Notes en chemin (50)
PARTANCE. - Il faisait tout gris ce matin, frimas comme tous ces jours de morosité peu printanière, morose autant que dans les journaux, et c'est donc le vif au coeur que je me suis embarqué dans le TGV de Paris, laissant ma bonne amie à la garde du fox Snoopy, impatient de me replonger, comme tant de fois depuis tant de décennies, dans le mouvement électrisant et tonifiant de la grande ville qui n'est jamais ce qu'on en dit en la dénigrant; et de même ce qu'on dit ces jours de la France, ou ce qu'en disent de pire les médias français, me semble-t-il en deça de tout ce que les seuls noms de Paris et de la France représentent à mes yeux de précieux et d'irremplaçable, que concrétise à l'instant, à mes yeux, le spacieux habitacle roulant du TGV rénové aux accortes hôtesses de couleur nous servant à choix le Magret de Canard et la Rillette de Saumon. Prodigalité rabelaisienne de la France de toujours: voici du Magret et de la Rillette arrosés de Médoc à discrétion alors que les trains suisses se surbondent mornement et que leur service s'étiole à l'avenant; et je lis les Divertissements de Marcel Jouhandeau tandis que l'on traverse la Côte d'or de Marcel Aymé, la langue fluide et belle du plus latin des paysans de Paris célèbre Molière et La Fontaine et Voltaire et Madame de Sévigné - autant dire la France de toujours en encore dont Paris reste toujours et encore le lieu des lieux.
QUARTIER MOZART. - Or un clic a suffi, après les cafés, pour me faire me retrouver en Afrique, selon ma pratique habituelle consistant à voyager dans le voyage, en me plongeant cette fois dans ce maëlstrom de vie et de destinées d'un quartier populaire des abords de Yaoundé que ce film, intitulé Quartier Mozart et signé Jean-Pierre Bekolo, évoque avec autant de faconde réaliste que de poésie et de rage sous-jacente. L'on a appris l'autre jour que le pouvoir camerounais venait de frapper le réalisateur des foudres de la censure, et ça ne m'étonne qu'à moitié rien qu'à voir Quartier Mozart, qui a pourtant vingt ans d'âge. Ce n'est pas que ce film donne dans l'attaque politique directe, mais qu'il montre la réalité et les gens tels qu'ils sont: vivants et piégés, merveilleux de vitalité et freinés, empêchés, sacrifiés, vilipendé à la sauce des pouvoirs africains relançant les pires menées des anciens colons, et cela dans un film d'une forme puissamment originale.
Je dois à mon ami le Bantou de Douala, Max Lobe, la découverte de ce film, comme il me doit la découverte des films de Fassbinder ou de l' Aline de Ramuz. C'est par Maxou que j'ai découvert l'adaptation de la Visite de la vieille dame de Dürrenmatt par le réalisateur sénégalais Djibril Diop Mambety, sous le titre d' Hyènes, et c'est sur mon conseil qu'il a découvert Le génie helvétique de Jean-Stéphane Bron, ainsi de suite. Nous avons vécu ensemble, représentants improbables de la Suisse officielle, l'étrange Congrès des écrivains francophones de Lubumbashi en automne dernier, et le hasard a fait que demain, en virée parisienne pour d'autres motifs, je me pointerai à la lecture de son livre, 39, rue de Berne au Centre culturel suisse de Paris. Ce qu'attendant je vais retourner en Afrique dès mon arrivée prochaine au Quartier latin, ayant repéré la projection, ce soir même, de Kinshasha Kids au cinéma de la rue Hautefeuille...
LES ENFANTS DE KIN. - J'ai pensé à mon ami Bona le Kinois, tout à l'heure, en découvrant sur grand écran tout le désordre du monde concentré dans l'inénarrable chaos des rues populaires et des marchés de Kinshasha, où 25.000 kids survivent comme les Olvivados de Bunuel après avoir été chassées de leurs familles, pour beaucoup d'entre eux, sous l'accusation de sorcellerie. Curieusement, et une fois de plus, après le superbe Congo River de Thierry Michel, c'est à un Belge, Marc-Henri Wajnberg, qu'on doit cette plongée dans la pétaudière du Congo, dans le sillage d'un musicien allumé regroupant un groupe d'ados qui vivent le rythme et la musique à fleur de peau et voient là l'occasion de sortir de la dèche - peut-être de devenir célèbres autant que Papa Wemba, passant d'ailleurs par là, ou que Michael Jackson, imité à merveille par l'un d'eux. D'une vitalité et d'une créativité d'autant plus émouvantes que la situation semble plus que jamais désespérée, deux de ces kids résument en somme celle-ci: "Moi je voudrais devenir policier, pour voler sans être poursuivi". Et son compère: "Tu feras mieux de devenir politicien: ça paie nettement plus"...