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  • Ceux qui ne font que passer

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    Celui que les romans noirs revigorent / Celle qu’on a rajeuni pour la vendre / Ceux qui ont un puits de larmes au fond de leur arrière-cour / Celui qui revient au pays sans en revenir / Celle qui (dit-elle) met un caleçon à sa langue / Ceux qui votent sans le savoir / Celui qui en a tant bavé qu’il accueille le nouveau jour comme une grâce / Celle qui n’aime pas les sentiments petits petits / Ceux qui font la nuance entre le ndolo et la doulou /Celle qui a le ndolo du soir / Ceux qui se taisent en silence tant les poigne le mal du (mauvais) pays / Celui qui vacille au bord de son propre abîme / Celle qui a la force des accablés / Ceux qui ont une façon particulière de plisser les yeux en vous regardant / Celui qui dit n’avoir pas une grande estime de soi et que les autres apprécient d’autant plus / Celle qui se méfie de ceux qui agissent façon façon / Ceux qui alimentent les commérages avec alacrité / Celui qui sait que le temps est un censeur plus sévère que la morale / Celle qui a la mélancolie évidente des inconcevables derniers jours / Ceux qui préfèent vivre seuls à deux / Celui qui se reproche de ne plus perdre la tête pour si peu de chose / Celle qui ressort son petit chapeau à fleurs pour faire un tour au tea-room/ Ceux qui sont attentifs aux jugements formulés par les très vieilles personnes avec la liberté cinglante de ces âges / Celui qui est devenu complètement sincère en évitant cependant le choc des natures / Celle que son âge acquitte du délit d’opinion / Ceux qui évitent les bagarres de drogués autant que les sermons de planqués, etc.


    Image : Dans le métro. Huile sur toile de Thierry Vernet.

  • Pensées de l'aube (70)

    Vernet35.jpgDe la petite mort. – Parfois on a manqué l’aube, on ne l’a pas vu passer, on n’a pas fait attention, ou plutôt: on était ailleurs, c’est ça: on était partout et nulle part, on était aux abonnés absents, on n’y était pour personne et le jour a passé et ce matin c’est déjà le soir, on est tout perdu – on se demande si l’aube reviendra jamais…

    De la folie ordinaire. – Ils te disent qu’ils n’ont pas le temps, et toi tu te dis que c’est cela la barbarie, ou bien ils te disent qu’il faut bien tuer le temps, et tu te dis que c’est cela aussi la barbarie, et quand tu leur demandes quel sens à tout ça pour eux, ils te répondent qu’ils n’ont pas que ça à faire, se poser des questions, et si tu leur dis de prendre leur temps alors là c’est colère, ça les rend fous, ou plutôt c’est toi qu’ils regardent comme un fou – s’ils pouvaient te faire enfermer, oui ça aussi c’est le début de la barbarie…

    De la modestie. – Certains jours sont plus discrets, qui se pointent avec l’air de s’excuser - pardon de n’être que ce jour gris, ont-ils l’air de vous dire, mais vous les accueillez d’autant plus tendrement que vous avez reconnu vos vieux parents tout humbles devant le monde bruyant, et d’ailleurs les revoici dans le gris bleuté de ce matin, comme s’ils étaient vivants…

    Peinture: Thierry Vernet.

  • Pas une minute à perdre

     
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    Je regarde le Temps passer
    avec sa clope au bec,
    il est hirsute et mal peigné,
    il a l’air distrait;
    se souvient-il d’où il venait
    quand il est apparu
    au premier jour du calendrier,
    et sait-il distinguer
    l’année chinoise du jour d’après ?
    Pour le moment il passe
    et se dépasse à l’avenant
    au défi de l’impasse...
     
    La durée est imprévisible:
    on la dit capricieuse,
    les enfants n’en voient pas la fin,
    et quant au vieux Berbère
    il n’y voit que du vent
    dans le nuage du désert;
    elle non plus ne saurait pas dire
    ce que contient son sac à main:
    elle pose pour un photographe,
    elle agrafe son bas
    à l’aile d’un oiseau passant
    par ici ou par là -
    elle n’en fait toujours qu’à sa guise
    qui n’est que de durer...
     
    Les heures auront tourné dans la cour
    à la poursuite des minutes,
    en attendant la chute
    des secondes en fines averses,
    et le temps que la durée verse
    ses caresses légères
    de lumière sur nos visages,
    comme un âge a passé...
     
    Peinture: Thierry Vernet.

  • Ceux qui restent fervents

    listes

     

    Celui qui perce le secret des changements / Celle qui demande à son oncle de lui foutre la paix avec ses guerres et ses révolutions / Ceux qui sentent monter en eux un geyser d’énergie renouvelable / Celui qui en appelle à un exorcisme collectif / Celle qui retrouve celui qui n’a pas osé se déclarer trente ans plus tôt / Ceux qui mènent plusieurs vies de front dans un contexte indécis / Celui qui file à une réunion d’actionnaires à la veille de fêter ses 30 ans / Celle qui aperçoit une main tenant un livre par l’entrebâillement de la porte de son voisin / Ceux qui remballent leurs amis fidèles à leurs idéaux démodés / Celui qui espère que l’accident d’avion de la nuit dernière va doper les ventes de son dernier thriller intitulé L’Accident d’avion de la nuit dernière / Celle qui se demande comment doper les addictions de son lectorat féminin de centre gauche / Ceux qui veulent être là à l’heure où il le faut / Celui qui pense encore qu’un recueil de poèmes peut changer notre vie / Celle qui relit Tchékhov avec le sentiment réconfortant de se savoir en train de relire Tchékhov au lieu de s'envaser devant la télé / Ceux qui se réjouissent d’entendre une voix nouvelle mais pas forcément djeune / Celui que n’en finit pas d’émouvoir un sursaut inattendu de vraie ferveur / Celle qui pense que tous les avis se valent y compris le sien / Ceux qui n’ont pas renoncé à se trouver surpris et même pris par un roman / Celui qui vit englué dans les temps maudits que tous voudraient oublier / Celle qui caresse la main du vieil homme endormi sur son livre / Ceux qui ont connu le vieil homme qu’on a retrouvé mort sur son livre dans le square voisin, etc.

    Peinture: Thierry Vernet, Crépuscule sur Olivone.

  • Pâques du coeur

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    De ce dimanche. – Pour nous, les enfants, Pâques, c’était le dimanche des dimanches - un dimanche vraiment plus dimanche que les autres où le ciel était plein de cloches et le jardin plein d’œufs que le Lapin avait peinturlurés et planqués Dieu sait où - donc deux jours après la Croix, le Lapin : tu avoueras que ce n'est qu’un dimanche que ça peut se passer, et ça nous réjouissait plutôt, les enfants, qu’il y ait un dimanche comme ça qui ressuscite chaque année...

     

    De la foi. – Notre ami le théologien me dit qu’il n’y croit pas vraiment : que son intelligence l’en empêche, puis il me dit : toi non plus tu n’y crois pas, rassure-moi, aussi lui dis-je : non mon ami, je ne vais pas te rassurer, je ne sais pas si je crois, je sais de moins en moins ce que c’est que croire au sens où tu crois que tu ne crois pas, mais surtout (et cela je ne le lui dis pas) je ne sais comment je pourrais l’expliquer à quelqu’un que son intelligence empêche de comprendre rien...

     

    De la charité . – Vous connaissez le mendigot du Sacré-Cœur : il sort de chez ce pouilleux d’abbé Zundel qui le régale déjà plus qu’il n’en faut, et le voilà qui nous lance à la sortie de l’office, son : Christ est vraiment ressuscité ! que moi ça me fait honte, mais j’ai beau savoir qu’il ira la boire ce soir, je lui donne quand même sa thune - ce n’est quand même pas tous les jours Pâques…

     

    Peinture: Thierry Vernet.

  • La Beauté en partage

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    Exposition des Amis de La Désirade
    -Paysages de LK
    -Les 100 Cervin de JLK
    -La collection (Joseph Czapski, Thierry Vernet, Pierre Omcikous, Jean Fournier, Richard Aeschlimann, Floristella Stephani, Armand Desarzens, Jacques Berger, Olivier Charles, Pietro Sarto, Stéphane Zaech, Robert Indermaur, Pierre Gisling, Robert Hainard, Kurt von Ballmoos, Neil Rands, Karl Landolt, Charles Clément, Bona Mangangu, Géa Augsbourg, Pieter Defesche, etc.)
     
    -La Boîte à livres (aux prix concurrentiels de 1, 3 et 5 francs).
    Invitation à la Maison bleue
     
    En mémoire de Lady L., alias Lucia K, alias Lucienne, décédée en décembre 2021, et dans la lumière de sa présence en nos cœurs,
    Jean-Louis Kuffer et les siens
    (Sophie et Julie, et leurs compagnons Florent et Gary),
    vous prient d’assister au vernissage de l’exposition-vente qui marquera la fondation de l’Association des Amis de La Désirade,
    le samedi 19 novembre 2022, dès 16h.
    à la Maison bleue,
    22 , Grand-Rue, à Montreux
    (L’exposition sera visible jusqu’au 17 décembre)
     
    Le produit intégral de la vente des tableaux présentés - dont une partie seulement seront à vendre - et de 1000 livres à très bas prix, sera affecté aux activités culturelles (expositions, rencontres, concerts, édition) projetées sous l’égide de cette association à but non lucratif.
     
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  • Avenue de l'Océan

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    DU VOYAGE. - C'est en voyageant qu'on peut le mieux éprouver la qualité d'une relation intime et sa longévité possible, il me semble; en tout cas c'est ce que j'ai vérifié dès le début de notre vie commune, avec ma bonne amie, qui voyage exactement comme je le conçois, sans jamais se forcer.

     

    Le plus souvent nous nous laissons un peu plus aller, en voyage, que dans la vie ordinaire:  nous sommes un peu plus ensemble et libérés assez naturellement de toute obligation liée à la convention du voyage portant, par exemple, sur les monuments à voir ou les musées. Nous ne sommes naturellement pas contre, mais nous ne nous forçons à rien.

    Il va de soi qu'il nous est arrivé, par exemple à Vienne lors d'un séjour de nos débuts passablement amoureux, ou traversant la Suisse après la naissance de  Sophie laissée à nos parents, ou plus tard en Toscane ou en Allemagne romantique, à Barcelone ou à Louxor, en Provence ou à Paris, de visiter tel formidable monument ou telle collection de peinture d'exception  (le Römerholz de Winterthour, un jour de forte pluie), mais ce ne fut jamais sous contrainte: juste parce que cela nous intéressait à ce moment-là.

    Avant ma bonne amie, jamais je n'ai fait aucun voyage avec quiconque sans impatience ou énervement, jusqu'à l'engueulade, si j'excepte notre voyage en Catalogne avec celui que j'ai appelé l'Ami secret dans Le coeur vert,ou quelques jours à Vienne avec mon jeune compère François  vivant la peinture comme je la vis.  Or ce trait marque aussi, avec l'aptitude à voyager en harmonie, l'entente que nous vivons avec ma bonne amie, avec laquelle je vis la peinture en consonance; mais rien là qui relèverait de je ne sais quel partage culturel:  simplement une façon commune de vivre la couleur et la "vérité" peinte, la beauté ou le sentiment que nous ressentons sans besoin de les commenter.

     

    012.jpgMa bonne amie est l'être le moins snob que je connaisse. Lorsque je sens qu'elle aime un tableau - et rien de semblable ne se passe jamais entre nous, ou presque, en musique -, je sais qu'elle le vit sans aucune espèce de référence ou de conformité esthétique, juste dans sa chair et sa perception sensible, son goût en un mot que le plus souvent je partage sans l'avoir cherché.

