UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Ceux qui vont au Fleuve

    Congo1.jpg

    Celui qui sort à reculons de la case du sorcier / Celle qui voit ce qui est comme c'est / Ceux qui pensent ne pas savoir sans le dire / Celui qui constate que la matière brute du mensonge est sans éclat / Celle qui confirme que la matière brute du réel ne se négocie pas au rabais / Ceux qui se sont bercés de la chanson Un jour tu reviendras au pays / Celui qui n'en peut plus d'entendre leurs "alleluiardises" / Celle qui s'en remet aux artistes de rue / Ceux qui réapprenent à lire dans l'effacement du rationnel / Celui qui regarde le Fleuve se jeter dans l'océan comme une trombe expulsée par un trou de serrure / Celle qui se demande si vraiment l'état du monde la regarde / Ceux qui se trouvent au seuil d'un monde inconnu / Celui qui s'est mis à l'écoute des voix innombrables / Celle qui demande aux gens ce qu'ils mangeaient avant la guerre et pendant et après / Ceux qui découvrent la ville-monde aux couleurs délavées / Celui qui redécouvre l'unvers tactile / Celle qui ferme les yeux quand l'aïeul parle / Ceux qu'éblouit le blanc du manioc / Celui qui remplit un carnet des propos précis de l'homme-mémoire / Celle qui nettoie la poire à lavement du Tout-Vieux / Ceux qui sont plus grands que vous en "pouvoir de Dieu" / Celui dont la vie recoupe l'histoire de son pays sous divers régimes politiques et alimentaires / Celle qui se rattache à ceux qui sont "du fleuve" / Ceux que la curiosité fait bouger partout sans bouger parfois / Celui qui est ému par le seul terme de rift à cause du souvenir d'Olduvaï / Celle qui compare l'immense forêt vue d'avion à un brocoli sans fin / Ceux qui ont appris que le terme de bantou est le pluriel de mantu qui signifie les gens / Celui qui parle volontiers de l'élasticité de sa conscience tribale à ses potes de la fameuse boîte-monde Tram 83 / Celle qui se gave de bananes plantain dont les moustiques anophèles n'aiment pas l'odeur / Ceux qui communiquent par le moyen d'un langage tambouriné plus subtil que celui des SMS / Celui qui va passer une semaine de rêve dans le chalet Sun Arbois à Megève (France socialiste) qui se loue 35.000 euros les sept jours sans compter les massages et le chauffeur / Celle qui n'a jamais pris le train au Congo RDC vu qu'il n'y en a pas / Ceux qui apprécient la déco africaine très cool du chalet de sept pièces qu'ils louent à Verbier avec leurs amis échangistes investisseurs au Katanga / Celui qui sait qu'au XVIe siècle un missel valait plus q'un esclave à la courbe du Fleuve / Celle qui sourit quand elle lit ici que "le rêve et l'ombre sont de très grands camarades" / Ceux qui disent au poète qu'il ferait mieux de trouver un job utile genre médecin des riches ou trafiquant de produits structurés / Celui qui compte au nombre des disparus non recensés donc supposés inexistants / Celle qui s'est peroxydée afin de reconquérir le sexa qui se la joue Abou Chraibine Salem / Ceux qui slament en strings / Celui qui colle ses poèmes sous les roues de la locomotive 83 pour en marquer les rails virtuels / Celle qui a vu les cheveux de son fils blanchir en une nuit de cris / Ceux qui gardent la Parole comme un feu, etc. 

    (Cette liste a été jetée en marge de la lecture des Carnets nomades de Bona Mangangu, de Congo. Une Histoire de David Van Raybrouck, et de Tram 83 de Fiston Mwanza Mujila )

