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La nuit des affreux

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Notes en chemin (59)


Houellebecq à l'héliopole. -

Il y avait du boucan l'autre soir, du côté de Port-Nature, qui m'a fait naturellement y aller voir. La lectrice ou le lecteur des Particules élémentaires se rappelle, peut-être, que c'est en ces lieux que Michel Houellebecq a trouvé son premier terrain d'observation des menées échangistes, dans une boîte qui existe toujours là-bas, au milieu d'une kyrielle d'autres apparues entretemps avec l'afflux massif de ceux qui se taxent eux-mêmes de libertins, au dam des braves résidents du Village naturiste naturellement réservés et pudiques (!) en matière d'intimité sensuelle. Or que se passait-il donc, ce soir-là, à Port- Nature ?
Rien que de mornement bruyant et banal, sous la forme d'une longue sarabande d'hyperfestifs entre trois âges se déplaçant en procession de pantins de karaoké libidineux - scolopendre à cent grimaces conduits par une façon d'hermaphrodite quinqua à soutane de prêtre du culte néo-païen - et ce vague stress affolé, sur toutes ces faces brunies de force au carotène, de ceux qui ont juré de s'éclater et ne trouvent, en attendant, que la Danse des canards pour y arriver ...
Or la même niaiserie, à Port-Nature, s'étale de boîte en boîte et par toute les boutiques de fringues sexy et de parures sympas rivalisant d'affriolement, à seule fin de fun - plus libéré tu meurs...

Houellebecq (kuffer v1).jpgLe poète destroy. - Au bord des dunes ensuite, dans le roulis roulant des dernières vagues pailletées de lumière, sous le ciel piqueté de diamants stellaires, je me suis rappelé les récents poèmes limite débiles de candeur de l'amer Michel sur son Dernier rivage, et tout son itinéraire de chroniqueur de la chiennerie ambiante: la branloire banalisée et la morosité dont Légion se délecte, les frustrés aux îles idéales et le retour des glandus de Palavas à la chaîne des jours sans fin; et ces visions du déprimé, comme par retournement d'irritation, m'ont ramené à la splendeur de cette nuit marine ravivant à l'instant l'intime comptine: "Je sens ta peau contre la mienne, / Je m'en souviens, je m'en souviens / Et je voudrais que tout revienne, / Ce serait bien"...

Dantec14.jpgLa nuit s'écrit . - Le lendemain je me suis rappelé les horreurs révélatrices du recueil de Catastrophes, signé Patricia Highsmith, en lisant le roman, plombé de mélancolie noire et traversé d'éclairs de lucidité, que Frédéric Jaccaud a publié récemment sous le titre de La nuit.
La narration spéculative, à la fois polémique et panique, que l'auteur développe avec vigueur dans cette impressionnante évocation d'une possible fin du monde, me semble tout à fait appropriée aujourd'hui, avec des observations qui font écho à celles d'Orwell ou de Witkiewicz, au siècle dernier, ou à celles, actuelles, d'un Ulrich Seidel, dans ses films Amours bestiales ou Import Export, après ces écrivains non moins clairvoyants que sont un Ballard ou un Houellebecq.
La littérature peut-elle encore nous aider, dans le chaos actuel, à ressaisir la réalité et la mieux comprendre - à la mieux voir et à la montrer de façon plus éclairante ? Un gadget a été imaginé avec ironie par Frédéric Jaccaud, qui ne donne pas pour autant dans l'illusion technologique: à savoir ces lunettes à "réalité augmentée" dont un détective mercenaire se sert dans la filature d'un terroriste atypique spécialisé dans l'incendie des animaleries et autres lieux de détention de ces "compagnons de vie" désormais perçus comme victimes de notre vilaine espèce.
Jusque-là, les mystiques seuls étaient supposés scruter la "nuit obscure". Or voici qu'un autre "affreux", genre dérivé des Houellebecq et autres Seidl, prénommé Karl et riche d'un passé personnel tragique, se met en tête, et à tâtons de stylo furieux, de percer le mystère des apparences afin de voir plus clair en pleine nuit.
À laquelle il faudra revenir puisque, aussi bien, elle n'en finit pas de tomber...

Jaccaud.jpgFrédéric Jaccaud, La Nuit. Gallimard, Série noire, 450p.



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