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  • Ceux qui regardent la mer

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    Celui qui n'est là que pour elle / Celle qui pense à ceux de la pirogue / Ceux qui ont survécu à la pirogue / Celui qui se sent au finis terrae de sa vie d'avant / Celle qui pense parfois à la vie d'après / Ceux qui entrevoient toujours l'enfer du décor / Celui qui estime que trop de confort abrutit et dort par conséquent par terre dans le cinq étoiles qu'a réservé pour lui l'Entreprise fière de son entregent auprès des investisseurs chinois / Celle qui estime que trop d'inconfort nuit à la bonne conclusion des contrats multinationaux / Ceux qui tombent d'accord sur le fait que le luxe fait partie des dégâts collatéraux de la richesse même involontaire / Celui qui perd toute envie de "profiter" quand on le lui recommande plutôt deux fois qu'une / 014.jpgCelle qui a dévasté le coeur sensible du jeune Américain / Ceux qui on vu le jeune Américain hésiter au bord de la falaise avant de s'allumer sagement un cône / Celle qui a préféré le Lusitanien bagarreur à l'étudiant romantique natif de Venice California / Ceux qui vont se royaumer dans l'arrière-pays de l'Alentejo dont les paysans pauvres étaient naguère taxés de communisme à la moindre revendication par les proprios latifundiaires /  Celui qui s'est entiché de l'Anglaise aux dents de jument dont les économies lui ont permis de monter son petit négoce d'articles de pêche dans les ruelles du port de Carvoeiro /  Celle qui sermonne les jeunes gens portés sur les botellones / Ceux qui préfèrent ramasser des cadavres de bouteilles que des noyées blondes / Celui qui voit toujours le beau côtés des choses même frelatées par le tourisme de masse  / Celle qui se taille un joli succès au karaoké des résidents bavarois d'Albufeira et environs / Ceux qui vont pousser tout à l'heure jusqu'à Odeceixe pour voir si l'eau de la mer y est plus verte, etc.      

  • Chemin faisant (77)

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    Sainte rocaille. - Nous aurons donc "fait" las catedralas, comme nous avons "fait" los bufones. Les unes et les autres, également classés monuments naturels nationaux, constituent un must touristique côtier, avec une préférence aux cathédrales de pierre, par rapport aux bouffées d'écume, n'était-ce qu'à considérer les parkings et les aménagements bétonnés et autres marchands de pacotille pour celles-là.

    Chemins72.jpgMais que sont donc Las catedralas ? Ce sont des roches trouées et sculptées par l'eau, le sable, le vent et le temps. La main humaine n'y est pour rien. D'aucuns y voient le job de Dieu, mais ça se discute. Ce qui importe est d'ailleurs le résultat, espectacular assurément: à savoir les cavités voûtées, les pilastres semblant posés sur le sable doucement consentant, des esquisses de portiques rappelant un peu Gaudì et des arches ornées tout de même inférieures, artistement parlant, à celles d'un facteur Cheval, ce visionnaire à brouette.   

    Du tragi-comique. - Au fil de ses pérégrinations sur le Chemin de Compostelle, l'académicien dromomane Jean-Christophe Rufin qualifie de "tragédie contemporaine" le phénomène économique et culturel du tourisme de masse. En ce qui me concerne, j'y vois à la fois une comédie, qui n'a pas encore trouvé ses dignes chantres, à l'exception d'un Houellebecq. Goya s'est fait le contempteur véhément et génial des désastres de la guerre, mais pour le tourisme de masse, c'est peut-être Reiser qui en a été le premier illustrateur. On voit la nuance du tragique au comique...

    À l'étape de las catedralas, une ravissante Joselita, visiblement en instance de mariage, folâtrant sous les arches en se prêtant au rite de la photographie, faisait virevolter sa robe virginalement blanche d'organdi ou de satin à traîne de tulle soyeux serpentant dans le sable. Or il est probable que Reiser l'eût épargnée, mais le comique y était...

     

    Otros monumentos. - Si l'encombrement des parcs souterrains de la sainte cité ne nous en dissuade pas, nous irons tout à l'heure "faire" la messe de Saint Jacques, avec moult véritables pèlerins et pèlerines dont nous ne sommes point. Ce qui ne nous empêche pas de rêver, solidairement avec le peuple espagnol et toutes les nations du monde menacés par La Dette et bénéficiant d'une nature inventive, à d'autres monuments naturels à classer.

    Qu'on pense aux magnifiques forêts d'eucalyptus ou aux marées successivement montantes et descendantes de la côte: après les bufones et les catedralas, il y a là un potentiel marketing d'avenir. De même la lluva  - rien que le mot fait saliver-, la pluie de novembre cantabrienne, asturienne voire galicienne est-elle à classer monument naturel avec ses variantes de subtiles bruines pénétrantes ou de trombes aussi tonitruantes que féroces.

    Rien de naturel en revanche dans l'obstination du radiateur gris militaire de notre chambre de la belle maison de pierre sévère et de bois grave de l'hôtel Trabadelo, sur les hauts de Vegadeo, à rester aussi glacial que le regard du Grand Inquisiteur. J'ai noté "militaire" et je me rappelle alors la sentence du pertinent Clémenceau déclarant que le seul terme de "militaire" incite à la défiance, tant il est vrai que la justice militaire n'est pas la justice, ni la musique militaire n'est de la musique, et qu'un radiateur gris militaire a vocation de rester froid...       

     

  • Le Chemin et ses détours

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    Notes en chemin (83)

     

    Pèlerin "malgré lui". - Depuis notre escale à Saint-Jean Pied-de-Port, et bien plus encore en ces régions de Cantabrie et d'Asturies, notre route n'en finit pas de recouper la voie, marquée par la fameuse coquille de Saint-Jacques, des pèlerins de Compostelle, à vrai dire rares en cette saison. Dans une bouquinerie visiblement marquée par l'indépendantisme basque, à Saint-Jean, la librairie, férue d'anarchisme et qui venait d'assister à un concert de Paco Ibanez à Camo, m'a fait comprendre que jamais, pour sa part, elle ne ferait Le Chemin, désormais programmé par des Tours Operators et drainant des troupeaux de marcheurs pour ainsi dire conditionnés.

    Chemins70.jpgOr cette prévention était celle, aussi, de l'écrivain Jean-Christophe Rufin, avant qu'il ne se mette en route et se fasse rattraper, à l'étape d'Oviedo, par une spiritualité dont il se défiait jusque-là. Du récit limpide et réaliste qu'il a tiré de son périple, dont l'énorme succès l'a étonné, il a tiré une nouvelle version, illustrée par son ami le photographe québécois Marc Vachon, dont nous pouvons mieux apprécier l'apport sur les lieux mêmes.   

    021.jpg019.jpgSantillana del mar. - En passant par le  bourg de Cantabrie que Jean-Paul Sartre qualifie de "plus beau village d'Europe", dans La nausée, Jean-Christophe Rufin n'a pas été plus charmé que nous, qui n'y avons vu qu'une espèce de village-musée aux magnifiques maisons médiévales réduites, faute de vie locale (à part l'exploitation touristique) à l'état de clinquant décor de film historique. "Santillana del mar m'a retenu dix minutes, écrit l'académicien pèlerin, le temps de boire un jus d'orange dans le patio d'un restaurant. Aucune des serveuses que j'interrogeais ne connaissait le village. Elles venaient toutes d'ailleurs, recrutées pour la saison estivale".

    Et de déplorer, alors, une "tragédie moderne qui se nomme le tourisme de masse", que nous avons déjouée, pour notre part, en nous pointant en ces lieux un 20 novembre, pour trouver le vide sans âme d'un village àpeu près désert au lieu du trop-plein. Pas de quoi nous donner la nausée, mais rien pour se réjouir non plus...  

     

    012.jpgCulture terrienne. - Demain nous serons à Oviedo, départ du Camino primitivo dont Jean-Chrisophe Rufin dit qu'il a marqué un tournant décisif dans ce qui est bel et bien devenu pour lui une quête spirituelle, mais en attendant nous aurons fait encore deux étapes dignes d'être recommandées: la première dans une très bonne auberge de pierre et de bois, à Puertas de Vidiago, non loin des falaises à bufones, à l'enseigne de la Casa Poli dont la table réalise la perfection de l'art culinaire paysan à la mode asturienne, associant grande qualité et raisonnable dépense. Enfin, un crochet par le Musée ethnographique de Porrua, à peine écarté du Chemin, nous a permis de découvrir les reliefs émouvants d'une culture paysanne pauvre dont les instruments aratoires, outils d'artisans et autres objets usuels de la vie quotidienne se trouvent mis en valeur dans un ensemble de maisons simples et belles dont la première est un typique horreo, genre grenier sur pattes tout semblable à nos mazots valaisans. Or, décrivant précisément ces constructions séculaires, contrastant avec "la prétention sophistiquée et qu'on espère éphémère des lotissements qui défigurent la côte", Jean-Christophe Rufin relève également la spiritualité qui émane des sanctuaires préromans de la région, témoignages d'un christianisme humblement vécu: "Quelque chose d'âpre, de primitif et en même temps d'une grande noblesse m'a tout de suite frappé dans les Asturies"...   007.jpg

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    Jean-Christophe Rufin. Immortelle randonnée - Compostellemalgré moi. Edition illustrée par le photographe Marc Vachon. Gallimard, 232p.      