    Congo2.jpgCongo3.jpgCongo13.jpg

  • Ceux qui reviendront

    Pirogue.jpgBaluba boy.jpgSourceCongo2.jpg

    Celui qui n'en finit pas de se poser des questions éternelles voire sempiternelles sur la véranda de l'hôtel colonial décolonisé / Celle qu'appelle le Seigneur mais qui ne l'entend pas vu qu'elle est en boîte-là / Ceux qui évoquent le "problème congolais" avec des mines concernées tout en préférant sans l'avouer le Continental Breakfast et les boutiques du Sheraton de Vegas/ Celui qui reste muet devant le Monument aux porteurs / Celle qui se rappelle que l'uranium des premières bombes A venait du site de Shinkolobwe près de Likasi / Ceux qui restent médusés devant la termitière / Celui qui invoque ses ancêtres bantous présents sur cette terre de Lushi dès l'âge de fer / Celle qui a fait son mémoire d'histoire sur les tribulations du roi des Baluba / Ceux qui vénèrent Moïse Katumbi le papa du Tout Puissant Mazembé l'équipe vedette du foot congolais / Celui qui a parlé de la richesse du sous-sol katangais comme d'un "scandale géologique" qui n'a pas vraiment scandalisé les compagnies minières de divers pays / Ceux qui se promettent de revoir Katanga Business après avoir serré la papatte de l'avenant Gouverneur aimé de ses concitoyens / Celui qui dédie un beau poème à la Lolita Kasaï / Celle qui reste baba devant les chutes de la Lofoï carrément plus hautes que celle de Lauterbrunnen pourtant chantées par Wolfgang von Goethe le poète teuton / Ceux qui font de la pêche à la bougie sur le lac Mwero / Celui qui chemine sur la piste de Kilela Balanda en fredonnant un hymne au Congo River / Celle qui se trouve réellement bouleversée (bouleversifiée écrirait l'écrivaine Maguerite Duras) par la nappe d'eau claire sous un calme ombrage figurant la source du fleuve / Ceux qui ont une pensée émue pour les étudiants massacrés à l'université-là par les séides du Maréchal vous-savez-qui / Celui qui va faire du beach volley au nouveau complexe sans complexes de La Plage avant d'aller draguer les belles expats du Karibu / Celle qui danse avec les locaux chez Ntemba / Ceux qui se promettent de se revoir au PICHA et plus si affinités, etc.   

    Griot.jpg

  • Ceux qui colloquent dans la forêt

    Lushi5.jpg

    Celui qui débarque pour la première fois en Afrique noire et se pique d’échapper aux moustiques grâce à l’application de l’Anti-Brumm Forte / Celle qu’interloque la première panne d’électricité générale sur le marché nocturne / Ceux qui viennent de diverses planètes au pied du baobab avec le même appareillage informatique / Celui qui présente son passeport à croix blanche avec le geste délié d'un danseur de flamenco que raillent ses amis à passeports bleus ou verts / Celle qui refile cinq euros au jeune type a veste marquée Katanga Express qui lui a promis de retrouver sa valise dans le tas de bagages empilés jusqu’au plafond devant le tapis roulant ne roulant plus et qui en concède cinq autres quand l’objet lui est ramené une heure plus tard / Ceux qui se sont juré de garder un flegme plus afro que british / Celui qui a rêvé dans l’avion qu’il dormait dans un lit de format King Size flottant sur le fleuve Congo / Celle qui recopie les enseignes lyriques des boutiques multicolores des bords de routes style Au jardin du seigneur ou Au bon poil coiffure ou Bienvenue marteau tout l’outillage ou Chez Vertu les beaux agrumes / Ceux qui découvrent le campus de l’Université de Lushi dont les étudiantes et les étudiants en surnombre lui évoquent une volière en folie / Celui qui raffole illico de la rue africaine après la tombée de la nuit / Celle qui esquisse un mouvement de rumba congolaise après avoir retrouvé son amant zoulou en costume lamé argent de prof de linguistique à Namur / Ceux qui remontent le fleuve de la rue bigarrée aux petits marchands / Celui qui est vacciné contre la fièvre jaune mais pas contre la transe de bonheur qui l’envahit dans la rue des gens / Celle qui a été nommée Commandante des ateliers d’écriture finalement remplacés par des tables rondes disposées en carré / Ceux qui descendent dans l’ancien hôtel colonial aux chambres vastes comme des cases de réus tribales / Celui qui écoute les parleurs parler / Celle qui a développé un petit projet culturel dans la région des grands lacs / Ceux qui ont lu Tintin au Congo et ne retrouvent pas Milou dans les couloirs de l’hôtel ex-belge / Celle qui prend l’évidence de la pauvreté en pleine poire / Ceux qui ont en Suisse un permis C et en Afrique un permis de sourire dont ils usent à bon escient / Celui qui se sent plus chez lui dans la foule congolaise que dans celle du métro de Tokyo à l’heure de la ruées aux bureaux / Celle qui aime les écrivains comme ils sont ce qui est tout dire / Ceux qui ont tant des choses à dire qu’ils le disent tous en même temps / Celui à qui sa mère recommande de Douala de ne pas oublier la parole en se pointant à ce congrès des écrivvaisn où il doir honorer la Suisse / Celle qui engage tout le monde à danser sur le rythme irrésistible de Karibu kwetu ku katanaga / Ceux qui redécouvent les vertus de la langue-geste, etc.

