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lettres de voyage

  • Ciao da Roma (3)

     

     

     Angelico2.jpg

    À Philip Seelen

     

    Dans les jardins du Capitole, ce 21 mai 2009

     

    Cher toi,

     

    C’est un lieu commun que de constater qu’une ville-monde comme Rome contient tout et son contraire, et c’en est un autre que de révéler les effets délétères du tourisme de masse, mais nous n’en étions pas moins enragés et même un peu tristes, hier soir, de retrouver le quartier du Trastevere, naguère si vivant et si telluriquement populaire, bonnement envahi par la cohorte sempiternelle avide de succédanés de pittoresque dont nous avons eu, le temps d’un repas médiocre et mal servi, le meilleur exemple des ravages, à commencer par une suite de rengaines napolitaines littéralement exécutées par un grand flandrin sans voix et sans trace de finesse dans ses resucées, mais accueilli comme LE chanteur typique par les tablées de Bavarois et de Batavois reprenant l’inévitable O Sole mio comme la pire chanson à boire. Tu sais assez que nous ne sommes pas, L. et moi, gens à cracher sur les plaisirs de notre aimable prochain, mais certaine grossièreté intempestive, en certains lieux dont on a connu la qualité de vie, ne peut que déprimer ceux qui restent attachés à celle-ci même sous les formes les plus débonnaires. Autant dire qu’après avoir réglé notre conto (excessif comme tu l’imagines) nous nous sommes trissés vite fait jusqu’aux alentours de la Piazza Navona où nous avons évoqué notre première escale de la soirée au Nuovo Sacher, le cinéma mythique de Nanni Moretti qui ressemble plus que jamais à un cinéma de quartier…

    Cela étant, loin de moi l’idée d’exalter notre «bon temps » de jeunes rebelles (tu l’as été bien plus que moi au sens de la militance) alors que, tout au contraire, complètement revivifié par ce que nous venons de voir aux musées capitolins, mon élan de l’instant me porte à célébrer ce qui de l’Art échappe complètement au Temps.

    Tout à coup tu passes un seuil et te retrouves dans la fraîcheur sans âge de telle statue de Vénus ou de tel torse d'un Dionysos endormi, tout autour de toi n’est plus que sublimation par une beauté qui a traversé les siècles, tout semble comme retourné par la lumière émanant du marbre et des formes, loin des mornes amoncèlements des musées ordinaires. Car cela aussi nous a enchantés en l’occurrence : de n’avoir ni réservations à faire ni longue attente à endurer, puis de découvrir la partie nouvelle réservée aux antiques dans de belles salles claaires et clirement documentées (autour de la statue équestre de Marc-Aurèle), sans nous douter du tout, faute de publicité tapageuse, qu’une admirable exposition nous attendait également en ces murs, toute consacrée à Fra Angelico.

    Angelico3.jpgOr il m’est difficile, à vrai dire, d'exprimer le bonheur profond, que j’aurais pu prolonger des heures, et largement partagé par ma abonne amie, de retrouver ce peintre de la pure transfiguration spirituelle, qui allie sapience et simplicité à l’aube de la Renaissance et scelle le meilleur savoir et la meilleure pensée du Moyen Âge tout en multipliant, en artiste radieux, les échappées vers le primitif et vers le tout moderne – sans le chercher évidemment.

    Il y a chez Angelico de la sainteté paysanne à malice profonde (ses détails sont souvent aussi touchants par leur verve familière ou cocasse que le Motif religieux) et de l’émotion perceptible ici de manière beaucoup plus évidente que devant ses chefs-d’œuvre vus et revus. Le coloriste nous lave une fois de plus le regard, et la musique de sa peinture me touche infiniment, qui nous ramène évidemment à Bach plus qu’à quiconque – mais jamais je n’arriverai à parler de Bach. Bref on est ici dans la pure peinture, comme on est avec Bach dans la pure musique.

    Angelico4.jpgEnfin, entre Giotto et Piero, avant la psychologie et les pâmoisons, avant aussi la dilution progressive du spirituel dans l’Art, on est ici dans un équilibre entre rigueur absolue et plasticité déliée, qui tend la contemplation – cela ressenti au cœur de Rome aussi bien que dans les déserts de Fiesole et autres hauts lieux de Toscne ou d'Ombrie...

     

    Mais allez, je t’embrasse, tandis que la touffeur nous embrase...

    Baci

    Jls  

     

  • Ciao da Roma (2)

    Pincio.jpgLettres à Pascal Janovjak (2)

    Lungotevere, ce 20 mai, tard dans la matinée.

