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Ceux qui rayonnent

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A propos d'Alexandre Jollien et de Christiane Singer

Deux livres font ces temps un malheur, qui ont pour point commun de témoigner d’expériences existentielles difficiles, voire extrêmes. Il s’agit, d’une part, de La construction de soi d’Alexandre Jollien, où le jeune handicapé s’attache à dépasser la griserie du succès que lui ont valu ses premiers livres, et sa panique devant le bonheur, avec l’aide de la philosophie. Et, d’autre part, des Derniers fragments d’un long voyage de Christiane Singer, consignés durant les derniers mois d’une existence dont la fin était annoncée dès octobre 2006. Or à quoi tient le succès de ces deux livres ? L’engouement du public ne serait-il pas lié à un mélange douteux de curiosité et d’apitoiement « voyeur » ? N’est-ce pas la seule « performance » de l’infirme ou de la malade qui en impose ? N’y aurait-il pas là qu’un effet de mode et d’entraînement moutonnier ?
A vrai dire, seuls ceux quoi ont lu ces deux livres pourront répondre de bonne foi à ces soupçons, tant la substance de ces écrits échappe aux critères ordinaires du succès. Certes, autant Alexandre Jollien que Christiane Singer nous apparaissent comme des individus hors du commun, pour ne pas dire des « modèles » ou d’humbles «héros». Mais ni l’un ni l’autre ne pose en donneur de leçons. Ni l’un ni l’autre ne propose de recettes pour échapper au poids d’un handicap ou à l’angoisse de la mort. Tous deux sont empêtrés dans leur chair et tâchent de « faire avec ». S’ils ont apparemment plus de dons ou de courage que la moyenne, ce n’est pas leur talent ou leur cran qui nous touchent, mais plutôt le rayonnement involontaire de leur personne et de leur parole.
Tout cela est évidemment très peu marketing : le rayonnement d’une personne ou d’une parole. D’ailleurs essayez de fabriquer un Jollien bis ou un clone de Singer à partir des mêmes ingrédients présumés (handicap + kit philo, ou cancer + kit littérature), et vous verrez ce qu’il en résulte…
L’esprit vulgaire de l’époque se figure le succès sous la forme d’un «gros lot» qui se décroche automatiquement en fonction de certains mécanismes. Or s’il est vrai que nombre de « tubes », en matière de littérature ou de cinéma, répondent à un conditionnement du sentimentalisme ou du sexe, de la violence ou de l’action, de l’exotisme ou du rêve, il est non moins évident que le goût des gens n’est pas réductible à cette standardisation. Bien entendu, d’aucuns diront qu’Alexandre Jollien « profite » de la vogue actuelle d’une philosophie prête-à-porter, même s’il se démarque clairement de celle-ci. De la même façon, d’autres sceptiques rangeront Christiane Singer au rayon « développement personnel »…
Ce qui est plus difficile, en notre temps de clientélisme froid, est de considérer que l’un et l’autre, Alexandre et Christiane, nous touchent parce qu’ils vivent ce que nous vivons tous et qu’ils expriment ce que nous ressentons et ne pouvons tous exprimer. Pourquoi, lorsque Christiane Singer se pointait à Fribourg ou à Crêt-Bérard, des foules se déplaçaient-elles ? Pourquoi les gens affluent-ils aux conférences d’Alexandre Jollien et lisent-ils ses livres ? Parce que ce sont des stars ? Nullement. Parce que ce sont des gens simples qui disent vrai et rayonnent, chacun à sa façon, mais de la même joie. Là gît peut-être leur secret à tous deux, qui ne s’achète pas plus qu’il ne se vend : la joie.

medium_Jollien2.3.jpgmedium_Singer.3.JPGAlexandre Jollien, La construction de soi. Seuil, 2006.
Christiane Singer. Derniers fragments d’un long voyage. Albin Michel, 2007.

Cette chronique a paru dans les colonnes de 24Heures.

Aquarelle de Samivel: à découvrir dans la magnifique exposition du Château de Saint-Maurice d'Agaune, consacrée au centenaire de l'artiste-écrivain, jusqu'en septembre.

Commentaires

  • Une excellente critique, un bémol cependant, caractèriser Alexandre Jollien comme handicapé, c'est d'abord un philosophe qui est handicapé, mais pas un handicapé qui est philosophe.

  • Leur succès est peut être dû à ce qu'ils apportent à leurs lecteurs...
    Tous deux ont quelque chose à dire et à partager au delà des modes et du style... Leur sincérité les rends lisibles à tout un chacun...
    Le message de Julian peut être, ou celui du jeune homme aux cheveux longs qui marchait sur l'eau et qui fait enfin tache d'huile par de nouvelles bouches?

  • Cher Amaury, Alexandre Jollien aurait-il philosophé s'il n'avait pas été handicapé ? Nul ne le sait, et je ne crois pas du tout que ce soit le rabaisser que de considérer son handicap, comme la faiblesse dont il fait l'éloge. Nous avons tous une faiblesse mais ne sommes pas tous grandis par elle. Il y faut un certain travail, et cela peut passer par la philosophie, entre autres. Lorsque j'ai demandé à Alexandre ce que les gens lui disaient qu'ils venaient chercher auprès de lui, il m'a répondu sans hésiter: comment vivre, comment être heureux ? Rien à voir évidemment avec le bonheur formaté des Hyper U.
    Oublier qu'il est handicapé pour le voir essentielleent philosophe me semble le priver de quelque chose qui lui appartient, comme sa façon de marcher, sa difficulté à mettre une clef dans la putain de serrure, sa putain de difficulté de bouger. Or c'est tout ça qu'il fait quand même avec une espèce de grâce, et nous n'avons pas à détourner le regard. Le philosophe désincarné n'est pas son truc. Mais peut-être que le philosophe était là en même temps que la faiblesse ? Là c'est l'histoire de la poule et de l'oeuf, sûrement...

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