  • Avenue de l'Océan

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    DU VOYAGE. - C'est en voyageant qu'on peut le mieux éprouver la qualité d'une relation intime et sa longévité possible, il me semble; en tout cas c'est ce que j'ai vérifié dès le début de notre vie commune, avec ma bonne amie, qui voyage exactement comme je le conçois, sans jamais se forcer.

     

    Le plus souvent nous nous laissons un peu plus aller, en voyage, que dans la vie ordinaire:  nous sommes un peu plus ensemble et libérés assez naturellement de toute obligation liée à la convention du voyage portant, par exemple, sur les monuments à voir ou les musées. Nous ne sommes naturellement pas contre, mais nous ne nous forçons à rien.

    Il va de soi qu'il nous est arrivé, par exemple à Vienne lors d'un séjour de nos débuts passablement amoureux, ou traversant la Suisse après la naissance de  Sophie laissée à nos parents, ou plus tard en Toscane ou en Allemagne romantique, à Barcelone ou à Louxor, en Provence ou à Paris, de visiter tel formidable monument ou telle collection de peinture d'exception  (le Römerholz de Winterthour, un jour de forte pluie), mais ce ne fut jamais sous contrainte: juste parce que cela nous intéressait à ce moment-là.

    Avant ma bonne amie, jamais je n'ai fait aucun voyage avec quiconque sans impatience ou énervement, jusqu'à l'engueulade, si j'excepte notre voyage en Catalogne avec celui que j'ai appelé l'Ami secret dans Le coeur vert,ou quelques jours à Vienne avec mon jeune compère François  vivant la peinture comme je la vis.  Or ce trait marque aussi, avec l'aptitude à voyager en harmonie, l'entente que nous vivons avec ma bonne amie, avec laquelle je vis la peinture en consonance; mais rien là qui relèverait de je ne sais quel partage culturel:  simplement une façon commune de vivre la couleur et la "vérité" peinte, la beauté ou le sentiment que nous ressentons sans besoin de les commenter.

     

    012.jpgMa bonne amie est l'être le moins snob que je connaisse. Lorsque je sens qu'elle aime un tableau - et rien de semblable ne se passe jamais entre nous, ou presque, en musique -, je sais qu'elle le vit sans aucune espèce de référence ou de conformité esthétique, juste dans sa chair et sa perception sensible, son goût en un mot que le plus souvent je partage sans l'avoir cherché.

     

    Et c'est pareil pour le voyage: nous aimons les mêmes cafés et les mêmes crépuscules (un soir à Volterra, je nous revois descendre de voiture pour ne pas manquer ça), les mêmes Rembrandt ou les mêmes soupers tendres (cet autre soir à Sarlat où elle donna libre cours à son goût marqué pour le foie gras) et ainsi de suite.                

               

             

    VISIONS DE THIERRY VERNET. - «La vue c'est la vie», disait Thierry Vernet peu avant que la maladie ne l'arrache, en 1993, au monde visible, alors qu'il consignait, dans un minuscule carnet, et de mémoire, à deux ou trois jours de distance (bonne façon de faire la nique à la mort), des visages de gens rencontrés dans la rue ou le métro parisien, dont la frise des portraits saisit par sa fulgurante acuité. C'est à la même époque, aussi que notre ami, tout à fait conscient de sa fin prochaine, peignit certaines de ses toiles les plus jubilatoires.

     

    Me reviennent alors les mots de cette lettre de jeunesse de Thierry, datant de l'été 1953. Il se trouvait alors en Yougoslavie en attendant que Nicolas Bouvier le rejoigne à Belgrade pour se lancer avec lui, en Topolino, dans le grand voyage de L'Usage du monde, et voici ce qu'il écrivait aux siens depuis Zagreb: «Je suis de plus en plus assuré sur mes pattes. Le boulot marche. L'aquarelle se trouve. Je vais au bout. Le fin du fin n'est-il pas de voisiner l'extrême limite, de se balader sur les crêtes, d'aller aux frontières où la peinture n'est presque plus de la peinture, où les formes en sont à leur dernier point de tension ?»

     

    Et quelques lignes plus loin, il ajoutait: «N'ayez point de crainte, mes chemises ont été lavées pour trente dinars par une femme de métier. Je porte beaucoup mes calosses de bain, c'est plus simple. Le budget est bien équilibré, malgré le petit déjeuner de hier! Dans un mois, je retrouverai le cher Nick, dans un mois et un jour, au Majestic. Disons vers 19 heures, sept heures du soir...»

    VernetD.JPGLe jeune lascar disait tout de son art en écrivant qu'il allait «jusqu'au bout». À l'apprécier dans son accomplissement, son oeuvre, pure de tout chiqué, est en effet d'un réel risque-tout de la forme et de la couleur, prêt à toutes les audaces pour exprimer sa vision réelle jusqu'à «l'extrême limite», mais non du tout pour épater la galerie. La fulgurance de son regard n'excluait pas un respect serein de ce qui est (les calosses, le budget «bien équilibré», la figuration du ciselé du feuillage ou le détail cocasse, etc.) et un sens quasiment organique de la composition.

     

    De fait il  ne se payait pas de mots lorsqu'il disait «se balader sur les crêtes», «voisiner l'extrême limite» et pousser jusqu'«aux frontières»: le trait de ses dessins exprime (avec des élisions et des «bonds» qui évoquent parfois Matisse et parfois les «extrêmes» de Tal Coat, tout en restant strictement personnel) cette danse de plus en plus légère et de plus en plus libre qui capte l'essentiel de la chose vue (bouquet de fleur, futaie, paysage) pour y ajouter le travail profond d'un regard reconstructeur.

     

    Vernet8.JPGL'oeuvre de Thierry Vernet est à la fois d'un lyrisme allègre (le peintre citait volontiers les Psaumes de la célébration reconnaissante) et d'une sourde mélancolie. «C'est une peinture spirituelle que celle de ce Suisse de Paris, note l'écrivain Jan Laurens Siesling. J'y discerne sans mal une confiance infinie en la beauté de la vie, jusqu'à la candeur, corroborée par une abondance de bonne humeur, d'humour.»           Celui-ci ne sacrifiait qu'incidemment à l'anecdote dans les croquis les plus innocents du passant, pour rejoindre la vie (tel chat attrapé d'un geste rond dans sa pose péremptoire de penseur baudelairien) que l'artiste savait en pleine conscience une «drôle de vie». Sans jamais toucher au tragique (tout différent en cela de son ami Josef Czapski), Thierry Vernet ne portait pas moins en lui les nuances pénombreuses de l'existence, qui se retrouvent dans l'aspect «plombé» de certains paysages ou dans la «morsure» de certains traits. Sa mélancolie retentit d'ailleurs, aussi, dans certaines de ses aquarelles où la vue retient la vie au bord de la nuit fatale aux couleurs.

     

    Flora08.JPGLA VIE ET L'ART. - Un peu plus d'une année après la mort de Floristella, et quinze ans après celle de Thierry, la présence de ces deux amis nous reste à la fois vive et dispersée entre leurs nombreux tableaux ornant les murs de la Désirade et ceux de nos filles, et ce qui nous reste en mémoire de nos moments de partage, une salade niçoise dans la cuisine de Belleville et la balade qui suivit aux Buttes-Chaumont, le vert des mêmes jardins dans les toiles de Thierry, le Christ orange de Floristella et le merveilleux chat blanc que nous avons vu aux Envierges et qui survit auprès de nous comme un ange tutélaire sur la toile qu'elle nous a offerte, ou les petits opéras de la cour de l'Hôtel de Ville dont Thierry concevait les décors, les coquelicots en Toscane de Floristella, la magie nocturne du port de la Spezia ressaisie par Thierry, et tant de moments, comme autant  de visions fugaces ou de minutes heureuses.  Qu'est-ce qui était de la vie ou de la vie dans cette double relation au double sens de l'affectivité et de la consonance artiste ?L'idée de le distinguer ne nous vient même pas, tant la présence réelle des oeuvres de nos amis pallie leur absence.  

    Celui qui se plaint en se levant  / Celle qui se couche après usage / Ceux qu’on subventionne pour que la culture soit réellement inactive, etc.

     

    (Ces pages sont extraites de L'échappée libre, à paraître au début de l'an prochain aux éditions L'Age d'Homme)

    Images: ce matin dans les dunes de Cap Ferret, peintures de Floristella Stephani et Thierry Vernet.

