au long de ce trajet, le double de l’auteur, désormais retraité, égrène moult souvenirs, colères et passions, au fil d’un soliloque souvent suscité par les lieux éclairés par les phares de sa Mégane noire. Le monologue touche parfois au comique, plus ou moins volontaire, quand le chauffeur se prend à témoin, pousse un cri de rage ou frappe son volant pour mieux marquer un mouvement d’humeur. Le ton est au défoulement, parfois à l’invective, car le journaliste, souvent tenu à la réserve par les conventions du service public, peut enfin dire tout haut ce qu’il a si souvent pensé tout bas sans se lâcher, à quelques exceptions près – tel ce « dégueulasse ! » lâché un jour au micro de la sage radio romande, comme un cri du cœur…

    Critique et autocritique

    Le livre de Jacques Vallotton est intéressant à de multiples égards, découlant à la fois de la personnalité de l’auteur, de sa riche expérience, de son sens critique aiguisé et de son aptitude à l’autocritique à la fois personnelle et collective. Les journalistes, souvent prompts à juger autrui, sont plus lents à reconnaître leurs propres travers ou à juger les dérives parfois détestables du monde médiatique, sous prétexte de ne pas « cracher dans la soupe ». 

    Or Jacques Vallotton, de la génération des soixante-huitards (il est né en 1942), et le cœur accroché à gauche, n’a rien pour autant d’un idéologue psychorigide, tenant plutôt du  pragmatique conséquent, attaché au concret mais reconnaissant à la fois la complexité des choses. Grand sportif en sa jeunesse, passionné de voile et d’alpinisme, ce Vaudois de souche a quelque chose de profondément suisse dans son attachement à la démocratie réelle et son approche nuancées des faits et des gens, guère intimidé par le bluff médiatique ou politique. En deux pages cinglantes, il dit haut et fort pourquoi il déteste Christoph Blocher, tricheur et menteur à ses yeux. En revanche, c’est avec beaucoup de scrupules qu’il évoque, par le détail, les qualités et les défauts d’un autre politicien aux réelles dimensions d’homme d’Etat, qu’il nomme Desadrets par politesse mais en qui le lecteur de nos contrées identifiera naturellement Jean Pascal Delamuraz.

    Tout au long de son périple autoroutier, le protagoniste de Jusqu’au bout des apparences ne cessera d’ailleurs de revenir aux circonstances plus ou moins connues de l’« affaire » privée, marquée par un adultère et le suicide d’un notable, qui faillit provoquer la chute publique de l’ancien Président de la Confédération.  Or ce motif narratif récurrent cristallise à la fois la réserve personnelle du journaliste à l’égard d’un homme qu’il a connu sur le lac (Desadrets partageant sa passion de navigateur) et dans les allées du pouvoir - où l’éloquence brillamment rouée du personnage faisait merveille -, mais aussi  le brouillage entretenu par le « grand parti de l’époque » aux multiples réseaux d’influence, y compris dans les médias. Or ce que que remarque Jacques Vallotton, c’est qu’une telle omertà serait bien plus difficile à maîtriser aujourd’hui que naguère, dans le contexte de concurrence et de chasse au scoop qui caractérise désormais les médias.  Et d’ajouter, à la décharge du grand bonhomme, que sa « faute » de Don Juan ne justifiait sûrement pas qu’on l’abatte. Du moins sent-on que cette affaire n’aura cessé de « travailler » la conscience du journaliste, qui n’a jamais eu l’occasion de pousser l’enquête au-delà des apparences.

    À propos du même homme politique, alors syndic de Lausanne, Jacques Vallotton rapporte un autre épisode, lié à la couverture, assurée par la radio, des manifestations de contestataires en notre bonne ville, jugée partiale par le magistrat. Et le patron de la radio de relayer cette pression caractérisée.   

    Le récit de Jacques Vallotton est aussi intéressant, à cet égard, par les hésitations qu’il module par rapport aux faits. Travaillant sur le présent immédiat et, souvent, dans la précipitation, le journaliste, et plus encore aujourd’hui que naguère, est souvent piégé par l’urgence et se prononce parfois sans pouvoir vérifier ses sources, participant peu ou prou à la désinformation dans les nouveaux réseaux d’information où l’info se fait parasiter par l’intox. En ces temps nouveaux de mondialisation et de soumission aux lois du rendement, la concurrence fait mâle rage et touche également, au scandale de son serviteur soucieux d’éthique, les rédactions du service public.  

    images-7.jpegDu détail à l’ensemble

    Dans l’habitacle de sa Renault fonçant dans la nuit vaudoise puis valaisanne, le jeune retraité pourrait être dit, encore, de la vieille école. Pas trace chez lui de cynisme ou de consentement. Syndicaliste il fut et le reste de cœur et d’esprit.  Si sa compagne milite explicitement dans un parti de gauche, lui-même ne cesse de « lire » le paysage façonné par les hommes, souvent au bénéfice des propriétaires ou des notables. Le tracé de l’autoroute, l’emplacement de ses aires de stationnement, telle urbanisation chaotique, tel chemin public riverain sacrifié à la jouissance lacustre de quelques privilégiés, nourissent ses observations de citoyen soucieux d’écologie.

    Si la franc-maçonnerie du « grand parti » n’est plus tout à fait ce qu’elle était, les clans survivent et particulièrement en Valais.

    Passionné d’Histoire, Jacques Vallotton « lit » aussi le paysage humain qu’il traverse en fonction du temps passé. Les séquelles d’une féroce bataille, en 1844, au pont de Vernayaz, se font encore sentir aujourd’hui entre conservateurs et « radicaux », et le journal local aura relancé ces vieilles haines en taxant le grand poète Maurice Chappaz de « cancer du Valais ». À Vevey déjà,  l’auteur avait rafraîchi la mémoire du lecteur en évoquant un Vichy-sur-Léman personnifié par un Jean Jardin, collabo de haute volée et d’influence persistante, au lieuh même où un Gustave Courbet se réfugia et prit ses bains de nocturne nudiste…

    Ne lésinant pas sur la démystification des gloires locales, Javques Vallotton rappelle, avec l’écrivain Alain Bagnoud, que le (trop) fameux Farinet, adulé par tous comme un aventurier libertaire, n’était au vrai qu’un assez triste type. Mais en passant au large de Martigny, il rendr en revanche un chalreruex hommage à Leonard Gianadda, entrepreneur un peu rustaud à l’origine que le critique d’art André Kuenzi (autorité de l’époque à 24 Heures) a largement contribué à policer avant l’épanouissement remarquable de sa Fondation.

