UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La Maison Cinéma - Page 4

  • Les pèlerins du blues



    The soul of a man de Wim Wenders
    « Le blues et une musique qui parle à chacun, affirme Martin Scorsese. Son émotion, sa puissance et son rythme sont universels. » Or l'amour du blues, précisément, a poussé le fameux réalisateur à concevoir une collection de films où sept cinéastes passionnés de cette musique, lui compris, célèbrent celle-ci, chacun selon sa sensibilité.
    Premier de la série à être présenté ,le film de Wim Wenders, intitulé The soul of a man (L'âme d'un homme), est un voyage à travers le temps où l'âme du blues revit d'une génération à l'autre et au fil de voix plus belles les unes que les autres, propulsées à travers l'espace comme une poussière d'étoiles.
    La métaphore kitsch n'est pas gratuite, puisque le vaisseau spatial Voyager, lancé en 1997, transporte en effet un enregistrement de la voix du chanteur aveugle Blind Willie Johnson (auteur notamment de The soul of a man), qui va ressusciter ici deux légendes du blues dont les compositions n'ont cessé d'être reprises depuis les sixties, à savoir Skip James, étonnante figure des années 30 longtemps oublié et redécouvert à Newport en 1964, et J. B. Lenoir, autre créateur mythique dont l'art a culminé à l'époque de Martin Luther King et de la guerre au Vietnam, ensuite revisité par nombre de contemporains.
    Plus qu'un documentaire riche en images d'archives, The soul of a man constitue un poème musical, cinématographique et « historique » entremêlant les époques et les voix avec une élégance formelle qui ne vire jamais à l'esthétisme ou aux effets aguicheurs genre clip. Figure émouvante de l'époque de la Dépression, Skip James revit ici lors de son premier enregistrement de 1931, qui ne lui vaudra pas un dollar de droit (la Paramount Records déposant bientôt son bilan), mais Wenders en cite simultanément toutes les reprises ultérieures, de Bonnie Raitt à Bek ou de Lucinda Williams à Lou Reed, notamment ; et de rappeler aussi que c'est le succès du groupe Cream qui permettra au vieux Skip cancéreux de se faire opérer et de survivre quelques années encore ...
    Dans la foulée, c'est sur la piste de John Mayall chantant la mort de J. B. Lenoir que Wenders remonte, grâce au travail documentaire oublié d'un adorable couple de babas suédois, à la source pure de cet autre inspiré du blues, auteur, entre autres, de Down in Mississippi (que reprennent ici Los Lobos) ou de Vietnam blues, dont Cassandra Wilson module une version vibrante. Plus d'âge, ni de race qui séparent, mais de belles voix, de belles images et de belles gens qui conjurent la mocheté des temps qui courent. A vérifier sur le DVD…

  • Au bon jeune temps

    Nos meilleures années, c'est tous les jours ...


