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  • Astres compères en La Pléiade

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    1590578201.jpgClaude Lévi-Strauss et André Breton au panthéon de l'édition française


    Au printemps 1941, entre le 25 mars et le 20 avril, Claude Lévi-Strauss et André Breton prirent le chemin de l'exil sur le même bateau à destination de la Martinique, «une boîte de sardines sur laquelle on aurait collé un mégot», dixit Victor Serge, chargé de quelque deux cents passagers fuyant le nazisme. Evoquant cette traversée, Lévi-Strauss décrit André Breton, au début de Tristes tropiques, sous les traits d'un voyageur «fort mal à l'aise sur cette galère», précisant que, «vêtu de peluche, il ressemblait à un ours bleu»...

    Claude Lévi-Strauss, qui deviendra l'un des plus grands anthropologues du XXe siècle, magnifique écrivain par ailleurs et digne centenaire de l'Académie française, n'était alors qu'un jeune ethnologue «américaniste» revenu de deux expéditions chez les Indiens Bororo et au Mato Grosso avec ses premières collections et observations. De douze ans son aîné, André Breton faisait déjà figure de «pape» du surréalisme, taxé d'«agitateur dangereux» par la France de Pétain. Une même passion pour l'art, la littérature et la politique (Lévi-Strauss avait un passé de socialiste actif) rapprocha les deux hommes.

    Or le lecteur retrouvera, dans Regarder écouter lire, dernier des sept livres (choisis par Lévi-Strauss lui-même) dans la Bibliothèque de la Pléiade, un aperçu du débat qui les opposa d'emblée. Grosso modo, Breton y défend le «spontanéisme» de l'art, jusqu'au document brut, tandis que Lévi-Strauss, plus classique, rappelle l'importance de l'élaboration «secondaire» de l'oeuvre. Plus tard, L'art magique de Breton suscitera d'autres objections vives de Lévi-Strauss, et pourtant, avec le recul, les passions communes et les oeuvres de ces deux grands écrivains se rejoignent dans leur apport respectif à la connaissance de l'homme par la littérature et les arts. Tous deux sont des «bricoleurs» de génie pratiquant le collage. Tous deux font éclater les cloisons séparant genres et disciplines.

    Dans sa remarquable préface aux OEuvres de Lévi-Strauss, Vincent Debaene rappelle que «l'étude de l'homme est, par essence, littérature», pas au sens du «beau style» mais à celui d'un approfondissement de la connaissance qui «exige réflexion, lenteur et confrontation patiente aux données empiriques», à laquelle l'anthropologie peut être d'un grand apport.

    Sans narcissisme ni fétichisation du style, Lévi-Strauss développe, poursuit Debaene, «une écriture majestueuse qui fait songer à Chateaubriand pour la posture et à Bossuet pour le rythme». Formules un peu solennelles cependant, à nuancer à la lecture de Tristes tropiques, d'un ton souvent très direct et d'une mélancolie fleurant le XXIe siècle (la conclusion notamment, en hommage à la beauté des choses), mais qui inscrivent bel et bien l'anthropologue dans la filière classique d'un Montaigne, avec une déférence envers le monde et «l'homme nu» tranchant sur l'avidité contemporaine... «Oubliant» les textes scientifiques les plus ardus, ses OEuvres réunies ici visent le public cultivé non spécialisé.

    Avec Tristes Tropiques, La pensée sauvage, les trois «petites mythologiques» (La potière jalouse, La voie des masques et Histoire de lynx), celui qui se dit «humaniste modeste» a voulu retracer son parcours personnel sous son double aspect scientifique et littéraire, dont la conclusion de Regarder écouter lire marque le point de fusion du savant et de l'artiste.

    Claude Lévi-Strauss, OEuvres. Préface de Vincent Debaene; édition établie par Vincent Debaene, Frédéric Keck, Marie Mauzé et Martin Rueff. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2062 p.

     