    Jacques Vallotton, durant sa longue carrière de journaliste, a été amené à fréquenter, de près ou de loin, de nombreuses figures de la vie politique ou économique, qu’il évoque en passant pour égratigner celui-ci (un Pascal Couchepin) ou rappeler diverse « magouilles » qui ne diront rien, probablement, aux lecteurs peu familiers de l’histoire locale. L’accumulation de telles allusions est parfois un peu fastidieuse, comme sont par trop elliptiques ou convenus certains salamalecs balancés au passage (à Jacques Chessex, à Rilke ou Corinna Bille) , mais le retraité aura peut-être le temps d’y revenir car il a certainement, encore, mille souvenirs et observations à ressusciter.

    Au terme de son périple, le jour pointant, on le voit, panthéiste sur le bords, célébrer LA mémoire par excellence, en la « personne » d’un mélèze extraordinaire, vieux de 870 printemps, planté à l’époque de la deuxième croisade...

    Bel hommage final du journaliste, conscient de l’éphémère, au « long récit » de l’ancêtre auquel, non sans cadeur, il lance un final « longue vie à toi ! »   

    ob_961ca5_apparences-j-vallotton.jpgJacques Vallotton. Jusqu’au bout des apparences. Editions de L’Aire,304p. 

  • Chemin faisant (78)

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    L'assiette et la balance. - Quittant les Asturies avec un serrement de coeur, tant nous avons été bien reçus à la Casona de Andrin, nous ne nous sommes pas laissés abattre par la pluie harcelante, visant quelques nuances de gris bleuté vers la Galice, et nous encourageant avec le recours oral de bonne lectures alternant les sentences éternelles à la Pierre Dac ("Il vaut mieux qu'il pleuve un jour comme aujourd'hui, plutôt qu'un jour où il fait beau") et la suite d'Un été avec Montaigne, l'épatant essai d'Antoine Compagnon - plus précisément le récit de la chute de cheval qui lui enseigna d'expérience qu'"il ne faut pas craindre excessivement de mourir"...

    Compagnon honore son nom, qui accompagne bonnement le lecteur dans les Essais en dégageant les multiples aspects de l'honnête homme par excellence, en butte aux guerres de religion et difficultés du gouvernement des hommes. Il en illustre bien la position (entre l'assiette du cavalier s'efforçant de rester droit dans un monde où tout branle, et la balance du relativiste conscient du mouvement constant et de la complexité du réel) et le clarté de son approche, à fines touches concentrées, n'a d'égale que la limpidité de son expression. En lisant ce qu'il écrit à propos des Indiens visitant la France à l'invite du jeune roi Charles IX, qui formulent leurs observations à la manière des futures Lettres persanes, j'ai resongé à notre conversation de la veille, à La Casona, à propos de la conquête espagnole et de ce qu'en a écrit Bartolomeo Las Casas, autre grand esprit porté à la tolérance...  

     

    Chemins89.jpgGens du lac. - Une autre lecture, à travers les hauts plateaux boisés de Galice, nous a ramenés à la fois à notre vieille amie Janine Massard - femme de coeur dont tous les livres sont lestés par les dures épreuves personnelles qu'elle a subies autant que par les tribulations collectives du siècle -, et aux eaux supposées pures et limpides du Léman, dont elle évoque deux pêcheurs père et fils liés à la Résistance française. L'évocation du métier de nos pêcheurs - hommes libres levés avant tous et rencontrant sur le lac ceux d'en face, leurs collègues de Savoie - est aussi sensible qu'intéressante par les détails observés, et l'épisode lié à l'engagement spontané des deux Ami (le père et le fils Gay) dans l'aide aux résistants et autres Juifs menacés par la Gestapo donne également du poids à ce nouveau roman de la chère lutteuse. Dans la foulée, on relève le passage en douce de Pierre Mendès-France sur une barque, entre la France occupée et le rivage d'Aubonne...

    Munro01.jpgAu miroir d'Alice. - Le voyage dans le voyage que constitue à tout coup la lecture tous azimuts (les livres que je lis pendant que ma bonne amie conduit, mais aussi les paysages, des articles de journaux, les listes de mots des menus les noms de lieux et les bribes de guides genre Le Tuyau du Routard) nous vaut parfois de vrais périples parallèles, comme ces jours les nouvelles d'Alice Munro, médium incomparable des destinées humaines. Entre le Morvan et l'Anjou, l'Aquitaine et les Asturies et jusqu'à la descente, en Galice occidentale, sur Pontevedra et Samieira où nous voici, nous aurons vécu ainsi, sa traversée de tous les parcours existentiels des protagonistes de Secrets de polichinelle - huit nouvelles de plus en plus étonnantes voire folles, qui donnent à la ville de Carstairs une existence quasi mythique. Or, comme certains peintres changent notre vision des choses, et comme le voyage aiguise notre regard sur les lieux et les gens, l'on pourrait dire que cet écrivain nous fait voyager dans nos propres vies en les éclairant d'un jour nouveau...  

    Et voici qu'à l'étape d'A Maquìa, la bonne auberge de Samieira admettant les chiens (!) où nous descendons, prône aussi les livres, exposés à foison sur moult tables et rayons et des meilleurs: Garcia Marquez, Isabel Allende, Eduardo Mendoza, Mario Vargas Llosa, le Livre de l'intranquillité de Pessoa... Merci à tant de bons compagnons, merci la vie...   

  • La rentrée en mode lecture

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    (Dialogue schizo)

    Des poncifs liés à toute rentrée littéraire française, pointés par Pierre Assouline. Des remarquables retours de Martin Amis et Toni Morrison. Charles Dantzig et Pajak au mieux de leurs styles. De l’adulation convenue de Joël Dicker, qui pourrait « mieux faire »… 

    Moi l’autre : - Alors, tu as lu ce que Pierre Assouline dit, sur son blog de La République des livres, à propos des lieux communs marquant chaque rentrée littéraire française ? Comme quoi l’on publierait trop de livres, que chaque année verrait revenir les mêmes ou presque, que la moisson 2015 serait médiocre, que tout – choix des livres, distribution des prix, etc. - serait joué d’avance sous l’effet d’un complot parisien, enfin que cette rentrée nouvelle serait décidément sans surprise ?

    Moi l’un : - Oui, j’ai lu ça et je souscris, même s’il y a du vrai dans ce qu’on peut reprocher au phénomène de la rentrée à la française (spécialité mondiale), dont la pléthore même contient le pire et le meilleur. On peut déplorer le surnombre, mais se plaindra-t-on de ce formidable choix ? L’important est de choisir. De savoir choisir. Et surtout de lire : de prendre le temps de lire…

    Moi l’autre : - Notre ami JLK, sur ses blogs, a lui-même émis des doutes sur la qualité de la donne 2015…

    Moi l’un : - Il a eu tort, et il le sait. Son souci a toujours été de résister aux enthousiasmes de commande et à l’engouement grégaire, donc il fait le mauvais esprit. Il fait son malin genre connaisseur. Mais sur quelle base alors qu’il a à peine lu (ou essayé de lire et pas pu continuer…) une quinzaine de livres sur les 589 parus.