    Une belle chanson récente de Charlebois, C'était une très bonne année, rend le même son de nostalgie radieuse qu'un film qui a fait son chemin de bouche à oreille, sans casting d'enfer ni plus d'effets spéciaux que de pub, intitulé Nos meilleures années (La meglio gioventù) et retraçant la chronique des trois dernières décennies vécues par une famille italienne qu'on pourrait dire bonnement une famille humaine.
    Charlebois alignera soixante balais, cette année, dans le grand beau placard de sa vie de « doux sauvage », et sa chanson nous raconte que l'année de ses 20 ans fut bien bonne, mais que celles de ses 30 et de ses 40 ans ne le furent pas moins, et c'est le même sentiment qui se dégage finalement des six heures de bonheur souvent poigné par l'émotion — car rien n'y est omis des douleurs de la vie — que nous fait vivre le film tendre, généreux et plus profond qu'il n'y paraît sous ses dehors de saga télégénique, de Marco Tullio Girardi.
    Ce qui y épate surtout, c'est que pas un instant l'esprit « ancien combattant » si répandu dans la génération soixante-huitarde ne sévit dans cette fresque également dénuée de toute idéologie réductrice. Le parti pris « humaniste » de Girardi, qui s'en tient essentiellement aux retombées personnelles des événements de ces trente ans écoulés, en fait-il pour autant un film apolitique ou même « de droite »? Telle n'est pas du tout non  impression, sans qu’on puisse dire pour autant que Nos meilleures années est un film « de gauche ». Mais comment ne pas voir, par ailleurs, que ce film échappe à la fois au cynisme et au désabusement, et que ses positions fondamentales participent d'un esprit critique lucide et généreux ?
    L'opinion prévaut toujours, pour certains, qu'une œuvre ne peut être dite « engagée » sans dénoncer ceci ou cela et sans se rapporter à telle ou telle position explicite. Tchekhov fut sans doute, à son époque, l'un des peintres les plus radicaux de la misère russe, mais ses admirateurs « de gauche » ne cessèrent de lui reprocher de ne pas se rallier à tel ou tel parti et de ne pas dénoncer plus clairement le mal. Or le bon toubib répondait simplement qu'un écrivain qui peint des voleurs de chevaux n'a pas besoin de dire, s'il a bien fait son travail, qu'il est mal de voler des chevaux. Et les récits de Tchekhov continuent de nous toucher et de nous « changer », alors que les discours des idéologues restent plus que jamais lettre morte.
    Il est cependant un parti pris, dans Nos meilleures années, qui consiste à célébrer la beauté des choses et des gens. Cela ne se répète pas tous les jours dans les journaux et moins encore dans les téléjournaux, et pourtant c'est le dernier mot du film et cela en résume l'orientation et la « lumière ».
    Pour autant, et une fois encore, ce film ne dore pas la pilule. De l'horreur vécue dans certains établissements psychiatriques, à la fin des années soixante, à la terreur mafieuse culminant avec l'assassinat du juge Falcone en passant par les Brigades rouges, le chômage, la drogue et la détresse existentielle aboutissant parfois au suicide, il évoque aussi la face sombre de notre condition. Pourtant, c'est essentiellement un film d'amour que Nos meilleures années, dont tous les personnages, issus de quatre générations, inspirent le même attachement et la même confiance. Le « message » qu'on pourrait en dégager, qui n'a rien d'explicitement politique ou religieux (alors même qu'il s'inscrit dans la communauté vivante et questionne le sens et les fins de notre vie), se résume à ce que vous en direz à ceux que vous aimez et aux autres. Allez voir ce film et parlez-en à vos mômes et à vos vieux. Ce sera comme de parler de nos années bonnes qui parfois le furent un peu moins: de notre « meglio gioventù », de notre jeunesse qui fout le camp et reverdit tous les matins…

  • Un regard décapant



    Sur le Garçon stupide de Lionel Baier

    Après le succès du Génie helvétique de Jean-Stéphane Bron, Lionel Baier créé la sensation avec un premier long métrage flamboyant, Garçon stupide. Brossant le portrait de Loïc, garçon de 20 ans travaillant en usine, draguant sur internet et se shootant littéralement au sexe homo sans être même sûr d'être gay, puis évoluant d'une prise de conscience à l'autre au fil de vraies rencontres, le réalisateur prend le parti, sans aucun préjugé, de montrer ce qui est, comme c'est, sans plaider ni juger. Nul doute que certains en seront choqués. Le jeune comédien qui incarne Loïc, sans partager ses penchants sexuels, aurait pu se rebiffer le premier. Au lieu de cela: Pierre Chatagny a pleinement joué ce jeu qui consiste à se mettre dans la peau de ce jeune type assez emblématique de notre temps, fils de parents inexistants, et fuyant dans la jouissance mécanique.

    — Lionel Baier, quel est le thème de Garçon stupide ?

    — Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas un film sur l'homosexualité ! Ce que nous voulions raconter, avec mon coscénariste Laurent Guido, c'est l'histoire d'un jeune homme d'aujourd'hui qui passe de l'état de spectateurconsommateur au statut d'acteur empoignant sa propre vie. Au commencement, Loïc est un garçon qu'on regarde et qui se perçoit passivement à travers ce regard. Puis il aspire à autre chose, notamment à travers la photo qu'il pratique d'abord de la manière la plus rudimentaire, avec son téléphone portable ... avant de se procurer un matériel plus adéquat qui lui permettra de faire des images des manifs du G8.

    — Pourquoi recourir à un comédien non professionnel ?