    (Cette liste a été jetée sur un carnet vert de marque PaperBlanks en marge des débats du Congrès des écrivains francophones de Lubumbashi en la chambre 212 du Park Hotel aux dimensions d’une suite ministérielle à véranda surplombant les rues populeuses).

  • Le parloir aux oiseaux

    Notes en Bofane7.jpgchemin (32) Premiers débats ardents avant la pluie battante, le 24 septembre.

    Le cafard du corbillard. - L'hymne solennel de la francophonie avait déjà marqué l'ouverture du Congrès de Lubumbashi mais nous avions manqué ça, nous avions manqué Fiston et roulions maintenant à tombeau entr'ouvert dans le 4x4 noir corbillard du Chef du Protocole à faciès de fossoyeur hilare, nous étions tombés du ciel des songes dans la réalité cauchemaresque de la route congolaise où le spectre de l'Accident me semblait déjoué follement par le chauffeur entre déboîtements slalomés et déhanchements zigzaguants, mais curieusement je n'éprouvai aucune anxiété réelle, tout à l'observation des visions quasi surréelles qui se déroulaient en travelling le long des chaussées aux boutiques chamarrées et aux enseignes lyriques, et partout les gens , partout des chantiers amorcés, de bizarres arbres perchés sur des buttes, des femmes portant de hauts paniers en ondulant noblement, et la ville s'annonçant, des terrains vagues et des friches et voici qu'a main gauche notre guide protocolaire nous signalait les bâtisses de l'Administration universitaire avant de bifurquer dans une zone défoncée flanquée de bâtiments décatis aux diverses inscriptions de facultés, enfin nous avions rejoint le Congrès - enfin la délégation suisse se pointait au seuil du grand parloir ouvert aux oiseaux où, tout soudain, une présence intruse se signala dans mes cheveux encore mal démêlés de notre récent vol de nuit, et Max le Bantou de chasser l'importun d'une chiquenaude élégante : bah, mon cher Milou, ce n'est qu'un cafard échappé de la calèche protocolaire, mais vise plutôt là-bas les beaux scarabées !

    L'Aréopage . - Plus beaux en effet, plus lustrés, plus étincelants dans leurs costars à rayures et leurs chaussures à reflets, plus dignes et plus fringants que les magisters universitaires africains, jamais je n'avais vu jusque-là et jamais mêlée, surtout, à tant de théâtrale apparence, tant de débonnaireté; et les écrivains nous accueillaient eux aussi tout sourires, plus décontractés en leur apparat, dont j'identifiai quelques-uns rencontrés entre Paris ou Genève et Saint-Malo; et voilà que se présentait ce grand diable de Jean Bofane que depuis trois jours j'avais tant espéré rencontrer...

    Voleurs et violeurs. - De nos premiers débats de francophones aux multiples provenances se dégagea, dès ce premier après-midi du parloir aux oiseaux, le thème délicat assurément du vol de la langue et du viol de celle-ci. Les avis étaient partagés, contrastés, aiguisés par la présence de quelques dames se tenant les côtes. Tel estimait que son usage de la langue française relevait d'un indéniable vol, tandis que tel autre objectait que les langues africaines pouvaient se prévaloir d'une antériorité remontant au siècle d'Hérodote ou à de plus haute sources dont le français découlait parfois, et la question du droit de cuissage exercé par l'écrivain fut également l'objet d'un échange peu académique tandis que l'orage y allait de ses arguments grondants.