    Moi l’autre : - Tu es sûr du chiffre 589 ?

    Moi l’un : - Absolument pas, mais c’est Assouline qui l’avance, relayant probablement, Livres-Hebdo, et cela n’a aucune importance…

    Moi l’autre : - Venons-en donc à ce que tu disais du choix. Comment s’y prendre ?

    Moi l’un : - Comme toujours : par ce qu’on sait déjà de tel ou tel auteur, ce qu’on grappille ici et là en matière de jugements et de rumeurs entre médias et librairies, le bouche à oreille et la « carotte » dans le gisement : on palpe, on hume, on tâte l’étoffe. 

    Lady L. entend Sorj Chalandon parler de Profession père à la radio et en touche un mot à JLK, qui lui achète le livre alors que lui-même est en train de lire Dantzig qui l’intéresse depuis des années, ainsi de suite. C’est comme ça, aussi, qu’il a acheté sans hésiter le nouveau roman de Martin Amis, La Zone d’intérêt, et Délivrances de Toni Morrison, sur la base de ce qu’il sait de ces grands auteurs (qu’il a d’ailleurs rencontrés) et de ce que les critiques en ont dit en langue originale…

    Moi l’autre : - Et c’est ainsi que nous l’avons suivi dans ce premier choix des revenants « étrangers »…

    images.jpegMoi l’un : - Yes, sir.Avec la première surprise, contre l’inepte polémique qu’il a nourrie, de La Zone d’intérêt de Martin Amis, roman profondément dérangeant qui sonde l’abjection humaine par la peau, pourrait-on dire, un peu comme le Max Aue de Jonathan Littell l’avait endossée, mais dans un roman qui travaille la fiction d’une façon beaucoup plus ramassée que dans Les Bienveillantes, avec un travail sur la langue qui touche à la saleté originelle du langage nazi, litotes comprises…  

    Moi l’autre : - André Clavel a parlé, dans Le Temps, d’un roman dénué de tout intérêt…

    Moi l’un : - Le problème de Clavel est d’être, comme toujours, à la traîne du parisianisme, et de lire les livres en diagonale.

    Moi l’autre : - Comment expliquer le rejet, sans aucun argument, de Gallimard et de l’éditeur allemand ?

    Moi l’un : - Je suppose qu’il y a là une question de prérogatives. Je ne veux pas accuser Claude Lanzmann, mais je me rappelle qu’il avait fait barrage au roman de Litttell, comme si un jeune Américain n’avait pas le droit de parler de « ça ». 

    Par ailleurs, Martin Amis ne minimise pas les souffrances du peuple polonais, comme Lanzmann s’y est appliqué. Mais il y a sûrement d’autres raisons. Il y a aussi ça que Martin Amis ne « sacralise » par la solution finale où seule l’extermination des Juifs serait en cause. 

    Il va au fond d’une abjection composite, qui est au cœur de l’homme : le Mal est au cœur de l’homme et il repousse sans cesse, d’un consentement à l’autre, d’un génocide à l’autre. 

    Bref, c’est un livre sérieux, fondé sur des lectures sérieuses et une connaissance personnelle sérieuse du genre humain, et ce n’est pas seulement peu sérieux de le réduire à rien : c’est relancer l’abjection sur la formule nazie :circulez, y a rien à voir…

    Moi l’autre : - D’aucuns regimbent à l’idée de lire un livre de plus sur la Shoah…

    Moi l’un : - Ce n’est pas « un livre de plus », c’est un roman original, d’un auteur qui achoppe, avec son sens profond du comique, au tragique de la condition humaine. En outre, l’extermination des déportés, mise en parallèle avec l’exploitation industrielle de ceux-ci dans la « zone d’intérêt », renvoie à l’esclavagisme et aux purges organisées par Staline et Mao, entre autres monstres totalitaires. Or les exécuteurs de ceux-ci ont visage humain, et chaque romancier devrait achopper à cette réalité.    

    Unknown-3.jpegMoi l’autre : - On change de point de vue avec Délivrances de Toni Morrison…

    Moi l’un : - Pas tant que ça ! À vrai dire on en revient à l’abjection humaine, présente aussi au cœur d’un enfant, et traitée avec la poésie sans pareille de la romancière noire.

    Moi l’autre : - Le canevas du roman évoque les personnages et les situations d’une série américaine. N’est-ce pas« téléphoné » ?À la limite du cliché ?

    Moi l’un : - Disons qu’on est sur le fil de la lame, mais le côté un peu convenu, en apparence, des situations et des personnages, est compensé par l’authenticité des sentiments et les vérités d’expérience qui se dégagent de la confrontation des personnages, autant que par la langue de la romancière. 

    Les thème de la délivrance, de l’exorcisme, du dépassement de l’horreur et de sa transmutation, du Mal relancé par la vengeance d’un enfant humilié ou par le racisme persistant d’une société, sont brassés et incarnés dans le jeu purificateur de la narration. 

    Pour le lecteur aussi, Délivrances est un livre qui délivre…

    Moi l’autre : - Tout ça fait un beau début de rentrée en anglais dans le texte. Et en notre langue ?

    charles-dantzig-01.jpgMoi l’un : - Dans la foulée de notre compère JLK qui a longuement commenté, déjà, le mémorable Dictionnaire égoïste de la langue française, je placerai l’Histoire de l’amour et de la haine, de Charles Dantzig, au premier rang  de ce qui fait le génie français. 

    C’est à la fois le livre d’un moraliste pénétrant et d’un poète, d’un observateur aigu de la société contemporaine et d’un vrai romancier pour aujourd’hui, avec des personnages beaucoup mieux individualisés et charnellement présents que ceux d’un Philippe Sollers, auquel la narration fragmentaire de Dantzig fait parfois penser; et puis ce roman respire merveilleusement.

    Moi l’autre : - Le mariage pour tous en France te concerne à ce point ?

    Moi l’un : - Absolument pas : je m’en fiche plutôt, ou disons que la lutte contre l’homophobie, très présente dans le roman, dépasse de loin le débat de société pour toucher, une fois encore, à l’abjection humaine aboutissant à l’exclusion raciste, comme dans Délivrances,  ou à l’extermination, comme dans La Zone d’intérêt.

    Il s’agit ici, comme le titre du roman l’indique, des multiples modulations de l’amour, dégagé de tout son marshmallow sentimental, et des sources de la haine, de la méchanceté et de la bêtise.

    Moi l’autre : - Tu ne trouves pas qu’il y a quelque chose de Kundera dans l’économie du livre, entre essai et roman ?