    Caro,

    Nous étions d'humeur un peu nonchalante ce matin, après le rite du cappuccio et des dolci, et notre tendance à prendre la tangente nous a tranquillement amenés le long du Tibre aux eaux trainantes, juste à l'aplomb du donjon rouge sang du Chateau Saint-Ange d'ou se jette la pauvre Tosca, mais c'est une chute moins fatale que je me suis rappelé en avisant les eaux basses, dans Le Sheik blanc de Fellini, lorsque la jeune mariée, clandestinement dévoyée par le perfide Sarrasin qu'incarne Alberto Sordi, qui vient d'abuser une dernière fois de sa candeur sans la violer tout à fait, se jette en soupirant dans le fleuve sans se douter qu'un innocent enfant y aurait pied - et la voilà pataugeant misérablement comme l'oiseau mazouté du poète...

     Rome est évidemment la ville de Fellini plus que de quiconque, meme s'il s'y trouve des visions de Chirico dans les rues désertes de l'aube et meme si les fugues pétaradantes de Nanni Moretti, dans Caro Diario, nous en révèlent de multiples autres aspects, entre hauteurs prolétaires des ucellaci de Pasolini, terrains vagues et chantiers de ville ouverte rappelant aussi tel Drame de la jalousie ou telle Journée particulière de Scola...

    A midi nous avons traversé la place Saint-Pierre dont je ne saurais te dire quoi que ce soit, tant son architecture de Siège administratif brise tout élan  qu'achèvent de décourager, là-bas, les files et les queues de visiteuses et visiteurs munis chacun de son ticket réglementaire de prélocation qui lui permettra de vérifier que tel ensemble de colonnes cyclopéennes évoquant quelque temple hindou se trouve toujours là, que la Vierge du Bernin s'extasie toujours de la manière décrite par le Guide et que le nouveau plafond japonais de la Sixtine réalise bel et bien la matière laquée et les couleurs glacées de la cuisine nipponne la plus avancée.

    Or nous avions, philistins que nous sommes, déjà passé notre chemin, de métro en Pincio sur les hauteurs duquel nous avons retrouvé Rome à nos pieds.

    Dans les allées des jardins de la Villa Borghese, nous nous sommes arretés longtemps à regarder les ombres s'allonger. L. lisait Le dorate stanze de Luisa Adorno, je songeais aux chambres dorées de nos convalescences enfantines, et tous ceux qui allaient et venaient sous les arbres semblaient eux aussi se rappeler la lumière des chambres du passé tandis que déclinait le jour sur la ville retrouvant la fraicheur de quelle matinée éternelle...

    (Segue)       

  • Ciao da Roma

    Bruno2.jpg

    Lettres à Pascal Janovjak (1)

    Rome, le 19 mai 2009.

    Caro amico mio,

    Ti scrivo stasera dal Campo de Fiori, sotto lo sguardo scuro del Bruno... Nous sommes ici aussi loin de la Désirade que de Ramallah, au coeur tendre de la ville dure que je percois pour la première fois, et physiquement pourrais-je dire, comme le centre du monde ou disons: comme le centre d'un monde de dieux finis quoique non finis à vues humaines, comme n'importe qui en ce lieu peut se sentir fini et infini, à commencer par le couple mythique de l'Eden publicitaire qui nous a accueillis hier à Roma Termini, sur les affiches géantes de l'Emporio Armani, l'Eve et l'Adam des temps apocalyptiques en les personnes de Victoria et David Beckham.David Beckham.jpg

    Juste en face de moi, au-dessus de la sombre statue de Giordano Bruno, une immense publicité reconstitue la célébrissime architecture du Colisée par le truchement de states superposées de cannettes vert doré à la gloire d'une firme multinationale sponsorisant la finale de la Coupe des Champions de la semaine prochaine, dont il est à prévoir que le fin de la nuit marquera la dévastation de la place, rituellement livrée aux jeunes casseurs à ce que disent les journaux.Colosseo.jpg

    La violence est d'ailleurs partie intégrante de la Ville, dont le roulement puissant de fleuve motorisé, traversé à tout moment de sirènes stridentes, se trouve cependant bordé de petites rues quiètes et de petites places protégées qu'on dirait des iles; et d'ailleurs je te reparlerai des Iles de Rome qu'a évoquées Marco Lodoli dans un livre que nous avons emporté dans nos bagages et retrouvé tout à l'heure en version originale à la Librairie Fahrenheit 451 qui se trouve à quelques pas d'ou je t'écris, ouverte jusqu'à minuit.    

    A la violence sont évidemment liées, à Rome, les instances trépidantes du mouvement et de la vitesse, mais Rome est aussi ville de trones, et comme je t'écris à l'instant, tronant sur mon siège curule de plastique vert jouxtant le siège curule de plastique vert de l'impératrices de mon coeur en train de siffler son troisième limoncello, le Temps lui-meme semble troner à l'écart des heures dans la bonne rumeur des gens, et voilà pour ce soir. Or il me plait de conclure cette première lettre au pied de la statue du grand hérétique tandis qu'un éphèbe à longs cheveux blonds et guitare, autour duquel un cercle bienveillant s'élargit d eplus en plus, nous rappelle notre bon jeune temps...

    (Segue)