  • Palme à un livre


    A propos d’Entre les murs, le livre...
    Des dialogues carabinés constituent la matière en fusion d’Entre les murs, où François Bégaudeau ressaisit les relations exacerbées qu’entretiennent un prof de français de classes d’un quartier populaire de Paris (dans le XIXe), ses élèves et les autres profs de la salle des maîtres, en pêle-mêle de mots et de gestes, de signaux expressifs de toute sorte (jusqu’aux inscriptions-logos-acronymes des t-shirts), tout cela puissamment signifiant et significatif aussi bien.
    Dans un débat public, François Bégaudeau parlait de la notion, fondamentale selon lui, de respect, et mutuel, qu’il s’efforce de concrétiser dans sa propre pratique de prof au prix d’une bagarre de chaque instant, de chaque mot, de chaque regard et de chaque geste, douce et dure bagarre dont l’écrivain transcrit les moindres signes dans Entre les murs, avec l’enjeu, et mutuel là encore, d’une vraie reconnaissance.
    Tel est, de fait, le mot-clé de tout ça, et qui éclaire évidemment l’actuel conflit mahousse secouant salubrement la France : la reconnaissance de ce que je suis et de ce que tu es, de ce que je m’efforce tant bien que mal de faire et que j’aimerais que tu reconnaisses, de ce que tu m’apportes et que tu attends que je reconnaisse, ainsi de suite.
    C’est un livre violent et hyper-attentif, mais tendre aussi, plein d’amitié rude et d’aveux pas faciles, de netteté et d’honnêteté, de souci de tout saisir de bonne foi jusque dans les élans de mauvaise foi de part et d’autre, de lassitude-envie-de-tout-envoyer-foutre et de bon vouloir qu’Entre les murs, qui relève en outre du tour de force littéraire, captant à la fois la novlangue des temps qui courent et ses bordures gestuelles ou comportementales - tout le dit et le non-dit que les oreilles des murs et leurs yeux enregistrent sismographiquement entre deux sonneries…
    François Bégaudeau. Entre les murs. Verticales, 2006. Ce livre a obtenu le premier Prix France Culture-Télérama, et constitue la base du film de Laurent Cantet qui vient d'obtenir la Palme d'or du Festival de Cannes.

  • Une vie nouvelle

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    Derniers fragments d’un long voyage de Christiane Singer, ou l’anti-Zorn.

    C’est un livre essentiel, un livre lumineux et bouleversant, le livre de la douleur retournée et du dépassement de la maladie que nous envoie Christiane Singer comme une sorte de lettre aux demi-vivants que nous sommes la plupart du temps. Le 2 mars 2007, à la veille de sa mort annoncée depuis octobre 2006, Christiane Singer écrivait à son éditeur. «Comme promis, et dans la joie… Je crois que ce livre a vraiment sa lumière propre ! Quelle grâce j’ai reçue de lui livrer passage !! Prends-en soin, je t’en prie. Mon rêve serait qu’il paraisse le plus vite possible- Ce serait une manière très forte d’entrer désormais dans un espace NEUF – peu importe où – mais NEUF. »
    Et de fait, à l’opposé de toute désespoir ressentimental, donc aux antipodes du fameux Mars de Fritz Zorn, ce journal d’une lente agonie dont les affres ne sont en rien édulcorées (« Il y a des moments où l’âme empalée au corps agonise. Enfer de la souffrance. Enfer jour après jour (…) Journée terrible. Nuit terrible. Ventre calciné (…) Tous ces jours, j’éprouve le malaise profond d’être dans le corps d’un autre. Je ne reconnais plus rien », etc.), mais dont le mouvement général est une ouverture graduelle à plus d’amour et plus de vraie vie.
    «Nous sommes appelés à sortir de nos cachettes de poussière, de nos retranchements de sécurité, et à accueillir en nous l’espoir fou, immodéré, d’un monde neuf, infime, fragile, éblouissant ».
    Rien là-dedans d’une fuite dans une euphorie spiritualisante coupée de la chair, au contraire : ce journal débordant de tendresse, de petits faits cruels ou drôles de tous les jours, avec les proches, les amis, les soignants, les toubibs, les oiseaux de Vienne, est une traversée des apparence qui nous associe à tout instant à celle qui nous rejoint en nous quittant.
    On pense à Charlotte Delbo, à Etty Hillesum, à Flannery O'Connor chantonnant dans les grandes douleurs, à Philippe Rahmy endurant crânement le martyre des os de verre  en lisant ce petit livre d’une condamnée à mort déterminée à ne pas lâcher le fil de la Merveille: « L’amour n’est pas un sentiment. C’est la substance même de la création ».
    J’aimerais citer de pleines pages de ce petit livre atrocement revigorant: « Les Vivants n’ont pas d’âge. Seuls les morts-vivants comptent les années et s’interrogent fébrilement sur les dates de naissance des voisins. Quant à ceux qui voient dans la maladie un échec ou une catastrophe, ils n’ont pas encore commencé de vivre. Car la vie commence au lieu où se délitent les catégories. J’ai touché le lieu où la priorité n’est plus ma vie mais LA VIE. C’est un espace d’immense liberté »…
    Christiane Singer. Derniers fragments d’un long voyage. Albin Michel, 135p.

  • A la venvole

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    Notes au jour le jour

    Plus on avance en âge et plus les choses nous apparaissent avec netteté. Mais c’est aussi un exercice à relancer chaque jour. Cela se cultive et s’améliore possiblement à chaque instant. Question d’attention.

