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  • Mais oui, je te

     

     

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    …Je suis navrée tu m’as toujours dit, je:  t’oses pas me dire, je me… tu me reproches depuis 35 ans le même, je… mais non je ne dis pas que… tu dois aussi m’écouter jusqu’au… Alexis, je voudrais que ce soit toujours… oui je crois que je, toi aussi ? et qui t’as dit que c’était plus comme, je … ah mais si tu… je vais te dire pourquoi je reste, tu…

     

    Image: Philip Seelen

  • La messagère

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    … Ce que j’ai à vous dire est important, Monsieur Ruf, mais je ne sais pas dans quel trou parler, m’entendez-vous Monsieur Ruf ? c'est juste que je devais vous signaler que vous avez oublié la batterie de la pile de l’amplificateur de votre Appareil Auditif individuel sur le comptoir de la Pharmacie des Grottes, je suis la mère de la pharmacienne, Monsieur Ruf, et comme j’habite juste à côté je lui ai proposé de vous avertir, mais là, vraiment, je ne suis pas sûre d’avoir parlé dans le bon trou…
    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui se disent élus

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    Celui qui te fait sentir qu’il en sait tellement plus que toi / Celle qui se sent investie d’un Savoir Secret / Ceux qui jettent le discrédit sur toute personne ne pensant pas comme eux / Celui qui récuse toute forme de plan théologique ou téléologique en matière de guerre coloniale / Celle qui aimerait te laver les pieds avant de passer à table / Ceux qui estiment que l’esprit critique est un obstacle sur la Voie Droite / Celui qui traite ses fidèles d’esclaves de la chair du haut de sa chaire de pierre / Celle qui tire une claque au type profitant de la répétition du chœur mixte Les Âmes Vaillantes pour lui mettre la main quelque part / Ceux qui ont connu la concierge de la Maison de Paroisse au sens biblique du terme / Celui qui se risque à chouraver la boussole de son cousin le chef scout Agile Achille / Celle qui a cousu les Insignes de Mérite Spirituel sur les robes blanches des 7 Vigiles de la Foi Radieuse / Ceux qui ont fait dissoudre la secte des Disciples de Judas / Celui qui découvre avec stupeur que la généalogie de son oncle Tibère l’apparente au cruel Hérode / Celle qui se fait mal voir de ses cousines en affirmant que toute une tradition a sacralisé la prostitution / Ceux qui affirment que Jeanne d’Arc n’était ni bergère ni pucelle ni ne fut probablement brûlée mais admettent qu’elle tenait son cheval comme pas deux et sabrait mieux que Gilles de Rais, etc.

  • L’échappée

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    …Des fois, à la toute fin du service, quand il n’y a vraiment plus une ombre sur les quais et que la nuit semble blanche, je me dis que ce serait beau le métro vraiment aérien qui se mettrait à s’élever au-dessus des toits de la ville et qui planerait au-dessus des plaines et des forêts, tu sais, comme quand on marchait toute la nuit toi et moi, ces années-là…
    Image : Philip Seelen