     

    Et c'est pareil pour le voyage: nous aimons les mêmes cafés et les mêmes crépuscules (un soir à Volterra, je nous revois descendre de voiture pour ne pas manquer ça), les mêmes Rembrandt ou les mêmes soupers tendres (cet autre soir à Sarlat où elle donna libre cours à son goût marqué pour le foie gras) et ainsi de suite.                

               

             

    VISIONS DE THIERRY VERNET. - «La vue c'est la vie», disait Thierry Vernet peu avant que la maladie ne l'arrache, en 1993, au monde visible, alors qu'il consignait, dans un minuscule carnet, et de mémoire, à deux ou trois jours de distance (bonne façon de faire la nique à la mort), des visages de gens rencontrés dans la rue ou le métro parisien, dont la frise des portraits saisit par sa fulgurante acuité. C'est à la même époque, aussi que notre ami, tout à fait conscient de sa fin prochaine, peignit certaines de ses toiles les plus jubilatoires.

     

    Me reviennent alors les mots de cette lettre de jeunesse de Thierry, datant de l'été 1953. Il se trouvait alors en Yougoslavie en attendant que Nicolas Bouvier le rejoigne à Belgrade pour se lancer avec lui, en Topolino, dans le grand voyage de L'Usage du monde, et voici ce qu'il écrivait aux siens depuis Zagreb: «Je suis de plus en plus assuré sur mes pattes. Le boulot marche. L'aquarelle se trouve. Je vais au bout. Le fin du fin n'est-il pas de voisiner l'extrême limite, de se balader sur les crêtes, d'aller aux frontières où la peinture n'est presque plus de la peinture, où les formes en sont à leur dernier point de tension ?»

     

    Et quelques lignes plus loin, il ajoutait: «N'ayez point de crainte, mes chemises ont été lavées pour trente dinars par une femme de métier. Je porte beaucoup mes calosses de bain, c'est plus simple. Le budget est bien équilibré, malgré le petit déjeuner de hier! Dans un mois, je retrouverai le cher Nick, dans un mois et un jour, au Majestic. Disons vers 19 heures, sept heures du soir...»

    VernetD.JPGLe jeune lascar disait tout de son art en écrivant qu'il allait «jusqu'au bout». À l'apprécier dans son accomplissement, son oeuvre, pure de tout chiqué, est en effet d'un réel risque-tout de la forme et de la couleur, prêt à toutes les audaces pour exprimer sa vision réelle jusqu'à «l'extrême limite», mais non du tout pour épater la galerie. La fulgurance de son regard n'excluait pas un respect serein de ce qui est (les calosses, le budget «bien équilibré», la figuration du ciselé du feuillage ou le détail cocasse, etc.) et un sens quasiment organique de la composition.

     

    De fait il  ne se payait pas de mots lorsqu'il disait «se balader sur les crêtes», «voisiner l'extrême limite» et pousser jusqu'«aux frontières»: le trait de ses dessins exprime (avec des élisions et des «bonds» qui évoquent parfois Matisse et parfois les «extrêmes» de Tal Coat, tout en restant strictement personnel) cette danse de plus en plus légère et de plus en plus libre qui capte l'essentiel de la chose vue (bouquet de fleur, futaie, paysage) pour y ajouter le travail profond d'un regard reconstructeur.

     

    Vernet8.JPGL'oeuvre de Thierry Vernet est à la fois d'un lyrisme allègre (le peintre citait volontiers les Psaumes de la célébration reconnaissante) et d'une sourde mélancolie. «C'est une peinture spirituelle que celle de ce Suisse de Paris, note l'écrivain Jan Laurens Siesling. J'y discerne sans mal une confiance infinie en la beauté de la vie, jusqu'à la candeur, corroborée par une abondance de bonne humeur, d'humour.»           Celui-ci ne sacrifiait qu'incidemment à l'anecdote dans les croquis les plus innocents du passant, pour rejoindre la vie (tel chat attrapé d'un geste rond dans sa pose péremptoire de penseur baudelairien) que l'artiste savait en pleine conscience une «drôle de vie». Sans jamais toucher au tragique (tout différent en cela de son ami Josef Czapski), Thierry Vernet ne portait pas moins en lui les nuances pénombreuses de l'existence, qui se retrouvent dans l'aspect «plombé» de certains paysages ou dans la «morsure» de certains traits. Sa mélancolie retentit d'ailleurs, aussi, dans certaines de ses aquarelles où la vue retient la vie au bord de la nuit fatale aux couleurs.

     

    Flora08.JPGLA VIE ET L'ART. - Un peu plus d'une année après la mort de Floristella, et quinze ans après celle de Thierry, la présence de ces deux amis nous reste à la fois vive et dispersée entre leurs nombreux tableaux ornant les murs de la Désirade et ceux de nos filles, et ce qui nous reste en mémoire de nos moments de partage, une salade niçoise dans la cuisine de Belleville et la balade qui suivit aux Buttes-Chaumont, le vert des mêmes jardins dans les toiles de Thierry, le Christ orange de Floristella et le merveilleux chat blanc que nous avons vu aux Envierges et qui survit auprès de nous comme un ange tutélaire sur la toile qu'elle nous a offerte, ou les petits opéras de la cour de l'Hôtel de Ville dont Thierry concevait les décors, les coquelicots en Toscane de Floristella, la magie nocturne du port de la Spezia ressaisie par Thierry, et tant de moments, comme autant  de visions fugaces ou de minutes heureuses.  Qu'est-ce qui était de la vie ou de la vie dans cette double relation au double sens de l'affectivité et de la consonance artiste ?L'idée de le distinguer ne nous vient même pas, tant la présence réelle des oeuvres de nos amis pallie leur absence.  

    Celui qui se plaint en se levant  / Celle qui se couche après usage / Ceux qu’on subventionne pour que la culture soit réellement inactive, etc.

     

    (Ces pages sont extraites de L'échappée libre, à paraître au début de l'an prochain aux éditions L'Age d'Homme)

    Images: ce matin dans les dunes de Cap Ferret, peintures de Floristella Stephani et Thierry Vernet.

  • Merci la vie, merci bien...

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    Lettres par-dessus les murs (17)

    Cher JLs,
    J'éprouve toujours le besoin de commencer ces lettres par un remerciement, ça va devenir lassant. C'est peut-être une habitude d'expatriation, on est souvent trop poli, quand on n'est pas chez soi - les Arabes et les autres sont tous un peu cannibales, vous le savez, mieux vaut sourire. Je ne vous remercie donc pas pour vos histoires de femmes voyageuses, et surtout pas pour celle de Lina Bögli, dont le nom m'eût évoqué une responsable du rayon vêtement de la Migros d'Appenzel plutôt qu'une aventurière au long cours et aux longues jupes. J'aime ces récits d'ailleurs qui se donnent le droit de juger, de décrire les impressions négatives et les déceptions - une ethnologie critique, pas nécessairement pertinente ou avisée, mais qui nous change des gentils documentaires géographiques où une voix traînante décrit les pêcheurs en train de pêcher et les chasseurs en train de chasser, et qu'importe s'il s'y mêle parfois un peu de racisme instinctif, un peu de cette défiance que nous portons au plus profond de nos gènes.

    voyage,littérature
    Je me rappelle d'un beau texte de Pasolini, le récit d'un voyage en Inde en compagnie d'Albert Moravia. Sa franchise m'avait touché, il était là, il voyait et donnait à voir, il ne s'excluait pas du paysage qu'il se permettait de condamner quand il ne lui plaisait pas. C'était entier. Je n'ai pas le bouquin ici, alors je vous cite un court extrait de Nicolas Bouvier, lu la semaine dernière dans L'Usage du Monde – ça n'a rien à voir mais il m'a plu pour les mêmes raisons, parce que ça sent le vrai. Bouvier et Vernet arrivent à Téhéran, en mai 54 :
    « … et comme un Auvergnat montant sur Paris, on atteint la capitale en provincial émerveillé, avec en poche une de ces recommandations griffonnées sur des coins de table par des pochards obligeants, et dont il ne faut attendre que quiproquos et temps perdu. Cette fois nous n'en avons qu'une ; un mot pour un Juif azeri que nous allons trouver tout de suite : une tête à vendre sa mère, mais c'est un excellent homme tout plein d'un désir brouillon de débrouiller nos affaires. Non, il ne pense pas que des étrangers comme nous puissent loger dans une auberge du bazar… non, il ne connaît personne du côté des journaux, mais voulons-nous déjeuner avec un chef de la police dont il promet merveille ? Nous voulons bien. Et l'on va au diable, sous un soleil de plomb, manger une tête de mouton au yaourth chez un vieillard qui nous reçoit en pyjama. La conversation languit. Il y a longtemps que le vieux a pris sa retraite. C'est dans une petite ville du sud qu'il était chef, autrefois, il ne connaît plus personne à la préfecture… d'ailleurs il a tout oublié. Par contre, une ou deux parties d'échecs lui feraient bien plaisir. Il joue lentement, il s'endort ; ça nous a pris la journée. »

    voyage,littérature

    Voilà Bouvier souriant, admirable, parfaitement à l'aise dans ses chaussures de marche, et ce n'est pas évident, c'est délicat le voyage, ou l'expatriation, c'est toujours un peu la corde raide, tendue entre le tourisme et la schizophrénie. Au bout du rouleau, il y a Lawrence d'Arabie, qui estimait qu'on ne pouvait intégrer deux cultures, deux modes de pensée, qu'en payant le prix de la folie. Bouvier répond en écho, moins tragique : « on croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait ».
    Plus loin, cette autre phrase qui fait tilt : « Un séjour perdu et sans commodités, on le supporte ; sans sécurité ni médecins, à la rigueur ; mais dans un pays sans postiers, je n'aurais pas tenu longtemps ». Comme s'il était vital de garder toujours des liens, même lâches, avec le pays natal, pour éviter de se perdre complètement. Moi je ne risque rien, heureusement ou hélas, il n'y a pas de postiers à Ramallah pour mander mes lettres par-dessus les murs, mais une bonne vieille connexion internet, et des médecins, et des commodités. Je vous laisse, le jeune orchestre symphonique de Berne joue dans une demi-heure, Bellini, Bruch et Schuman.

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    A La Désirade, ce mercredi 9 avril, soir.