    Or le premier jour des travaux tirait à sa conclusion. Le vent et la pluie à larges gouttes nous circonviendraient bientôt. Je n'en finissais pas pour ma part de m'enchanter d'un peu tout. Nous filions enfin le long d'une route aux boues ocres éclaboussée par les sacs de pluie crevant dans les nuées. Nous nous trouvions comme dans un rêve éveillé sur une chaussée élastique bordée de campements à feux couverts. L'on voyait des silhouettes bouger entre vapeur et fumée. C'était l'Afrique tout cela, me disais-je, mais comment le dire en français ?

    Image:In Koli Jean Bofane

  • Ceux qui accueillent le multimonde

    Lushi8.jpg

    Celui qui constate que son courrier électronique vespéral s’africanise à vue d’œil / Celle qui fonctionne au fluide sympathique / Ceux qui apprennent en se taisant / Celui qui a plein de devises étrangères dans ses poches et pas une coupure ni une pièce pour la mendiante décharnée / Celle qui sentimentalise toutes ses observations style paroissienne protestante bien intentionnée / Ceux qui faisant partie des cadres de la délégation de la firme Ernst & Young se tiennent à l’écart des autres sur le tarmac de Kinshasa en tant que produits structurés à l’occidentale / Celui qui se fait capturer dans le ravin des Reguibat où il s’est aventuré par intérêt ethnologique sincère de spécialiste des ouvrages artisanaux en pis de chamelle / Celle qui se fait monstre chier au Malawi en sa qualité d’étudiante berlinoise spécialisée en on ne sait trop quoi / Ceux qui découvrent à l’escale aérienne que le Malauwi est un pays comme c’est vérifié sur Wikipedia / Celui qui ne se console pas vraiment de la famine dans le monde à se dire qu’au moins les financiers prédateurs et autres organismes genre FMI seront punis « plus tard » / Celui qui a fait ses premières armes de critique littéraire dans La Liberté de Fribourg (Suisse) aux mains des Sœurs de Saint-Paul qui ont pas mal contribué à l’éducation des enfants africains et possèdent toujours la librairie principale de Lubumbashi / Ceux qui n’ont jamais ressenti au Texas ou au Japon ou en Norvège ou en descendant la Bahnhofstrasse de Zurich ce qu’ils ressentent au Katanga et environs / Celui qui ressortissant de Douala t’a appris que la tour de pierre du pont de bois fameux de Lucerne était un château d’eau et qui croit malin de te le rappeler alors qu’il ne sait même pas lui qui fut Lord Byron auteur du Chant du prisonnier dédié à Bonivard au château de Chillon / Celle que le rasta congolais fait réellement planer / Ceux qui se retrouvent dans l’anthologie Renaître ensemble publiée à Kigali par la Plateforme des écrivains des Grands Lacs / Celui qui a déjà rencontré Boubacar Boris Diop quelque part mais où était-ce encore ? / Celle qui ne trouve au Burundi que les contes pour échapper à tous les interdits visant les femmes y compris celui de la parole en public / Ceux qui descendent à haute voix des trains et racontent à haute voix des histoires d’argent / Celui qui a écouté pendant des heures le récit de vie de Fiston Mwanza Mujila en lequel ses antennes télépathiques ont aussitôt identifié un mec à part comme le corrobore ce matin la lecture de ses textes si magnifiqueent déjantés / Celle qui a pris le taxi du diable à défaut d’être reçue dans la limousine de Dieu / Ceux qui ont bricolé leur identité en rupture avec tous les discours identitaires mais sans jamais renier leurs sources sûres, etc.

     