  • L'ange dévasté

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    De la belle dernière pièce de René Zahnd, consacrée à Annemarie Schwarzenbach, Christian Egger a tiré un spectacle inventif à Nuithonie.
    Le personnage d’Annemarie Schwarzenbach (1908-1942), fille rebelle d’une famille richissime de l’establishment helvétique, fait aujourd’hui figure d’«icône» romantique de la résistance et de la transgression, au risque de se figer dans le cliché de la femme « libérée ». Antinazie, bisexuelle, cherchant la «vraie vie» loin des conventions d’un milieu matérialiste, dans l'écriture et le journalisme d'intervention, le voyage et la drogue, l’amie intime des bohèmes Erika et Klaus Mann, compagne compliquée d’Ella Maillart sur la route de l’Orient, incarne une ambigüité fondamentale qui lui valut d’être comparée à un ange, « inconsolable » pour un Roger Martin du Gard, « dévasté » pour Thomas Mann. Romanesque et tragique à la fois, sa destinée d’individualiste engagée en proie à toutes les contradictions nous interpelle aujourd’hui encore. La meilleure preuve en est la pièce, à la fois stylisée et très dense, révélatrice aussi par  ses composantes historiques et politiques, qu’en a tiré René Zahnd, créée cette semaine à Nuithonie par Christian Egger.
    Comme un film dont les séquences, de 1931 à 1942, retraceraient les pérégrinations d’Annemarie en focalisant l’attention sur ses relations conflictuelles avec sa mère, et, plus sensuellement légères, avec ses amis Erika et Klaus, Annemarie reconstruit un tableau vivant et vibrant, à la fois intimiste et en phase avec  la tragédie collective. Renée Schwarzenbach (Marie Iracane) y fait figure de teigneuse gardienne de l’ordre familial et de la respectabilité, Erika Mann ( Marie-Aude Guignard) incarne l’intellectuelle vaillante, plus forte que son frère Klaus (Cédric Dorier) au croissant désespoir, alors qu’Annemarie elle-même (Anne Carrard) apparaît d'une grâce vive et délicate, en butte à un déséquilibre psychique de plus en plus perceptible. Au lieu d’un ange: une femme-enfant brûlant d’amour et plus encore de manque d’amour. Or un ange (Yves Adam), dédoublé, l’accompagne bel et bien de bout en bout sous la forme d’un personnage dansant, nu et bleu, balbutiant au début puis déployant un langage d’émotion rayonnante de lyrisme. Tout cela que la mise en scène de Christian Egger restitue avec une remarquable originalité, dans la scénographie d’Yann Becker d'une plasiticité efficace en dépit de praticables un peu envahissants. En crescendo, la réalisation de la Compagnie T2 impose à l’évidence la «vision» de la pièce de René Zahnd, dont on espère  une reprise prochaine.

    René Zahnd. Annemarie. Actes Sud-Papiers.

    A voir à la Cinémathèque suisse, à Lausanne, le 2 novembre, à 20h: les films de famille de René Schwarzenbach-Wille, mère d'Annemarie.

  • Le secret

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    … Il n’y a qu’une Porte, comme le désigne sans équivoque le numéro de celle que voici, pourvue d’une seule serrure, et la porte est étroite, il est plus difficile de la franchir qu’à un chameau de passer par le chas d’une aiguille, même avec une clef, mais la porte est verte, signe d’espoir, et la clef se trouve où est la clef, et la trouve qui la cherche - là c’est juste dans la boîte à lait, mon chti loup, et t’évites de sonner à cause des voisins…
    Image : Philip Seelen

  • L'Apparition

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    … Avisez-vous, citoyen Desmoulins, ce que j’avise ? – Certes, citoyen Robespierre, m’est avis que je l’avise ? – Et qu’avisez-vous donc, Camille ami ? – J’avise ce qui me semble un orteil, ami Maximilien – Et qu’en concluez-vous en ce vingtième jour de Prairial ? – Dois-je en conclure, se montrant à l'Incorruptible, qu'il s'agit là de l’Orteil Suprême – Ah mon enfant je ne puis vous le celer : ce l’est !

    Image : Philip Seelen

  • Ceux de la milice

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    …Moi les tagueurs je vous dis faut les attaquer sur le terrain et les liquider dans l'oeuf, sans ça vous imaginez quelle image de la culture alsacienne cela montre à nos jeunes, et encore sur des murs dont l’entretien se fait avec nos impôts, non mais vous avez vu le mur du cimetière de Ringeldorf, si ce n’est pas la Schmutz, alors voilà ce que je vous propose, dès ce soir, à tous les camarades vigiles de la région…
    Image : Philippe Seelen