  • Ceux qui sortent du rang

    030.jpg023.jpg016.jpgCelui qu’on n’attrapera plus / Celle qui fuit les accroupissement et les médias convenants / Ceux qui se retrouvent à l’air libre / Celui qu’on ne trouvera même pas ailleurs / Celle qui campe sur ses oppositions / Ceux qui voyagent léger / Celui qui ne pèse même pas son salaire / Celle qui ne se paie même pas de mots / Ceux qui se fondent dans le lointain / Celle qui se laisse emmener par son tamanoir vers la rivière aux garçons masqués / Ceux qui s'esquivent sous le vent debout / Celui qui est à Venise le jour et la nuit dans le noir moustiers / Celle qui préfère un Cimarosa bien frappé à l’apéro à un pavé de Sartre en entremets / Ceux qui visaient Marseille et se retrouvent à Tanger où le Désert porte conseil / Celui qui sonde les cœurs et compte les coups / Celle qui coupe son avocat en deux et déguste ses crevettes en fixant le juge Milon ce faux-cul  / Ceux qui cherchent des crosses à la fille des Brosses / Celui qui sera le premier linguiste de sa famille de fourreurs / Celle qui extrapole dans les chiffres rouges avec ses ongles noirs comme l’âme de son père usurier / Ceux qui lâchent la lamproie pour la pénombre / Celui qui se trahit en se taisant devant la Tenture de l'Apocalpyse / Celle qui écoute le taiseux qui la baise et la paie et lui fait pour la réchauffer du café chicorée / Ceux que la mélancolie rattrape dans les allés des consulats du Brésil ou de Colombie – c’est à choix / Celui qui lit en braille les partitions de Frescobaldi dont certains passages le font sourire sur ce banc le long du Cher / Celle qui danse le long du canal pollué / Ceux qui filent du mauvais cocon / Celui qui voyage au bout de la nuit genre Easy Jet à Nouvel An / Celle qui ira très loin mais sans toi qui restes là à lireLoin d'elle d'Alice Minro / Ceux qui feront leur chemin de croix de bois croix de fer si je mens tu vas en enfer/ Celui qui se met le doigt dans l’œil du cyclone / Celle qui a toujours eu un tour d’avance en retard / Ceux qui se tirent des flûtes au sel / Celui qui se réfugie dans l’opéra de la bouffe / Celle qui lévite mais que retient au sol sa petite chienne encore tributaire de l’attraction terrestre faute d’exercice spirituels mais ça peut changer avec la méthode Coué / Ceux qui ne voient aucune échappatoire au fait d’être nés un jour et d’avoir à rendre leur tablier un autre jour et de se trouver pour le moment en butte aux fluctuations de prix du Panier de la Ménagère, and so on / Celui qui trouve jusification de sa conduite dans la Tenture de l'Apocalyse de Jean de Bruges / Celle qui t'a fait découvrir le château d'Angers et son trésor tissé évoquant les travaux typiquement féminins sur canevas flamingants/ Ceux qui partagent le cidre brut de la cantine L'Atmosphère à Noirmoutier où l'andouille à la pomme cuite en fait oublier d'autres, etc.

    Images JLK: L'Atmosphère, crêperie à Noirmoutier. Plage des Sableaux. Le double ciel de Vendée. La tapisserie de l'Apocalypse à Angers.

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  • Camus centenaire d'avenir

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    Génie multiforme et probité de l’homme, qu'on se gardera de sanctifier pour autant: son oeuvre conserve toute vigueur et fraîcheur au seuil de sa centième année posthume, l'écrivain , Prix Nobel de littérature en 1957, étant né le 7 novembre 1913 à Mondovi.

    Le 4 janvier 1960, Albert Camus trouvait la mort sur une route de France dans la voiture de sport de son ami Michel Gallimard, à l’âge de 47 ans. Mort exemplaire, si l’on ose dire, pour cet « écrivain de l’absurde » que d’aucuns réduisent aujourd’hui à tel « philosophe pour classes terminales ». Mort d’une « icône » du XXe siècle, style James Dean de la plume, dont l’œuvre se trouve le plus souvent réduite à quelques titres « phares », comme on dit aujourd’hui, à savoir deux romans, L’Etranger et La Peste, et deux essais, Le mythe de Sisyphe et L’Homme révolté. La photo de l’intellectuel en imper, la sèche au bec genre Humphrey Bogart, achève de fixer le cliché…
    Et le vrai Camus là-dedans ? On peut aujourd’hui le redécouvrir en perspective cavalière et sur 6000 pages environ de papier bible, quitte à commencer par la fin…
    C’est en effet dans le dernier des quatre volumes de La Pléiade que se trouve Le Premier homme, roman autobiographique inachevé publié en 1994 par la fille de Camus, qui annonce un renouveau de l’œuvre tragiquement interrompue. Avec un souffle puissant, le romancier y sonde son origine (le père mort en 1914, la mère sourde en figure vénérée, la déchirure entre Algérie natale et France « patrie de sa langue ») et lance un nouveau cycle de sa production, par delà le sentiment initial de l’absurde et les postures successives de l’homme révolté : contre le nazisme et le communisme, pour une Algérie dépassant les « noces sanglantes du terrorisme et de la répression», pour un monde restituant sa dignité à chacun.
    Albert Camus « conscience de son temps » ? La formule ronfle, elle réduit l’écrivain au rôle d’un moraliste alors qu’il est aussi artiste et poète solaire, mais la conférence mémorable qu’il prononce à Stockholm où lui est remis le prix Nobel, le 14 septembre 1957, intitulée L’Artiste et son temps, désigne une responsabilité que toute l’œuvre illustre dans tous les genres du roman et du théâtre, de l’essai et de la chronique journalistique. Hostile à la fois à « l’art pour l’art » et à la «littérature engagée» au sens de la propagande, Camus, en quête passionnée du «mot juste» plaide pour un art enraciné dans la vie. Le « devoir » de l’artiste n’exclut pas son bonheur d’homme incarné : « Il y a la beauté et il y a les humiliés. Quelles que soient les difficultés de l’entreprise, je voudrais n’être jamais infidèle ni à l’un e, ni aux autres», écrit-il ainsi.
    De la beauté du monde, dans la flamboyante Postérité du soleil, accompagnant des photographies de la Lausannoise Henriette Grindat (parue à L’Aire en 1986, à l’enseigne de L’Aire/Engelberts), l’auteur des Noces, à la fois si sensuelles et si lucides face à la mort, se fait le chantre avec la même intensité qu’il défendra, en 1956, sa « trêve civile en Algérie », restée sans écho. Jamais « idiot utile » des puissants, Camus, adversaire de la peine de mort, défendra les collabos qui en furent menacés, après avoir fait lui-même acte réel de résistance.
    Albert Camus conjugue l’émerveillement d’être au monde et la conscience tragique du mal, la clarté de l’expression et la part plus obscure des sentiments et des intuitions. Dans La chute, roman dostoïevskien moins connu que L’Etranger ou La Peste, mais d’une pénétration spirituelle non moins  lancinante, Camus brosse le portrait d’un héros de notre temps en belle conscience jouissant de sa lucidité stérile.
    « Qu’est-ce qu’un homme révolté ? C’est d’abord un homme qui dit non. Mais s’il refuse, il ne renonce pas : c’est aussi un homme qui dit oui ». Or toute l’œuvre d’Albert Camus, traversée par cette tension, s’oriente progressivement vers cet assentiment « pour le meilleur »…
    Albert Camus. Œuvres complètes. Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 4 vol. Viennent de paraître : les vol. III (L’Homme révolté, La chute, Les Justes, etc.) et IV (Réflexions sur la guillotine, Discours de Suède, Chroniques algériennes, Le premier homme, etc.).
    À  écouter : L’Etranger, lu par Michael Lonsdale. Gallimard, 3Cd dans la collection Ecoutez/Lire.

     

  • Gérer le retour

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    Notes en chemin (64)

     

    Gérer l'aurore. - L'aurore n'avait pas ce matin des doigts de rose mais un front d'orange et des irradiations de monocle enflammé quand le dernier soleil de notre séjour à ras la mer là-bas a surgi du bleu-noir d'à l'Est de Sète; et ce n'était pas un arrachement qu'on éprouvait sur sa chair mais une espèce de joie sauvage de voir tout recommencer une nouvelle fois comme quand la nuit des temps s'est fendue de son premier oeuf d'or...

    Sur quoi nous avons, Terriens de rien, rangé nos affaires, le jour étant venu du retour de la Mer et du Vent; mais loin de nous le désenchantement, loin de nous l'accablement à l'idée de rentrer: loin de nous tout autre sentiment que de reconnaissance, tout à l'ardeur de ce premier dard vers le Mont Saint-Clair...

     

    Duteurtre03.jpgGérer l'hiver. - Et clair aussi nous a paru sur la route que nous remontions vers le Nord, tandis que le ciel se noircissait, ce livre étincelant d'humour caustique, de l'allègre quinqua Benoît Duteurtre ferraillant joyeusement tous azimuts dans ses réjouissantes Polémiques, contre toutes les jobardises de notre époque, et plus précisément contre les lamentations et autres auto-flagellations d'une France par trop déprimée et se délectant de sa morosité. Remonter vers le froid tout en lisant, à haute voix, le chapitre savoureux dans lequel l'auteur détaille ce Drame national que devient l'Hiver dans les médias français, "comme si les frimas s'apparentaient à des attaques de missiles", parlant de "naufragés de la route" à la première vague de froid et cherchant bientôt les "responsables" de ce scandale météorologique, nous aura requinqués à proportion de l'aggravation même du temps...

    Or la température s'abaissait en effet le long de notre route, mais nous gérions notre humeur à renfort de calissons d'Aix et d'autres chapitres de ces épatantes Polémiques visant aussi bien le culte du vélo que ceux de la poussette et du foot, le "retour à Dieu" des nouveaux dévots et la misère littéraire française incarnée par Christine Angot, entre autres éloges réjouissants de Claude Monet, du cannabis non frelaté, de Michel Houellebecq ou du "passéisme" si stupidement décrié au profit de n'importe simulacre de nouveauté.

     

    Gérer l'humour. - Dans le sillage du Marcel Aymé persifleur anti-snobs et de bon sens, auteur de ce pamphlet toujours pertinent que représente Le  Confort intellectuel; et  proche aussi d'un Philippe Muray dans son combat contre la nouvelle langue de bois du conformisme se la jouant rebelle, Benoît Duteurtre incarne par excellence ce mélange de bonhomie moliéresque et d'irrévérence voltairienne  qui caractérise l'esprit français le plus vivace. Le temps d'une traversée des merveilleux paysages de la Provence et de la Drôme, nous nous sommes régalés, ma bonne amie et moi, à la lecture de cette suite d'essais revigorants dont je ne manquerai pas, revenu à notre alpage, de détailler plus avant les qualités de lucidité et de joviale résistance aux idées reçues...