    Cher Pascal,
    Moi aussi j’aime dire merci, et j’en rajoute par malice. Notez : rien ne me fait autant sourire sous cape que celles et ceux qui vous disent : « Merci, merci d’exister ». Je ne sais vraiment pas quoi leur répondre. Que je n’y suis pour rien ? Hélas je ne sais pas non plus leur rendre la politesse. Ce merci d’exister a quelque chose d’un peu trop affecté à mon goût, mais bref, je remercie d’autant plus volontiers quand il y a de quoi, comme après le sept jours parfaits que nous ont fait passer nos amis la Professorella et le Gentiluomo, dans leur maison de Marina di Carrara, avec le chien Thea et sept chats correspondant évidemment aux étoiles de la Constellation du même nom.
    Une posture me fait horreur par contraste, et c’est celle qui consiste à dire qu’on ne doit rien à personne. Je trouve cela tout à fait répréhensible. A ce propos, la Professorella nous a beaucoup fait rire en nous racontant le séjour de l’écrivain Georges Borgeaud en ses murs, qui non seulement parvint à se faire payer le voyage en avion, mais remplaça pour ainsi dire l’entier de sa garde-robe en une semaine, avant de manifester, à l’instant des adieux, une sorte de réserve pincée du ton, précisément, de celui qui ne doit rien à des hôtes qui de-toute-façon-ont-les moyens…
    Autant je m’amuse de la niaiserie très helvétique qui faire dire « merci, merci bien », et répondre « pas de quoi », puis « merci à vous», ou pire : « service », autant me consterne le déni de reconnaissance qui procède le plus souvent d’un déni de filiation. Mon amie Nancy Huston (« Merci d’exister, Nancy, ah merci, merci bien») a très bien illustré le phénomène dans ses Professeurs de désespoir en décrivant la façon de certains de nier l’importance de ceux qui nous ont donné le jour, pour mieux dénigrer ensuite la notion même d’enfantement.
    Tu me parles de L’Usage du monde et me cites quelques-unes de ses formules fameuses, me rappelant du coup le compagnon de voyage de Nicolas Bouvier, notre cher Thierry Vernet dont a paru, l’an dernier, le recueil des lettres qu’il a adressées aux siens entre juin 1953 et octobre 1954 : sept cents pages de vie profuse et généreuse, où la reconnaissance éclate à chaque page.
    Cela commence comme ça, après un bel éloge de Thierry par Nicolas. « Le 6 juin 1953 matin. Sauvé ! Embrayé ! En vous quittant j’ai été me taper une camomille dans le wagon restaurant. Pas bien gai. Un couple en face de moi s’était trompé de train. Ils ont passé à 120km/ devant Romont, où ils n’ont pu descendre. Ca m’a distrait. Gros retard à Zurich (1h1/2) à cause d’un fourgon postal qui s’était mise sur le flanc, à ce que j’ai pu comprendre de ces « Krompsi-krompsi-krom » explicatifs. Cela a tout décalé. Train-train jusqu’à Graz. Du vert, du vert, des sapins. Pris en affection par un vieux peintre de Graz de retour de Paris, qui ne parle pas un mot de français. Il me prête et me force à lire pour me plaire Intermezzo de Giraudoux que son fils donnait à sa femme. « Son fils wohnt Paris. Arkitekt. Femme Französin, lustig ». On parle peinture. Il aime Picasso : lustig, lustig. Mais lui, il fait aussi des Abstrackt-form, bitte ? – Ach so ! J’étais pas mal claqué, le cœur qui me sortait un peu des lèvres. Un gros Bernois, retour de Kaboul et HongKong m’a remis sur mes rails. Tous ces petits vieux garçons, vieux petits garçons, qui se plient en deux dans des : Entschuldigung, Ach ! so, yo-yo-yo, bitte sehr ! »
    133991546.JPGTu vois le ton. Thierry écrivait comme ça, les yeux ouverts, le verbe vif, et ses lettres, comme celles de Lina Bögli, forment finalement un fabuleux reportage en marge de L’Usage du monde.
    En octobre 1954, dernière notation du voyage à Kaboul, dont il va revenir avec Floristella dans ses bagages, qu’il va épouser à Genève (mais il regrette de ne pouvoir emporter son accordéon avec lui), Thierry Vernet écrit encore ceci : « Dîner tranquille. Sommeil. Un peu mélancoliques de quitter le cher Nick. On se lève à 5 h demain matin. L’avion part à 7h.30. Ce sera magnifique. Fini l’islam. Mes croques-notes, je vous embrasse, je vous aime, je vous rembrasse. J’espère que tout va bien. Je vous télégraphierai de Delhi. Amitiés à tout le monde. Thierry. »
    Et à vous, Pascal que je n’ai jamais rencontré que dans nos lettres, mes amitiés, et à vos parents qui vont débarquer à Ramallah, à votre Serena et au perroquet Youssou.

    744796507.JPGThierry Vernet. Peindre, écrire chemin faisant. Préface de Nicolas Bouvier. L’Age d’Homme, 708p.

    Images: Photos de Nicolas Bouvier, dessins de Thierry Vernet. Les deux compères à la Topolino.

  • Mémoire vive (57)

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    Thierry Vernet dans ses carnets inédits: "Je suis un chiffon sale présentement dans la machine à laver. Lâche, hypocrite, flagorneur, luxurieux, cédant au moindre zéphyr de mes désirs et tentations diverses, comptant sur un sourire et mes acquiescements pour conquérir quelques coeurs utiles (et cela enfant déjà pour "m'en tirer" !). La machine à laver a de quoi faire. Mieux vaut tard que jamais". 

     

    °°°

     

    Venezia, giovedì 20 novembre 2014. - Mi sveglio col peso del mondo sul cuore. Poi si alza la luce del mondo. Je pense à cette femme condamée là-bas à mort pour rien. On m'a demandé de signer une pétition et j'ai signé sans aucune illusion. Je lis Révérence à la vie du marcheur du désert Théodore Monod qui faisait la grève de la fin contre le nucléaire, sachant qu'il combattait des moulins à vent, et pourtant. Et pourtant tâchons de résister. Un message de Max le Bantou me dit ce matin qu'il ne mérite pas ce que j'ai écrit d'élogieux sur lui. Au téléphone un soir, Théodore Monod m'a dit comme ça que l'avenir de la Création appartenait probablement aux insectes, peut-être aux céphalopodes, évoquant l'évolution de la mémoire chez les pieuvres. Mais j'aime bien aussi sa citation du sage soufi malien Tierno Bokar qui disait que "les meilleures des créatures seront parmi celles qui s'élèvent dans l'amour, la charité et l'estime du prochain".  Dans un quart d'heure je vais descendre de quatre étages et me taper un petit déje de prince au milieu d'un monde de mendiants. Ce qu'attendant je recopie ces fortes paroles du défunt Théodore: "L'homme doit seulement découvrir qu'i est solidaire de tout le reste. C'est en éprouvant cette solidarité avec les autres êtres vivants que nous nous approcherons de l'Esprit univrsel. Celui qui cueille une fleur dérange une étoile, écrivait un poète anglais. Il n'y a que les poètes pour écrire des choses pareilles". Le même Monod disait qu'on a tort de juger l'islam à partir des faits et gestes des fondamentalistes arabes, citant un autre soufi arrivant àla porte du Paradis où il se demande de quel droit il en foulera l'herbe,et le portier de lui répondre: "Une nuit d'hiver, à Bagdad, il faisait très froid, et tu as recueilli  une petite chatte perdue et tu l'as réchauffée dans ton manteau".  

     

    °°° 

    Thierry Vernet: "Nous vivons, en ce temps, sousla théoctatie de l'argent; et malgré soi on sacrifie de façon permanente à ce culte hideux".

    °°°

    JMatteo19.jpge n'y avais pas pensé mais le personnage de Théo, l'artiste amstellodamois de mon roman en chantier, doit quelque chose à la fois à Thierry et au vieux Monod. Ces huguenots chrétiens, mécréants au sens conventionnel des bien-pensants, sont de mon Shadow Cabinet, autant qu'Annie Dillard et qu'Alice Munro mes frangines occultes. J'essaie, dans La vie des gens, d'évoquer la quête d'immunité de quelques personnages non résignés au pire. Contre la fausse parole omniprésente, j'essaie de dire ce qui pourra toujours l'être, à la lumière d'un amour non sentimental. Le corps massacré du poète Pier Paolo Pasolini a été retrouvé un matin de novembre de l'an 1975, donc il y aura bientôt quarante ans de ça, et ce matin je lisais un de ses poèmes, qui lui survit.

     

    °°°

     

    Matteo3.jpgPier Paolo Pasolini: "Essi sempre umili / essi sempre deboli / essi sempre timidi / essi sempre infimi /essi sempre colpevoli / essi sempre suditi / essi sempre piccoli". Eppoi: "Ils amèneront des enfants et le pain et le fromage dans les papiers d'emballage du Lundi de Pâques".    

  • À l'écart

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    Chroniques de La Désirade (34)

     

     

     

        

    À distance. – Le moindre recul, et le moindre bon sens, aussi, suffisent à replacer ce que les médias appellent ces temps « une tragédie française » au rang de fait divers nauséeux, exalté par un mélange de curiosité vorace et de moralisme à la petite semaine.

    Désirade77l.JPGLa nature qui nous entoure ici reste le lieu de tous les carnages, pas un instant je ne l’oublie, pas plus que l’instinct prédateur de l’homme et sa passion morbide, mais la nature ne dore pas la pilule, la nature reste ce qu’elle a toujours été dans son indifférence absolue et son étrangeté splendide qui me font retrouver ici, dans cette espèce de cabanon au bord du ciel, l’humilité sereine de l’homme des bois selon Thoreau ou l’équanimité de Pascal entre ses deux infinis, entre le cendrier et l’étoile – et voici le fermier du dessus se pointer pour m’annoncer qu’il a dû couper l’eau que j’ai captée à sa fontaine vu que « ça manque » ces jours…

    Kundera77.jpgIdiots utiles. – Il faut (re)lire La Vie est ailleurs de Milan Kundera pour mieux réévaluer, aujourd’hui, les mécanismes de la fascination exercée, sur les intellectuels, par le Pouvoir, à côté de cette autre observation fondamentale sur le fait que de doux poètes, tels un Eluard ou un Aragon, en soient arrivés à louer les mérites d’un Staline.

    Or ce qu’il y a remarquable, chez Kundera, c’est que l’explication de ces phénomènes passe par l’implication existentielle la plus nuancée et la plus fine, où l’évolution des protagonistes – à commencer par le jeune poète Jaromil, qui va basculer dans le stalinisme – se module en phase avec celle du milieu familial (l’inoubliable portrait de Maman, la mère invasive, ou l’oncle réactionnaire bientôt « épuré ») et de la société bouleversée par l’Histoire en marche.

    Le roman met en scène la société tchèque du début des années 50, mais ses observations n’ont rien perdu de leur pertinence, et la lumière qu’il jette sur la catégorie des idiots utiles, ainsi que les appelait Lénine avec son cynisme habituel, vaut encore pour nombre de larbins de l’intelligentsia de gauche ou de droite.

    Girard7.jpgSauveteurs. - Contre le romantisme et son mensonge récurrent, notamment en littérature, tel que René Girard l’a isolé (au sens pour ainsi dire scientifique, comme il en irait d’un virus ou d’une bactérie) et décrit par le détail dans Mensonge romantique et vérité romanesque, contre cette flatterie « jeuniste » qui exalte la rébellion pour la rébellion ou la nouveauté pour la nouveauté, la notion de bon génie de la Cité m’a toujours été chère, au dam de mon propre romantisme, que je retrouve avec reconnaissance chez les écrivains ou les penseurs que Léon Daudet, par opposition aux Incendiaires, appelait les Sauveteurs. 

     

    Mais ces catégories critiques sont rarement pures en leurs critères. Il y a par exemple, dans la bonne volonté hygiéniste du docteur Destouches, le germe du racisme qui fera dérailler le Céline des pamphlets, de même que l’idéal de justice et d’équité des premiers révolutionnaires a nourri les pires déviations de la terreur et du totalitarisme.

    ferdinand_hodler-Sunset-at-Lake-Geneva--1915.jpgimages.jpegDe la peinture-peinture. – C’est en repassant par les bases physiques de la figuration qu’on pourra retrouver, je crois, la liberté d’une peinture-peinture dépassant la tautologie réaliste. Thierry Vernet y est parvenu parfois, comme dans la toile bleue qu’il a brossée après sa visite à notre Impasse des Philosophes, en 1986, évoquant le paysage qui se découvre de la route de Villars Sainte-Croix, côté Jura, mais le transit du réalisme à l’abstraction est particulièrement lisible et visible, par étapes, dans l’évolution de Ferdinand Hodler. Nous ne sommes plus dans cette continuité, les gonds de l’histoire de la peinture ont été arrachés, mais chacun peut se reconstituer une histoire et une géographie artistiques à sa guise, à l’écart des discours convenus en la matière, en suivant le cours réel du Temps de la peinture dont la chronologie n’est qu’un aspect, souvent trompeur. De là mon sentiment qu’un Simone Martini ou un Uccello, un Caravage ou un Signorelli sont nos contemporains au même titre qu’un Bacon, un Morandi ou un De Staël…

    Images : La route de Vufflens-la ville, huile sur toile de Thierry Vernet ; Milan Kundera; René Girard; peintures de Ferdinand Hodler.