  • Brûlé de l'alcool

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     L’homme qui penche, à Vidy, module le journal de détresse de Thierry Metz avec force et poésie.
    L’homme qui penche, sous le poids de la vie, est ici celui qui s’efforce de fixer sur le papier ce qu’il vit pour « ne pas perdre le fil». La première page de ce carnet de détresse est datée d’octobre 1996, au Centre hospitalier de Cadillac en Gironde, pavillon Charcot, entre 1996 et 1997. La dernière s’est écrite le 31 janvier 1997. Thierry Metz a choisi de disparaître le 16 avril 1997.
    « Je dois tuer quelqu’unj en moi, même si je ne sais pas trop comment m’y prendre », écrit-il au début de son sevrage. Et plus loin : « J’essaye, à ma manière et plus simplement, de faire entrer l’homme que je suis devenu dans la maison de la rencontre et de la réparation ». On ne saurait mieux dire, en mots émaciés « le plus possible », puisque la réparation éventuelle va passer par la rencontre, avec soi-même autant qu’avec les autres. Dans ce lieu clos, en pyjama réglementaire, dans un « va et vient de petites choses », chacun erre autour de lui-même, tous « plus ou moins endormis » par les anxiolitiques, Mady toute maigre avec sa « simple petitre rose du regard », Denis aux ailes brisées qui se bourre de biscuits sans grossir, ou Bernard, Mickey, Raymonde cherchant « un habitant qui n’est plus dans la maison ».
    Sur la trame de ce désarroi quotidien, Thierry Metz ressuscite la vie par ses mots qui chantent et gémissent en alternance, sans lyrisme exalté ni sans pathos.
    Or c’est avec la même élégance blessé, aussi délicate qu’incisive, que Sylvain Thirolle habite le verbe et la présence de l’écrivain, en complicité parfaite avec l’accordéoniste Jean-Jacques Franchin.
    Dans une mise en scène et une adaptation de Marc Feld, la scénographie et les images vidéo étant conçues avec la collaboration de Jean-Jacques Nguyen, L’Homme qui penche restitue admirablement, avec un excellent contrepoint de l’image et du verbe, la matière existentielle et poétique arrachée par Thierry Metz au silence et à la peine. Rien d’édifiant ni de complaisant non plus dans l’échec, comme si la soif persistante en désignait une plus fondamentale, dont rien n’est dit au demeurant…

    Photo: Mario del Curto.
    Théâtre de Vidy, La Passerelle, jusqu’au 14 décembre. Me-sa, à 20h. Di à 18h. Lu relâche. Durée : 1h.15. Location : 021 619 45 45 ou www.vidy.ch

  • L'immortel centenaire

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    Claude Lévi-Strauss fêté ce 28 novembre.

    « Si je suis encore vivant, c’est par inadvertance », déclarait récemment Claude Lévi-Strauss, qui aura marqué son siècle plus que l’ordinaire des savants. Ainsi, celui qui écrivait en 1953 (dans la revue Diogène) que l’ethnologie se mettait «en position de formuler un nouvel humanisme», aura-t-il assisté, en juin 2006, à l’inauguration du Musée Bramly, où les «arts premiers» sont illustrés dans la filiation directe de son œuvre et d’un goût qu’il partageait déjà, réfugié à New York pendant la guerre, avec un certain André Breton. Autre sujet de satisfaction pour le vieil homme lorsque, en 2007, la Déclaration des droits des peuples autochtones, visant à endiguer l'extermination des Indiens, fut adoptée à l'Onu.

    A bien d’autres égards, cet homme de culture classique, taxé facilement de « réactionnaire » en mai 68, et peu porté sur les estrades médiatiques, résistait aux modes passagères et portait sur la société occidentale un regard lucide. Ainsi constatait-il déjà, dans Tristes Tropiques (1955, réédité en 2001), que « l’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprêt à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat ».

    Dans la même optique décentrée, Lévi-Strauss « a tranché les racines coloniales et racistes de l'anthropologie française d'avant-guerre », note sa biographe Catherine Clément, et contribué à relativiser la notion  de «société primitive» naturellement appelée à se développer selon les normes occidentales. Selon lui, la véritable civilisation consiste plutôt à faire coexister des cultures ayant le maximum de diversité entre elles.

    La leçon du «terrain»

    S’il dit, avec l’humour du sage,  avoir atteint sa centième année «par inadvertance», Claude Lévi-Strauss, prof juif de trente ans « inconscient » de ce qui le menaçait à son propre dire,  échappa de la même façon aux mesures antijuives de Vichy en rejoignant l’Amérique où, en 1935, au Brésil, il avait enseigné et accompli ses premières missions d’ethnologue auprès des tribus indiennes d’Amazonie.

    C’est à partir des « faits ethnographiques » examinés sur le terrain que toute l’œuvre de l’anthropologue se développa d’ailleurs, à commencer par l’ouvrage qui lui valut une renommée mondiale : Les structures élémentaires de la parenté, paru en 1949, où il analyse le rôle central des rapports de parenté dans les sociétés dites primitives. Par la suite, sous l’influence des fondateurs du structuralisme, les linguistes de Saussure et Jakobson, se constituera tout l’édifice théorique, contesté, de l’Anthropologie structurale (1958 et 1973) à La Pensée sauvage (1962) en passant par les quatre volumes des Mythologiques (1964 à 1971).        