  • Ceux qui palabrent sous le tamarinier

    Lushi14.jpg

    Celui qui arbore un uniforme de policier sous lequel il porte une camisole de prêtre poète auteur d’un hymne au sous-bois / Celle qui affabule comme on ne l’apprend pas à l’école / Ceux qui affirment que la nouvelle génération ne lit plus - faute de l’écouter slamer / Celui qui égrène son rosaire de prof libanais bilingue en invoquant le printemps arabe à vrai dire peu probable au Katanga vu que de printemps il n’y a pas là-bas / Celle qui observe attentivement les caciques universitaires en se disant qu’en somme blancs ou noirs c’est les mêmes bonnets blancs que Rabelais disait bonnets noirs / Ceux qui parlent des « locaux » avec quelque chose de locomachique / Celui qui se sert de la théorie des champs littéraires de Maître Bourdieu avec la même application que ses pairs profs de Trois-Rivière ou de Lausanne ou de Bratislava mais sa tenue vestimentaire reste stricte alors que dans le Nord on se laisse aller n’est-ce pas / Celle qui danse sur place en se disant qu’i y a trop de mots froids qui sortent de la bouche du Professeur éminent / Ceux qui ont appris à conduire sans permis et s’en tirent mieux en fin de compte dans la circulation chaotique qu’en Suisse où la prudence et la pusillanimité font des ravages / Celle qui amène le coq noir au féticheur / Ceux qui te conseillent de diviser au marché le prix des objets en malachite à raison de la moitié de la moitié dont tu retracheras le tiers / Celui qui vous accueille dans son palais de gouverneur et ne se départit point de son sourire affable pour vous signifier que la littérature est elle aussi un palais et d’autres amabilités n’est-ce pas tandis que la guerre perdure au Nord-est de la région on est bien d’accord / Celle qui te fait un portrait carabiné du jeune gourverneur qu’elle compare à Berlusconi genre subtropical en plus stylé à ce qu’il semble mais faut voir / Ceux qu’on amène au stade de foot du club sponsorisé par le Gouverneur qui a fait soigner les pelouses qu’on dirait de la même moquette que celles de sa salle de bain / Celui qui trouve à In Koli Jean Bofane la même énergie concentrée qui caractérise ses formidables Mathématiques congolaises, et la même gouaille féroce et la même révolte sourde et la même façon de pratiquer la danse dite du gorille / Celle qui allume l’écrivain à femmes dans la boîte dont les patrons lisent peu / Ceux qui laissent tomber la veste style gendelettres pour se déchaîner sous les stroboscopes / Celui qui capte les avoirs du petit marchand de manioc / Celle qui secoue la tête lorsque tu lui apprends que tu as lustré tes santiags avec de l’anti-moustiques alors qu’il y a des gosses qui crèvent la dalle qui te les cireraient pour presque rien / Ceux qui savent que le sourire tout suave de l’Adjudant chef cache une mâchoire de caïman / Celui qui sent en lui la tristesse monter par bouffées en constatant l’état du monde pour ceux qui n’ont rien / Celle qui a participé à la modélisation du Rapport final du Colloque et continuera de « faire avec » malgré ça / Ceux et plus encore celles dont le courage sidère / Celui qui s’exclame à l’escale que l’Afrique lui il a donné point barre / Celle qui surprend le salafiste en train de se branler au closet mal closé de l’Airbus ce qui signifie qu’en somme la vie continue / Ceux qui affirment qu’il faut instaurer en ces lieux une politique culturelle mais qu’il faut au préalable établir un état des lieux et qu’il faut en conséquence reconnaître quil'ne sera pas de trop d’un nouveau colloque pour en examiner le projet / Celui qui reste positif sans se faire d’illusions / Celle qui affirme que dans ces congrès tout se joue en coulisses / Ceux qui honorent l'expression d'hommes de bonne volonté / Celui qui rencontre un jeune poète apparement tout timide dont le verbe de feu justifie tout à fait les douze mille bornes qu’il a franchi en deux nuits / Celle qui reçoit un oeuf de jade des mains de ce drôle de Suisse en jeans qui lui a demandé qui de la femme et de l’homme était la poule et l’œuf / Ceux qui ont kiffé grave le slameur engagé de la scène locale / Celui qui est tellement amoureux des gens qu’il les embrasserait parfois de façon inappropriée / Celle qui se repose sur un parpaing comme s’il s’agissait d’un trône / Ceux qui t’émeuvent par leur aristocratie naturelle genre princesses bantoues,etc.

  • Lettre à Jean Ziegler

    Hyènes3.jpg

    À La Désirade, ce samedi 22 septembre 2012

     

    Mon cher Jean, Comment vas-tu, comment vis-tu, comment survis-tu en ces temps où tu dois éprouver, autant ou plus que d’autres, le terrible poids du monde ?