     

    Duteurtre04.jpgBenoît Duteurtre. Polémiques. Fayard, 2013.

  • Musée des nuits

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    Notes en chemin (63)

    Le corps parlé. -

    Les murs du vieux Montpellier ont la clarté des épures, aux dalles lisses et fluides sous le pas, et la nuit y ajoute de plus nettes résonances qui jouent du dehors au dedans. Or nous étions dans le hall Buren du Musée Fabre, en cette nuit justement des musées d'Europe, quand ont retenti les premiers gestes des corps faisant écho au Songe de Cory, première séquence dansée par les huit compagnons filles et garçons sourds ou entendant de Singulier Pluriel, que suivraient en d'autres lieux de la même maison le Songede Johanna, le Songe de Stef, le Songe d'Isa et les Murmures d'Outrenoir.
    Une autre nuit, sous un ciel plus au nord, j'ai cru comprendre pour la première fois ce qu'est peut-être la danse, qui fait dire au corps tout ce qu'il tait entre les mouvements, et le peindredans l'espace, l'écrire en silence à mélodies liées, le dérober en le montrant, le faire parler sans mot pipé et décliner mille sentiments sans peser, comme ça, suspendus dans l'espace et nous prenant au corps et au coeur - et c'était Trisha Brown et sa compagnie, cette fois-là; et maintenant c'était la CompagnieSingulier Pluriel de Montpellier se coulant ensemble dans les mêmes mouvements de vagues liquides en gestes tendres ou soudain brisés, amants ou adversaires, aériens ou rampés, comme murmurés aux oreilles des murs blancs et des gens regardés par autant d'yeux cernés de noir...

    972069_10201216377158354_1204260014_n.jpgDouce conspiration. - Dans le dernier livre de mon ami Jeanda, compagnon de Johanna la danseuse, il est question de deux types très différents l'un de l'autre en apparence et ressemblants par quelques détails (même semblant de détachement et même capacité d'écoute, même joie de converser et même rage ravalée), qui se rencontrent au coin d'un bar en conspirateurs - qu'on suppose dangers pour la société. Or cette même nuit ils se retrouvèrent dans la galeriedu Griffon du musée Fabre, à Montpellier, profitant de l'anonymat de la dense foule pour se remettre, l'un à l'autre et l'autre à l'un, deux livres assortis de deux sourires masqués. Au jeune grand maigre à tête de corbeau, le vieil hibou à plumes argentées remit ainsi La Nuit, roman déjanté s'il en fut, d'un certain Jaccaud, tandis que l'ombrageux corbac filait, à son compère, un recueil de non moins sombres histoires intitulé L'élève de Joyce, d'un certain Jancar. Telle étant la secrète fraternité de cette nuit-là, et tel le complot particulier...

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    Nuances du noir
    . - Quant à nous autres, compagnons et compagnes amateurs de choses belles, et leurs beaux enfants, nous nous sommes enfin retrouvés dans l'Outrenoir de Soulages, tout au sommet des marches marmoréennes du Musée Fabre, par le dédale de laques et de flaques noires levées et figées, griffées, léchées, parfois giflées d'une claque de bleus électriques ou de rouges fauves, tantôt en panneaux à reliefs, entailles ou plaques tectoniques à entrechocs; et l'oeil filait, prenait la tangente, se défilait, se vrillait la prunelle à l'entonnoir, se blessait l'iris au brut de la lave refroidie du volcan, patinait sur les dalles, s'épilait au rasoir effilé, enfin dansait entre les stèles avec les corps retrouvant la parole sans autres mots pour dire la vie adonnée, cette nuit-là, à quel rêve...



    Jeandaniel Dupuy, alias Emile Dajan. Zoneapolis. Appendices, 2013.
    Frédéric Jaccaud. La Nuit. Gallimard, 2013.
    Drago Jancar. L'élève de Joyce, Livre de poche, Biblio.

  • Paroles d'artistes

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    Notes en chemin (60)

    Le métier vécu.-

    Il est toujours intéressant, voire émouvant, d'entendre un artisan ou un artiste parler de son métier ou de son art. On se rappelle, touchant à la perfection du genre, la série des Portraits d'artisanes parisiennes réalisés en plans-fixes de 13 minutes chacun par Alain Cavalier qui a su rendre, par l'image et la parole, l'état de civilisation - au sens d'un savoir-faire ancestral complet - du travail artisanal en ses multiples pratiques. De la matelassière à la fileuse, en passant par la bouquetière, la canneuse et tant d'autres femmes s'exprimant avec la même précision et les mots appropriés à chaque tour de main, apparaissaient autant de figures populaire réalisant ce qu'on peut dire, sans exagérer l'aristocratie naturelle.
    Dans l'orbe apparemment plus raffiné de l'opéra, les artistes lyriques de divers âges répondant aux questions de Werner Schroeter sur l'amour, la tragédie, les relations entre l'art et la vie, ou l'art et la mort, dans l'extraordinaire "documentaire" intitulé Poussières d'amour, en disent plus que tous les discours savants ou critiques. Lorsque Martha Mödl, soprano de plus de 80 ans, détaille tel air de la Dame de pique de Tchaïkovski ("Je crains de lui parler la nuit"...) avec toute l'émotion qu'ajoutent ses traits et ses mains à la modulation parfaite de chaque mot, ("Je sens mon coeur qui bat, qui bat,/ je ne sais pas pourquoi"), ou lorsque la diva noire Gail Gilmore fait tonner Wagner dans Lohengrin ("Entweihte Götter steht bei mir / dass glücklich meine Rache sei !"), les voix incarnées de la douceur ou de la véhémence font image, si l'on peut dire, autant que les plans en constant contrepoint font mélodie, dans une fusion que ne rompent ni les dialogues complices ni les très émouvants retours en arrière - telle la séquence finale durant laquelle Anita Cerquetti, cinquante ans après son propre enregistrement, chante en duo avec elle-même le Casta diva de Bellini, dans Norma... On n'est plus ici dans le cercle snob ou pincé des spécialistes imbus de leur culture, mais dans la profonde humanité des voix qui fait de Nina Simone la soeur de Maria Callas ou des choeurs wagnériens les cousins des voix roumaines...

    Pasolini09.jpgLe parfum des couleurs. - Quant au chant des couleurs, le poète et cinéaste Pier Paolo Pasolini l'évoque mieux qu'aucun critique spécialisé dans l'extrait du scénario de La ricotta consacré à La Déposition de Pontormo, génie baroque de sa préférence dès ses jeunes années: "Si vos prenez des pavots sauvages, abandonnés dans la lumière solaire d'un après-midi mélancolique, quand rien ne parle ("parce que nulle femme jamais ne chanta - à trois heures de l'après-midi"), dans une touffeur de cimetière, si vous les prenez, donc, et les pilez, il en sort un suc qui sèche aussitôt; alors, mouillez-le un peu, sur une toile blanche très propre, et demandez à un enfant de passer un doigt humide sur ce liquide: au centre de la trace du doigt va émerger un rouge très pâle,presque rose, resplendissant pourtant grâce à la blancheur du linge lavé qui est sous lui; mais sur les bords des traces se concentrera un filet d'un rouge violent et précieux, presque pas décoloré; il séchera immédiatement, deviendra opaque, comme au-dessus d'une couche de chaux... Mais c'est proprement à travers sa décoloration de papier qu'il conservera, bien que mort, son rouge vif. Voilà pour le rouge"
    Et le vert, demandera-t-on naturellement ?
    "Le vert, c'est le bleu des feuilles des bassins (...)Les feuilles se tiennent immobiles sous la surface de l'eau, et se font toujours plus bleues, jusqu'à devenir vertes".

    Ou c'est Thierry Vernet, en juillet 1992, un an avant sa mort, dans son journal: "Rentré peinard à la maison, ensuite Paris me sautait à la figure. Que les jours que je vis maintenant sont intenses ! Intenses en densité, en profondeur, toute les couleurs sont belles, ils y a des noirs profonds sous les voitures. Peindre tout ça"...