  • Mon petit musée de poche

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    De la copie pour mieux voir la peinture…

    Il existe, dans les soubassements du Rijksmuseum d’Amsterdam, une grande salle réservée aux pique-niques conviviaux des visiteurs du musée, au fond de laquelle se trouve une grande paroi entièrement couverte de centaines de cartes postales représentant divers chefs-d’œuvre visible en ce haut-lieu, de Vermeer à Delacroix ou de Rembrandt à Van Gogh, - toutes réalisées par des enfants ou des adolescents par manière d’exercice.

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    Je ne me suis pas renseigné sur les détails de l’opération à large échelle qui a abouti à cette sélection de copies de jeunes visiteurs, mais il y avait des années déjà que cette démarche consistant à «lire» des œuvres d’art en les copiant m’avait paru aussi intéressante, pour celui qui s’y exerce, que le fait d’apprendre de la poésie par cœur, à cela près que la copie implique une part d’interprétation plus active que dans la seule mémorisation.

    De l’aquarelle considérée comme un geste critique…

    1723473598.JPGL'idée m'était ainsi venue un matin de l’année 2010, face au brouillard et à la mauvaiseté du monde (les dernières infos) de me constituer un petit musée de poche en recopiant des tableaux aimés que j'aurais aimé emporter avec moi partout où j’irais.

    J'ai commencé avec La route à midi de Thierry Vernet, évocation provençale de je ne sais où, dont je ne possède à vrai dire qu’une reproduction, mais fidèle.

    Pourtant une copie personnelle m’importe aussi, même de qualité inférieure, puisque c’est mon propre regard que j’ajoute à celui du peintre, à tel moment et en tel lieu. C’est un peu comme un commentaire de l’œuvre, dans la foulée, une note à la volée - et je me suis rappelé alors quatre autres copies commises, à la gouache, une d’après Rouault et trois d’après Czapski.

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    Pour en revenir à La route à midi de Thierry Vernet, il va sans dire que l'original était bien plus beau, mais que l'intention y était de ma part... Ensuite ça serait plus coton de copier du Rembrandt ou du Vermeer à l'aquarelle presto…
    Sur quoi les années ont passé.

    Quand l’exercice devient quotidien

    Assez récemment cependant, et plus précisément le 1er août 2018, amorçant le énième de mes carnets sur un specimen de la marque Paper Blanks, je me suis astreint, cette fois à la gouache, plus propice que l’aquarelle au traitement de multiples couches, à l’établissement suivi d’une sorte de petit musée de poche portatif aboutissant, le 14 novembre, à un ensemble de 70 copies où se retrouvent plusieurs toiles de Joseph Czapski et d’Emil Nolde ou Peter Doig, entre tant d’autres peintres (Rouault, Soutine, Vallotton, Munch, De Staël, Utrillo, Derain, Corot, etc.) touchant à mes yeux à l’essence de l'art selon mon goût.

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    48360876_10218353030163969_7304348870538952704_n.jpgDepuis le 15 novembre dernier, invité à participer à l’élaboration du catalogue d’une exposition rétrospective de Joseph Czapski, je me suis concentré sur des copies quotidiennes de ce seul artiste, en marge desquelles je note tout ce que, précisément, je découvre en les «lisant» , les «interprétant» et les reproduisant à la gouache avec mes faibles moyens.

    Mais quel exercice vivifiant, comme d’écrire des poèmes après en avoir mémorisé des centaines... Quel bonheur partagé en amont, avec tant d’yeux fertiles, et peut-être en aval si tant est que ce que je vois regarde aussi les autres…

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  • La mort, ma mort...

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    (Le Temps accordé, Lectures du monde 2022)
     
    À l’hosto, ce jeudi 3 novembre. – Après mon évocation quelque peu taquine de l’usine à soins, tôt ce matin, qui m’a valu pas mal de retours sur Facebook, je me retrouve dans ma chambre à 5 étoiles – alors que je n’ai même pas d’assurance privée…- de la division Fleurs, où le médecin compte me garder jusqu’à demain si mon état encore très flageolant n'en exige pas plus..
    Passé tout à l’heure à la boutique de l’établissement où j’espérais trouver le moindre livre, j’ai dû déchanter : tintin, rien que des magazines et autres journaux bas de gamme (style Closer ou Détective), avec la seule exception d’une revue de vulgarisation scientifique, intitulée La Recherche et toute consacrée au Réel, et deux livraisons du Courrier international traitant de la bombe démographique et de l’effervescence culturelle de la Corée du sud, laquelle m’intéresse particulièrement après ma découverte, ces derniers mois, d’une vingtaine de séries de qualité.
    Quant à l’approche du «Réel » par cette revue spécialisée dont le langage me semble immédiatement accessible, alors que je suis un ignare pitoyable en la matière, elle m’intéresse ces jours après la lecture de La Théorie des cordes, ce roman de José Carlos Somoza que m’a offert notre fille licenciées en lettres hispaniques, dont la partie dévolue aux recherches d’un groupe de physiciens sur la possibilité d’ « ouvrir les cordes du temps » et d’obtenir ainsi des images datant de millénaires, m’a passionné, avant que la narration ne se perde, m’a-t-il semblé, dans l’embrouillamini d’une intrigue à base complotiste accumulant crimes et suicides...
     
    Même sans avoir le livre sous la main, j’ai esquissé hier soir, après une minute à subir à la télé l’effrayante présence de Cyril Hanouna, parangon de la basse vulgarité et de la crétinerie, une prochaine chronique sur BPLT du superbe roman de Giuliano da Empoli intitulé Le Mage du Kremlin et qui vient d’être couronné par l’Académie française (dame Carrère d’Encausse doit y être pour quelque chose), dont j’ai longuement parlé au téléphone avec mon ami Nicolas le Greco en lui disant que, plus qu’un livre « sur Poutine », il s’agit là d’une vaste projection des visions futuristes de Zamiatine, Orwell et Witkiewicz, très riche en observations sur l’évolution actuelle de nos sociétés capitalistico-communistes (Zinoviev me disait que la société de consommation lui apparaissait comme une forme particulièrement perverse de soft collectivisme), avec un dénouement qui assimile pour ainsi dire les oligarchies parvenues du post-soviétisme et de la Silicon Valley…
     
    Tout à l’heure je suis retombé, en consutant mon historique de Messenger, à l’époque d e mon premier infarctus (mi-décembre 2019) sur un message de Roland Jaccard qui se disait « fasciné » par mon « reportage en immersion hospitalière », évoquant en outre nos téléphones quasi quotidiens, avec Pierre-Guillaume, qui lui donnait ainsi de mes nouvelles – deux amis repris depuis lors par celle que Lady L. appelait la « Dame en noir »...
     
    Ce qui me rappelle aussitôt les mots de Thierry Vernet dans ses carnets à lui : « La mort, ma mort, je veux la faire chier un max à attendre devant ma porte, à piétiner le paillasson. Mais quand il sera manifeste que le temps est venu de la faire entrer, je lui offrirai le thé et la recevrai cordialement »...
     
    Aquarelle: Thierry Vernet, Conversation nocturne.

  • Ceux qui prennent le large

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    Celui qui se retrouve au café Greco de Rome où l'absence de sa femme suicidée à Majorque lui pèse un peu / Celle qui a trouvé les couleurs des Baléares par trop excessives voire offensantes /Ceux qui se tirent dessus faute de pouvoir s'expliquer autrement / Celui qui remarque que l'irascible  chasseur de l'hôtel  n'a point de fusil mais un tisonnier à la main /Celle qui se rappelle les odeurs pourries de sa Malaisie natale en s'attardant le long des canaux de Venise / Ceux qui se trouvent toujours de nouvelles femmes en dépit de leur peu de charme / Celui que la tragédie égyptienne ramène à la lecture de L'Immeuble Yacoubian / Celle qui garde un souvenir mitigé de sa première rencontre avec Ramadan le beau parleur affilié aux Frères musulmans /  Ceux qui ont décidé à Munich d'ouvrir une galerie des pires peintres du moment susceptibles de les faire connaître à Berlin / Celui qui a pris son premier vaporetto sous la neige en compagnie de son ami nietzschéen de l'époque / Celle qui préfère Venise en février au motif que les Allemands sont alors en Thaïlande / Ceux qui ne sont pas assezs snobs pour dire qu'à l'Accademia ils préfèrent Les Courtisanes de Carpaccio à La Tempête de Giorgione / Celui qui marche autour de sa valise en gare de Varsovie genre l'espion qui venait du froid / Celle qui aime le rouge de loge de théâtre des sièges du café Florianska de Cracovie où Slawek lui a fait la première des trois déclarations transposées en plans-séquences dans son film culte / Ceux qui ont toujours trouvé la Suisse trop étroite pour y dormir / Celui qui se rappelle les deux femmes sculptées porteuses de lanternes dont la lumière éclairait les parois de l'hôtel Gritti où il était trop fauché pour loger durant  la semaine de la sortie de La mort à Venise mais le gondolier borgne avait passé par là après lui avoir indiqué la plaque de céramique bleue rappelant le séjour de Ruskin en ces mêmes lieux  / Celle qui parlait à voix basse avec Patricia Highsmith au café Florian si sublimement évoqué par Thierry Vernet sur la grande toile en possession de la veuve de Nicolas Bouvier qui ne la cédera que sous la menace et encore / Ceux dont les Clark's rendent le silence de la place Saint-Marc plus moelleux, etc.

     

    (Cette liste a été notée dans les marges du roman éponyme que Patricia Highsmith me dit un jour son préféré) 

     

  • Ceux qui sont seuls dans la foule

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    Celui qui voit la stupidité gagner du terrain / Celle qui trouve les tabloïds de plus en plus salissants / Ceux qui cherchent des sujets popus / Celui que dégoûte le travail facile / Celle qui trouve toujours la formule la plus flashy / Ceux qui se félicitent d’être dans le trend / Celui qui se réjouit de te voir faire ce travail d’imbécile / Celle qui se vante d’avoir découvert une Céline Dion malgache / Ceux qui estiment que le cinéma de l’avenir sera populaire-de-qualité / Celui qui a rêvé qu’il était un lièvre aux oreilles coupées / Celle qui rêve de se faire le sous-chef d’édition dans le local désaffecté des archives textes / Ceux qui fument leur clope en pensant à un paysage de neige / Celui que tout amuse malgré tout / Celle qui envoie des SMS à sa cousine Arlette pendant la réu des cadres dans la Salle panoramique / Ceux qui rappellent aux jeunes stagiaires qu’ils ont eux aussi « jeté quelques pavés en mai 68 / Celui qui sent l’ail et la sueur rance / Celle qui soupçonne tous les collaborateurs de la rubrique sportive d’être des obsédés / Ceux qui rient des nouvelles les plus atroces / Celui qui collectionne les calendriers d’animaux / Celle qui n’a toujours pas encaissé le fait que la secrétaire de direction Ludivine ne l’ait pas invitée à l’apéro de l’ancienne équipe / Ceux qui convoitent le poste de celui qui vient de révéler qu’il n’en avait plus que pour sept mois d’après les derniers exas du CHU / Celui qui t’explique pourquoi il ne lira pas Les Bienveillantes en suçotant son cigarillo / Celle qui pense que c’est ce salaud de Lemercier qui a déposé une souris morte dans son casier / Ceux qui se cotisent pour acheter un nouveau parapluie au coursier sourd-muet / Celui qui lit Blanchot dans les chiottes du bâtiment administratif / Celle qui n’a jamais dit non à ceux du quinzième étage / Ceux qui affirment qu’ils vivent à deux cents à l’heure, etc.