    Pense à tout moment à René Girard en observant le comportement de mes semblables. Le mimétisme est partout. Partout cette course rivale sous l’effet de l’envie et de la jalousie, partout cette montée aux extrêmes. Toujours plus le sentiment que le monde actuel tourne à l’asile de fous. Attention pourtant à ne pas céder à la pente catastrophiste.


    Mis le nez ce matin dans cette Bible d’hôtel. Tout à coup me saisit l’énormité de cette chose : le Verbe.

    A la fois intéressé et rebuté, parfois, par la lecture du dernier livre d’Annie Ernaux, intitulé Les Années et constituant une espèce de double chronique d’une vie de femme, depuis 1940, et de l’époque vécue par la suite des générations dans un monde en rapide changement. Ce qui me hérisse là-dedans, qui me rappelle tous mes amis profs de gauche d’une certaine époque, c’est une façon de s’en remettre, dans sa vie, à l’état de la politique et pour ainsi dire : à l’Etat. Elle le dit d’ailleurs à un moment donné, comme s’il s’agissait d’un personnage important : « l’Etat s’éloigne de nous », avec le ton d’une petite fille abandonnée. Il y a là quelque chose qui m’échappe absolument, autant que la notion même de génération.


    Tout est à travailler, à travailler et retravailler, me dis-je le matin en songeant à tout ce qui nous menace de dispersion et de décréation par laisser-aller, par paresse ou par ennui. L’esprit d’enfance, c’est à savoir l’esprit de gravité et de conséquence, me tient lieu de raison et de sagesse, de boussole et d’horizon radieux. A tout instant on est menacé de sombrer. A tout instant je suis menacé de sombrer. A tout instant la distraction et la dispersion menacent. Diablerie. Le diable est celui qui disperse, l’anti-créateur et l’AntiSystème.

    «L’importance d’être tenu, d’avoir été tenu, dans les bras des autres. » (dans une lettre de N.H.)

    Que répondre aux mots de la haine ? En ce qui me concerne, je me sens complètement désarmé devant les mots de la haine. Ou plus exactement : la vie m’a désarmé. Je me souviens évidemment du temps où je criais parfois, moi aussi, à l’époque où tous criaient. Au moindre désaccord : on criait. Et souvent on pleurait aussi : on pleurait après avoir crié. Mais très tôt j’ai ressenti, aussi, le fait que je criais pour moi et pas du tout pour la Cause dont il était question. Les mots de la haine qui me venaient, comme ceux qui venaient à tous, nous éloignaient de ladite Cause bien plus qu’ils ne signifiaient notre désir sincère de la servir.

  • Benchetrit braqueur d’images

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      Une rencontre à Locarno, à propos de J'ai toujours rêvé d'être un gangster.
      Le public de la Piazza Grande s’est gentiment gondolé, l’été dernier, à la première mondiale de J’ai toujours rêvé d’être un gangster de Samuel Benchetrit, savoureux gorillage du film noir enfilant clins d’yeux sur pastiches et autres hommages, dont une séquence (facilement) irrésistible, réunissant deux anges noirs aux faciès également blafards en les personnages d’Arno et de Bashung. Plus Jarmush tu meurs, sans (trop) faire pièce rapportée pour autant dans la suite de sketches en noir/blanc que Benchetrit faufile allègrement.
      1668427781.jpgLe lendemain, émerveillé par les lieux, la magie de la projection nocturne et l’accueil chaleureux des festivaliers, Samuel Benchetrit évoquait les tenants de cet hommage au cinéma et noir et blanc prisé, avant lui, par son père l’ouvrier: «On est actuellement saturé de couleur et de montages précipités, et beaucoup s’imaginent que le noir et blanc relève de la vieillerie chiante, mais ce n’est pas vrai, et je l’ai d’ailleurs expérimenté avec mon fils en lui montrant une quantité de films qui l’ont captivé. Par ailleurs, ma propre mémoire cinématographique est en noir et blanc, du cinéma italien au cinéma japonais des années 60, entre autres».
      617761493.jpgFilm à sketches, J’ai toujours rêvé d’être un gangster s’ancre en un lieu fixe évoquant le «nulle part» idéal d’une série B policière: une espèce de cafétéria en zone périphérique où vont se succéder les quatre histoires, avant qu’ont ne découvre, avec des clones des mémorables tontons flingueurs, ce que fut ce lieu à leur bon vieux temps de truands à tractions avant.
      Le climat, alors, la plastique des images jouant sur des qualités de noir et de blanc d’une sensualité moelleuse, la texture des voix aussi donnent au film, d’un scénario plutôt décousu, voire lâche ici et là, sa tenue et son originalité, l’humour en plus. «Je voulais me faire plaisir et partager ce plaisir avec le public en lui offrant un film populaire qui réponde, pourtant, à un réel souci artistique. C’est pourquoi j’ai travaillé des cadres qui rompent avec la monotonie et donnent plus d’espace aux visages et aux «personnages» qu’habitent les comédiens avec leur corps et leur aura. La relation avec les acteurs, Anna Mouglalis évidemment, ma première complice, mais aussi avec Edouard Baer, Jean Rochefort Arno et Bashung, a été d’autant plus importante, et gratifiante pour moi, que je construisais mes dialogues avec eux, et qu’ils ont joué le jeu avec une grande gentillesse. La musique est très importante dans le film, à commencer par celle des voix. Là encore je jouais sur l’intimité avec chacun de mes comédiens.»
      Film d’ambiance, hommage évident à Scorsese (son titre est la première réplique des Affranchis), J’ai toujours rêvé d’être gangster s’ouvre sur une scène burlesque, avec un braqueur gaffeur (excellent Edouard Baer) aux gestes démarqués du muet américain, et s’achève (inconsciemment, prétend l’auteur) sur une scène en hommage à Chaplin. Mais il y a là-dedans plus qu’un collage: le vrai travail de déconstruction d’une culture personnelle courant entre Bertrand Blier et Tarantino, la musique classique et le rock, la bande dessinée et la sensibilité des banlieues du Benchetrit écrivain (la suite de ses chroniques vient d’ailleurs de paraître), ressaisie par un regard perso.