    Dans sa remarquable préface aux Oeuvres de Lévi-Strauss en Pléiade, Vincent Debaene rappelle que «l'étude de l'homme est, par essence, littérature». Or, malgré sa défiance envers le « structuralisme littéraire », Lévi-Strauss pratiquait lui-même «une écriture majestueuse », écrit encore Debaene, « qui fait songer à Chateaubriand pour la posture et à Bossuet pour le rythme». Formules un peu solennelles à nuancer notamment à la lecture de Tristes tropiques, d'un ton souvent très direct et d'une mélancolie fleurant le XXIe siècle écolo(la conclusion notamment, en hommage à la beauté des choses), mais qui inscrivent bel et bien l'anthropologue dans la filière humaniste d’un Montaigne avec la même déférence envers le monde et «l'homme nu».

    Dans le cadre du centenaire, le Quai Branly, la Bibliothèque nationale française, le Collège de France et l'Unesco proposent divers hommages.

     

    LeviStrauss.jpgClaude Lévi-Strauss

    NAISSANCE      Le 28 novembre 1908 à Bruxelles, où son père, peintre, exécute une commande.

    ETUDES             Droit et philo à La Sorbonne. Agrégation en 1931. Bifurque sur l’ethnologie. Enseigne à Sao Paulo, Brésil, en 1935. Premières missions en Amazonie.

    ŒUVRES            Premier livre majeur sur les systèmes matrimoniaux : Les structures élémentaires de la parenté, en 1949. Simone de Beauvoir salue sa présentation de la condition féminine dans les sociétés primitives. En 1955, Tristes Tropiques. Les Goncourt se désolent de ne pouvoir honorer un essai… Réédité en 2001 en PressePocket. Un classique accessible…Après la série plus ardue des  Mythologiques, continue d’écrire des articles sur l’art, la musique et la poésie. En 2008, Œuvres à La Pléiade, honneur rare pour un auteur vivant.

    CARRIÈRE         Dès 1959, occupe la chaire d’anthropologie sociale au Collège de France. Après la parution des Mythologiques, est élu à l’Académie française en 1973. Prix Erasme la même année.  

    Cet article a paru dans l'édition de 24Heures du 27 novembre.

     

  • Dernière envolée

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    …C’est quand l’eau du fleuve s’est mise à bouillonner autour de moi, puis à produire des bulles au format de balles puis de ballons plus légers que l’air, et quand j’ai vu les images de mon avenir dans chacune des sphères argentées qui tournoyaient dans le ciel, que j’ai repris courage: tout allait changer désormais, je ne serais plus jamais lourd, je me remplissais de l’eau de l'air, les gens m’avaient vu m’envoler du haut du pont et je me sentais à présent comme exploser au-dessus des toits et des forêts…
    Image : Philip Seelen

  • Les gens d’en face

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    …Il va de soi que le voyeurisme tel que je le pratique chaque soir, dans les rues de notre ville, ne correspond en rien à la recherche de la triviale petite secousse, plutôt motivé par cette Curiosité omnivore qui me fait bonnement jouir du simple spectacle de la veuve du troisième pelant une poire sous un lampadaire, de son voisin le musicien s’exerçant à diriger un orchestre devant son miroir, ou de telle ombre à deux têtes apparaissant à l’instant et qui semble osciller derrière les rideaux comme une paire amoureuse alors qu’il s’agit du vieux professeur aveugle du deuxième et de sa gouvernante l’aidant à retirer son pardessus au retour de sa soirée de canasta…
    Image : Philip Seelen

  • Le dieu caché

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    …Vous êtes là-bas et je suis ici, mais vous n’avez aucune preuve de mon existence, ni moi de la vôtre: on en reste toujours réduit à des approximations et à des conjectures qui changent selon qu’on est venu au monde dans une grande ville du nord ou en bordure d’un désert, mais il ya ce souffle, c’est vrai, il y a ce souffle dont on dit qu’il est partout le même - on se dit que ce souffle serait le seul à pouvoir dissiper ces nuées…
    Image : Philip Seelen