    Thierry Vernet. Dans le métro. Huile sur toile.

  • Ceux qui s’éloignent




    Celui qui laisse dire / Celle qui sourit à son agresseur / Ceux qui préfèrent marcher en moyenne montagne / Celui qui défie toute indiscrétion / Celle que la vulgarité blesse sans qu’elle n’en dise rien / Ceux qui n’entrent pas dans le jeu des amuseurs médiatiques / Celui que l’opportunisme de ses collègues sous-chefs sidère / Celle qui ne s’étonne plus de rien / Ceux qui se réfugient dans la peinture sur porcelaine / Celui qui emmènera sa douce voir Cézanne à Aix-en-provence en juin prochain / Celle que son garçon en train de muer émeut sans qu’elle sache pourquoi / Ceux qui écoutent en même temps Désert de Varese sur Espace2 / Celui qui a besoin (dit-il) de s’exploser chaque matin sous sa douche / Celle qui ne fréquente plus le Club des Seniors depuis qu’elle a appris certaines choses / Ceux qui économisent pour l’achat d’un 4x4 / Celui qui en pince pour les postières motorisées du Périgord noir / Celle qui a résolu de flinguer son chien Patou avant de retourner l’arme contre elle-même / Ceux qui pensent qu’ils vont guérir les deux lesbiennes du service contentieux de la banque cantonale de M. / Celui qui pense que le sexe est une valeur en baisse après la retraite / Celle qui drague dans les couloirs de l’établissement médico-social L’étoile du matin / Ceux qui revivent quand ils entendent Bambino sur Nostalgie / Celui qui ne jure que par Honda / Celle qui prétend que le curé Clément Ledru est un émissaire de l’astéroïde Lupus III / Ceux qui se rappellent le concert en plein air de Dalida au Lavandou vers 1958,59 / Celui qui se flatte d’avoir un cousin qui s’entraîne au même club de remise en forme que le député social-démocrate Bernier / Celle qui fricote avec un gazier / Ceux qui disent en avoir plein le casque des médias / Celui qui se croit tous les jours dimanche (disent-ils) / Celle qui dit ne pouvoir sacquer la prof chargée du cours d’éducation sexuelle / Ceux qui ne croient plus vraiment en l’Avenir Radieux, etc.

    Dans le métro. Huile sur toile de Thierry Vernet.

  • Le verbe de Bouvier magnifié

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    Tonique et inventive, l’adaptation de L’Usage du monde à La passerelle, par Dorian Rossel, fait merveille.

    Malgré la rumeur enthousiaste qui s’est répandue dès le lendemain de la première de ce spectacle, c’est avec une pointe de réserve sceptique que je suis allé y assister en fin de semaine passée. Ma double crainte, liée à l’utilisation théâtrale « opportuniste » d’un texte littéraire adulé, ou à une  illustration scénique redondante, a cependant volé en éclats dès les premières séquences, balkaniques, de cette réalisation évitant immédiatement l’illustration folklorique flatteuse qu’aurait pu être la citation de chants ou de musiques tsiganes.

    Le lecteur de L’Usage du monde sait l’importance de la musique de chaque région traversée dans le grappillage de Nicolas Bouvier et de son compère peintre Thierry Vernet. Or, le choix délibéré de Dorian Rossel, en phase avec ses camarades comédiens (Rodolphe Dekowski, Karim Kadjar et Delphone Lanza) et musiciens (Anne Gillot et Jérôme Ogier), d’éviter l’allusion musicale directe, autant que les clichés «ethnos» pour la partie visuelle, est l’une des composantes fortes de cette réalisation éminemment musicale au demeurant.

    Pour qui ne connaît pas L’Usage du monde, le premier mérite du découpage scénique du récit est de faire sonner son verbe formidablement expressif et suggestif, sensuel et faisant appel à tous les sens.

    Dans une scénographie ingénieuse et efficace (Sibylle Kössler) jouant sur un système de plateaux de tables qui deviennent dunes ou fossés, routes ou rochers selon les lieux, avec un beau travail aussi sur la lumière (Claude Burgdorfer), les acteurs se partagent et vivent le récit comme une partition éclatée mais intelligible, qui restitue parfaitement les intensités alternées du récit dans le temps et dans l’espace, évoquant aussi un montage de cinéma.

    Routes et déroutes, découvertes et rencontres, fatigues et tribulations composent ainsi une sorte de rhapsodie ponctuée de moments hautement poétiques et  qui aboutit, le temps d’une panne au milieu de nulle part, à un concert saisissant...

    Théâtre de Vidy, La Passerelle, jusqu’au 16 décembre. En principe complet, avec liste d’attente. Reprise du 8 au 13 mars 2011 à la Salle Apothéloz.  

  • Ceux qui se font la 7 tous les matins

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    Celui qui a appris à se taire pour ne pas blesser / Celle que tout renfrogne / Ceux qui se servent de toi sans que cela te dérange le moins du monde / Celui qui nie toute responsabilité dans l’accident de chemin de fer miniature qui a coûté la vie à la chatte de Mademoiselle Mauduit / Celle qui envisage l’acquisition d’un lot de colibris / Ceux qui s’inscrivent au cours de mandarin de l’université de Malmö dès leur retour des J.O. / Celui qui aime rire au milieu des retraités plombés par une journée de scrabble / Celle qui adapte son sourire à chaque circonstance / Ceux qui se lavent tout le temps les mains / Celui qui te taxe de fasciste parce que tu refuses de traiter les Juifs de nazis avant la lettre / Celle qui n’arrive pas à caser le barbecue des Koller dans son organigramme d’arrière-été / Ceux qui lisent Confucius au bord de la piscine du Hilton Shangaï / Celui qui milite pour l’éradication des écureuils gris de Toronto / Celle qui écrit des romans de science fiction féministe / Ceux qui estiment que les Roms sont indignes de la nouvelle Europe / Celui qui positive malgré l’œil au beure noir qu’il a ramassé dans une boîte de motards gays / Celle qui s’estime la nouvelle Ophélie Winter de la ZUP Les Mouettes / Ceux qui estiment que le nouvel aumônier de la Maison des Jeunes ne devrait pas peloter en public le jeune Letton qui fait le ménage chez lui / Celui qui rêve d’un cabanon à Perth / Celle qui prend franchement le parti des Russes dans le conflit ossète / Ceux qui te font une scène parce que tu sors une Lucky Strike devant leurs enfants /Celui qui observait Michel Houellebecq dans la foule de Locarno en se demandant s’il allait l’accueillir sous son parapluie / Celle qui a demandé un autographe à Nanni Moretti qu’elle a oublié sur la terrasse de la Trattoria Da Luigi juste avant la pluie / Ceux qui fraternisent volontiers avec les gens connus qu’ils hèlent par leur prénom / Celui qui se rend compte de cela que la ministre est plus petiote qu’elle ne paraît à la télé / Celle qui crève l’écran mais ne paie pas de mine dans le lobby de l’hôtel La Palma / Ceux que l’Alzheimer menace sans qu’ils s’en doutent tandis qu’ils prennent l’apéro dans les jardins du Bella Vista, etc.

    Image: huile sur toile de Thierry Vernet.

  • Pensées de l'aube (12)

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    Du miracle. – Ce n’est pas que tu n’attendais rien, car tout en toi n’est qu’attente, ce n’est pas que tu n’espérais ni ne désirais plus : c’est que c’est apparu tu ne sais comment, que c’était là comme au premier matin du monde, là comme un arbre ou un torrent, frais comme l’eau tombée du ciel, surprenant comme un chevreuil dans la lumière diaprée de l’aube, doux et léger comme la main du petit dernier que tu emmènes à sa première école, bon comme le pain sans rien, beau comme les vieux parents s’occupant des enfants de leurs enfants - enfin ce que tu veux qui te fait vraiment du bien, et à eux…    

     

    De l’envie.- Ne sachant pas qui ils sont eux-mêmes, et n’estimant rien de ce qu’ils sont, ils n’ont de cesse que de dénier aux autres le droit de croire en ce qu’ils sont ou à ce qu’ils font, et c’est alors ce ricanement du matin au soir, ce besoin de tout rabaisser et de tout salir, de tout niveler et de tout aplatir de ce qui menace d’être ou d’être fait, cependant ils restent aux aguets, inassouvis et vains, impatients de ricaner encore pour se donner l’illusion d’être…   

     

    De l’emmerdeuse.- Tu es France en ton nombril parisien, tu te prends toujours pour la référence au milieu de ta cour de pédants bien peignés, et je t’aime bien, mais on manque chez toi d’Irlande des champs et d’opéras villageois, on manque de paysans siciliens et de furieux Japonais, on manque de saine colère et de mélos indiens, on manque de vrais méchants et de vraies mégères, tu gardes tes gants jusque dans les mauvais lieux de tes romans guindés, tu es pincée et tu prétends désigner seule ce qui mérite de te mériter, sans voir que tu te fais seule, en effet, et que tu te fais ennuyeuse à ne pas laisser la vie de tes propres villes et villages te surprendre…

     

    Peinture: Thierry Vernet.

  • Ceux qui diffusent une aura

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    Celui qui lit une partition de Schubert debout dans la dernière rame de métro de ce soir de la Toussaint / Celle qui tient son violon comme un enfant au milieu des ouvriers rétamés / Ceux qui cherchent UN livre dans les milliers de librairies du quartier de Kanda et sourient comme au premier matin d’une nouvelle ère quand LA libraire nattée le leur déballe de son enveloppe de papier de soie à consistance d’ailes de libellule / Celui qui se baigne nu dans la vasque d’eau chaude où frémissent les feuilles de cerisier sauvage / Celle qui laisse sa fenêtre ouverte et sa lampe allumée au cas où quelque Roméo passerait cette nuit par la ruelle au pavé tiède / Ceux qui irradient quand ils entonnent la cantilène sacrée / Celui qui rend visite à sa vieille amie aveugle qui devine qu’il s’est fait tout beau rien que pour elle / Celle qui retient le garçon laitier Philidor pour lui becqueter au moins ses joues roses de mec assez recherché des harpistes / Ceux qui écrivent des vers très libres qui scandalisent délicieusement les catéchumènes de la paroisse des Oiseaux / Celui que les cours de philosophie du Dr Friedrich N. ont rendu plus attentif aux choses de la vie les plus simples comme l’odeur de la poire quand on la pèle avec un couteau à manche de bois dur / Celle qui resplendit depuis que le jeune trompette de la fanfare Les Mutins la lutine / Ceux qui aiment regarder les chiens sans colliers qu’ils recueillent dormir en soupirant comme des bienheureux / Celui qui se console d’une enfance dure et d’un veuvage encore plus dur en s’adonnant à la peinture sur porcelaine àl'écoute des confessions touchantes de la Ligne de Coeur / Celle qui prie Sainte Marie Madeleine Pécheresse de lui consentir un petit retour de libido / Ceux qui estiment que les seins des ambassadrices peuvent être de bons ambassadeurs dans certains pays / Celui que son premier poème imprimé dans une revue norvégienne remplit d’une joie printanière / Celle que pourrait avoir peinte un Vermeer dans ce coin de ZUP qu’elle transfigure en se coiffant de ses doigts de princesse de terrain vague / Ceux qui marchent lentement dans les allées ocellées de lumière sous-marine de la Forêt des Sources, etc.