  • Heureux comme Ulysse

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    Blaise Hofmann décroche le prix littéraire Nicolas Bouvier 2008.
    Nicolas Bouvier serait content : après avoir couronné Nullarbor, magnifique récit de voyage d’un jeune auteur français du nom de David Fauquemberg, le prix qui honore sa mémoire échoit, cette année, à un autre trentenaire, romand cette fois, en la personne de Blaise Hofmann, pour son récit intitulé Estive, paru chez Zoé en 2007. Fruit du partenariat associant le festival Etonnants voyageurs, à Saint-Malo (dont le festival se déroule du 10 au 12 mai) et la Direction générale de l’aviation civile, le prix littéraire Nicolas Bouvier est doté d’une bourse de 15.000 euros. Cette distinction «récompense l’auteur d’un récit, d’un roman, de nouvelles, dont le style est soutenu par les envies de l’ailleurs, de la rencontre du monde, prolongeant l’esprit de l’œuvre de Nicolas Bouvier ». Le jury du prix 2008, présidé par Alain Dugrand, lui-même grand voyageur, est composé d’auteurs « nomades » reconnus tels Alain Borer, Gilles Lapouge, Pascal Dibie, Björn Larsson, et Alain Velter, ainsi que de Pierre Starobinski. Le prix sera remis à Blaise Hofmann ce dimanche à Saint Malo. A relever que certains des concurrents de notre compatriote relevaient du premier rang en matière littéraire, qu’il s’agisse de Colum McCann (Yoli) ou de Simon Leys (Le bonheur des petits poissons), en passant par Jean-Luc Coatalem (Il faut se quitter déjà) et Michèle Lesbre (Le canapé rouge).
    Les lecteurs de 24Heures connaissent déjà Blaise Hofmann (né à Morges en 1978), dont les chroniques égyptiennes s’égrènent régulièrement sur son blog (bhofmann.blog.24heures.ch) à l’enseigne générale de Notre mer : un tour de Méditerranée. Très vivants, marquées par la curiosité du voyageur et ses nombreuses rencontres, mais aussi par un ton personnel et l’art de mêler information et émotion, ces croquis de voyage sont d’un écrivain de trempe, en constante et heureuse évolution, comme en témoigne d’ailleurs Estive, où le voyageur au long cours (passé auparavant par la Russie, le Vietnam, l’Afghanistan, et la banlieue de Blondy au titre de blogueur) se fait berger de mots en transhumance dans une vallée métaphorique aux multiples horizons. Ainsi est le vrai voyage : rapprochant le lointain et attentif à l’« exotisme » du tout proche, tout à fait dans le sillage en somme de Bouvier...

  • Correspondances

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    …J’oublie les noms, j’oublie les lieux et les heures, on n’est plus ici qu’un regard qui passe et qui accueille en passant, qui observe et qui aime, car observer c’est aimer disait quelqu’un d’autre qu’on aime, on note en passant, on passe sans se demander pourquoi tel événement de couleur ou d’assemblage, tel présent en devenir, telle chose que je vois ne m’appartient plus mais devient chose vue par tous notée dans la solitude et le silence de ce bord de canal ou la multitude et la rumeur de ce bar de nulle part...