  • Comme je te vois

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    …Qui sont nos ombres et que se murmurent-elles quand nous avons le dos tourné, compère, y as-tu jamais songé, où es-tu lorsque je me retourne vers ton ombre, et la mienne, la vois-tu comme je vois la tienne, et qu’en serait-il de nous si nos ombres cessaient de s'entendre ?…

    Image: Philip Seleen

  • Maudits de luxe


    COUP MEDIATIQUE. La correspondance des deux écrivains à succès Michel Houellebecq et Bernard-Henri Lévy, courant sur six mois de 2008, vaut-elle le battage qu’elle suscite ?

    Ce devait être le « coup » de Teresa Cremisi, patronne des éditions Flammarion qui orchestra déjà, l’an dernier, les effets d’annonce précédant la parution de La Possibilité d’une île de Michel Houellebecq. Selon la même logique marchande, une rumeur non moins affriolante annonçait cet été le retour de l’amer Michel avec un « inédit ». Des libraires, françaises et francophones ont subi de fortes pressions visant à leur faire passer de grosses commandes avant de pouvoir juger de l’objet. Or en quoi consiste celui-ci ?
    Ennemis publics, le titre de l’ouvrage, constitué de 29 lettres échangées entre janvier et juillet 2008, annonce la couleur. Michel Houellebecq en est l’inspirateur, selon lequel lui et BHL, qui n’auraient rien d’autre en commun, seraient tous deux les victimes d’une « meute » les poursuivant de sa haine.
    L’entrée en matière est quasi burlesque: Houellebecq, dans une première lettre, fait ainsi le portrait de BHL en « spécialiste des coups foireux et des pantalonnades médiatiques », baignant dès son enfance « dans une richesse obscène », incarnant par excellence la « gauche-caviar ». Et de préciser : « Philosophe sans pensée, mais non sans relations, vous êtes en outre l’auteur du film le plus ridicule de l’histoire du cinéma ». Dans la foulée, Houellebecq se présente lui-même comme « nihiliste, réactionnaire, cynique, raciste et misogyne honteux », concluant en ces termes non moins accablants : « Fondamentalement, je ne suis qu’un beauf », doublé d’un « auteur plat, sans style »…
    On l’aura compris : cette double caricature serait celle que diffusent les ennemis de nos « maudits ». Ceux-ci se sont découvert le même sort affreux « au restaurant ». D’où le besoin de répondre à la grave question : « pourquoi tant de haine ? » Et BHL, milliardaire affligé, d’évoquer, avec le millionnaire Houellebecq, la cohorte des lynchés de génie qui les ont précédés, de Baudelaire (sic) à Ezra Pound…
    Pourtant cet échange, soyons juste, ne va pas s’en tenir à ces lamentations évidemment infondées - la meute se réduisant de fait à une poigné de critiques parisiens qui ont le front de ne pas reconnaître l’incommensurable talent des duettistes, tel un Pierre Assouline, qualifié par l’élégant Houellebecq de « ténia ». Autant Houellebecq que BHL ont des choses parfois intéressantes à dire. Qu’ils parlent de leurs pères respectifs (l’alpiniste ronchon de Michel, et l’affairiste froid de BHL), de morale politique (Michel le cynique et BHL le vertueux) de ce qui les passionne réellement ou leur tient lieu de credo « philosophique »: chacun, en écrivain « tripal » pour Houellebecq, ou en intellectuel plus structuré pour BHL, dépasse parfois le papotage convenu ou le plaidoyer pro domo. Mais tout cela fait-il un vrai livre ? Le lecteur appréciera…
    Michel Houellebecq, Bernard-Henri Lévy, Ennemis publics. Flammarion/Grasset, 332p.