    De la compétence. - Dans ses Ecrits sur la peinture, Pier Paolo Pasolini n'a pas de mots assez durs pour qualifier la superficialité de la critique en matière de cinéma, qu'on pourrait étendre aujourd'hui à la critique littéraire, qu'elle soit médiatique ou universitaire. Si l'on excepte en effet quelques figures de ce qu'on pourrait dire la grande Université, tels un Pietro Citati, un George Steiner, un Claudio Magris ou un Marc Fumaroli, notamment, la critique actuelle d'extraction académique, malgré ses prétentions savantasses pseudo-scientifiques et ses doctes postures rappelant le pionnicat sorbonnagre de Rabelais, ne dit guère plus aujourd'hui, sur la littérature vivante ou les arts, que celle qui répand son piapia sur le papier, les ondes ou la Toile.
    Ce qu'écrit Pasolini sur les sources picturales de son oeuvre cinématographique, et ce qu'on pourrait dire des sources littéraires ou hollywoodiennes des films de Rainer Werner Fassbinder, devrait se prolonger aujourd'hui, sur le même axe d'une critique comparatiste, à propos des sources lyriques, poétiques, cinématographiques, multiculturelles et multilingues de l'oeuvre de l'Artiste par excellence que fut Werner Schroeter.
    Schroeter08.jpgAux incompétents à vernis idéologique ou préjugés culturels qui le taxeraient d'élitisme décadent, un seul argument à opposer: sa compétence. Un seul conseil à la lectrice ou au lecteur de bonne foi: regarder attentivement, en marge de la projection deDiese Nacht, tiré de Nuit de chien du romancier uruguayen Juan Carlos Onetti, le supplément consacré à la synchronisation de ce film saisissant où, une séquence après l'autre, avec un soin infini et une patience-impatience d'ange-démon, le réalisateur travaille avec les acteurs. Passant de l'allemand à l'anglais ou du français à l'italien, le réalisateur vit le cinéma comme on voit qu'il vit l'opéra en chantant lui-même les scènes qu'il fait répéter à ses divas dans Poussières d'amour. Et ses amours à lui sont aussi de la partie, à tout moment, sa passion et ses désirs - sa crainte et ses tremblements devant la mort qui s'avance, que l'Art sublime...
    Or l'attitude, à la fois humble et bonnement implacable de Werner Schroeter, devant le travail, me rappelle enfin ces mots de l'écrivain alémanique Ludwig Hohl: "Le vrai travail serait comme la mélodie d'un orgue, si cette mélodie pouvait susciter d'autre sorgues, et des orgues toujours plus grandes. Mais comment cela se peut-il que tout cela, subitement, finisse par la mort ? Cela ne finit pas du tout. Car travailler, c'est, toujours davantage, ne pas mourir; c'est se rattacher au tout. Travailler n'est rien d'autre que traduire ce qui meurt en ce qui continue".

    Werner Schroeter, Abfallprodukte der Liebe. Poussières d'amour. DVD 451.
    Pier Paolo Pasolini.
    Ecrits sur la peinture. Editions Carré, 1997.
    Werner Schroeter. Die Nacht. Nuit de chien. DVD 451.
    Ludwig Hohl. Notes. De la réconciliation non-prématurée. L'Age d'Homme.

  • La nuit des affreux

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    Notes en chemin (59)


    Houellebecq à l'héliopole. -

    Il y avait du boucan l'autre soir, du côté de Port-Nature, qui m'a fait naturellement y aller voir. La lectrice ou le lecteur des Particules élémentaires se rappelle, peut-être, que c'est en ces lieux que Michel Houellebecq a trouvé son premier terrain d'observation des menées échangistes, dans une boîte qui existe toujours là-bas, au milieu d'une kyrielle d'autres apparues entretemps avec l'afflux massif de ceux qui se taxent eux-mêmes de libertins, au dam des braves résidents du Village naturiste naturellement réservés et pudiques (!) en matière d'intimité sensuelle. Or que se passait-il donc, ce soir-là, à Port- Nature ?
    Rien que de mornement bruyant et banal, sous la forme d'une longue sarabande d'hyperfestifs entre trois âges se déplaçant en procession de pantins de karaoké libidineux - scolopendre à cent grimaces conduits par une façon d'hermaphrodite quinqua à soutane de prêtre du culte néo-païen - et ce vague stress affolé, sur toutes ces faces brunies de force au carotène, de ceux qui ont juré de s'éclater et ne trouvent, en attendant, que la Danse des canards pour y arriver ...
    Or la même niaiserie, à Port-Nature, s'étale de boîte en boîte et par toute les boutiques de fringues sexy et de parures sympas rivalisant d'affriolement, à seule fin de fun - plus libéré tu meurs...

    Houellebecq (kuffer v1).jpgLe poète destroy. - Au bord des dunes ensuite, dans le roulis roulant des dernières vagues pailletées de lumière, sous le ciel piqueté de diamants stellaires, je me suis rappelé les récents poèmes limite débiles de candeur de l'amer Michel sur son Dernier rivage, et tout son itinéraire de chroniqueur de la chiennerie ambiante: la branloire banalisée et la morosité dont Légion se délecte, les frustrés aux îles idéales et le retour des glandus de Palavas à la chaîne des jours sans fin; et ces visions du déprimé, comme par retournement d'irritation, m'ont ramené à la splendeur de cette nuit marine ravivant à l'instant l'intime comptine: "Je sens ta peau contre la mienne, / Je m'en souviens, je m'en souviens / Et je voudrais que tout revienne, / Ce serait bien"...

    Dantec14.jpgLa nuit s'écrit . - Le lendemain je me suis rappelé les horreurs révélatrices du recueil de Catastrophes, signé Patricia Highsmith, en lisant le roman, plombé de mélancolie noire et traversé d'éclairs de lucidité, que Frédéric Jaccaud a publié récemment sous le titre de La nuit.
    La narration spéculative, à la fois polémique et panique, que l'auteur développe avec vigueur dans cette impressionnante évocation d'une possible fin du monde, me semble tout à fait appropriée aujourd'hui, avec des observations qui font écho à celles d'Orwell ou de Witkiewicz, au siècle dernier, ou à celles, actuelles, d'un Ulrich Seidel, dans ses films Amours bestiales ou Import Export, après ces écrivains non moins clairvoyants que sont un Ballard ou un Houellebecq.
    La littérature peut-elle encore nous aider, dans le chaos actuel, à ressaisir la réalité et la mieux comprendre - à la mieux voir et à la montrer de façon plus éclairante ? Un gadget a été imaginé avec ironie par Frédéric Jaccaud, qui ne donne pas pour autant dans l'illusion technologique: à savoir ces lunettes à "réalité augmentée" dont un détective mercenaire se sert dans la filature d'un terroriste atypique spécialisé dans l'incendie des animaleries et autres lieux de détention de ces "compagnons de vie" désormais perçus comme victimes de notre vilaine espèce.
    Jusque-là, les mystiques seuls étaient supposés scruter la "nuit obscure". Or voici qu'un autre "affreux", genre dérivé des Houellebecq et autres Seidl, prénommé Karl et riche d'un passé personnel tragique, se met en tête, et à tâtons de stylo furieux, de percer le mystère des apparences afin de voir plus clair en pleine nuit.
    À laquelle il faudra revenir puisque, aussi bien, elle n'en finit pas de tomber...

    Jaccaud.jpgFrédéric Jaccaud, La Nuit. Gallimard, Série noire, 450p.



  • Au Sud profond

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    Notes en chemin (58)

    Ragazzo di vita.-

    L'imagerie édulcorée d'un Sud suave est typiquement du nord protestant ou des pays enrichis dans les années 50, à quoi s'oppose évidemment la réalité dure et noire, âpre et sauvage, qu'on retrouve dans le grand cinéma italien et la musique populaire autant qu'en littérature sicilienne, de Verga à Pirandello ou Sciascia, et jusque dans un petit récit d'enfance étincelant paru récemment sous la signature d'Erri De Luca, intitulé Les poissons ne ferment pas les yeux.
    Erri02.gifC'est l'histoire d'un petit garçon napolitain de dix ans, plutôt solitaire et farouche, dont le père est allé chercher fortune en Amérique et qui se résigne à donner raison à sa mère, laquelle choisit de rester plutôt au pays. J'imaginais, tôt l'aube ce matin, le retour des pêcheurs de Sète ,comme j'y ai assisté en Algarve ou à Sorrente les barques à lampes - comme l'évoque aussi le jeune Erri avec le grand pouvoir d'évocation de l'écrivain qu'il est devenu à la stupéfaction de sa mère.
    Or ce qui est le plus étonnant, dans le récit des changements de "format" qui marquent le passage à l'adolescence du garçon, tient à la gravité avec laquelle celui-ci s'expose, volontairement, aux sévices de trois lascars plus âgés que lui, comme pour accéder dignement, par une sorte d'auto-initiation, à la forme physique appropriée à son esprit déjà mûr.

    Une question d'honneur. - La même conscience de soi de l'individu singulier, à la fois proche de sa communauté d'origine et différent du commun, se retrouve, avec un relief plus dramatique, dans le film toujours renversant d'émotion et de beauté que Werner Schroeter a tourné en 1982, entre la Sicile et l'Allemagne, intitulé Palermo oder Wolfsburg et couronné la même année par l'Ours d'or du festival de Berlin.
    Plus artiste encore que son pair et ami Fassbinder, disons: plus poète et plus lyrique, Schroeter a senti le Sud profond à proportion de son extrême sensibilité à la musique et à la peinture, plus précisément encore: à l'opéra (comme l'illustre aussi son merveilleux Poussières d'amour, évoquant l'art lyrique avec génie) et à la beauté picturale des paysages, des maisons sicilienne et des gens du cru, sans trace de folklore.
    Après le transit d'un âge à l'autre du récit d'Erri De Luca, c'est le voyage d'une culture à l'autre, et plus encore du Sud au Nord, que représente Palermo oder Wolfsburg, où l'on assiste à la confrontation d'un jeune immigré pur et doux avec le monde dur et parfois sale d'une Allemagne civilisée qui fait soudain de lui, sous prétexte d'honneur bafoué, un meurtrier d'occasion refusant de se défendre. Pour sa défense, cependant, au fil d'un procès mêlant réalisme d'observation et dérive théâtrale, une femme viendra témoigner au nom du Sud et développer, avec une verve sidérante, un extraordinaire plaidoyer dont les demandeurs d'asile actuels pourraient faire leur manifeste...