    Peinture. Thierry Vernet. Venise, café Florian, huile sur toile. 

  • Prends garde à la douceur

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    (Pensées de l'aube, X)
     
    De l’attente.– Je n’attends pas de toi le moindre compliment, tes signes de congratulation ne sont pas une réponse, tes hymnes de félicitation tu peux te les garder autant que tes révérences si tu ne t’engages pas à parler à ton tour, car c’est cela que j’attends de toi, mon ami (e), ce n’est pas que nous nous félicitions de nous féliciter, ce n’est pas que tu me trouves ceci ou que je t’estime cela – ce qui seul compte est que tes questions répondent à La Question à laquelle j’ai tenté de répondre, et que tu vives de la lettre que je t’envoie comme je vivrai de la tienne, non pas en échos d’échos mais à se dévoiler l’un l’autre tout en se lâchant sans lâcher du regard La Chose qui seule compte…
     
    Des égards. – Nous n’avons pas besoin de grades, mais de regards, nous n’avons pas besoin d’être regardés, mais nous avons besoin d’égards et de vous en montrer sans relever vos grades, nous ne serions pas à l’Armée ni à la parade de l’Administration : nous serions au Café des Amis et nous parlerions simplement de la vie qui va, à ton regard je répondrai par les égards dus à ton rang de personne, mon regard te serait comme une élection sans autre signe que mon attention, à parler sans considération de nos âges et qualités, nations ou confessions, nous nous entendrions enfin…
     
    Du miracle.– Ce n’est pas que tu n’attendais rien, car tout en toi n’est qu’attente, ce n’est pas que tu n’espérais plus ni ne désirais plus : c’est que c’est apparu tu ne sais comment, que c’était là comme au premier matin du monde, là comme un arbre ou un torrent, frais comme l’eau tombée du ciel, beau comme un daim dans la lumière diaprée de l’aube, doux et léger comme la main du petit dernier que tu emmènes à sa première école, bon comme le pain sans rien, beau comme les vieux parents s’occupant des enfants de leurs enfants - enfin ce que tu veux qui te fait vraiment du bien, et à eux…
     
    Peinture: Thierry Vernet.
     

  • Prends garde à la douceur

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    (Pensées de l'aube, XI)
     
    De l’envie.- Ne sachant pas qui ils sont eux-mêmes, et n’estimant rien de ce qu’ils sont, ils n’ont de cesse que de dénier aux autres le droit de croire en ce qu’ils sont ou à ce qu’ils font, et c’est alors ce ricanement du matin au soir, ce besoin de tout rabaisser et de tout salir, de tout niveler et de tout aplatir de ce qui menace d’être ou d’être fait, cependant ils restent aux aguets, inassouvis et vains, impatients de ricaner encore pour se donner l’illusion d’être…
     
    De la prétention.- Tu es France en ton nombril parisien, tu te prends toujours pour la référence au milieu de ta cour de pédants bien peignés, et je t’aime bien, mais on manque un peu chez toi d’Irlande des champs et d’opéra villageois, on manque de paysans siciliens et de furieux autrichiens, on manque de saine colère et de mélos indiens, tu gardes tes gants jusque dans les mauvais lieux de tes romans, tu es pincée et tu prétends désigner seule ce qui mérite de te mériter, sans voir que tu te fais seule et que tu te fais ennuyeuse à ne pas laisser la vie te surprendre…
     
    De la lecture. – Moi c’est comme une lumière qui montrerait tout à coup les couleurs du vitrail, un livre, c’est comme une fleur de papier qui s’ouvre dans l’eau, ou c’est comme l’eau que tu découvres toute nue et toute fraîche et toute froide et toute belle après le coup de hache dans la glace du lac…
     
    De la délicatesse. – Toi je vois que tu ne supportes pas les compliments et la lèche des médias et des gens importants, après ton concert, te retenant cependant de ne pas leur sourire de tes vieilles dents de divine pianiste à peu près aveugle, et c’est pourquoi je reste si longtemps à t’observer de loin, te souriant lorsque tu te penches vers notre enfant qui s’excuse de te déranger avant de t’offrir son bouquet de pensées…
     
    Peinture: Thierry Vernet.

  • Prends garde à la douceur

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    (Pensées de l'aube, XXIV)
     
    D’un autre chant.– Et si tu n’as pas de mots pour dire cette aube qu’il fait ce matin comme au désert ou sur la page blanche de la mer, chante-là en silence, tout à l’heure une main de lumière s’est posée à la crête des monts et tout ensuite, de l’ubac, une maison après l’autre, s’est allumé, mais comment le dire avec des mots ?
    De la juste mesure. – Ce que tu te demandes aussi en voyant le rideau se lever sur la scène du jour, c’est quelle pièce va se jouer dans les heures qui viennent, qui tu seras, dans quelle peau, quel autre rôle tu pourrais jouer, si tu pouvais être plus juste qu’hier soir après avoir goûté une fois de plus du Milk of Human Kindness du Big Will - trois heures durant, Mesure pour mesure, la poésie du Big Will t’a traversé et t’habite encore ce matin, or seras-tu ce matin l’intransigeance d’Angelo le taliban ou la clémence du bon gouvernement, seras-tu la vierge ou la catin, seras-tu glapissement de mauvaise langue ou parole de bienveillance ?
     
    Des matinaux.– Le silence scandé par leurs pas n’en finit pas de me ramener à toi, vieille frangine humanité, impure et puante juste rafraîchie avant l’aube dans les éviers et les fontaines, tes matinales humeurs de massacre, ta rage silencieuse contre les cons de patrons et tes première vannes au zinc, tout ton allant courageux revenant comme à nos aïeux dans le bleu du froid des hivers plus long que de nos jours, tout ce trépignement des rues matinales me ramène à toi, vieux frère humain…
     
    Du fil des jours.– N’est-ce vraiment qu’une affaire de particules et de circuits électriques, te demandes-tu en remontant du souterrain où tu as passé la nuit, n’y aurait-il pas autre chose, te demandes-tu en te dirigeant vers les fenêtres encore aveugles, n’y a-t-il que ce tapage d’âmes mortes dans le silence des rues et des pages vides, n’y aura-t-il plus jamais que ces phénomènes et ces phénomènes, ou le jour va-t-il te surprendre une fois de plus et renouer le fil de ton souffle et de ton encre ?...
     
    Peinture: Thierry Vernet.

  • Se faire voir chez les Grecs...

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    Cette année-là, de Thessalonique à Athènes, pour y célébrer le souvenir de Jacques Chessex...

    Athènes, ce jeudi 17 mars 2011. – La crise grecque nous attendait ce matin de pied ferme, à Athènes, sous la forme d’interminables encombrements routiers provoqués par la grève des transports, et une autre surprise non moins fâcheuse m’a navré à l’ouverture de ma valoche, dans le cinq étoiles au beau design Black & White où mes chers hôtes du DFAE m’ont retenu une chambre donnant sur l’Acropole: à savoir que j’avais oublié dans l’armoire de l’Electra Palace de Salonique, les étincelantes chemises blanche et bleue que je me suis achetées à Amsterdam, tout spécialement, en sorte d’être présentable chez MM. Les ambassadeurs d’Athènes et de Bratislava, qui m’on prié tous deux à déjeuner sur carton imprimé aux armes du Pays. Du moins avais-je emporté, faute de cravate (j’ai plus encore horreur des cravates que des chemises blanches ou bleues), un seyant foulard griffé La Placette; et la veste « habillée » qu’a choisie ma bonne amie à Amsterdam, pour la même occasion, a complété l’illusion évidemment entamée par mes chaussures de marche Méphisto même pas lustrées…

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    Athènes, ce vendredi 18 mars. – Le jour se lève sur l’Acropole dont je vais visiter tout à l’heure le nouveau musée en compagnie de Sylvain Fachard, le jeune directeur de l’école d’archéologie suisse d’Athènes, charmant garçon dont tout le monde loue la compétence et que j’ai rencontré hier chez l’ambassadeur Amberg, à l’occasion d’une réception où je me suis tout de suite trouvé en phase avec Madame, découvrant la grande toile hodlérienne du salon de la résidence, faite de sa main et représentant, tout en bleu, le lac et la Savoie que nous avons sous les yeux à La Désirade !
    Autant que son ambassadeur de mari, grand diable barbu et très jovial dont on m’a parlé du cursus universitaire imposant qui l’a ouvert au monde slave, et qui a poussé la diplomatie jusqu'à trouver élégante ma tenue de patachon, Madame Amberg rompt complètement avec le genre de diplomates lisses ou coincés en présence desquels on se rase. Leur fille Lydia est d’ailleurs à l’avenant, qui étudie à Genève et peint elle aussi. Pour faire bon poids dans les coïncidences heureuses, le grand paysage bleu de Madame Amberg faisait face à une toile de Thierry Vernet datant du voyage avec Bouvier: peut-être pas encore du grand Vernet mais d’un climat dégageant bien le ton et la calorie balkaniques, dans une composition solide mais comme embuée - donc très Vernet.

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    En outre, j’ai découvert au passage un peintre serbe que je ne connaissais pas, un certain Zdravko Mandic dont le sfumato des aquarelles, à la limite du léché, m’ont cependant touché. Parmi les convives se trouvait donc également le jeune Sylvain Fachard, ancien élève de Chessex, qui m’a appris que l’affreux m’aura souvent cité devant ses classes, sans doute pour le pire (!), et une petite dame vive au casque de cheveux noirs étonnant, qui enseigne la littérature romande à l’université et porte le joli prénom de Ioanna. Elle m’a dit que c’est elle qui me présenterait à l’Institut et j’ai pensé que c’est à elle que j’offrirais le dernier exemplaire emporté de L’Enfant prodigue.

    Dans la foulée, le soir, ma conférence à l’Institut français s’est donnée dans les meilleures conditions, devant une salle d’une cinquantaine de personnes bien attentives et réceptives, et dont beaucoup m’ont témoigné leur vif contentement. J'espère que ce succès diplomatique sera rapporté à dame Calmy-Rey, qui a besoin ce sjours d'être encouragée.

    °°°
    View-of-Athens-from-Lycabet-940x360.jpgEn toute fin de soirée, l’indispensable Monsieur Péclard, type par excellence du Suisse de bonne volonté, m’a encore entraîné jusqu’au sommet du Mont Lycabet, dont nous avons gravi les dernières pentes en évoquant les figures diversement inspirées de notre politique nationale, qui n’ont pas de secret pour lui - je censure ici le détail pour ne pas lui attirer d’ennuis en sa fin de carrière...
    Or, un mot de Monsieur Péclard, m’a mis là-haut en joie quand, désignant les myriades de lumières de la ville, il m’a lancé d’un air complice: « J’aime mieux voir Athènes comme ça, la nuit : ça fait plus propre »…

    °°°

    Au fil de mes rencontres, et notamment en compagnie d’une jeune femme très vive et intéressante, prénommée Sophie et présente elle aussi au déjeuner de l’ambassadeur, j’ai entendu pas mal de choses sur la crise qui frappe actuellement la Grèce, où la responsabilité des élites notoirement corrompues, même à gauche, et la propension d’une partie des Grecs à vivre au-dessus de ses moyens, reviennent souvent dans la conversation.


