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Solitudes du grand âge




Que sera ?, un très beau film de Dieter Fahrer

Comment vit-on dans un EMS ? Qu’y reste-t-il de la vie individuelle des pensionnaires ? Comment passent-ils leurs longues journées ? L’amour ou la sexualité y ont-ils encore la moindre place ? Comment l’approche de la mort est-elle vécue ? A ces questions, entres autres, Dieter Fahrer répond après avoir partagé, des mois durant, la vie des résidents de l'institution du Schönegg, à Berne, avec lesquels cohabitent les petits enfants d’une garderie.

Ceci nous concerne tous. Soit du fait que certains de nos proches le vivent. Soit parce que cela peut nous arriver un jour. Pour la raison, aussi, que le sort des anciens, dans une société dite civilisée, ne peut être traité à la légère. Il est vrai que le « système », obsédé par la productivité, tend naturellement à évacuer le problème. Vrai aussi que beaucoup d’entre nous préfèrent ne pas savoir…

Dieter Fahrer, lui, a voulu savoir, même s’il pensait d’abord faire un film sur… les arbres.

« J’avais besoin de rompre avec le temps qui n’a pas le temps », explique le réalisateur bernois qui a beaucoup payé de sa personne, ces dernières années, entre de multiples productions-collaborations (notamment avec Daniel Schmid et sur la réalisation de Step on the border) et une très lourde épreuve existentielle surmontée grâce à sa petite fille, dont il a tiré le superbe poème-exorcisme Jour de nuit, son premier long métrage d’auteur.
« Dans une forêt proche de Berne, où se tiennent des classes en plein air, une enseignante m’a parlé de Schönegg, cette institution dans laquelle de très vieilles personnes partagent la vie des enfants d’une garderie. Je m’y suis donc rendu, et là ce fut un choc. J’ai plongé dans un monde voué à l’attente, à la fois effrayant et tout aussi attachant par la qualité des individus que j’y ai rencontrés. J’y suis revenu maintes fois et j’ai compris que là se trouvait le sujet de mon film. Pourtant il m’était impossible de rester un voyeur de passage, ce que les soignants de Schönegg ont compris, qui m’ont alors invité à travailler avec eux. C’est ainsi que s’est scellée une relation de confiance avec les résidents».

Or à cela tient, à l’évidence, l’exceptionnelle qualité des observations de Que sera ?qui nous fait entrer, parfois de manière très intime, dans la vie quotidienne d’une brochette de vieillards aux destinées diverses et représentatives. La plus âgée, Klara Mischler, s’éteindra en cours de tournage, au désarroi poignant de son fils unique. La plus ouverte aux autres, Hélène Fischer, francophone de Saint-Ursanne qui a beaucoup voyagé et reste très lucide, exprime bien la souffrance d’être arraché à son chez-soi, alors même que les siens « liquident » le restant de ses biens. Ou c’est Lydia Baumann, probable ancienne beauté qui reste coquette et parle très franchement de son regret de ne plus faire l’amour.

« C’est le grand tabou qui subsiste toujours », relève Dieter Fahrer, évoquant le désir persistant et le besoin de plaisir qui s’assouvissent tant bien que mal, à la sauvette. Et de relever en souriant la probable dernière aventure vécue par la jolie Madame Baumann et Monsieur Zürcher, dont les troubles de motricité pourraient faire croire qu’il na plus sa lucidité alors qu’il reste très présent au contraire.

Ou bien c’est l’impayable Claire Suter, un peu égarée par l’alzheimer mais qui garde toute sa vivacité mordante, évoquant une chipie de Beckett quand elle s’exclame tout à coup devant la neige qui tombe : « L’hiver c’est l’hiver ».

Enfin voici Nelly Bloch, l’intellectuelle revenue des Etats-Unis et visiblement « casée » contre son gré par sa fille, fumant ses clopes et lisant pour oublier un entourage avec lequel elle ne peut rien partager. «Je tenais à ce qu’on sente qu’il y a une histoire, une vie derrière chacun de ces personnages, dont beaucoup m’ont dit souffrir d’en être privé justement, du fait de la promiscuité et de la dépendance», précise encore Dieter Fahrer.

Avec autant de franchise que de délicatesse, n’hésitant pas à montrer tel vieux corps à la toilette, tout aussi beau sous son regard qu’une chair juvénile, et faisant ressentir le poids de l’attente et de l’ennui, le réalisateur en dit beaucoup par l’image (avec des cadrages qui sont autant de points de vue intelligents et sensibles) et le son direct, sans jamais expliquer. Nul besoin de commenter, non plus, l’importance de la rencontre entre enfants et vieilles personnes : toutes les scènes, de jeux ou de fêtes partagées, illustrent ainsi l’enrichissement que représente une telle pratique, à l’opposé des « animations » trop souvent débilitantes, que Dieter Fahrer a d’ailleurs préféré ne pas montrer, exception faite du concert ringard au pianola durant lequel la compagnie du Schönegg reprend en choeur grelottant la fameuse « scie » de Que sera ?

A voir cet automne sur ARTE



Commentaires

  • J'ai repris votre article en sitant mes sources bien sûr,pour rendre hommage à ma meilleure amie de 82 ans, dans mon blog.J'ai eu beaucoup de plaisir à lire vos billets.@+ BizzzMarlie

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