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    Images : Fabien Clairefond , Canal St Martin, quai de Valmy, aquarelle, 21x27cm ; JLK, Au bord de l’Hérault, aquarelle ; Fabien Clairefond, Femme en vert, aquarelle ; Thierry Vernet, La tenancière du Schiedam, huile sur toile, 1988, 116x73cm.

  • Tandem d'enfer

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    WANTED PHILIPPE RAHMY & FRANCOIS BON

    Dans le cadre de sa saison nomade, la MLG (association pour une Maison de la
    littérature à Genève) est au Mamco le mercredi 14 mai. Elle y accueillera
    deux membres fondateurs du site littéraire remue.net: le poète et vidéaste
    suisse Philippe Rahmy et l’écrivain-performer François Bon.

    Pour ouvrir cette soirée littéraire, Philippe Rahmy présentera en slam, lecture
    et vidéo-livre, des extraits de son dernier ouvrage Demeure le corps, chant
    d’exécration
    . Puis François Bon lui succèdera dans une performance voix et
    ordinateur intitulée Bob Dylan, histoires vraies, regroupant des musiques rares,
    des zooms sur la langue et la poésie, des extraits de son livre Bob Dylan, une
    biographie, des explorations parlées, pour un portrait d’artiste au cœur de
    toutes les tensions d’une époque.

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    Le poète Philippe Rahmy (Genève 1965) est atteint de la maladie des os de
    verre et son entreprise littéraire s'attache à "questionner son corps malade dont
    l'aventure n'est pas sans lien avec les tumultes du monde". Il est l'auteur de deux
    ouvrages qui ont reçu un très bel accueil: Mouvement par la fin (Cheyne, 2005) et Demeure le corps, chant d’exécration (Cheyne, 2007).
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    Depuis la sortie de son premier roman Sortie d'usine en 1982 aux éditions de
    minuit, François Bon (1953) a publié une trentaine d'ouvrages. En 2007 est sorti
    Bob Dylan, une biographie chez Albin Michel, où l'auteur y poursuit son
    investigation sur des grandes légendes musicales, après sa biogrpahie consacrée
    aux Rolling Stones. En écrivant sur le dieu vivant du folk, "masque obscur de nous-même", François Bon postule qu'avant tout "c'est sur soi-même qu'on recherche".

    Mercredi 14 mai 2008, dès 19h, entrée libre
    Une soirée organisée par la Maison de la littérature à Genève


    19h: Philippe Rahmy, Demeure le corps, chant d’exécration
    20h30: François Bon, Bob Dylan, histoires vraies
    Présentation par Sandrine Fabbri (MLG).

    MAMCO, Musée d'art moderne et contemporain, Genève 
    10, rue des Vieux-Grenadiers
    CH - 1205 Genève
    Tél. + 41 22 320 61 22
    Fax. + 41 22 781 56 81
    www.mamco.ch
  • Des livres qui sauvent

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    Lettres par-dessus le mur (30) 


    Ramallah, ce 6 mai 2008, après-midi.