    Je pense tous les jours à toi, ces jours précisément où je te sais miné par les tribulations des pauvres Syriens alors que je me trouve à la veille, pour ma part, d’un voyage en Afrique noire où je vais débarquer lundi prochain pour la première fois ; et tout naturellement je pense à tout ce que tu as vécu et partagé de l’Afrique depuis tes premiers voyages et tes premiers livres, témoignant de ton attention à ce pauvre continent autant qu’à notre pauvre Suisse. Or je fais ce pauvre rapprochement sans aucun sanglot d’homme blanc dans la voix, mon cher Jean, je me le dis sans aucune crainte de faire insulte aux damnés de la terre du vrai pauvre monde : je le dis en constatant autour de nous la pauvreté d’esprit et de cœur du monde nanti et repu dans lequel nous vivons et crevons de bien-être. Note que je ne crache même pas sur celui-ci. Je ne vais pas ajouter, à l’obscénité de nos privilèges, celle d’une mauvaise conscience à trop bon marché. Mais le sentiment-sensation d’accablement, dans la profusion et le superflu qui nous submergent, n’en est pas moins réel et jusqu’au dégoût – jusqu’à en vomir.

    Hyènes2.jpgJ’ai lu beaucoup de livres, ces derniers temps, et vu beaucoup de films relatifs à l’Afrique. Plus précisément, je viens de revoir trois fois de suite Hyènes, le film du Sénégalais Djbril Diop Mambety, inspiré par La Visite de la vieille dame de Dürrematt. Je me rappelle, comme d’hier, notre rencontre au Centre Dürrenmatt, cher Jean, et la façon dont un ponte d’Economie suisse s’y est moqué de toi en te reléguant parmi les vieilles lunes. Je me rappelle avoir pris ta défense, moi qui ne suis pas plus de gauche que de droite, comme l’était je crois Dürrenmatt, au nom de la révolte plus radicale de celui-ci. Et ce matin je me dis que le vieux Fritz est plus que jamais plus jeune que nous tous en sa protestation fondamentale de diabétiqe gand buveur et grand fumeur de cigares, dont la vieille carne n’en finit pas de répéter, en Suisse néolibérale autant qu’en Afrique pillée et mondialisée : « Vous avez fait de moi une putain. Je vais faire du monde un bordel ».

    Bernanos7.jpgC’est entendu : le poète exagère. C’est son job. Lorsque Dürrenmatt compare la Suisse à une prison sans murs dont chaque prisonnier serait son propre gardien et celui du voisin, il exagère. Le grand imprécateur Thomas Bernhard, qui affirmait que l’Autriche actelle était restée nazie pour l’essentiel, se disait également « un artiste de l’exagération ». Et toi aussi, mon cher Jean, tu as souvent exagéré et m’as souvent souvent exaspéré en réduisant la Suisse à un pays de receleurs, comme m’exaspère souvent ma propre façon de tout pousser au noir…

    L’un de tes confrères sociologues, mon cher Jean, un vrai Suisse pur de pur celui-là, m’a fait un jour de toi le portrait le plus sévère, dans le bureau jouxtant le tien, conspuant à la fois tes idées et tes positions politiques, tes livres scientifiquement si peu rigoureux et tes étudiants africains académiquement si foireux, t’appelant simplement « le fou ». Or j’ai repris à mon compte cette appellation, toute négative évidemment chez ton pair au-dessus de tout soupçon, mais se parant à mes yeux d’une aura toute positive en son ensauvagement, et voici que je t’appelle Jean le fou, notre dingue providentiel, notre héros national à dégaine de missionnaire des Nations Unies mandaté pour enquêter sur la destruction massive des nations désunies. Ta folie est d’une espèce de poète. En lisant et relisant tes livres je vois de mieux en mieux, sous le langage du sociologue et de l’idéologue qui m’exaspère parfois, le geste humain de celui qui s’engage à corps perdu avec la conviction, par-delà toutes les désillusions, qu’« il ne faut pas se rendre », et ce regard lucide et blessé sur le personnage que tu joues dans tes pérégrinations autour du monde, dans l’insoutenable Destruction massive