    Moi l’un : - Tout juste Auguste, mais à la française évidemment, même si l’on pense à la fois à De l’amour de Stendhal, et bien sûr à Proust, qu’à la littératureanglo-saxonne, avec un clin d’œil à Joyce et Virginia Woolf. À un moment donné, il est question de la gentillesse d’un des protagonistes, alliée à sa bonté. Il y a aussi de ça chez l’auteur…

    images-6.jpegMoi l’autre : - Bonté et gentillesse : on pourrait le dire aussi de Frédéric Pajak…

    Moi l’un : - Certainement, et sans plus de sucre sentimental que chez Dantzig. N’empêche que, sous leurs arêtes vives et certaine noirceur pessimiste, les quatre volumes du Manifeste incertain sont d’un homme de qualité et de ce qu’on peut dire avec Villon d'un frère humain.

    Moi l’autre : - La première bordée polémique de Pajak, cuisinier d’expérience, contre la malbouffe et la gastronomie envahissante, est immédiatement jouissive !  

    Moi l’un : - Et loin d’être gratuite ou superficielle. Juger un peuple à sa cuisine est le début d’un art de vivre, et l’évocation suivante de la méga-croisière sur le Magnifica, des Canaries à Buenos Aires, est aussi d’un observateur aigu à la Houellebecq, autre esprit libre…  

    Moi l’autre : -  De fait, lire Gobineau pendant que la croisière s’amuse rappelle les lectures de l’amer Michel, et l’on retrouve ici, après sa lecture de Walter Benjamin ou de Niezsche, la saisissante capacité de synthèse, simple mais jamais simpliste, d’un autodidacte bien plus crédible que nombre d’intellectuels à préjugés se contentant de cracher sur le« racialisme » de Gobineau. 

    Et puis il y a la part dessinée du récit, génial contrepoint !

    Moi l’un : - Bon signe : les notes en marge du Manifeste incertain 4 sont aussi abondantes que celles qui enveloppent le « miroir » des pages de l’Histoire de l’amour et de la haine, sur les exemplaires du sieur JLK. Il va probablement y revenir en long et en large.

    Unknown-4.jpegMoi l’autre : - Pour sûr ! Mais je présume qu’il sera plus bref en ce qui concerne le nouveau roman de Joël Dicker, surtout qu’il va jouer le gâte-sauce et que ce n’est pas pour le réjouir…

    Moi l’un : - Voir un talent s’égarer dans la complaisance n’est jamais réjouissant. Or Le Livre des Baltimore est une sorte d’apothéose du convenu, qui a de quoi désoler ceux qui voyaient un avenir d’écrivain au brillant storyteller…

    Moi l’autre : - Nous avions pourtant aimé La vérité sur l’affaire Harry Quebert !

    Moi l’un : - Et comment ! C’était immédiatement captivant, les personnages en étaient intéressants et la construction diablement maîtrisée, même si la phrase restait lisse et fonctionnelle. Mais le « tribute to » aux auteurs américains (Roth, Salinger ou Irving) ou aux séries télévisées (à commencer par Twin Peaks ) avait du sens et la relation de Marcus Goldman avec son mentor ou sa mère avaient du relief…

    Moi l’autre : - Tout cela qui, revisité, devient procédé dans Le Livre des Baltimore…

    Moi l’un : - Tu me demandais s’il n’y avait pas quelque chose de « téléphoné » dans le roman de Toni Morrison, jouant elle-même sur la dramaturgie des séries, mais la pâte humaine et l’écriture de l’auteur déjouaient les clichés.

    Tandis que Joël Dicker, avec son histoire d’adolescents magnifiques se retrouvant dans les demeures mirifiques de leurs extraordinaires aînés pleins aux as et débordant de sentiments incomparables, nous exténue de niaiserie dans le déjà-vu. 

    Avec le jeune romancier-à-qui-out réussit amoureux de la chanteuse-de-tous-les succès, en passant par le garçon né en milieu pauvre adopté par des riches et l’oncle riche recalé dans un supermarché, on a droit en bonus à des dialogues d’une indigence digne de Marc Levy ou Anna Todd ! 

    Moi l’autre : - Le premier accueil des médias romands est non moins exténuant de complaisance.

    Moi l’un : - C’est affreux ! C’est la curée des groupies médiatiques sur le millionnaire du laptop, le Federer de la nouvelle sitcom !

    Moi l’autre : - Un tabloïd matinal nous apprend que le romancier écrit à 10.000 mètres du sol...

    Moi l’un : - Hélas, on ne s’envoie guère en l’air dans Le Livre des Baltimore, conçu selon Dicker lui-même « comme une série à regarder en famille »…

    Moi l’autre : - Tu as quelque chose contre les séries ?

    Moi l’un : - Au contraire, mais pour Baltimore je préfère The Wire, en français À l’écoute, fabuleux scanner narratif d'une ville à tous les étages de la société, sous forme de docu-fiction en six saisons qui vaut tous les romans à succès flattant le public pour lui masquer la réalité... 

    Martin Amis. La zone d’intérêt. Calmann-Lévy.

    Toni Morrison. Délivrances. Christian Bourgois.

    Charles Dantzig. Histoire de l’amour et de la haine.Grasset.

    Frédéric Pajak. Manifeste incertain 4. Noir sur blanc.

    Joël Dicker. Le livre des Baltimore. De Fallois.

  • Chemin faisant (76)

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    Pèlerin "malgré lui". - Depuis notre escale à Saint-Jean Pied-de-Port, et bien plus encore en ces régions de Cantabrie et d'Asturies, notre route n'en finit pas de recouper la voie, marquée par la fameuse coquille de Saint-Jacques, des pèlerins de Compostelle, à vrai dire rares en cette saison. Dans une bouquinerie visiblement marquée par l'indépendantisme basque, à Saint-Jean, la librairie, férue d'anarchisme et qui venait d'assister à un concert de Paco Ibanez à Camo, m'a fait comprendre que jamais, pour sa part, elle ne ferait Le Chemin, désormais programmé par des Tours Operators et drainant des troupeaux de marcheurs pour ainsi dire conditionnés.

    2379009806.jpgOr cette prévention était celle, aussi, de l'écrivain Jean-Christophe Rufin, avant qu'il ne se mette en route et se fasse rattraper, à l'étape d'Oviedo, par une spiritualité dont il se défiait jusque-là. Du récit limpide et réaliste qu'il a tiré de son périple, dont l'énorme succès l'a étonné, il a tiré une nouvelle version, illustrée par son ami le photographe québécois Marc Vachon, dont nous pouvons mieux apprécier l'apport sur les lieux mêmes.  

    santillana_del_mar_cantabria_8717_570x.jpgSantillana del mar. - En passant par le bourg de Cantabrie que Jean-Paul Sartre qualifie de "plus beau village d'Europe", dans La nausée, Jean-Christophe Rufin n'a pas été plus charmé que nous, qui n'y avons vu qu'une espèce de village-musée aux magnifiques maisons médiévales réduites, faute de vie locale (à part l'exploitation touristique) à l'état de clinquant décor de film historique. "Santillana del mar m'a retenu dix minutes, écrit l'académicien pèlerin, le temps de boire un jus d'orange dans le patio d'un restaurant. Aucune des serveuses que j'interrogeais ne connaissait le village. Elles venaient toutes d'ailleurs, recrutées pour la saison estivale".