    Mare nostrum
    . - Ce que les politiques et les puissances d'argent ont fait de l'Europe est lamentable, me disais-je ces jours en lisant, plus qu'à l'ordinaire, les journaux français ou l'italienne Repubblica. La dernière fois que je rencontrai Denis de Rougemont, grand Européen virant en son dernier âge à l'écologie active, l'écrivain visionnaire qu'il était aussi, pressentant l'avenir plombé par l'Argent, me dit comme ça que la seule Europe qu'il appelait de ses voeux était celle des cultures.

    Et voilà ce qu'on voit à la une de La Repubblica: l'affreux masque du Cavaliere, faciès de clone du Néant, caricature vivante de l'Affairisme généralisé.
    Et puis non: telle n'est pas la réalité dernière du Profond Aujourd'hui ! Que le montage de l'euro foire: on s'en bat l'oeil ! Que les morts de cette Europe du fric mort-née s'enterrent entre eux ! Et qu'advienne un autre monde recomposé. Que s'ouvre un nouveau livre. Parce que les cultures, non seulement européennes mais toutes celles qui touchent à la Méditerranée, et toutes les autres aussi à l'écoute des grands fonds marins et humains, nous restent à lire et à dire. Tout est à vivre encore. Tout est à faire, du livre à venir, me dis-je les yeux perdus dans le grand bleu...


  • Entre rêve et réalité

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    Notes en chemin (55)

    Du rêve. -

    Dans la première partie de cette première nuit passé à l'héliopole retrouvée, j'ai fait ce rêve d'auto-dissection intéressant, durant lequel je me suis vu détacher une à une mes peaux superposées faite de couches ensanglantées rose sombre et de longues bandes de derme opalescent ou bleuté, jusqu'à découvrir l'intérieur des organes (on voyait nettement le coeur à gauche rouge sombre et les tuyaux entortillés tirant plutôt vers le jaune violacé et l'indigo) que protégeait une fine pellicule transparente dont je sentais/savais qu'il ne fallait pas y toucher pour ne pas me retrouver soudain "les tripes à l'air", selon l'expression. Ensuite je me trouvais avec Robert Walser qui me disait qu'il comprenait tout à fait mon malaise au Salon du Livre, où il n'a jamais tenu longtemps lui non plus, à Vienne ou à Bienne. "J'ai toujours décrit ces manifestations, et les tea-rooms, comme l'idéal de la sérénité humaine, m'a-t-il dit plus précisément, "mais c'était évidemment le contraire que je ressentais physiquement et psychiquement: j'ai en effet besoin d'auberges sous les arbres et de fontaines et de téléphériques". Sur quoi je me suis réveillé, me suis levé, ai constaté qu'il était trois heures et demie du matin et me suis recouché, en espérant d'autres rêves intéressants. Vers sept heures il faisait un peu gris sur la mer. Je suis allé marcher un peu dans les dunes en opérant un travelling visuel du petit phare aux lumières de Sète. J'ai envoyé un SMS d'encouragement affectueux à mon ami le Bantou qui n'a pas trop le moral ces jours. Il m'a répondu illico qu'il était touché par ma sollicitude. Ma bonne amie ronflotait dans sa moitié de lit quand je suis revenu avec le pain de la Tropézienne et les journaux qui annonçaient une grosse prise de hasch à Cordoue et un temps moyen ces jours prochains...
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    Autocritique.
    - Mon visage ce matin dans la glace: fatigué, ridé, chiffonné, pas joli tout ça. Les causes présumées: primo, trop de temps assis devant mon écran; de là aussi mes douleurs jambaires de plus en plus insistantes, genoux grinçants et mollets lancinants; delà mon coeur flagada et mon souffle raccourci. Secundo: trop de laitages et de yin en général, pas assez de yang; pas assez d'eau et de phosphate. Tertio: trop d'un peu tout, et pas assez de concentration sur LA chose. Ce que je me répète depuis toujours et avec quoi je ne finirai jamais d'en découdre - mais à présent je vais m'en tenir à la seule CHOSE jusqu'à ce que l'OBJET soit là: le nouveau livre en chantier, L'échappée libre, après lequel tout recommencera...


    Panopticon99876.jpg Les journaux. - En ces lieux la lecture des journaux prend un relief légèrement différent. La lecture du Midi libre, si terriblement provincial à côté de nos journaux romands cantonaux, nous rappelle cependant à l'ordre de la réalité locale - réelle et locale partout mais ici comme un peu plus qu'ailleurs. J'apprends ainsi, dans le Midi libre de ce matin, que les signes d'agressivité des détenus de la prison de Béziers se sont multipliés ces derniers jours. L'un d'eux, qui avait dissimulé un sachet de résine de cannabis entre ses fesses, a même mordu gravement un gardien qui s'affairait à le lui retirer. Le personnage a écopé de huit mois ferme sur jugement immédiat: cela ne nous regarde pas, mais on le prend un peu différemment que s'il s'agissait d'une anecdote lue dans la Tribune de Genève à propos d'un détenu de Champ-Dollon. De la même façon, le fait que Le Canard enchaîné célèbre les qualités de Viramundo, le dernier film de notre compère lausannois Pierre-Yves Borgeaud consacré à Gilberto Gil, me réjouit un peu différemment que si je lisais cet éloge dans Le Temps. Pareil pour la page entière de Libé consacrée à la néonazie Beate Zschäppe, dont le portrait photographique glaçant m'évoque immédiatement un personnage de Fassbinder, et qui revêt un relief dramatique particulier avec le détail, souligné par la correspondante du journal à Berlin, relatif aux deux chattes Lilly et Heidi sauvées par la terroriste avant que celle-ci ne foute le feu à la dernière planque occupée par le "trio fatal"..

  • Un autre Paris

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    Notes en chemin (51)

    Pour un plat de lentilles.- J'étais censé me montrer un peu social ce soir à Paris, n'était-ce qu'à participer une heure durant à une festivité littéraire en un Centre culturel officiel de l'espèce que j'exècre viscéralement depuis et pour toujours, et pourtant non: mes ailes n'ont pas voulu m'y porter, mes rotules rouillées ont gémi et mon âme s'est rebiffée, de sorte que je me suis fait porter pâle en termes évasifs pour mieux repartir de par les rues et les quais et les places et les jardins et les cours et les galeries, de librairie en librairie et d'une fontaine à l'autre, revenant à la rue de la Félicité de mes jeunes années ou les cafés algériens sont devenus chinois, traversant le parc Monceau plein d'enfants à gouvernantes stylées, redescendant vers la Seine puis la rue de Seine en suivant imaginairement en fin de journée la claudiquante silhouette de Paul Léautaud aux cabas remplis de pain sec et de tripes variées pour ses vingt chiens et ses trente chats, jusqu'à cette brasserie jouxtant le jardin du Luxembourg où j'ai fait station et me suis commandé un petit salé au lentilles qu'arroserait bien un pichet de Brouilly - je me rappelai le "haricot bien gras de Molière", et bien assis, loin de nos sociables gendelettres du Centre culturel fameux, je repris la lecture des Divertissements de Marcel Jouhandeau consacrés notamment au plus fraternel des grand écrivains de France non pédante, à savoir Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière.

    Czapski01.jpgL'oeil du peintre. - Le même Jouhandeau note, à propos de La Bruyère, ceci qui m'a rappelé, en 1974, la découverte du peintre polonais Josef Czapski à la Galerie Lambert, et ce choc précisément décrit: "Quand on a visité une exposition de peinture et que le peintre, dont on vient d'admirer les toiles, a une grande personnalité disons une optique à lui, une vision des choses et des gens qui lui est propre, longtemps (c'est plus fort que soi) on en reste imbu, au point que tout ce qu'on voit se déforme, se conforme à la mode, disons, se modèle sur ce qu'il verrait à notre place". Or c'est, très exactement, ce que j'aurais ressenti après avoir vu cette première exposition du peintre polonais aux cadrages tellement inhabituels et aux couleurs si véhémentes nous révélant comme une nouvelle image de la réalité la plus ordinaire, à commencer par celle des rues et des quais de métro de Paris.

    Vernet20.JPGLe réel transfiguré.- Depuis lors nos regards se sont multipliés, puisque ma bonne amie partage ma passion pour Czapski et son ami Thierry Vernet: les toiles que nous possédons de ces deux-là nous font mieux voir par leurs regards et, chaque fois que nous sommes à Paris ou en Provence, en Italie ou dans nos régions lémaniques où tous deux ont passé, nous voyons des Czapski et des Vernet, sans compter les Stephani que nous a laissés la compagne de Thierry. Enfin voici que, revenant ce soir de la Brasserie du Luxembourg, je croise un passant solitaire à longue pèlerine rouge et lourde écharpe vert électrique dans le plus pur style Czapski, avant de découvrir une brumeuse enfilade de rues nocturnes dont l'ombre bleu sombre est comme mouchetée de flammes oranges, tout à fait dans la manière de Vernet - et je me promets dans la foulée de me pointer demain au Jardin des plantes, où je sais que m'attend une vision de Floristella...
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  • TGV Paris-Congo

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    Notes en chemin (50)

    PARTANCE. - Il faisait tout gris ce matin, frimas comme tous ces jours de morosité peu printanière, morose autant que dans les journaux, et c'est donc le vif au coeur que je me suis embarqué dans le TGV de Paris, laissant ma bonne amie à la garde du fox Snoopy, impatient de me replonger, comme tant de fois depuis tant de décennies, dans le mouvement électrisant et tonifiant de la grande ville qui n'est jamais ce qu'on en dit en la dénigrant; et de même ce qu'on dit ces jours de la France, ou ce qu'en disent de pire les médias français, me semble-t-il en deça de tout ce que les seuls noms de Paris et de la France représentent à mes yeux de précieux et d'irremplaçable, que concrétise à l'instant, à mes yeux, le spacieux habitacle roulant du TGV rénové aux accortes hôtesses de couleur nous servant à choix le Magret de Canard et la Rillette de Saumon. Prodigalité rabelaisienne de la France de toujours: voici du Magret et de la Rillette arrosés de Médoc à discrétion alors que les trains suisses se surbondent mornement et que leur service s'étiole à l'avenant; et je lis les Divertissements de Marcel Jouhandeau tandis que l'on traverse la Côte d'or de Marcel Aymé, la langue fluide et belle du plus latin des paysans de Paris célèbre Molière et La Fontaine et Voltaire et Madame de Sévigné - autant dire la France de toujours en encore dont Paris reste toujours et encore le lieu des lieux.

