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Un regard décapant



Sur le Garçon stupide de Lionel Baier

Après le succès du Génie helvétique de Jean-Stéphane Bron, Lionel Baier créé la sensation avec un premier long métrage flamboyant, Garçon stupide. Brossant le portrait de Loïc, garçon de 20 ans travaillant en usine, draguant sur internet et se shootant littéralement au sexe homo sans être même sûr d'être gay, puis évoluant d'une prise de conscience à l'autre au fil de vraies rencontres, le réalisateur prend le parti, sans aucun préjugé, de montrer ce qui est, comme c'est, sans plaider ni juger. Nul doute que certains en seront choqués. Le jeune comédien qui incarne Loïc, sans partager ses penchants sexuels, aurait pu se rebiffer le premier. Au lieu de cela: Pierre Chatagny a pleinement joué ce jeu qui consiste à se mettre dans la peau de ce jeune type assez emblématique de notre temps, fils de parents inexistants, et fuyant dans la jouissance mécanique.

— Lionel Baier, quel est le thème de Garçon stupide ?

— Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas un film sur l'homosexualité ! Ce que nous voulions raconter, avec mon coscénariste Laurent Guido, c'est l'histoire d'un jeune homme d'aujourd'hui qui passe de l'état de spectateurconsommateur au statut d'acteur empoignant sa propre vie. Au commencement, Loïc est un garçon qu'on regarde et qui se perçoit passivement à travers ce regard. Puis il aspire à autre chose, notamment à travers la photo qu'il pratique d'abord de la manière la plus rudimentaire, avec son téléphone portable ... avant de se procurer un matériel plus adéquat qui lui permettra de faire des images des manifs du G8.

— Pourquoi recourir à un comédien non professionnel ?

— Cela s'est fait un peu malgré moi, après que j'eus déclaré dans une interview, au moment de la sortie de La parade, que je pensais tourner avec des non-professionnels. Du coup les offres ont afflué, et c'est ainsi que j'ai rencontré Pierre Chatagny. C'était un garçon complètement hors milieu artistique, attaché à sa Gruyère natale et travaillant dans une fabrique de chocolat. Mais il rêvait de cinéma, et il a tellement insisté que j'ai fait des essais qui m'ont fait découvrir que son visage est de ceux qui « prennent » bien la lumière et passent donc le mieux à l'image. Par ailleurs, il y avait chez lui un mélange de naïveté et de maturité qui m'intéressait beaucoup, alors qu'il sortait juste de l'adolescence.

— Jouer le rôle de Loïc ne l'at-il pas inquiété ?

— Pierre a pris la chose avec la distance d'un vrai professionnel, et c'est d'autant plus remarquable qu'il ne savait pas trop où je le menais. A certains moments, il a même dû se demander s'il y aurait un film au bout ... Nous avons énormément tourné. Comme souvent avec les amateurs, le très bon peut alterner à tout moment avec du très mauvais. C'est dire aussi l'importance du travail du montage, auquel j'ai participé de très près avec Christine Hoffet.

— Le footballeur Rui Pedro Alves est lui aussi un amateur, contrairement à Natacha Koutchoumov. Comment celle-ci at-elle été associée à l'aventure ?

— J'avais rencontré Natacha Koutchoumov sur un tournage, et j'aime beaucoup cette comédienne française, qui a un mélange de force et de grâce évoquant à la fois Bernadette Laffont et Jean Seberg. Le travail avec elle a été tout différent, dans la mesure où elle connaissait le détail du scénario et participait très activement à nos discussions. Son rôle est celui d'une espèce de grande sœur ou d'amie, qui aidera le mieux Loïc en faisant valoir son droit « égoïste » à mener sa vie à elle. Quant au footballeur du FC Bulle, qui incarne le personnage que Loïc admire, en se figurant que c'est une star, il amène lui aussi un contrepoint intéressant.

— Votre film repose sur un budget modeste de 430 000 francs. Regrettez-vous de n'avoir pas disposé de moyens plus importants ?

— Je n'aurais pas voulu un spot de plus ! Mais il va de soi que je parle de ce film et que je n'en fais pas une règle valable pour d'autres. Je m'efforce de casser toute la chaîne ordinaire de réalisation, qui suppose de grandes équipes. Psychologiquement, je ne me sens guère porté vers celles-ci et les problèmes qu'elles représentent. Je crains beaucoup les conflits et préfère travailler avec des gens que j'aime. En outre, comme mes amis Ursula Meier et Jean-Stéphane Bron, je travaille avec une caméra hyperlégère. Pour un film comme Garçon stupide, cela permet une mobilité et une intimité parfaitement appropriées ...

Une écriture d'aujourd'hui


L'écriture de Garçon stupide, premier long métrage de Lionel Baier, est immédiatement personnelle et originale, tant par sa rapidité de narration que par son lyrisme et son intelligence cinématographique dégagée de tout intellectualisme, comme on aura pu le dire de celle d'un Daniel Schmid à la découverte de Heute Nacht oder nie.
« Ecrivain » de cinéma jusqu'au bout des ongles, Lionel Baier construit son histoire en procédant à une espèce de collage « simultanéiste » en phase immédiate avec les types actuels de communication. De même qu'on peut mener trois conversations en même temps tout en zappant parmi ses souvenirs ou en regardant par la fenêtre, le cinéaste-narrateur (dont le visage n'apparaît qu'à la toute fin) zigzague entre présent et passé pour constituer les portraits très contrastés de Loïc et de son amie Marie, au fil d'une relation qui est la vraie clef de voûte du film.
Revisitant nos paysages (entre Lausanne by night et Bulle de jour ...) trop souvent aplatis par les clichés avec une sorte de bonheur « épique », aussi naturel dans telle scène « tout sexe » que dans l'approche en douceur et en profondeur des êtres, le jeune réalisateur maîtrise admirablement, en outre, l'art très difficile du dialogue, si souvent pataud en nos contrées, ou trop théâtral ou trop « littéraire ». Fourmillant d'observations dures ou douces sur le monde qui nous entoure et les gens qui s'y cherchent, Garçon stupide, dont il serait précisément stupide de parler déjà comme d'un chef-d'œuvre, annonce sans doute l'apparition d'un créateur d'exception.

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