  • Ceux qui rayonnent

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    A propos d'Alexandre Jollien et de Christiane Singer

    Deux livres font ces temps un malheur, qui ont pour point commun de témoigner d’expériences existentielles difficiles, voire extrêmes. Il s’agit, d’une part, de La construction de soi d’Alexandre Jollien, où le jeune handicapé s’attache à dépasser la griserie du succès que lui ont valu ses premiers livres, et sa panique devant le bonheur, avec l’aide de la philosophie. Et, d’autre part, des Derniers fragments d’un long voyage de Christiane Singer, consignés durant les derniers mois d’une existence dont la fin était annoncée dès octobre 2006. Or à quoi tient le succès de ces deux livres ? L’engouement du public ne serait-il pas lié à un mélange douteux de curiosité et d’apitoiement « voyeur » ? N’est-ce pas la seule « performance » de l’infirme ou de la malade qui en impose ? N’y aurait-il pas là qu’un effet de mode et d’entraînement moutonnier ?
    A vrai dire, seuls ceux quoi ont lu ces deux livres pourront répondre de bonne foi à ces soupçons, tant la substance de ces écrits échappe aux critères ordinaires du succès. Certes, autant Alexandre Jollien que Christiane Singer nous apparaissent comme des individus hors du commun, pour ne pas dire des « modèles » ou d’humbles «héros». Mais ni l’un ni l’autre ne pose en donneur de leçons. Ni l’un ni l’autre ne propose de recettes pour échapper au poids d’un handicap ou à l’angoisse de la mort. Tous deux sont empêtrés dans leur chair et tâchent de « faire avec ». S’ils ont apparemment plus de dons ou de courage que la moyenne, ce n’est pas leur talent ou leur cran qui nous touchent, mais plutôt le rayonnement involontaire de leur personne et de leur parole.
    Tout cela est évidemment très peu marketing : le rayonnement d’une personne ou d’une parole. D’ailleurs essayez de fabriquer un Jollien bis ou un clone de Singer à partir des mêmes ingrédients présumés (handicap + kit philo, ou cancer + kit littérature), et vous verrez ce qu’il en résulte…
    L’esprit vulgaire de l’époque se figure le succès sous la forme d’un «gros lot» qui se décroche automatiquement en fonction de certains mécanismes. Or s’il est vrai que nombre de « tubes », en matière de littérature ou de cinéma, répondent à un conditionnement du sentimentalisme ou du sexe, de la violence ou de l’action, de l’exotisme ou du rêve, il est non moins évident que le goût des gens n’est pas réductible à cette standardisation. Bien entendu, d’aucuns diront qu’Alexandre Jollien « profite » de la vogue actuelle d’une philosophie prête-à-porter, même s’il se démarque clairement de celle-ci. De la même façon, d’autres sceptiques rangeront Christiane Singer au rayon « développement personnel »…
    Ce qui est plus difficile, en notre temps de clientélisme froid, est de considérer que l’un et l’autre, Alexandre et Christiane, nous touchent parce qu’ils vivent ce que nous vivons tous et qu’ils expriment ce que nous ressentons et ne pouvons tous exprimer. Pourquoi, lorsque Christiane Singer se pointait à Fribourg ou à Crêt-Bérard, des foules se déplaçaient-elles ? Pourquoi les gens affluent-ils aux conférences d’Alexandre Jollien et lisent-ils ses livres ? Parce que ce sont des stars ? Nullement. Parce que ce sont des gens simples qui disent vrai et rayonnent, chacun à sa façon, mais de la même joie. Là gît peut-être leur secret à tous deux, qui ne s’achète pas plus qu’il ne se vend : la joie.

    medium_Jollien2.3.jpgmedium_Singer.3.JPGAlexandre Jollien, La construction de soi. Seuil, 2006.
    Christiane Singer. Derniers fragments d’un long voyage. Albin Michel, 2007.

    Cette chronique a paru dans les colonnes de 24Heures.

    Aquarelle de Samivel: à découvrir dans la magnifique exposition du Château de Saint-Maurice d'Agaune, consacrée au centenaire de l'artiste-écrivain, jusqu'en septembre.

  • Ceux qui attendent sur le quai

     

    Celui qui se retrouve seul au bout des quais / Celle qui affirme qu'elle risque sa peau chaque fois qu'elle empoigne son stylo Mont-Blanc à trois cents balles / Ceux qui ne supportent pas la joie des autres / Celui qui récolte la monnaie oubliée des automates / Celle qui jouit des insinuations qu’elle sème / Ceux qui redoutent les instruits / Celui qu’obsède le Complot / Celle qui ne voit que le beau côté des choses / Ceux qui observent leur voisinage au moyen de lunettes d’approche / Celui qui se dit l’Epée du Seigneur / Celle qui fait semblant de claudiquer pour qu’on la prenne en stop / Ceux qui envoient des lettres aux journaux / Celui qui ricane de tout / Celle qui ment pour ne pas décevoir / Ceux qui mutilent les animaux / Celui qui se croit remplaçable / Celle qui hume les aisselles / Ceux qui notent les numéros de plaque des automobilistes en faute / Celui qui aime nager en apnée / Celle qui joue du piano à minuit / Ceux qui  aiment voir brûler les maisons / Celui qui se flatte de  ne pas jouir / Celle qui rêve d’un Monsieur posé / Ceux qui pleurent…  