    QUARTIER MOZART. - Or un clic a suffi, après les cafés, pour me faire me retrouver en Afrique, selon ma pratique habituelle consistant à voyager dans le voyage, en me plongeant cette fois dans ce maëlstrom de vie et de destinées d'un quartier populaire des abords de Yaoundé que ce film, intitulé Quartier Mozart et signé Jean-Pierre Bekolo, évoque avec autant de faconde réaliste que de poésie et de rage sous-jacente. L'on a appris l'autre jour que le pouvoir camerounais venait de frapper le réalisateur des foudres de la censure, et ça ne m'étonne qu'à moitié rien qu'à voir Quartier Mozart, qui a pourtant vingt ans d'âge. Ce n'est pas que ce film donne dans l'attaque politique directe, mais qu'il montre la réalité et les gens tels qu'ils sont: vivants et piégés, merveilleux de vitalité et freinés, empêchés, sacrifiés, vilipendé à la sauce des pouvoirs africains relançant les pires menées des anciens colons, et cela dans un film d'une forme puissamment originale.

    Maxou33.jpgJe dois à mon ami le Bantou de Douala, Max Lobe, la découverte de ce film, comme il me doit la découverte des films de Fassbinder ou de l' Aline de Ramuz. C'est par Maxou que j'ai découvert l'adaptation de la Visite de la vieille dame de Dürrenmatt par le réalisateur sénégalais Djibril Diop Mambety, sous le titre d' Hyènes, et c'est sur mon conseil qu'il a découvert Le génie helvétique de Jean-Stéphane Bron, ainsi de suite. Nous avons vécu ensemble, représentants improbables de la Suisse officielle, l'étrange Congrès des écrivains francophones de Lubumbashi en automne dernier, et le hasard a fait que demain, en virée parisienne pour d'autres motifs, je me pointerai à la lecture de son livre, 39, rue de Berne au Centre culturel suisse de Paris. Ce qu'attendant je vais retourner en Afrique dès mon arrivée prochaine au Quartier latin, ayant repéré la projection, ce soir même, de Kinshasha Kids au cinéma de la rue Hautefeuille...

    Kinshasha03.jpgLES ENFANTS DE KIN. - J'ai pensé à mon ami Bona le Kinois, tout à l'heure, en découvrant sur grand écran tout le désordre du monde concentré dans l'inénarrable chaos des rues populaires et des marchés de Kinshasha, où 25.000 kids survivent comme les Olvivados de Bunuel après avoir été chassées de leurs familles, pour beaucoup d'entre eux, sous l'accusation de sorcellerie. Curieusement, et une fois de plus, après le superbe Congo River de Thierry Michel, c'est à un Belge, Marc-Henri Wajnberg, qu'on doit cette plongée dans la pétaudière du Congo, dans le sillage d'un musicien allumé regroupant un groupe d'ados qui vivent le rythme et la musique à fleur de peau et voient là l'occasion de sortir de la dèche - peut-être de devenir célèbres autant que Papa Wemba, passant d'ailleurs par là, ou que Michael Jackson, imité à merveille par l'un d'eux. D'une vitalité et d'une créativité d'autant plus émouvantes que la situation semble plus que jamais désespérée, deux de ces kids résument en somme celle-ci: "Moi je voudrais devenir policier, pour voler sans être poursuivi". Et son compère: "Tu feras mieux de devenir politicien: ça paie nettement plus"...

  • Marins et poulaines

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    Notes en chemin (49)
    Sollers3.jpgSollers déculotté. - C'est le camarade de Roulet qui m'a mis la puce à l'oreille et m'a renvoyé dare-dare, hier soir, à la lecture des Modernes catacombes de Régis Debray, que j'avais acquis l'avant-veille à Sion. Le camarade Daniel m'annonçait la descente en flamme de Philippe Sollers par l'ancien émule de Che Guevara, notamment à cause des palinodies politiques du littérateur. De Roulet m'avouait n'avoir rien lu de Sollers, et ce qu'en disait Régis Debray confirmait son intention de ne pas y aller voir. Alors moi, qui en ai lu pas mal et l'ai pas mal descendu avant de nuancer mon jugement à la lecture de Femmes et plus encore des grands recueils de glose critique, de La Guerre du goût à Fugues, de conseiller tout de même au camarade d'y jeter un oeil pour se faire une plus juste idées de l'écrivain Sollers, brillantissime esprit très XVIIIe, qui éclaire parfois et vaut mieux en somme, dans ses admirations et ses célébrations jubilatoires (de Stendhal à Manet ou de Nietzsche à Rimbaud) que le puant pontife médiatique faisant la roue sur les estrades.
    Le même soir j'ai lu le premier chapitre de Modernes catacombes, intitulé Sollers le bel air du temps, pour y trouver une déculottée soignée de l'écrivain dont le portrait à l'acide relance et développe l'esquisse qu'en avait faite Jean-Paul Aron: "Cynique, n'ayant foi qu'en son intérêt, insensible aux valeurs, dispensé de sentiments et coiffé de modes". Or tout ce qu'écrit Régis Debray sur "le Sollers", comme il parlerait d'un animal de foire, est à la fois cruel et juste. Justice est rendue au brillant esprit, mais le tricheur est aussi débusqué, sa prétendue élégance remise en question comme une posture fondée, essentiellement, sur le mépris et la morgue, tels exactement qu'ils m'ont toujours horripilé au fond.
    Régis Debray pointe chez Sollers - et cela se vérifie chez d'autres écrivains posant aux rebelles sans prendre le moindre risque réel -, certain "poujadisme des élites" qui vomit le vulgaire, la démocratie et les braves gens, pour se déclarer seul garant du Goût: "Le Sollers ventriloque, c'est la Création gouvernant les hommes, par son bras séculier, et ses arrêts sont inflexibles. Sans rire. Non, il ne faut pas en rire. Car il y a du désespoir chez ce pas-dupe. Vivre au champagne, faire des bulles ne l'amuse qu'à moitié. Effets d'annonce, rideau de fumée. Moins on porte de musique en soi, plus on cherche à faire du bruit. L'occupation du terrain médiatique lui donne une grande présence, mais l'oeuvre où est-elle passée ? Des livres en série, qui ne sont plus des livres; des articles bien troussés -à moi Bossuet, à moi saint Augustin, à moi Mallarmé -, mais savoir parler de la littérature (ce qu'il fait avec talent) n'est pas exactement faire oeuvre de créateur"...

    Parrains04.jpgParrains et poulains au Grütli. - En me pointant au Café du Grütli pour y rejoindre les parrains et poulains réunis par Isabelle Falconnier en vue de susciter une complicité féconde entre cinq auteurs de plus de soixante piges et cinq autres de moins de trente, je me demandais un peu ce qu'allait donner cette première rencontre de gendelettres (que je fuis à l'ordinaire) en dépit de la sympathie que j'avais a priori pour toutes celles et ceux que je connaissais; mais tout de suite, exquisement pimentée par la présence du journaliste tatoué que j'ai quelque peu chatouillé récemment, ma crainte se dissipa, comme souvent, sous l'effet de bonnes rencontres. L'amorce de discussion avec Daniel de Roulet en avait été un premier moment. Et le discours d'introduction de dame Isabelle, la fondue excellente, la radieuse cordialité d'Amélie Plume, ma voisine de gauche, la vieille amitié me liant avec mon voisin de droite, Jean-Michel Olivier, la malice souriante de mon vis-à-vis bantou et les doubles sourires angéliques des deux jeunotes l'encadrant (une Anne-Frédérique et une Isabelle) achevèrent de me faire oublier tant de réunions d'écrivains se surveillant plus ou moins, se flattant ou s'ignorant plus ou moins.
    Bref, le projet d'Isabelle Falconnier de susciter ces cinq rencontres séparées à venir, vouées à la discussion sur le métier d'écrire et que scelleraient une publication commune et une série de présentations au prochain Salon du Livre de Genève, me semblait décidément une bonne idée, aussitôt marquée par une première vraie conversation à quatre marins et poulaines, au bout de la table, sur le paradoxe qui veut qu'un auteur au dehors apparemment "bien sous tous rapports" soit souvent un monstre.