    — Cela s'est fait un peu malgré moi, après que j'eus déclaré dans une interview, au moment de la sortie de La parade, que je pensais tourner avec des non-professionnels. Du coup les offres ont afflué, et c'est ainsi que j'ai rencontré Pierre Chatagny. C'était un garçon complètement hors milieu artistique, attaché à sa Gruyère natale et travaillant dans une fabrique de chocolat. Mais il rêvait de cinéma, et il a tellement insisté que j'ai fait des essais qui m'ont fait découvrir que son visage est de ceux qui « prennent » bien la lumière et passent donc le mieux à l'image. Par ailleurs, il y avait chez lui un mélange de naïveté et de maturité qui m'intéressait beaucoup, alors qu'il sortait juste de l'adolescence.

    — Jouer le rôle de Loïc ne l'at-il pas inquiété ?

    — Pierre a pris la chose avec la distance d'un vrai professionnel, et c'est d'autant plus remarquable qu'il ne savait pas trop où je le menais. A certains moments, il a même dû se demander s'il y aurait un film au bout ... Nous avons énormément tourné. Comme souvent avec les amateurs, le très bon peut alterner à tout moment avec du très mauvais. C'est dire aussi l'importance du travail du montage, auquel j'ai participé de très près avec Christine Hoffet.

    — Le footballeur Rui Pedro Alves est lui aussi un amateur, contrairement à Natacha Koutchoumov. Comment celle-ci at-elle été associée à l'aventure ?

    — J'avais rencontré Natacha Koutchoumov sur un tournage, et j'aime beaucoup cette comédienne française, qui a un mélange de force et de grâce évoquant à la fois Bernadette Laffont et Jean Seberg. Le travail avec elle a été tout différent, dans la mesure où elle connaissait le détail du scénario et participait très activement à nos discussions. Son rôle est celui d'une espèce de grande sœur ou d'amie, qui aidera le mieux Loïc en faisant valoir son droit « égoïste » à mener sa vie à elle. Quant au footballeur du FC Bulle, qui incarne le personnage que Loïc admire, en se figurant que c'est une star, il amène lui aussi un contrepoint intéressant.

    — Votre film repose sur un budget modeste de 430 000 francs. Regrettez-vous de n'avoir pas disposé de moyens plus importants ?

    — Je n'aurais pas voulu un spot de plus ! Mais il va de soi que je parle de ce film et que je n'en fais pas une règle valable pour d'autres. Je m'efforce de casser toute la chaîne ordinaire de réalisation, qui suppose de grandes équipes. Psychologiquement, je ne me sens guère porté vers celles-ci et les problèmes qu'elles représentent. Je crains beaucoup les conflits et préfère travailler avec des gens que j'aime. En outre, comme mes amis Ursula Meier et Jean-Stéphane Bron, je travaille avec une caméra hyperlégère. Pour un film comme Garçon stupide, cela permet une mobilité et une intimité parfaitement appropriées ...

    Une écriture d'aujourd'hui


    L'écriture de Garçon stupide, premier long métrage de Lionel Baier, est immédiatement personnelle et originale, tant par sa rapidité de narration que par son lyrisme et son intelligence cinématographique dégagée de tout intellectualisme, comme on aura pu le dire de celle d'un Daniel Schmid à la découverte de Heute Nacht oder nie.
    « Ecrivain » de cinéma jusqu'au bout des ongles, Lionel Baier construit son histoire en procédant à une espèce de collage « simultanéiste » en phase immédiate avec les types actuels de communication. De même qu'on peut mener trois conversations en même temps tout en zappant parmi ses souvenirs ou en regardant par la fenêtre, le cinéaste-narrateur (dont le visage n'apparaît qu'à la toute fin) zigzague entre présent et passé pour constituer les portraits très contrastés de Loïc et de son amie Marie, au fil d'une relation qui est la vraie clef de voûte du film.
    Revisitant nos paysages (entre Lausanne by night et Bulle de jour ...) trop souvent aplatis par les clichés avec une sorte de bonheur « épique », aussi naturel dans telle scène « tout sexe » que dans l'approche en douceur et en profondeur des êtres, le jeune réalisateur maîtrise admirablement, en outre, l'art très difficile du dialogue, si souvent pataud en nos contrées, ou trop théâtral ou trop « littéraire ». Fourmillant d'observations dures ou douces sur le monde qui nous entoure et les gens qui s'y cherchent, Garçon stupide, dont il serait précisément stupide de parler déjà comme d'un chef-d'œuvre, annonce sans doute l'apparition d'un créateur d'exception.