    Dessin et peintures de Lucian Freud

  • Tautologie

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    … Alors tu vois, p’tit gars, tu voulais que je t’esplique ce qui va pas dans l’art qui se la joue, donc je t’esplique: ce qui va pas dans l'art qui se la joue c’est que l’idée ne dit que l’idée et que la matière ne dit que la matière, c’est que le seul projet se réduit au projet avant que le discours s'en tienne au discours, tu vois ça p’tit gars, y a aucun chemin, y a pas d’objet qui lévite, y a rien qui soit plus que ce qui est dit avant de le faire ni après, d’ailleurs y a pas de faire, y a que ce qu’y a, tu vois ça, pt’it gars: ce grillage qui est à la fois le signifié et le signifiant du grillage grillagé et grillageant mais les critiques vont t'espliquer ça mieux que moi, p'tit gars... 

    Image : Philip Seelen

  • Poète, vos papiers

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    Des pratique fétichistes du preneur de notes en situation aggravée. Visite d’atelier…

    Mis en demeure de présenter ses papiers par le jeune peintre Fabien Clairefond de récente connaissance, aussi talentueux qu'intrusif et injonctif, l’auteur de ce blog lève un coin de voile sur sa méthode de preneur de notes invétéré, frappé par cette maladie incurable vers l’âge de 16 ans, qui n’a cessé de s’aggraver depuis lors.
    Le support de cette manie compulsive (exercée initialement pour se libérer de la propension à mordre son prochain, notamment, ou pour dépasser le stade du miroir, comme on voudra) fut d’abord une série de petits carnets noirs de marque Biella et de format 10x16cm, dont ses archives comptent une soixantaine à l’heure qu’il est. Dans les années 90 du siècle passé, ledit support de taille modeste fut remplacé par de véritables livres, maquettes reliées aux pages vierges à lui fournies par ses éditeurs. A noter que l’encre du maniaque est verte depuis LA rencontre de sa moitié, dont les yeux virent du gris bleu au vert d’eau selon les variations de la lumière, et que chaque carnet manuscrit fait l’objet d’une recopie dactylographiée, occasionnant l’achat par série de sept de grands cahiers reliés noirs à tranches rouges de marque chinoise, dont chacun compte environ 188 pages. Lesdits carnets et cahiers noirs du malade sont enrichis de nombreux documents collés, cousus, agrafés, qui ajoutent au texte une manière d’hypertexte en trois dimensions et en feront d'improbables objets de collections, sait-on. Est-ce tout ? Sûrement non, mais pour le moment ça va comme ça. Bonsoir, Fabien...

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    Images: de haut en bas et d'ouest en est: 1) La cathédrale de Chartres en passant sur carnet de petit format: aquarelle lavée en voiture sur la route de Saint-Malo. 2) Vue de la Désirade au jour de notre installation, en 1997. 3) Le chien Filou , connu des visiteurs de ce blog en tant que médiateur attitré, sous le nom de Fellow; 3) La maison rouge, à Montagnola, également peinte par Hermann Hesse; 4) Olivier provençal classique gesticulant, non loin de Pézenas, sur un carnet de la seconde génération, relié toilé; 5) Filou sévère, pour faire croire qu'il a la moindre aptitude de gardien, au-dessus d'un coin de Léman; 6) Transcription tapuscrite avec rajout de paysage aquarellé, la Savoie vue 315401032.jpgde Lausanne-City...  7) Carnets publiés aux éditions Bernard Campiche; L'Ambassade du papillon et 986284977.jpgLes Passions partagées, recouvrant les années 1973 à 1999.1935414010.JPG 8) Dernier carnet ouvert sur des images de Toscane et du lac des Quatre-Cantons.