    Cher JLK,

    J'achève la lecture des Villes invisibles d'Italo Calvino. Je l'avais choisi parce que Qaïs – dont je t'avais esquissé bien trop rapidement la biographie - m'avait confié que c'était sa lecture de prison, son unique livre. Je me suis demandé comme ça ce qu'on pouvait lire en prison, alors mes parents m'ont apporté Le Città Invisibili. Je n'ai jamais demandé à Qaïs par quel hasard il avait eu accès à ce livre-là, et pas un autre. Sûrement le hasard n'avait-il rien à voir là-dedans, en le parcourant je cherchais le sens, le pourquoi de ce livre, dans cette situation-là, parce qu'il doit y avoir un sens : un homme seul, dans une cellule, et un livre, il faut qu'il y ait une correspondance, même si elle est invisible à tout autre que lui.
    Le lien ici est évident : Le Città Invisibili, c'est le récit de ce que tout homme regrette, lorsqu'il est privé de sa liberté. Marco Polo raconte au Grand Khan les villes qu'il a vues, en parcourant son empire, et Qaïs du fond de sa cellule était le Grand Khan, chevelu et barbu comme un empereur Mongol, et chaque jour le Vénitien lui racontait ses voyages, les plaines et les cités, la vie des hommes, hors les murs du grand palais, et dans les yeux bleus et fatigués de Qaïs, l'homme le plus puissant et le plus riche du monde, s'étalaient les lacs et brillaient les tours, les murailles et les toits de ces mondes impossibles, et chacune de ces villes porte le nom d'une femme, et le Grand Qaïs tombait amoureux de chacune, tour à tour, et sa cellule froide était un harem comme personne n'en a jamais connu.
    Autre histoire de lecture salvatrice, celle de Mahmoud Abou Hashhash, autre ami écrivain. Voici ce qu'il raconte, au début de la seconde Intifada, lors du siège de Ramallah, quand il était prisonnier du couvre-feu :
    « Parce qu'ils ont pris position sur les immeubles voisins et transformé les lieux en QG militaire, j'ai été contraint de repérer les points faibles de mon appartement. J'ai découvert que la cuisine est un lieu dangereux : sa fenêtre donne sur leurs canons. Se servir une tasse de café ou de thé est donc devenu une opération périlleuse. Il y a une bonbonne de gaz sur le petit balcon de la cuisine : à plusieurs reprises, je l'ai soulevée et secouée pour m'assurer qu'elle était bien vide. Car, si une balle perdue l'atteignait, personne n'en réchapperait. Les deux chambres à coucher sont également mal situées. Elles sont toutes les deux du même côté. Il y a une troisième chambre, mais elle donne sur la route principale et sur le terrain au nord duquel se trouve la colonie Pesagot. Quant au salon, il est impraticable sinon pour une « danse avec les balles ». Il donne juste en face du bunker où les soldats, et leur automitrailleuse, ont pris leurs aises depuis ce fameux jour. Il n'y a qu'un lieu sûr lorsque les balles fusent : le couloir où se trouve la bibliothèque, entre ma chambre et le salon. Ici je peux m'abriter et lire García Lorca malgré l'inconfort. »
    1146852645.jpgCes lignes sont tirées de Ramallah mon amour, traduit de l'arabe et publié aux éditions Galaade, que je te recommande chaleureusement. Sous la forme d'une longue lettre adressée à la femme qu'il aime, Mahmoud parle de sa ville :
    « Elle est illusion de liberté, de connaissance et d'accomplissement. Elle reste belle et tentatrice, grâce à ses habitants mais aussi à ses étrangers qui, très vite, demandent à en être citoyens. Ils obtiennent rapidement ce droit, car ici personne n'est étranger.
    Nous y vivons l'amour et la haine, la liberté et l'emprisonnement, la défaite et la gloire en un seul soupir (…) Nul ne la traverse sans avoir le cœur transpercé et scindé en deux. Quai de vagabonds peuplé de touristes devenus résidents et de résidents devenus touristes. Nous lui faisons porter plus qu'elle ne peut supporter, nos péchés et nos espoirs ; nous l'alourdissons en nous reposant sur elle, tendre et fraîche, petite comme une promenade du soir, grande par ses rêves, comme une adolescente.
    Je la préfère enveloppée de brume telle une femme sortant du hammam. J'aime ses rues pénétrées par ma seule présence, lorsque les contours de ses maisons deviennent vagues et que la nuit confère un sentiment de sécurité à ses habitants. J'éprouve alors la griserie d'un homme à qui toute la ville appartiendrait. .»
    Mahmoud a mon âge, nous nous ressemblons, je crois, il m'a accueilli dans sa ville par ces quelques mots que je signerais volontiers, tant ils reflètent mes propres sentiments.
    Demain nous partons à Amman, d'où nous prendrons l'avion pour le Bangladesh. J'ai vécu deux années magiques, à Amman, je ne l'ai pas revue depuis huit ans, je l'ai trompée plusieurs fois. Je me demande comment elle m'accueillera, cette ville-là, et si elle m'est restée fidèle.
    Pascal

    PS. Yallah, je m'en vais préparer nos valises, nous partons à l'aube demain, nos chers amis de l'autre côté du mur ferment la frontière jordanienne à 10 heures du matin... frontière qui se trouve pourtant de ce côté-ci du mur, mais nos amis sont sur tous les fronts et toutes les frontières, comme tu sais. Experts en portes, serrures et cadenas.

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    A La Désirade, ce 6 mai, soir.