  • Solitudes du grand âge




    Que sera ?, un très beau film de Dieter Fahrer

    Comment vit-on dans un EMS ? Qu’y reste-t-il de la vie individuelle des pensionnaires ? Comment passent-ils leurs longues journées ? L’amour ou la sexualité y ont-ils encore la moindre place ? Comment l’approche de la mort est-elle vécue ? A ces questions, entres autres, Dieter Fahrer répond après avoir partagé, des mois durant, la vie des résidents de l'institution du Schönegg, à Berne, avec lesquels cohabitent les petits enfants d’une garderie.

    Ceci nous concerne tous. Soit du fait que certains de nos proches le vivent. Soit parce que cela peut nous arriver un jour. Pour la raison, aussi, que le sort des anciens, dans une société dite civilisée, ne peut être traité à la légère. Il est vrai que le « système », obsédé par la productivité, tend naturellement à évacuer le problème. Vrai aussi que beaucoup d’entre nous préfèrent ne pas savoir…

    Dieter Fahrer, lui, a voulu savoir, même s’il pensait d’abord faire un film sur… les arbres.

    « J’avais besoin de rompre avec le temps qui n’a pas le temps », explique le réalisateur bernois qui a beaucoup payé de sa personne, ces dernières années, entre de multiples productions-collaborations (notamment avec Daniel Schmid et sur la réalisation de Step on the border) et une très lourde épreuve existentielle surmontée grâce à sa petite fille, dont il a tiré le superbe poème-exorcisme Jour de nuit, son premier long métrage d’auteur.
    « Dans une forêt proche de Berne, où se tiennent des classes en plein air, une enseignante m’a parlé de Schönegg, cette institution dans laquelle de très vieilles personnes partagent la vie des enfants d’une garderie. Je m’y suis donc rendu, et là ce fut un choc. J’ai plongé dans un monde voué à l’attente, à la fois effrayant et tout aussi attachant par la qualité des individus que j’y ai rencontrés. J’y suis revenu maintes fois et j’ai compris que là se trouvait le sujet de mon film. Pourtant il m’était impossible de rester un voyeur de passage, ce que les soignants de Schönegg ont compris, qui m’ont alors invité à travailler avec eux. C’est ainsi que s’est scellée une relation de confiance avec les résidents».

    Or à cela tient, à l’évidence, l’exceptionnelle qualité des observations de Que sera ?qui nous fait entrer, parfois de manière très intime, dans la vie quotidienne d’une brochette de vieillards aux destinées diverses et représentatives. La plus âgée, Klara Mischler, s’éteindra en cours de tournage, au désarroi poignant de son fils unique. La plus ouverte aux autres, Hélène Fischer, francophone de Saint-Ursanne qui a beaucoup voyagé et reste très lucide, exprime bien la souffrance d’être arraché à son chez-soi, alors même que les siens « liquident » le restant de ses biens. Ou c’est Lydia Baumann, probable ancienne beauté qui reste coquette et parle très franchement de son regret de ne plus faire l’amour.

    « C’est le grand tabou qui subsiste toujours », relève Dieter Fahrer, évoquant le désir persistant et le besoin de plaisir qui s’assouvissent tant bien que mal, à la sauvette. Et de relever en souriant la probable dernière aventure vécue par la jolie Madame Baumann et Monsieur Zürcher, dont les troubles de motricité pourraient faire croire qu’il na plus sa lucidité alors qu’il reste très présent au contraire.

    Ou bien c’est l’impayable Claire Suter, un peu égarée par l’alzheimer mais qui garde toute sa vivacité mordante, évoquant une chipie de Beckett quand elle s’exclame tout à coup devant la neige qui tombe : « L’hiver c’est l’hiver ».

    Enfin voici Nelly Bloch, l’intellectuelle revenue des Etats-Unis et visiblement « casée » contre son gré par sa fille, fumant ses clopes et lisant pour oublier un entourage avec lequel elle ne peut rien partager. «Je tenais à ce qu’on sente qu’il y a une histoire, une vie derrière chacun de ces personnages, dont beaucoup m’ont dit souffrir d’en être privé justement, du fait de la promiscuité et de la dépendance», précise encore Dieter Fahrer.

