Notes en chemin (64)
Gérer l'aurore. - L'aurore n'avait pas ce matin des doigts de rose mais un front d'orange et des irradiations de monocle enflammé quand le dernier soleil de notre séjour à ras la mer là-bas a surgi du bleu-noir d'à l'Est de Sète; et ce n'était pas un arrachement qu'on éprouvait sur sa chair mais une espèce de joie sauvage de voir tout recommencer une nouvelle fois comme quand la nuit des temps s'est fendue de son premier oeuf d'or...
Sur quoi nous avons, Terriens de rien, rangé nos affaires, le jour étant venu du retour de la Mer et du Vent; mais loin de nous le désenchantement, loin de nous l'accablement à l'idée de rentrer: loin de nous tout autre sentiment que de reconnaissance, tout à l'ardeur de ce premier dard vers le Mont Saint-Clair...
Gérer l'hiver. - Et clair aussi nous a paru sur la route que nous remontions vers le Nord, tandis que le ciel se noircissait, ce livre étincelant d'humour caustique, de l'allègre quinqua Benoît Duteurtre ferraillant joyeusement tous azimuts dans ses réjouissantes Polémiques, contre toutes les jobardises de notre époque, et plus précisément contre les lamentations et autres auto-flagellations d'une France par trop déprimée et se délectant de sa morosité. Remonter vers le froid tout en lisant, à haute voix, le chapitre savoureux dans lequel l'auteur détaille ce Drame national que devient l'Hiver dans les médias français, "comme si les frimas s'apparentaient à des attaques de missiles", parlant de "naufragés de la route" à la première vague de froid et cherchant bientôt les "responsables" de ce scandale météorologique, nous aura requinqués à proportion de l'aggravation même du temps...
Or la température s'abaissait en effet le long de notre route, mais nous gérions notre humeur à renfort de calissons d'Aix et d'autres chapitres de ces épatantes Polémiques visant aussi bien le culte du vélo que ceux de la poussette et du foot, le "retour à Dieu" des nouveaux dévots et la misère littéraire française incarnée par Christine Angot, entre autres éloges réjouissants de Claude Monet, du cannabis non frelaté, de Michel Houellebecq ou du "passéisme" si stupidement décrié au profit de n'importe simulacre de nouveauté.
Gérer l'humour. - Dans le sillage du Marcel Aymé persifleur anti-snobs et de bon sens, auteur de ce pamphlet toujours pertinent que représente Le Confort intellectuel; et proche aussi d'un Philippe Muray dans son combat contre la nouvelle langue de bois du conformisme se la jouant rebelle, Benoît Duteurtre incarne par excellence ce mélange de bonhomie moliéresque et d'irrévérence voltairienne qui caractérise l'esprit français le plus vivace. Le temps d'une traversée des merveilleux paysages de la Provence et de la Drôme, nous nous sommes régalés, ma bonne amie et moi, à la lecture de cette suite d'essais revigorants dont je ne manquerai pas, revenu à notre alpage, de détailler plus avant les qualités de lucidité et de joviale résistance aux idées reçues...
Benoît Duteurtre. Polémiques. Fayard, 2013.
Commentaires
Bonheur permanent de vous lire dans des formes toujours neuves...
Route joyeuse en remontant...
Merci Michèle. Nous nous sommes approchés dangereusement de vous en descendant du côté de Perpignan, mais nous avons finalement renoncé à violer votre timidité pyrénéenne - ce sera pour la prochaine fois car en septembre je vais faire la traversée des Cathares jusqu'aux Asturies. Tremblez donc carcasses...