    Parrains03.jpgL'Ange et la Bête
    . - Amélie Plume se demandait, me confia-t-elle d'abord, quelle sorte de créature démoniaque elle allait "parrainer", ne connaissant jusque-là la jeune Anne-Frédérique que par l'une de ses pièces de théâtre, cruelle à souhait. La fine personne visée montrait cependant un visage, sinon diaphane, du moins velouté de douceur, aux yeux bleu candide, à l'expression dénuée de toute férocité. Mais comédienne ! Savoir ce que dissimulent les eaux limpides en apparence ? Et la chère Amélie de rappeler le paradoxe d'Agatha Christie aux airs de vieille dame très digne, et moi de raconter ma visite à la redoutable Patricia Highsmith m'avouant qu'elle n'osait pas avoir chez elle la télé par crainte panique du sang. Ensuite la conversation de rouler, à propos du meurtre raconté par Max Lobe dans 39, rue de Berne, sur la difficulté pour un jeune auteur qui n'a pas encore tué vraiment de figurer littérairement un meurtre. Alors moi de dire mon effort, en tant que parrain avant la lettre confronté au premier état tapuscrit du roman déjà prometteur du Bantou, de pousser celui-ci à sortir ses tripes et à se révéler tel qu'en lui- même: non pas l'angelot chokito souriant à tout le monde, mais le possible assassin qu'il y a en chacun de nous sous l'effet de l'humiliation ou de la jalousie et que l'écrivain, s'il s'en mêle, est supposé rendre à la fois vraisemblable et peut-être compréhensible...

  • Le corps des mots

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    Notes en chemin (48)

    Mise en bouche.- Il est toujours émouvant lorsqu'on a vu naître un texte, autant qu'un enfant nouveau-né, de le voir vivre ensuite en lettres imprimées et circuler, sous d'autres yeux, ou prendre corps à la lecture à haute voix et renaître pour ainsi dire, comme il en est allé l'autre soir au Café de la Couronne d'or, à Lausanne, où le comédien et metteur en scène Benoît Blampain s'est positivement réapproprié les mots du roman de Max Lobe, 39, rue de Berne, que j'ai découverts, pour la première fois, dans le premier jet - un peu chaos de tohu-bohu des origines -, du tapuscrit que le Bantou croyait bon de soumettre à mon amical non moins qu'intransigeant voire cruel (il pensait sadique) examen; et voici que la copie maintes fois renvoyée - et dûment révisée par Nadine Tremblay et Caroline Coutau aux éditions Zoé - me revenait métamorphosée par le pas-de-miracle du travail, ressaisie au corps à corps du mot à mot et bonnement magnifiée, comme au fameux gueuloir de Flaubert, par la prise en bouche d'un liseur de bonne aventure sensible à toutes les inflexions, les rythmes, les silences et les pulsations d'une partition faite musique et théâtre...


    Scène de crime. - Le premier choc, cependant, le premier saisissement à valeur de vraie découverte, de ce soir-là, fut la première lecture faite, par Benoît Blampain, d'une nouvelle de l'auteure jamaïcaine Olive Senior, dont j'ignorais tout jusque-là et qui m'est aussitôt apparue, par la densité noire du climat qu'elle restitue et l'intensité des rapports liant ses personnages, comme une narratrice de grande classe, du côté de Tennessee Wiiliams ou de V.S.Naipaul. Quelques pages du Pays du Dieu borgne, vingt minutes de lecture admirable en son dosage de retenue et de véhémence soudaine, et cette scène terrifiante de la vieille carne chrétienne recuite au feu de la dure vie, recevant un soir la visite de son petit-fils criminel venu lui réclamer de l'argent - cette scène ramassant en raccourci deux vies à fracas imposait soudain, dans le cercle de lumière du café, son surcroît de présence par le seul miracle des mots incarnés.

    Maxou22.jpgD'Afrique et d'ailleurs .- Les voix d'Olive Senior et de Max Lobe ont, de toute évidence, une parenté qui tient à la fois à l'attention vive portée par ces deux auteurs à leurs sources orales respectives, autant qu'à leur découpe écrite d'un impact également comparable. Or j'ai mieux compris, à l'audition de ces deux voix "d'ailleurs", qu'il n'est pas surprenant de voir apparaître, dans leur modulation écrite - à l'enseigne de la même collection des "écrits d'ailleurs" de Zoé-, ce qui m'a attiré depuis quelques années vers les écritures d'Afrique et d'ailleurs. Cela justement: cette capacité d'incarnation des mots. Non seulement la vieille magie retrouvée du conte à la veillée, mais la libre ressaisie de ce que Cendrars appelait le Profond Aujourd'hui, qu'il soit comique ou tragique mais irrigué de vraie vie et transfiguré par les rythmes et les couleurs, le fruit et la bête d'un style pur encore de tout affadissement académique et de tous les stéréotypes du langage des temps qui courent...


    Olive Senior. Eclairs de chaleur et autres nouvelles. Editions Zoé, coll. Ecrits d'ailleurs, 212p.

    Max Lobe, 39 rue de Berne. Editions Zoé, coll. Ecrits d'ailleurs, 188p


  • Violence et passion

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    Crevoisier1.jpgÀ propos du premier roman de Pierre Crevoisier, Elle portait un manteau rouge. L'auteur romand est ce matin, à 11 heures, au micro de Jean-Marie Félix, sur Espace 2. À écouter sur Internet ensuite.

     

    On est immédiatement saisi, à la lecture du premier roman de Pierre Crevoisier, par une scène initiale cinématographique de tournure évoquant le crash d'une voiture lancée, sur une route perdue, contre un poids lord forcément fatal - et forcément on pense à ce qu'un romancier soucieux de style éviterait d'appeler "un geste désespéré". Or on y coupe en l'occurrence, avant d'entrer dans le roman dans la foulée de Jacques, le fracassé du prologue, photographe en vue qui en a vu d'autres mais que frappe, un jour, la seule vue d'un manteau rouge passant par là au coin de la rue Baudelaire...

    La première qualité de ce premier roman est aussi bien son énergie narrative, qui fléchira parfois mais se trouve relancée par le montage d'un récit à plusieurs temps ou strates, tous marqués par la violence et la passion, les fantasmes de l'amour et les vertige de la destruction.

    La destruction est d'abord celle d'une enfance, dans un quatuor familial plombé par la brutalité insensée du père, dont on ne saura rien des tenants. Or cette violence paternelle déterminera fortement les faits à venir dans le roman, que le lecteur découvrira en même temps que Vincent, frère du fracassé qui enquête sur la cause de la mort de celui-ci et parcourt le labyrinthe de sa vie par le truchement de ses carnets retrouvés.

    Roman du dévoilement par sa structure même, Elle portait un manteau rouge est aussi celui de la passion, d'abord incandescente puis destructrice, sur fond de fascination érotique et de guerre des sexes. Pas un moment de répit là-dedans, mais le roman prend corps, révélant un écrivain...

     

     

    Pierre Crevoisier. Elle portait un manteau rouge. Editions Tarma, 2013.      

     
  • Fille de déesse

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    Stephanie Argerich évoque, avec beaucoup de sensibilité chaleureuse et de qualités cinématographiques, la difficulté et le bonheur d'avoir une mère géniale.

     "J'aime te regarder !", lance Martha Argerich en affectueuse conclusion du film sans complaisance que sa fille Stéphanie vient de lui consacrer, répondant, entre autres, à la question de savoir si une grande artiste peut être, à la fois, une mère attentionnée.

    Deux heures durant, c'est pourtant la célébrissime pianiste qui est observée, et dans toutes les postures et situations, à la fois dans sa vie de concertiste et "à la maison", à cela près que son foyer est des plus errants. Or le contraste est grand entre la diva du piano adulée, notamment par les Japonais - une vraie folie quasi fétichiste -, et la femme qui accueille le nouvel enfant de Stéphanie, fait part de ses angoisses de septuagénaire, se remémore ses relations difficiles avec sa propre mère ou parle très librement, couchés sur une pelouse, avec ses filles de trois pères différents.   

    Locarno42.jpgAutant que dans le Karma Sahub de Ramon Giger, quoique de façon moins lancinante sur le manque de présence ressenti, et plus chaleureuse aussi, à proportion directe de la formidable générosité de sa mère, Stéphanie Argerich fait bien ressentir le désarroi éprouvé par un enfant élevé tout autrement que les gens de son âge. Mais cette éducation "bohème" fonde aussi la liberté non conformiste de son regard, qui recompose une vaste et belle chronique englobant l'exceptionnelle trajectoire de la pianiste et l'évolution des relations familiales (par le truchement d'une caméra amateur aux précieux documents d'époque) ou du lien particulier de Stéphanie et Martha.

    Le film qui en résulte, où les témoignages des soeurs de Stéphanie et de son père complètent le dialogue de la mère et de la fille, laisse aussi entendre beaucoup de musique et, par celle-ci (même si Martha dit ce qu'elle ressent en profondeur avec Schumann, son compositeur préféré, autant qu'avec Chopin, Mozart et Schubert, Beethoven ou Ravel), la difficulté de mettre des mots sur tout ce qu'on ressent...

    Comme dans le film de Ramon Giger, la part d'incertitude, de pudeur, de mystère aussi, qui subsiste entre les êtres même les plus proches, reste insi bien perceptible dans celui de Stéphanie Argerich. Mais la musique est là qui relaie ce que les mots ne peuvent dire, et les images, la présence des individus sur l'écran, le temps de plusieurs vies ressaisi dans le temps d'un film, aboutissent à une très belle rencontre que chacun partage, cristallisée par une belle oeuvre de cinéma.  

     

    Stéphanie Argerich. Bloody Daughter. Suisse/France, 2012.