    Et de déplorer, alors, une "tragédie moderne qui se nomme le tourisme de masse", que nous avons déjouée, pour notre part, en nous pointant en ces lieux un 20 novembre, pour trouver le vide sans âme d'un village àpeu près désert au lieu du trop-plein. Pas de quoi nous donner la nausée, mais rien pour se réjouir non plus...  

    3633077812.jpgCulture terrienne. - Demain nous serons à Oviedo, départ du Camino primitivo dont Jean-Chrisophe Rufin dit qu'il a marqué un tournant décisif dans ce qui est bel et bien devenu pour lui une quête spirituelle, mais en attendant nous aurons fait encore deux étapes dignes d'être recommandées: la première dans une très bonne auberge de pierre et de bois, à Puertas de Vidiago, non loin des falaises à bufones, à l'enseigne de la Casa Poli dont la table réalise la perfection de l'art culinaire paysan à la mode asturienne, associant grande qualité et raisonnable dépense. Enfin, un crochet par le Musée ethnographique de Porrua, à peine écarté du Chemin, nous a permis de découvrir les reliefs émouvants d'une culture paysanne pauvre dont les instruments aratoires, outils d'artisans et autres objets usuels de la vie quotidienne se trouvent mis en valeur dans un ensemble de maisons simples et belles dont la première est un typique horreo, genre grenier sur pattes tout semblable à nos mazots valaisans. Or, décrivant précisément ces constructions séculaires, contrastant avec "la prétention sophistiquée et qu'on espère éphémère des lotissements qui défigurent la côte", Jean-Christophe Rufin relève également la spiritualité qui émane des sanctuaires préromans de la région, témoignages d'un christianisme humblement vécu: "Quelque chose d'âpre, de primitif et en même temps d'une grande noblesse m'a tout de suite frappé dans les Asturies"... 
    Jean-Christophe Rufin. Immortelle randonnée - Compostelle malgré moi. Edition illustrée par le photographe Marc Vachon. Gallimard, 232p.  

  • Chemin faisant (75)

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    Musique des noms.- De Combray à Santillana del Mar, les noms chantent et ne  finissent pas d'en appeler d'autres, de Cantabrie à Compostelle où nous sommes ces jours, qui appellent déjà ces  noms à venir, demain, de l'Alentejo et de l'Algarve, avant Cordoue et Grenade en Andalousie. Rien que ce nom d'Andalousie est d'ailleurs promesse de tout un mundillo que je m'impatiente d'investir sur ses lieux et par le truchement, aussi, du nouveau roman de l'ami David Fauquemberg, Manuel El Negro, que nous lirons pour entendre les mots et le chant profond de la langue flamenca...

     

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    Les mots de Louise. - Ces jours, cependant, c'est avec une autre femme à mots (comme on dit un homme à femmes...) que nous aurons voyagé tandis que je lisais en voiture, des Landes aux Pyrénées et de Cantabrie au Asturies, les mots de dame Claire en ses Histoires de Louise, dont le personnage sort déjà d'autres mots puisque cette Louise Bottu est empruntée au Monsieur Songe de Robert Pinget: " Monsieur Songe au cours de sa promenade du matin rencontre un jour Louise Bottu, la poétesse. Elle est toute déjetée, boiteuse et tremblotante. Mais sitôt qu'elle reconnaît monsieur Songe elle a un sourire de petite fille et leur conversation, qu'ils ont interrompue depuis des lustres, est la même qu'autrefois".

    Je ne connaissais guère, jusque-là, la poétesse Claire, que par nos échanges sporadiques de Facebook. Or la récente lecture des livres d'Alice Munro, qu'elle a lu en v.o. lors d'un séjour américain, si j'ai bien compris, et le peu que je sais aussi des éditions Samizdat et de ses autres écrits persos, préludaient à une lecture constituant un moment de voyage privilégié en cela, notamment, que Louise Bottu, comme Claire Krähenbühl, est une femme à mots.

    Ces Histoires de Louise, comme les nouvelles d'Alice Munro, nous font passer de l'autre côté du miroir des mots, où une femme, les mains dans l'eau de vaisselle, se dit soudain ceci: "Quand j'étais jeune, j'étais folle". Et de se rappeler un rendez-vous où elle est allée, un dimanche d'été à Heidelberg, "un rendez-vous qu'on ne lui avait pas donné". Les histoires de Louise sont autant d'évocations de vies possibles ou possiblement perdues et retrouvées des années après, ou pas - autant de rêveries.

    "Elle se demande souvent. Où vont les petites cuillères ?" Grave question en effet, que ne peut manquer de se poser un pèlerin sur le Chemin de Compostelle, en attendant de rencontrer peut-être une Louise à laquelle il parlera spiritualité pour la draguer, et avec lequel elle préférera jouer au jeu d'"on dirait qu'on serait"...

    Louise n'aime pas trop les voyages: nous non plus. C'est que c'est trop souvent pas mal d'emmerdes les voyages, mais qui sait emmener sur la route sa chambre et la poser partout, une chambre et donc une table et un carnet sur lequel recréer le monde: là, ça va, et Louise aime traduire les mots, n'importe quoi faisant vite un poème comme la très élémentaire Lista de precios de la Casona de Andrin:

    Temporada baja: habitacion doble: 70 Euros

    Temporada alta: habitacion doble: 80 Euros

    Cama supletoria para ninos hasta 10 anos: 15 Euros.

    Ensuite nous serons à Lisbonne et nous traduirons en portugais ces mots de Rodriguez Garcia, l'auteur d'Al final de la noche, qui a dormi dans la chambre de la Casona où j'ai retrouvé son livre, ces lignes évoquant Lisbonne. "Se miraron a los ojos co una melancolìa hospitalarie, como si desearan comenzar a vivir y tuverian miedo".  

    "Qu'en est-il des archives d'amour ?", se demande aussi Louise qui claudique volontiers, elle aussi, entre mélancolie et chanson douce. Et c'est un autre voyage dans le voyage qu'on relance, alors, au fil des mots...