    °°°
    Une scène m’a captivé ce matin, à l’étage panoramique du palace où se prend le petit déjeuner, quand s’y est pointé un Américain au visage de batracien froissé, style homme d’affaires trapu, que tout visiblement mettait en fureur. Il a commencé par invectiver la très accorte préposée à l’accueil, en désignant la fucking music de fond, très feutrée et lointaine à vrai dire, affirmant qu’il détestait ça, puis il s’est fait placer au fond de l’arrière-salle dont il a resurgi en continuant de pester sur le service, s’est ensuite rendu au buffet - absolument somptueux, voire pléthorique -, dont il est revenu en affirmant que c’était un very bad buffet, comme tout était bad dans ce fucking hotel, enfin je l’ai encore entendu vitupérer le pauvre serveur qui n’en pouvait plus d’encaisser ses fuck you en se retenant visiblement de lui envoyer la cafetière à la gueule, ce que j’eusse fait avec un plaisir certain.
    On ne se rappelle pas assez, à l’ordinaire, que de tels types existent, et c’est peut-être l’avantage, de temps à autre, de passer une nuit dans un hôtel de grand luxe, où se déploie la vilenie prétentieuse de ceux qui s’imaginent avoir tous les droits du seul fait de leur compte en banque.

    °°°
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    La visite du nouveau Musée de l’Acropole, signé Bernard Tschumi, m’a d’autant plus intéressé et même émerveillé, ce matin, que les explications de Sylvain Fachard y ajoutaient un véritable « récit », inscrit dans l’histoire, et une quantité d’observations détaillées extrêmement vivantes et pertinentes, liées autant aux objets qu’à la saga du lieu et de ses avatars, aux tribulations du temple (jusqu’à la fameuse affaire des frises du British) et à la nouvelle mise en valeur des chefs-d’œuvre dans l’espace magnifiquement spacieux et lumineux du musée.

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    La dernière fois que je me trouvais à Athènes, l’archéologue Charles Bonnet, auquel on doit la découverte de la cité nubienne de Kerma, m’avait déjà fasciné par sa « lecture » des ruines, et c’est le même gai savoir, érudit et fervent, que pratique son jeune et très brillant collègue. L’archéologue parle, et la ruine se relève en villa, en palais, en ville sous nos yeux ébahis…

  • Mémoire vive (54)

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    Thierry Vernet: "Votre société s'ingénie à rendre le désespoir attrayant". 

    °°°

    Venezia, alla Calcina, domenica 16 novembre. - Aux pluies cinglantes de la nuit secouée par le vent de mer, aux rafales fouettant les vitres de crachin salé, a succédé ce matin le parfait azur orangé se la jouant mine de rien, après la pluie le beau temps comme disait la Comtesse et tant pis pour le concert baroque d'hier soir à San Vidal auquel on a renoncé crainte de se faire arracher le pébroque par la folle tempête. 

     

     

    Folie de Venise: voilà ce que je n'ai cessé de me dire et de me répéter hier en me baladant à n'en plus finir d'un campo l'autre par les venelles écartées et les enfilades de fines ruelles en corniches le long des canaux de plus en plus étroits et, d'un pont l'autre, retrouvant ici la trouée de lumière du Grand Canal, faisant station à la Carità puis retrouvant sans moufter la meute de San Marco, et direct ensuite dans le dédale inverse de ce rêve éveillé aux couleurs doucement pourries, suavement fanées et n'en finissant pas de ne pas sombrer avec tout le reste, miracolo davvero, pazzo, pazzia, pazzamente n'ammorato.

    Ou plus exactement contre-folie, faudrait-il dire pour suivre - retour à la case Sollers -, l'un des thèmes développés dans Médium, d'une folie devenue ordinaire par contamination du n'importe quoi et de l'insignifiance, du plus banal et du plus vulgaire genre carnaval de tous les jours. Ce qui se dit en un mot: aliénation. Dostoïevski et Nietzsche l'avaient pressenti, et Witkiewicz le précise avant Orwell: que l'homme nouveau sera fou de ne l'être plus assez. À quoi s'oppose donc la douce folie à l'ancienne, ou plutôt alors contre-folie, de cette ville construite sur l'eau contre toute raison raisonnable, mais tenant déjà sa quinzaine de siècles à peu près entre incendies, inondations, pestes et pillages, comme partout. Venise comme nulle part, sérénissime mon oeil et c'est pourtant vrai: délire réalisé pour combien de temps va savoir, indéniable contre-folie en attendant. Anche si raccomanda la prima colazione à La Calcina, avec vue rasante sur les eaux encore furieuses...

    °°°

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    La toile de Thierry Vernet intitulée Au café Florian est elle aussi une figure de rêve éveillé. J'y étais hier, à côté d'un jeune couple de Russes. Sûrs sûrement de ne pas rêver: ils étaient à Venise et pourront le dire et le répéter à leur retour: qu'ils ont "fait" Venise. Mais on leur sourit autant qu'aux trente Chinois hilares se serrant dans la même gondole sans ôter rien de sa morgue apparente au gondolier se gondolant sûrement en douce - cazzi gialli... Notre ami le peintre était pourtant tout qu'un baroque en son élégie rêveuse. Or il y a place à Venise pour tous et pas seulement pour l'arrogant Casanova ou pour Monsieur Joyaux. 

    °°°     

    Philippe Sollers encore se la jouant judoka: "La folie est un poison que vous avalez à toute heure. Pour le combattre, il faut l'identifier,se couler en lui, s'immerger dans toutes ses ruses, ses sinuosités, ses charmes, ses séductions, ses morsures. Surtout ne jamais être contre. Du poison ? Encore ! De la bêtise, de l'ignorance, de l'entêtement, de la calomnie, du mauvais gout ? Encore ! Encore ! Pas de contre-poison efficace sans overdose de poison. C'est la nouvelle alchimie".

     

    Fellini l'avait compris avant Sollers: c'est par une sorte d'homéopathie souriante qu'on fera le mieux pièce à la connerie ambiante, qui est aussi en chacun de nous, la vulgarité en chaque concierge siégeant dans notre loge, la folie ordinaire et tout le toutim. Je reproche cependant à Sollers de se placer au-dessus de tous, au centre du monde, au pinacle de la France qui n'en finirait pas de donner le ton au monde, ce qu se discute même si la France (et sa langue) nous est chair. Mais l'écrivain se protège et il a raison, aussi. Et puis c'est un merveilleux passeur et un prosateur comme pas deux. À côté de la sienne, la prose grise du pauvre Régis Debray ne peut que répéter: que c'est triste Venise, et je laisse sa nostalgie des catacombes littéraires où elle mérite de croupir: aux Piombi jouxtant le pont des Soupirs...    

    °°° 

    Vernet6.JPGThierry Vernet: "Aux gens normaux le miracle est interdit". Ou ceci pour la route: "Ajouter ne serait-ce que sur 10cm2 un peu de beauté au monde, ce qui diminuera d'autant et probablement plus de sa laideur".       

     

  • Une passion partagée

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    Rencontre virtuelle de Fabien Clairefond et Alexandre Rosa

     A La Désirade, ce 29 avril. – Je ne sais de plus tonifiant événement qu’une rencontre, j’entends : la vraie rencontre prodigue de passions partagées, comme je la vis tous les jours avec Pascal Janovjak, que je n’ai jamais rencontré que par nos lettres ; et je me le répétais hier matin en découvrant les dessins et les peintures de Fabien Clairefond, grâce auquel j’ai découvert hier soir les dessins et les peintures d’Alexandre Rosa, son ami si j’ai bien compris. Je suis réellement fou de peinture, ou plus exactement disons que je l’ai dans la peau depuis l’âge de quatorze ans, d’abord par les murs d’Utrillo et les blancs de Cézanne, puis à travers Soutine et Bonnard, jusqu’à De Staël et Bacon. Mais il est bien rare que cette passion se nourrisse d’œuvres d’aujourd’hui, à part Lucian Freud et quelques autres dont Fabienne Verdier, ou plus encore  Joseph Czapski et Thierry Vernet, qui furent des amis. Or plus on va et moins je ne trouve à vibrer dans le fatras de ce qu’on appelle l’art contemporain, qui me semble pour majorité du recyclage ou de la décoration, tout une agitation conceptuelle et toute une gesticulation multimondaine ou multimondiale. Mais le silence de la peinture ? La vitesse de la peinture ? Le sexe plein d’âme de la peinture ? La pensée et le bond mystérieux de la peinture ? Eh bien je les ai retrouvés hier matin, en filigrane,  chez Fabien Clairefond qu’il m’a semblé reconnaître ou connaître depuis longtemps, dans le temps hors du temps de Dürer et de Corot, ou de Delacroix et de Cézanne, et hier soir chez Alexandre Rosa dont la peinture, couleurs et compositions, puissance organique et lyrisme flamboyant, m’a immédiatement saisi. Le plus étonnant étant finalement que je  ne connais l’un et l’autre, depuis hier, que par l’Internet, véhicule de toutes les abjections et de rares moment de grâce, comme celui de rencontrer virtuellement deux jeunes artistes selon mon goût…    

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    Pour plus d'infos sur Fabien Clairefond et Alexandre Rosa: http://dessins-peintures-fabien.over-blog.net/

    http://alexandre-rosa-dessins-peintures.over-blog.com/

    Peintures d'Alexandre Rosa: Alentours de Reims, huile sur toile, 33x46, 2007; Au Parc, huile sur bois, 50-60cm, 2007; Immeubles vers le canal Saint-Martin. Huile sur carton, 2003

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  • Eros Pictor

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    Du plaisir physique de la peinture

    Lorsque Josef Czapski m’a dit un jour qu’il bandait pour la couleur, avec une de ces élans juvéniles qui semblaient soulever tout à coup sa vieille carcasse de géant octogénaire repliée comme celle d’un grand oiseau en cage, dans la mansarde à plafond bas de l’Institut polonais, à Maisons-Laffitte, je l’ai pris comme un saillie, c’est le cas de dire, sans me douter alors (je ne peignais pas à cette époque) de ce que le rapport physique avec la peinture pouvait avoir effectivement de sensuel et d’excitant, notamment lorsqu’une forme émerge du chaos des couleurs, et surtout dans la pratique dionysiaque de celles-ci. De fait on n’imagine guère Monsieur Bonnard, debout devant sa toile en cravate, bandant pour la couleur, même si celle-ci est chez lui tous les jours à la fête. Mais Bonnard est un apollinien, comme Cézanne, même quand l'un caresse sa baigneuse à l'intime ou l'autre contemple ses baigneurs à la rivière.
    A l’opposé, qu’on imagine le plus souvent ivres et virtuellement à poil dans le bordel de leur atelier: Soutine et Bacon, dont les couleurs sont autant de décharges nous touchant «directement au système» nerveux, comme le notait justement Philippe Sollers à propos de Bacon. C’est alors le côté sauvage de la peinture, qui ne se résume souvent qu’à une touche ou à une échappée de liberté folle, comme chez Véronèse ou Delacroix la mèche rebelle dépassant sur le côté

    1ab429872c3095586c63f13426705ff0.jpgPeindre est un plaisir sans comparaison avec celui de l’écriture, mais ce n’est pas tant une affaire de bandaison que d’effusion dans le tourbillon des odeurs et des couleurs, de quoi surgit la forme. Paul Gadenne montre, dans Baleine, combien la forme créée est belle, émouvante et paradoxale, et d’autant plus belle, en opposant une partie encore intacte de la dépouille, ailerons et gouvernail, qu’elle nous apparaît au milieu du désordre de chairs retournant au chaos originel. J’avais vu cela en Grèce lorsque je lisais Kazantzakis, tombant soudain le long d’une plage de l’île d’Ios sur un chien ensablé, squelette à tête encore pelucheuse et aux yeux de verre éteint.
    Nietzsche a montré mieux que personne, je crois, cette oscillation entre dionysiaque et apollinien, qui ne se réduit pas au dualisme entre physique et spirituel, loin de là, mais renvoie au corps sans limites de certains Chinois et de tous ceux-là qui «bandent» pour Dieu - les femmes autant que les hommes, cela va de soi…
    a96a958ab40c73bed3145909f025f67c.jpg9d42e9e32e86b379be43684a03a8fa80.jpgPeintures: Thierry Vernet, Lucian Freud, Goya, Soutine.