    Cher Pascal,
    C’est une détenue qui demande à l’animatrice du club de lecture d’une Maion d’arrêt de femmes : « A quoi ça sert d’inventer des histoires, alors que la réalité est déjà tellement incroyable ? » La femme est prostrée, elle a tué quelqu’un, tandis que l’animatrice, romancière connue, n’a jamais pris la vie à qui que ce soit, sauf dans ses romans. Les autres détenues attendent sa réponse.
    «Le silence se prolonge, écrit Nancy Huston, et je sens un gouffre s’ouvrir entre elles et moi car il n’y a pas de doute, leur réalité est plus incroyable que la mienne. Se bousculent dans mon esprit des scènes possibles de leur incroyable réalité, scènes de sang, de couteaux, de revolvers, de cris, de hurlements, de drogue, de coups, de désordre, de pauvreté, d’angoisse, de mauvaises nuits, de cauchemars, d’0alcoolisme, de viol, de désespoir, de confusion ». Et la romancière de se demander et de se répéter : « Que dire ». Pourrait-elle dire qu’on invente des histoires « pour donner une forme à la réalité ? » Cela ne la satisfait pas : « Ce serait absurdement insuffisant, blessant d’insuffisance, et de suffisance aussi, ce n’est certainement pas la bonne réponse, or cette femme veut désespérément une réponse. Alors je 1394428582.jpgcherche… »
    Et ce qu’elle trouve, Nancy Huston le consigne dans une sorte d’archipel de réflexions sur la naissance du sens et le sens de la fiction, notre besoin de raconter et avant cela notre besoin de nommer les choses, d’exprimer nos sensations premières et d’exorciser nos peurs, d’expliquer et d’interpréter, d’inventer des mythes et des fables, de faire dialoguer l’humanité qu’il y a en nous et d’en raconter l’histoire par de petits romans ou de grands récits. Cela s’intitulant L’espèce fabulatrice, en librairie ces jours. Je te raconterai la suite quand je l’aurai lu et que tu te pointeras à La Désirade…
    En attendant, ce que tu m’écris sur les livres qui sauvent me touche, me rappelant un épisode personnel. Je devais avoir dans la vingtaine finissante et j’allais très mal. Plus aucun goût de vivre, déception sur déception, réellement dégoûté et je me trouvais là, dans ma carrée solitaire, venant de dire ma terrible tristesse à mon ami Dimitri, avant d’interrompre notre téléphone. Or cette nuit-là, il me le révéla plus tard, Dimitri ressortit de chez lui et s’en fut faire le guet du côté d’un certain pont aux suicidés…
    Or, entretemps, un geste, au hasard, m’avait fait ouvrir un livre qu’il y avait là, n’importe lequel, sur un tas : Le rêve de l’escalier de Dino Buzzati. De sombres nouvelles, pour la plupart, dont celle qui raconte ce rêve que je faisais, à cette époque, de manière obsessionnelle. L’escalier qu’on monte et qui se dérobe, les marches qui lâchent ou qui s’espacent affreusement, le mur qui devient paroi de montagne bordé de précipice, et la terreur froide, le vertige à la fois physique et méta, enfin tout ça, et je lisais, et je me sentais reprendre goût à la vie, un conteur avait fait de ma mélancolie une série d’histoires étranges, le chaos qu’il y avait en moi reprenait sens et beauté, j’avais vécu ces temps-là des choses parfois plus incroyables que celle je lisais là-dedans, mais cela n’avait pas la moindre importance : tout à coup je revivais grâce à ce petit bouquin de rien du tout.
    Mon ami Dimitri a été sauvé, lui, au tréfonds de la désespérance de l’exilé, à son arrivée en Suisse, en trouvant, dans une vitrine de librairie, à Neuchâtel, La nuit de Gethsémani de Léon Chestov, qui devint pour moi, bien des années après, l’un de mes philosophes préférés, et le reste à jamais. Et chacun, je l’imagine, doit avoir en secret un nom cristallisant sa reconnaissance. Raconte encore Marco Polo. Ancora una storia Messer Calvino…
    Quant aux lignes de ton ami de Ramallah, elles m’ont fait venir les larmes aux yeux : « Il n'y a qu'un lieu sûr lorsque les balles fusent : le couloir où se trouve la bibliothèque, entre ma chambre et le salon. Ici je peux m'abriter et lire García Lorca malgré l'inconfort… »
    Cela m’a rappelé mes veilles de garde, où je ne risquais pour ma part que de me tirer dans le pied en oubliant, une fois de plus, d’assurer mon flingue. Mais il faisait froid, c’était en haute montagne et je devais surveiller la frontière où ne manquerait de surgir bientôt le Rouge et son couteau entre les dents. Mais j’avais Tchékhov avec moi. Ma tenue d’assaut étant pourvue de nombreuses poches, plusieurs d’entre elles contenaient la suite des récits d’Anton Pavlovitch, dont j’enchaînais la lecture. Nukl besoin de lutter contre le sommeil quand on lit L’Envie de dormir, sombre merveille… J’en conserve un souvenir aussi précis et reconnaissant que de découvrir, à dix-sept ans, la musique incomparable des vers de Lorca...

    Mahmoud Abou Hashhash. Ramallah mon amour. Editions Galaade.
    Nancy Huston. L’Espèce fabulatrice. Actes Sud 2008, 197p.

  • Le désarroi des orphelins de Mai 68

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    Dans son deuxième roman, Chromosome 68, Nicolas Verdan évoque les illusions perdues des pères au regard de leurs enfants.