     

    Pivot.jpgLes mots de nos vies. - Dans son livre  intitulé Les mots de ma vie, Bernard Pivotqui a lu mes Riches Heures, me cite sous la rubrique Amie, pour l’usage que je fais de l’expression ma bonne amie, qui lui rappelle le temps de sa jeunesse lyonnnaise où l'expression était courante. Or lisant son livre je tombe ensuite sur un autre de ses mots-fétiche, à la rubrique Admiration, qui me fait penser que ce grand passeur est par excellence le véritableamateur, au sens de celui qui aime...

    Et Louise Bottu de la ramener derechef: "Ah! comme j'aime les mots soupire-t-elle. Est-ce que je radote ? Est-ce qu'on peut tous les glisser dans un poème ? Si longtemps timorée, elle ajoute encouble et ruclon à filament, firmament, batelière, grelot, sureau et tant d'autres"... 

    Dans la foulée, le pédant puriste franco-français aura tiqué: Non mais, "encouble", "ruclon", et quoi encore ? Alors Louise, qui ne les aurait pas utilisés sous le nom de Robert Pinget, d'expliquer sous celui de dame Claire que s'encoubler signifie, en langue vernaculaire romande, trébucher, et qu'une encouble est, par exemple, un enfant dans vos jambes vous encombrant; alors qu'un ruclon est un tas de déchets ou d'ordures. Or ces mots, si peu académiques qu'ils soient, procèdent en somme du langage-geste, invitant à d'autres voyages...     

  • Ceux qui n'en ont cure

    Suisse23.JPGCelui qui fait le tour du jardin sans penser à rien d’autre / Celle qui surveille les voltigeurs mais sans plus / Ceux qui ne s’occupent pas de la  planète des autres / Celui qui ne se sent pas concerné par le discours communautariste du Parti National Suisse qui invoque l’ascendance aryenne de la Suisse germano-celte prouvée par la Bible / Celle qui n’est pas motivée par l’argent mais uniquement par l’or / Ceux qui se disent de gros boulonneurs comme le prouve leurs gros boulets / Celui qui possède deux voitures tapissées de poils de chien / Celle qui ne se soucie point des soucis de Sophie la siphonnée / Ceux qui se rappellent les souliers jaunes de la vieille dame revenant à ses hommes comme le refoulé de leurs cabinets / Celui qui se demande s’il a bien l’âge de sa maladie / Celle que son arrogance caparaçonne sans que la potence de son lit de clinique ne s’en offusque / Ceux qui ont des canines de caniches courroucés / Celui qui ne vit que pour répéter qu’il est catholique et donc ni juif ni pédé / Celle qui à force de se répéter est devenue ce qu’elle est en plus laid / Ceux qui persistent à mourir dans l’indifférence du dictionnaire / Celui qui est modestement suffisant genre Jean d’Ormesson qui s’excuse de vous rappeler son importance / Ceux qui a deux opérateurs chargés de l’opéra de ses finances / Ceux qui opèrent à ciel ouvert/ Celui qui se précipite entre deux rafales de voitures et se retrouve dans la bijouterie dont la vitrine brisée lui laissera des marques aux pommettes /Celle qui qualifie de spacieuse la pensée de Gaston Bachelard / Ceux qui ont des suites dans leurs idées d’hôtels de luxe avec vue sur l’Avenir / Celui qui ne pense pas que ses arrangements futuristes se finaliseront de son vivant / Celle qui s’appuie sur du fragile à l’instar des bricoleurs de pirogues en pagnes / Ceux qui rappellent à leurs filles que l’adjectif indéfrisable remonte à l’époque des Dolly Sisters /Celui qui a épilé Angela Davis « à la grande époque » / Celle dont un tuyau de gaz stimule le rein gauche / Ceux qui n’ont cure de voir un curé récurer le réfectoire de leur âme, etc.

  • Chemin faisant (74)

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    Voix de la mer . - On les entend d'abord de loin, rugissants et de plus en plus proches, bientôt tonitruants, sur le fond de la rumeur marine, puis on les voit jaillir de la lande pierreuse, comme des geysers. Les jours de grosse mer et de grand vent, leurs terribles coups de boutoir évoquent de vieilles terreurs légendaires, et plus encore si le brouillard rampe au sommet des falaises dominant l'océan d'une cinquantaine de mètres. Or l'eau qui semble jaillir de la terre n'est que la projection des vagues montant soudain à la verticale par les failles du rocher et finissant en jets écumeux, parfois jusqu'à  dix ou vingt mètres au-dessus de la surface d'herbe et de calcaire, retombant ensuite dans l'entonnoir karstique et rejaillissant au prochain spasme...       


    Chemins64.jpgL'envolée de Carmencita.
     -   Si l'on vous raconte l'histoire de Carmencita la vache volante, ne prenez pas votre air incrédule, et d'autant moins qu'on se trouve ici sur le chemin de Compostelle et qu'il ne peut qu'y avoir du miracle en suspension - c'est le cas de dire. Ainsi Carmencita, comme c'est arrivé à divers autres ruminants distraits, s'égara un jour dans la brume, glissa sur les hauts gazons et bascula dans le gouffre marin, sous les yeux épouvantés du jeune Pedro venu la chercher pour l'abreuvoir. Cependant la Vierge Marie, ce soir-là, fut émue par la prière du garçon, si bien que celui-ci, toujours à genoux, vit remonter Carmencita dans le prochain grondement du bufon et voler soudain au-dessus de lui, tournoyer là-haut et retomber enfin très en douceur, tout à côté de lui, juste un peu sonnée et sa jolie frange bouclée ruisselant d'eau de mer...  

    054.jpgVersion terre à terre. - Quant aux pancartes apposées à proximité des divers gouffres de ces abords de Llanes, elles se bornent à de plus ordinaires explications, invoquant la nature particulière du sous-sol local et à la conformation de ces "cheminées" de calcaire aboutissant, sous l'effet des déferlantes, à ces jets d'eau et de vapeur spectaculaires - le tout ayant été classé Monument naturel par la principauté des Asturies...     Chemins60.jpg    

  • Chemin faisant (73)

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    Loin de la foule. - D'aucuns se tapent mille bornes afin de pouvoir dire qu'ils ont "fait" le Guggenheim de Bilbao, et nous avons "donné" une fois, mais il n'y en aura pas deux. Entre l'ours floral débile de Jeff Koons, le labyrinthe où la multitude tourne en rond et les bricolages minimalistes des stars multi-mondiales maxi-friquées, nous avons cherché un peu de peinture, en vain. Pour dire les choses tranquillement: passé le choc certain de la super-carène architecturale du grand vaisseau vide, nous n'avons trouvé là-bas d'attrait qu'à la cafeteria, sinon rien.