  • Nie rozumiem...

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    Chemin faisant (159)

    Hérodote au check- in.- L'avantage des interminables files d'attente au Check-in, dans les aéroports polonais, c'est qu'on y peut lire Hérodote debout tranquillement, en avançant d'un pas à chaque quart d'heure. Enfin quand je dis Hérodote, c'est par MesVoyages avec Hérodote de Richard Kapusinski, puisque j'ai trouvé hier, au café-librairie Bona, ces premiers reportages du grand écrivain-voyageur polonais dont les débuts, en plein stalinisme sourcilleux, furent marqués par la lecture des écrits de l'ancêtre des étonnants voyageurs, et cela durant son premier reportage en Inde, pays dont il ne savait rien et qui l'obligea d'emblée à se coller à l'anglais...

    9782266173018.jpg...oni jednego slowa.- La seule façon d'entrer vraiment dans un pays inconnu, a constaté Kapusinski dès son premier voyage, est d'apprendre sa langue. Bien entendu, ce n'est pas un glossaire d'hindi ou d'ourdou qui lui à entrouvert la porte de l'Inde, mais un roman d'Hemingway trouvé dans son hôtel, qui le contraignit à s'initier à la langue du colon... Dans la foulée, on rappellera que son premier reportage à Bénarès date des mêmes années où Nicolas Bouvier et Thierry Vernet roulaient vers l'Orient à bord de leur Topolino.
    Quant à ma pratique de la langue polonaise, elle reste ce qu'elle était il y a un demi-siècle à la fin d'un premier voyage de Wroclaw à Cracovie, bornée à ce pauvre aveu: Nie rozumiem oni jednego slowa - Je ne comprends pas un seul mot...

    Humilité devant ce qui est. -La dernière image que je garderai de Czapski à mon départ de Cracovie est cette monumentale photographie de notre ami, sur la hauteur d'un immeuble de cinq étages, qui m'a semblé le symbolique hommage d'un pays à l'un des siens.
    Sur le Rynek, place emblématique du vieux Cracovie, un monument émouvant rappelle l'auto-immolation d'un homme, en 1981, qui s'élevait notamment contre le mensonge perpétué à propos de Katyn. Or Joseph Czapski aura été, durant son exil, l'artisan infatigable du rétablissement d'une vérité trop longtemps occultée.
    Dans l'avion du retour, entre Cracovie et Vienne, j'ai repris la lecture de L'œil, le recueil d'essais sur la peinture de Czapski, dont le première évoque les exercices de dessin "sans aucune délectation" qu'il s'imposait durant sa captivité au camp soviétique de Grazowiec, où il composa aussi ses conférences sur Proust. "Peut-on accéder jamais à la plénitude de l'art sans suivre jamais le sentier étroit de l'humilité absolue, de la vénération du monde capté par l'œil, dans ce travail où s'avèrent possibles le contrôle objectivable de l'exactitude de l'œil et de celle de la main"...

  • Le verbe en verve

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    Chemin faisant (128)

    Génie des noms. – Proust a évoqué mieux que personne la magie et la musique des noms de France noble ou populaire, et Paris en a été de tout temps, et en reste aujourd’hui, un prodigieux creuset.

    J’ai quitté ce matin la rue de la Grande Chaumière pour me retrouver à la Butte-aux-Cailles en remontant la rue des Cinq Diamants. Je ne sais ce qui m’a amené un jour dans ce quartier un peu décentré du XIIIe arrondissement cher à l'ami Pierre Gripari : peut-être ce seul nom détourné, sur l’enseigne d’un café récent, en Butte-aux-piafs, ou peut-être le désir de voir à quoi ressemblait la place Paul Verlaine, au milieu de laquelle un puits de l’eau la plus pure, tirée de plus de six cents mètres de profondeur, filtrée par les sables et réchauffée par les entrailles de la terre mère, désaltère et garantit, aujourd'hui encore, longue vie aux gens du quartier ?

    IMG_1898.jpgVannes de Gavroche. – Depuis les premiers graffitis rabelaisiens adornant les trop sorbonnicoles ou sorbonnagres murs du temple dela scholastique, relancés de générations en générations depuis Alcofribas Nasier jusque sur les barricades de la Commune et du Quartier latin en mai 68 où l’on crut bon de réaffirmer que « les murs ont la parole », le Gavroche parisien n’a cessé de réinventer l’art de la vanne ou du horion, du lazzi ou de la pique signifiant pis que pendre, et c’est avec certain ravissement que j’ai vérifié ces jours, dans ces quartiers point trop touchés par l’aplatissement et l’avachissement du luxe ou de la fonctionnalité bétonnée, entre le Montrouge de Robert Doisneau et le Ménilmontant de Carné et Prévert, moult inscriptions murales réjouissantes et autres saillies verbales ou graphiques.

    IMG_1907.jpgGouaille des murs. - Loin de moi l’intention de me la jouer Jack Lang en donnant trop de galon bourgeois à l’art du tag, qui n’en demande pas tant, mais le fait est que les murs parlent, et pas que dans les quartiers dits pittoresques; et j’ai gardé comme une relique la petite photo que m’a envoyée un jour mon ami Thierry Vernet, d’une inscription en grandes lettres sur un mur des hauts de Belleville : LES MURS DE BABYLONE NE NOUS FONT PLUS BANDER ; surtout m’a épaté, pour en revenir à la Butte-aux-Cailles, la foison de peintures punkoïdes d’une fantaisie brute qui se retrouve désormais un peu partout, de l’Italie de Ceronetti au Bronx de Basquiat, mais avec ce ton Titi propre à Paname...

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    Images: JLK

  • Ceux qui célèbrent la Création

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    Celui qui court à son atelier du hangar à bateaux dès sa sortie de prison /Celle qui loue le Seigneur pour le faciès de mule et le coeur d'or qu'Il lui a donnés / Ceux qui ont veillé sur l'immense toile du Jardin de Dieu pendant le séjour de l'Artiste aux frais de la Reine / Celui qui retrouve le fleuve du jour transmué en ruban d'or neuf carats juste sorti du four et sinuant sous le ciel de l'aube bleu prune à mouchets orange entre les cheminées d'usines riveraines / Celle qui a posé pour Eve dans le hangar à bateaux / Ceux qui ont théorisé le lien de filiation entre William Blake et l'Artiste du bord du fleuve / Celui qui n'a jamais cessé de peindre "de tête" durant son séjour à l'ombre / Celle qui au parloir a dit à l'Artiste que la pluie avait délavé le bleu de la jambe d'Adam / Ceux qui raffolent de l'art à proportion de leur très jeune âge / Celui qui a pensé à un rouge de pompe à essence américaine pour contraster avec l'ocre de la chair d'Eve / Bonnard.jpgCelle qui a donné à l'Artiste l'idée des immortelles aux têtes de petites nonnes à tiges noires / Ceux qui chapardent des couleurs à la sortie de l'école pour aider leur ami l'Artiste / Celui qui craque une allmettes dans la semi-obscurité de son atelier retrouvé afin de voir si ce qu'il a peint avant la prison  découle d'une intuition authentique de l'universel Bienfait ou d'unéchantillon de pornographie tombant sous le coup de la loi / Celle qui a dit à l'Artiste que la superbe du paon figurait la splendeur de Dieu / Ceux qui estiment que la luxure du bouc illustre la largesse de Dieu / Celui qui a vérifié en prison que la sérénité du lion mimait la sagessede Dieu / Celle qui se flatte de ce que la nudité de la femme incarne l'oeuvre de Dieu / Ceux qui savent que Renoir n'a rien fait de mieux que ses femmes rousses peintes avec ses pinceaux attachés par des courroies de force à ses poignets / Celui qui dira aussi la nudité des arbres et l'immobilité pensive des nuages / Celle qui voit en rêve une nuit de Constable où flottent des nuages très blancs sur fond de ciel très bleu / Ceux qui voient la Création renaître autour d'eux et en eux / Celui qui va revoir Le Bain à la Tate Gallery pour un détail de droit divin / Celle qui refuse de jeter l'eau du monde avec son bloody baby / Vernet11.JPGCeux qui recréent le monde en brassant couleurs et eaux-de-vie / Celui qui pense que l'art chassé dans les impasses reviendra par les impostes / Celle qui reproche àla peinture abstraite d'être trop concrète et à la musique concrète d'être trop abstraite / Ceux qui retournent en prison les yeux pleins du Jour, etc.

     

    Peintures: William Blake, Pierre Bonnard, Thierry Vernet.      

  • Pâques du cœur

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    De ce dimanche. – Pour nous, les enfants, Pâques, c’était le dimanche des dimanches - un dimanche vraiment plus dimanche que les autres où le ciel était plein de cloches et le jardin plein d’œufs que le Lapin avait peinturlurés et planqués Dieu sait où - donc deux jours après la Croix, le Lapin : tu avoueras que ce n'est qu’un dimanche que ça peut se passer, et ça nous réjouissait plutôt, les enfants, qu’il y ait un dimanche comme ça qui ressuscite chaque année…

    De la foi. – Notre ami le théologien me dit qu’il n’y croit pas vraiment : que son intelligence l’en empêche, puis il me dit : toi non plus tu n’y crois pas, rassure-moi, aussi lui dis-je : non mon ami, je ne vais pas te rassurer, je ne sais pas si je crois, je sais de moins en moins ce que c’est que croire au sens où tu crois que tu ne crois pas, mais surtout (et cela je ne le lui dis pas) je ne sais comment je pourrais l’expliquer à quelqu’un que son intelligence empêche de comprendre rien…

    De la charité . – Vous connaissez le mendigot du Sacré-Cœur : il sort de chez ce pouilleux d’abbé Zundel qui le régale déjà plus qu’il n’en faut, et le voilà qui nous lance à la sortie de l’office, son : Christ est vraiment ressuscité ! que moi ça me fait honte, mais j’ai beau savoir qu’il ira les boire ce soir, je lui donne quand même ses cent sous - ce n’est quand même pas tous les jours Pâques…

    De l’espérance. – Tu me dis, toi le désespéré, que mes pleurs sont inutiles, et tout est inutile alors, toute pensée comme l’aile d’un chant, tout esquisse d’un geste inutilement bon, toute ébauche d’un sourire inutilement offert, ne donnons plus rien, ne pleurons plus, soyons lucides, soyons froids, soyons utiles comme le couteau du bourreau.

    De la beauté. – Il n’y a pas une place pour la beauté : toute la place est pour la beauté, du premier regard de l’enfance aux paupières retombées à jamais, et la beauté survit, de l’aube et de l’arbre et des autres et des étoiles de mémoire, et c’est un don sans fin qui te fait survivre et te survit…

    De la bonté. – Il n’y a pas une place pour la bonté : toute la place est pour la bonté qui te délivre de ton méchant moi, et ce n’est pas pour te flatter, car tu n’es pas bon, tu n’es un peu bon parfois que par imitation et délimitation, ayant enfin constaté qu’il fait bon être bon…

    De la vérité. – Il n’y a pas une place pour la vérité : toute la place est pour la vérité qui t’apparaît ce matin chiffrée comme un rébus – mon premier étant qu’elle me manque sans que je ne sache rien d’elle, mon second qu’elle est le lieu de cette inconnaissance où tout m’est donné pour m’approcher d’elle, et mon tout qu’elle est cette éternelle question à quoi se résume notre vie mystérieuse est belle.

    Peinture. Thierry Vernet.