    «Les jeunes, c’étaient eux. Nous, c’est la génération Goldorak, rien dans la tête. Nous sommes les enfants perdus de mai », constate amèrement Bruno, protagoniste masculin de Chromosome 68, deuxième roman de Nicolas Verdan, après la belle entrée en littérature que marqua, en 2005, Le rendez-vous de Thessalonique (Prix Bibliomedia Suisse 2006).
    Après cette première quête d’identité d’un trentenaire, c’est la même génération (la sienne, puisqu’il est né en 1971) que Nicolas Verdan confronte à celle des soixante-huitards, par le truchement d’une jeune Laura, fille de terroriste italien, et d’un ami de passage, l’altermondialiste français Bruno qu’elle a soigné à Gênes (elle est urgentiste) dans la pagaille du G8.
    Tous deux ont un point commun, l’absence du père. Celui de Laura a abandonné femme et fille en 1979 avant de rallier les Brigades rouges. Sans avoir lui-même du sang sur les mains, il a participé à l’action violente et sa fille ne l’aura jamais revu qu’en cage, à la télévision. De son côté, Bruno n’a jamais connu son père, ignorant par ailleurs que sa mère, du genre idéaliste spiritualisante, couchotait avec un peu tout le monde avant de se retrouver enceinte. De cette absence, Bruno souffre plus que Laura, exprimant cependant sa révolte à l’image de celle des héros de mai 68, devenus Papys gâteux: « Bientôt quarante ans qu’ils sont aux commandes et ils ont encore le culot de se prétendre critiques envers le pouvoir… »
    Alors que Laura, qui l’a rejoint à Paris, se met en quête d’éventuels camarades de son père (l’un d’eux pourrait être Toni Negri), Bruno, qui se dit « média-activiste », fomente la prise d’otage d’un patron de presse (on pense à Serge July) passé, selon l’expression fameuse de Guy Hocquenghem, «du col Mao au Rotary », auquel il fera confesser sa trahison. Or, sachant que ce « procès » va se dérouler pile le 11 septembre, le lecteur pourrait se dire que ça fait beaucoup dans le genre « téléphoné « , et de fait, c’est là que le roman de Nicolas Verdan pèche un peu, plus qu’avec son son premier livre, dans le genre téléfilm trop joliment scénarisé.
    En dépit de ces limites et d’un premier dénouement peu crédible (la scène de la prise d’otage et de l’attentat du WTC sont par trop elliptiques), suivi d’une conclusion épistolaire plus convaincante, sous la plume d’une brigadiste pas vraiment repentie, Chromosome 68 est un vrai roman à multiples points de vue, où s’exprime clairement la révolte d’une génération aussi sacrifiée que dorlotée, vouée à de mornes fêtes, en panne de désirs et d’idéaux.
    « Ce type s’empare d’images toutes faites pour meubler son propre vide existentiel », se dit l’otage de Bruno, et c’est alors la réussite de Chromosome 68 que de transporter le lecteur par delà les clichés, du côté des nuances de la vie, loin des jugements stériles entre classes ou générations, et l’on espère que, demain, Bruno se lâchera la moindre et baisera comme au bon jeune temps, rejoignant une Laura qui a mieux compris, elle, que la vie de chacun ne se réduit pas à la loterie d’un millésime…
    Nicolas Verdan. Chromosome 68. Campiche, 147p.

    Cet article a paru dans l'édition de 24Heures du 22 avril 2008.

  • Au bord de la nuit

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    ... J'ai rêvé cette cette nuit que la jeune fille blanche dormait sur un quai, par terre, et que, désirant lui montrer le lever du soleil au bord du lac, je la prenais dans mes bras à l’arrivée du train et y montais, tandis qu’une voix off à l’accent autrichien commentait : la prétendue jeune fille blanche endormie est le sujet lui-même rêvant, et le lac est la mère, et le lever du soleil est l’éveil du père, ça ne fait pas un pli… et lorsque, le train arrivant, je pris la jeune fille blanche dans mes bras pour y monter, la voix continuait : le train est la préfiguration de la menace paternelle, il figure à l'évidence  le membre érigé dont le sujet est privé par l'acte de porter son double narcissique… puis la jeune nfille blanche  s’éveillant tandis que le disque blanc apparaissait au Levant, la voix commentait encore en allemand pesant tandis que je murmurai : j’ai rêvé que tu étais endormie sur le quai, j’avais envie de voir se lever le soleil avec toi, je t’ai prise dans mes bras, tu ne t’es pas réveillée, je suis monté dans le train, les gens étaient baba, au bord du lac il y avait un silence doux et tu t’es réveillée pile au moment où les premiers rayons effleuraient la crête enneigée des Monts de la nuit, et chaque mot que je te disais te faisait sourire…

    Image: Philip Seelen.