     

    021.jpgEl nieto e l'abuelito. - Ce qu'il faut dire, c'est que l'oeil requis à Bilbao est essentiellement cérébral où confiné dans l'esthétique fonctionnelle, oscillant entre concepts et déco. Je vais faire figure d'attardé voire de réactionnaire mais je m'en balance: pour tout dire je préfère une évocation de Paul Klee signée par mon petit-neveu de 7 ans Adrien, ou une tapisserie de son arrière-grand-père André, à tous les chichis des Sol Lewitt et autres Franck Stella, pour ne citer que  les plus illustres noms du lilliputisme artistique ricain. Ceci pour introduire au museo privado,et sans la moindre prétention snob, de La Casona de Andrin, aux objets intégralement rassemblés par la dona Hermana Grande de la Fuente, ma frangine...    

    015.jpg043.jpgL'Oeil. - Avoir l'oeil, en matière de goût autodidacte, ressortit à la même donnée, innée ou acquise par éducation ou contacts, qu'avoir l'oreille en musique: on l'a ou on ne l'a pas. Or j'ose affirmer, sans esprit de clan ni chauvinisme familial particulier, que la maîtresse des lieux, à La Casona de Andrin, aura montré un goût raffiné dans ses multiples choix, qu'il s'agisse de la distribution des couleurs de chaque chambre (mais les Asturiens montrent l'exemple avec une propension remarquable à préférer le safran ou le rose saumon, le vert céladon ou le bleu cru pour le façades  des maisons, aux sempiternelles nuances de gris ou d'ocre terne des murs d'un peu partout) à la foison de tableaux et d'objets réjouissant le regard sans la moindre affectation.

    047.jpg013.jpgNous sommes ces jours les seuls hôtes de la Casona de Andrin, mais je me plais à imaginer la ruche estivale où passent et reviennent des gens de toute sorte, y compris telle artiste ou tel écrivain amis, dont on retrouve les oeuvres aux murs ou dans les bibliothèques. Tout cela naturellement, en somme, comme partie prenante d'un certain art de vivre où les choses de la culture, les conversations, Mercedes Sosa en  train de chanter à l'instantGracias à la Vida, la confiture de figue le matin et  le vin de don Ramon en fin de soirée, les photos de la smala enfantine, un découpage de ma bonne amie ou une gravure de vieux maître flamand - tout cela fait symphonie...         

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  • Chemin faisant (72)

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    Voyageurs du temps. - À la fin d'un des plus beaux romans épiques qui soient, intitulé Migrations et constituant le chef-d'oeuvre de l'écrivain serbe  Milos Tsernianski, celui-ci conclut sur ces mots: "La mort n'existe pas. Les migrations existent". Or je repensais à cette sentence en déambulant, cet après-midi à Colombres, dans le palais bleu abritant l'impressionnant musée de l'émigration des Asturiens, dit Archivo de Indianos, qui documente la saga des migrations économiques (dans le milieu di XIXe) ou plutôt politiques (dans les années 30 du XXe siècle, dès le début de la guerre civile)  qui ont poussé les natifs des Asturies à chercher fortune à Cuba, en Argentine, au Mexique ou à Porto Rico, notamment.

    017.jpgLa formidable bâtisse qui abrite ces archives est un bel exemple de l'architecture indiana, construite par Inigo Noriega Laso en 1906. Le personnage lui-même, parti à 14 ans pour l'Amérique et qui joua un rôle important dans la révolution mexicaine tout en amassant une fortune colossale, est un bel exemple de ces aventuriers-bâtisseurs, ligués, dans chaque pays, en communautés solidaires, et revenus au pays fortune faite.

    008.jpgLa Casona de Andrin, où nous créchons ces jours, fut elle-même construite à la fin du XIXe siècle par un militaire revenu d'Amérique du Sud, comme en témoignaient encore force malles et autres objets de voyage retrouvés dans ses greniers. Nous saluons sa mémoire d'un pacifiste garde-à-vous...

      

    Chemins57.jpgAdmirable Altamira. - On a beau se trouver dans une grotte reproduite à l'identique dans les soubassements bétonnés  d'un vaste musée ultra-moderne: la vision des peintures rupestres et autres graffiti retrouvés, à la fin du XIXe siècle, dans la grotte d'Altamira, ne laisse d'émouvoir par la grâce de ses représentations animales (plus quelques formes anthropomorphiques) datant de 30.000 à 10.000 ans. La datation de ces merveilles a suscité maintes polémiques, autant que l'interprétation de leur fonction et de leur signification, mais on en sait un peu plus au fil des recherches, et par exemple que les animaux peints ne sont pas forcément des animaux chassés...

    Pour ce qui me concerne, je n'ai envie que de me taire là-devant, tant je suis touché par ce qu'on peut dire la ressemblance humaine émanant de ces peintures, qui fait à mes yeux de l'Artiste inconnu, voyageant à travers les millénaires d'avant la Préhistoire, le frère occulte des peintres et poètes de tous les temps...   

     

    La Création d'avant la Genèse. - Non sans malice j'ai demandé au jeune guide, francophone et visiblement averti de tous les aspects, artistiques mais aussi techniques de ce patrimoine et de sa préservation, ce qu'en disent les éventuels visiteurs créationnistes du lieu. Alors lui de sourire d'un air entendu, et de se dire indéniablement catholique mais assez humble pour rendre à la Connaissance de science sûre ce qu'on lui doit en l'occurrence, qui n'exclut ni respect devant les rites anciens ni reconnaissance fervente à cet art vraiment premier...      

     

  • Chemin faisant (71)

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    Voyageurs du temps. - À la fin d'un des plus beaux romans épiques qui soient, intitulé Migrations et constituant le chef-d'oeuvre de l'écrivain serbe Milos Tsernianski, celui-ci conclut sur ces mots: "La mort n'existe pas. Les migrations existent". 

    Or je repensais à cette sentence en déambulant, cet après-midi à Colombres, dans le palais bleu abritant l'impressionnant musée de l'émigration des Asturiens, dit Archivo de Indianos, qui documente la saga des migrations économiques (dans le milieu du XIXe) ou plutôt politiques (dans les années 30 du XXe siècle, dès le début de la guerre civile) qui ont poussé les natifs des Asturies à chercher fortune à Cuba, en Argentine, au Mexique ou à Porto Rico, notamment.

    275566916.jpgLa formidable bâtisse qui abrite ces archives est un bel exemple de l'architecture indiana, construite par Inigo Noriega Laso en 1906. Le personnage lui-même, parti à 14 ans pour l'Amérique et qui joua un rôle important dans la révolution mexicaine tout en amassant une fortune colossale, est un bel exemple de ces aventuriers-bâtisseurs, ligués, en chaque terre d'exil, en communautés solidaires, et revenus au pays fortune faite.1499501872.jpg

    La Casona de Andrin, où nous créchons ces jours, fut elle-même construite à la fin du XIXe siècle par un militaire revenu d'Amérique du Sud, comme en témoignaient encore force malles et autres objets de voyage retrouvés dans ses greniers. 