    Avec autant de franchise que de délicatesse, n’hésitant pas à montrer tel vieux corps à la toilette, tout aussi beau sous son regard qu’une chair juvénile, et faisant ressentir le poids de l’attente et de l’ennui, le réalisateur en dit beaucoup par l’image (avec des cadrages qui sont autant de points de vue intelligents et sensibles) et le son direct, sans jamais expliquer. Nul besoin de commenter, non plus, l’importance de la rencontre entre enfants et vieilles personnes : toutes les scènes, de jeux ou de fêtes partagées, illustrent ainsi l’enrichissement que représente une telle pratique, à l’opposé des « animations » trop souvent débilitantes, que Dieter Fahrer a d’ailleurs préféré ne pas montrer, exception faite du concert ringard au pianola durant lequel la compagnie du Schönegg reprend en choeur grelottant la fameuse « scie » de Que sera ?

    A voir cet automne sur ARTE



  • Le mystère des pharaons noirs



    Une espèce de magie se dégage du beau film inspiré, au cinéaste Stéphane Goël et à la journaliste Sylvie Rossel, par la découverte fabuleuse qui a couronné, en janvier 2003, la fin de carrière de l’archéologue-vigneron genevois Charles Bonnet : les sept statues de pharaons noirs datant du VIIIe siècle avant Jésus-Christ et attestant le règne des Nubiens sur l’Egypte et le Soudan.

    Merveilleux cadeau pour un passionné d’archéologie qui, depuis 35 ans, poursuit des fouilles au Soudan, plus précisément sur le site de Kerma (à 500km de Khartoum) tout en continuant, le reste de l’année, de philosopher placidement au milieu de ses vignes de Satigny.

    « L’archéologie m’a fasciné dès mon enfance, par ce qu’elle recèle à la fois de mystère et d’aventure », explique le cinéaste lausannois Stéphane Goël, du groupe Climage, qui a découvert le personnage de Charles Bonnet par le truchement d’une série de grands entretiens télévisés réalisés par Sylvie Rossel. Après une première rencontre à Genève, la découverte des pharaons noirs de Nubie, en 2003, l’a décidé à réaliser un film « autour » de Charles Bonnet.

    Tourné en vingt jours pour la TSR et L’aventure humaine de la chaîne ARTE, ce film est beaucoup plus qu’un reportage TV vite-fait : une plongée dans une autre dimension du temps, où quelques humains (l’équipe de Charles Bonnet et leurs collaborateurs locaux) partagent une passion quelque peu paradoxale dans un pays sous dictature, qu’on ne manque d’évoquer au passage. Il est vrai que la région est préservée, et l’on remarquera la fierté que montrent les indigènes par rapport à leur passé.

    « C’est la plus belle expérience de tournage que j’aie faite », remarque encore Stéphane Goël qui a tout filmé in vivo en complicité avec le cameraman Camille Cottagnoud, dont la présence ne semble jamais peser. Ainsi a-t-on l’impression de partager, sans voyeurisme, la cohabitation singulière de Charles Bonnet, le patron visiblement très respecté des gens du cru, le jeune préhistorien Matthieu Honegger qui dirige désormais la mission et l’archéo- zoologue Louis Chaix, ancien moine bénédictin à la non moins forte présence.

    « Il y a du visionnaire en Charles Bonnet », remarque encore Stéphane Goël, qui ne manque pas d’évoquer aussi l’avenir incertain du site, où l’on voit pourtant se dresser un début de musée. Moment à la fois émouvant et vaguement surréaliste du film : lorsque déboulent des centaines de Soudanais de tous les âges, comme surgis du désert, pour témoigner leur reconnaissance festive à l’archéologue.

    Sur les traces des pharaons noirs est à voir absolument, tant pour son intérêt humain et historique que pour la qualité de ses images, de son montage et de la musique, originale, de Jean-Philippe Zwahlen. A conseiller, particulièrement, à ceux qui pensent qu’il n’est plus d’aventure ou de passion possible par les temps qui courent…

    A voir sur ARTE le 6 août 2005.