    Nous saluons sa mémoire d'un pacifiste garde-à-vous...
      
    Admirable Altamira. - On a beau se trouver dans une grotte reproduite à l'identique dans les soubassements bétonnés d'un vaste musée ultra-moderne: la vision des peintures rupestres et autres graffiti retrouvés, à la fin du XIXe siècle, dans la grotte d'Altamira, ne laisse d'émouvoir par la grâce de ses représentations animales (plus quelques formes anthropomorphiques) datant de 30.000 à 10.000 ans. La datation de ces merveilles a suscité maintes polémiques, autant que l'interprétation de leur fonction et de leur signification, mais on en sait un peu plus au fil des recherches, et par exemple que les animaux peints ne sont pas forcément des animaux chassés...

    images.jpegPour ce qui me concerne, je n'ai envie que de me taire là-devant, tant je suis touché par ce qu'on peut dire la ressemblance humaine émanant de ces peintures, qui fait à mes yeux de l'Artiste inconnu, voyageant à travers les millénaires d'avant la Préhistoire, le frère occulte des peintres et poètes de tous les temps... 

    Altamira_Bison.jpgLa Création d'avant la Genèse. - Non sans malice j'ai demandé au jeune guide, francophone et visiblement averti de tous les aspects, artistiques mais aussi techniques de ce patrimoine et de sa préservation, ce qu'en disent les éventuels visiteurs créationnistes du lieu. Alors lui de sourire d'un air entendu, et de se dire indéniablement catholique mais assez humble pour rendre à la Connaissance de science sûre ce qu'on lui doit en l'occurrence, qui n'exclut ni respect devant les rites anciens ni reconnaissance fervente à cet art vraiment premier...     

  • Chemin faisant (70)

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    Les murs des migrants. - Les murs de la Casona de Andrin, qui ont des oreilles et une bouche, me racontent ce matin l'histoire qu'ils ont entendue hier soir. Je  profite d'en écrire un peu, faute de pouvoir sortir vu l'humeur de massacre, ces jours, du Nuberu. Les Asturiens, qui ont un peu de mémoire celte, n'en veulent pas autrement au Nuberu, maître des nuées, pour le temps qu'il leur fait ces jours, telle étant la saison guère plus propice aux Xanes, enjôleuses fées de bords de rivières (les Asturiens sont étymologiquement Gens de Rivières), et le Trasgu, équivalent mythologique de nos servants, ne peut rien non plus contre la fatalité pluvieuse. Demandez-lui d'ailleurs de la conjurer: vous ne l'aurez plus dans vos meubles, car le Trasgu va se cacher dès lors qu'on lui demande l'impossible.

    Resterait la technologie de pointe. J'en ai parlé aux proprios de la Casona de Andrin, dont chaque chambre est pourvue d'une douche réglable par système électronique haut de gamme distribuant la pluie fine, le crachin, l'arrosage latéral style buse ou le jet tournoyant. Reste à inventer le réglage des célestes pompes...

    Don Ramon de La Fuente n'a pas cette prétention. En homme d'expérience, il se sera contenté, sa vie durant, de travailler, beaucoup, et de diriger, dans les pays où il a migré avec sa moitié, des chantiers de plus en plus importants. Issu de terre et de tribu pauvres, il était ouvrier spécialisé quand il a débarqué, avant sa trentaine, dans cette Suisse des années 60  qu'on appelait alors de la "surchauffe". Marié dix ans plus tard, et bientôt père de deux secundi, il acquit assez de savoir pour endosser de croissantes responsabilités, notamment sur les autoroutes en construction, au titre équivalent d'ingénieur diplômé "sur le tas". Vingt ans plus tard on le retrouvait au Venezuela avec les siens, propulsé à la hauteur des tours futuristes dont il dirigeait les travaux. Puis ce fut avec les Catalans de la Costa Brava qu'il tâcha de s'entendre, lui l'Asturien pur et dur engagé dans les nouvelles constructions de Palafrugell, avant de regagner la terre mère et de s'y établir, entre océan et pics farouches, pour fonder cette Casona de Andrin aux parfaits agencements de maison d'hôtes et dont l'âme irradie dans la pleine complicité de dona de la Fuente muy ejemplar y imprescendible - mi hermana grande...  

     

    Chemins47.jpgChambres d'hôtes. - Dans le genre Bed and Breakfast, la Casona de Andrin accueille chaque année des gens de toute sorte, dont les voix murmurent encore de chambre en chambre. Les chambres de la vie communiquent à tout moment, pour la énième fois j'écoute Paco Ibanez moduler sa Triste historia, à l'instant même où j'entrouvre ce livre d'un certain J.L. Rodriguez Garcia, dédicacé à ceux de la Casona comme esta historia triste, intitulé Al final de la noche et dont je ne comprends que deux mots sur trois de la présentation, notant qu'à la fin de cette nuit romanesque, "en la soledad y en la extension amenazadora de la noche, acaso pueda aun brillar una luz, que anuncie el comienzo de un dia hermoso"...

    Or la hermana grande nous racontait, hier, le dernier séjour de l'écrivain à La Casona, l'été passé, accompagné de son épouse et de son jeune fils de seize ans commençant de ruer dans les brancards. Pas très original même pour un prof de philo, mais ainsi va la vie qui bifurque et se complique, ou devient plus sereine et limpide au contraire, de chambre en chambre et le temps passant...

    Munro17.jpgSegretos abiertos.- Ou ce serait l'histoire de Doree, devenue femme de chambre après l'affreux événement survenu dans sa vie, et qui va revoir, dans son asile psychiatrique, ce "terrible accident de la nature" que représente à ses yeux celui que les autres tiennent plus précisément pour un fou monstrueux, qui a étranglé leurs trois enfants et prétend les rencontrer, désormais, dans une autre dimension. Dimensions est le titre de la première nouvelle du dernier recueil traduit d'Alice Munro, Trop de bonheur, que je lisais hier dans un coin de La Casona tandis que mi hermana grande, à qui je venais de l'offrir, le lisait elle aussi dans un autre coin, tout à côté de ma bonne amie qui lisait, elle, la version originale de Dear Life, dernier livre de cette nouvelliste bonnement géniale à mes yeux, révélée par le plus beau Nobel de littérature de ces dernières années. Comparée, à tort je trouve, à Tchékhov, voire à Carver, Alice Munro est à vrai dire incomparable, ayant saisi de la vie ce qu'on pourrait dire l'insaisissable, l'impondérable, l'imprévisible horreur et la non moins effarante merveille - la vertigineuse relativité et la vérité sans fard captée à fleur de sensibilité, au fil de storiesréinventant à chaque fois une nouvelle façon de raconter...