  • L'empathie de Nicolas Philibert


    Le nom de Nicolas Philibert est associé, dans nos mémoires courtes, à la tendre et captivante chronique filmée d’une classe auvergnate, intitulée Etre et avoir (2002) et consacrée depuis lors par un immense succès, avant de faire l’objet d’un pénible procès. Le cinéaste quinquagénaire (né à Nancy en 1951) s’était pourtant fait connaître bien avant pareille « gloire », avec une demi-douzaine de documentaires de création dont certains furent primés et fêtés par le public, tels La ville Louvre, évocation très originale des coulisses du fameux musée, ou encore Pays des sourds, magnifique approche de la « musique » gestuelle et de l’apprentissage d’un langage et La moindre des choses, qui nous immerge dans le théâtre des « fous ».
    Dès ses débuts (en 1978) avec La voix de son maître, saisissante mise en théâtre des grands patrons de France réalisée en collaboration avec Gérard Mordillat, dont la version télévisée fut censurée, Nicolas Philibert avait imposé un regard sans concession et une patte d’artiste, notamment influencé par René Allio dont il fut le collaborateur. Accessoirement féru de montagne, il réalisa, avec Christophe et Le come back de Baquet, croquant l’irrésistible musicien-grimpeur-comique que fut Maurice Baquet, deux films revivifiant un genre trop souvent conventionnel. C’est dire qu’il n’y pas, pour Nicolas Philibert, de sujet « noble » ou méprisable.
    - Y a-t-il entre vos films, apparemment si différents les uns des autres, un fil conducteur ?
    - Il y a peut-être un souci, dès le début, lié au langage, de « filmer la parole », et donc ce qui se dit à la fois par les mots et par le corps. S’il n’y a pas de réelle empathie dans La voix de son maître, nous nous sommes efforcés de rompre avec la tendance de l’époque qui, dès qu’il s’agissait de gens de pouvoir, forçait le trait jusqu’à la caricature. Il nous a semblé beaucoup plus juste, et fort, de les laisser parler et de les filmer en train de parler.
    - Quelle est la motivation qui vous pousse à faire un film ?
    - Je crois que la poussée principale de ma démarche est liée au besoin de comprendre : comprendre le monde. Mon projet n’est pas de donner des leçons ou de conclure mais d’interroger et d’apprendre. Il a là une curiosité qui va se vivre en partage avec le spectateur, à l’égard duquel je ne cherche pas à avoir d’avance. Ce qui m’intéresse est de voir des gens se colleter avec des obstacles et d’observer ce qui s’accomplit en partageant la vie et les soucis de ceux que je filme.
    - Est-ce cela qui vous distingue de l’enquêteur-journaliste ?
    - Précisément ! Ma démarche tourne le dos, à vrai dire, à celle du reportage ordinaire. Je ne cherche pas à traiter un sujet ou à illustrer une situation donnée. Dans la logique audiovisuelle, ce qui compte le plus souvent est de vérifier un constat préétabli, avec une prétention à l’objectivité. On veut démontrer tel ou tel phénomène, pièces en mains. En ce qui me concerne, j’assume au contraire l’appréciation subjective de telle ou telle réalité. Lorsque je me trouve en face d’une classe d’enfants, je sens ce que je cherche mais je ne sais pas ce que je vais trouver.
    - En ce qui concerne Etre et avoir , un effet de réel a fait soudain dévier l’être vers l’avoir avec l’instituteur qui vous réclamait des comptes au vu du succès du film. Comment l’avez-vous vécu ? Et comment vivez-vous le succès du film ?
    - J’ai vécu le comportement de l’instituteur comme une offense et comme une blessure, mais je préfère ne pas en parler, d’autant que l’affaire n’est pas conclue. Quant au succès, il est certainement difficile à vivre. Mais l’important est de continuer à faire exactement ce qu’on ressent comme juste et nécessaire.
    - Une composante de vos films, du premier au dernier, tient à la beauté. Beauté des images. Beauté des plans. Beauté des gens. Y pensez-vous en cours de travail?
    - Je ne cherche jamais, à vrai dire, d’effet esthétique flatteur dans un sens de « beauté » ni non plus de laideur « trash ». La beauté vient sans qu’on la cherche. C’est comme toute rencontre, quelque chose qui relève
    d’un « supplément d’âme »…