    Hyènes1.jpgJe ne sais ai tu as vu le film Hyènes de Djibril Diop Mambety, mon cher Jean, mais je suis sûr que toute ton Afrique est là, humiliée et magnifique. La beauté défigurée, la jeunesse bafouée, l’amour trahi, la colère vengeresse, la solitude et la mélancolie : tout cela cohabite dans les expressions de la fasinante actrice incarnant la vieille dame de tous les âges aux multiples masques fragiles ou implacables. Or il se dégage de ce personnage, bonnement réinventé par le réalisateur noir, une noblesse et une dignité qui participe de ce qu’on peut dire l’universelle ressemblance humaine. Sony Labou Tasi disait écrire « pour qu’il fasse plus homme » en lui, et c’est exactement ce qu’on se dit en « vivant » ce film à la fois si beau et si triste, et tellement généreux et joyeux, qui nous rend plus humains aussi. Rarement j’ai vu les femmes africaines aussi belles que que dans ce filmenoutre traversé de figures muettes et immobiles, décalées dans le champ, qui ont l’air de se demander ce qui diable est en train d’arriver dans leur bled ? Rien n’est dit là qui procède directement de la pièce de Dürrenmatt, mais l’image, et les cadrages, et le montage, permettent cette sorte d’aparté taiseux des sans-langage, comme on le percevrait chez des paysans du Valais ou de l’Afghanistan. Mais qu’est-ce que cet affolement ? ont-ils l’air de se demander. Mais où ces hyènes courent-elles donc ? Mais est-ce ainsi qu’on va réellement survivre ?

    La hyène, tu le sais, mon cher Jean, est l’animal symbolisant, dans les contes africains, la survie et le savoir habile qu’elle appelle naturellement, la connaissance empirique mais à ras les herbes, l’intelligence toute matérielle en somme inférieure à la sagesse plus spirituelle et sereine du lion.

    Lorsque Linguère Ramatou, la vieille dame du film, annonce la venue du « temps des hyènes », c’est évidemment le temps de la rapacité plus que de la survie, le temps de la ruée aux produits, le temps du nouveau culte des objets et de l’argent qu’elle proclame amèrement en ricanant à la face de ceux qui l’ont poussée à se vendre. Or que voyons-nous tous les jours autour de nous, mon cher Jean ? Et n’est-ce pas revigorant, pourtant, de voir qu’un poète de cinéma africain, reprenne à son compte la fable théatrale la plus apte à figurer, sans se limiter à la dimension économique ou politique, la fuite en avant du monde actuel en proie aux crises mimétiques collectives et que menace collectivement la perte de son âme ?

    Ces confrontations et ces enrichissements réciproques ont été le sel des siècles et des cultures en dépit de tous les replis tribaux ou nationaux, et je suis sûr, en ces temps de nouvelles crispations identitaires parfois très compréhensibles, voire légitimes, que la culture vivante à venir passera par ces échanges.

    Max7.jpgJe pars demain au Congo avec un jeune écrivain camerounais établi à Genève du nom de Max Lobe, dont le regard sur notre réalité suisse ne cesse de recentrer le mien par décentrage, si j’ose dire. C’est lui qui m’a fait découvrir Hyènes et je lui ai filé l’autre jour les romans africains de Simenon dont il ignorait tout. Il a publié l’an dernier un premier récit intitulé L’Enfant du miracle, où son expérience d’étudiant à Lausanne alterne avec ses souvenirs d’enfant de Douala. Il en publiera un deuxième en janvier prochain qui fait alterner les scènes africaines et celles des bas-fonds des Pâquis. Ce garçon qui a l’âge de nos filles, disposant d’un master de management, est en quête d’un job digne de ses compétences comme beaucoup de jeunes gens actuels, et je suis très reconnaissant aux éditions Zoé de l’avoir accueilli. En attendant ce sera passionnant, je crois, de confronter nos observations à Lubumbashi…

    Nétonon2.jpgDe notre terrasse de La Désirade, mon cher Jean, je devine les hauts de Caux où s’achève un autre roman africain, au titre de Mosso, signé par un autre de mes amis, le Tchadien Nétonon Noël Ndjékéry, qui décrit, avec une truculence incisive, les tribulations d’une jeune femme en rupture de communauté par insoumission à des règles qu’elle juge dépassées, se débrouille comme elle peut dans son pays en proie à l’abritraire et à la corruption, et finit en Lémanie dans les pattes d’un Vaudois brasseur d’affaires et se piquant d’humanitarisme. Cela ne manque de rappeler, évidemment, l’humanitarisme de façade du couple de stars hollywoodiennes qui adoptent le jeune Noir de L’Amour nègre, dans le roman de Jean-Michel Olivier dont tu viens de lire la suite d’Après l’orgie passant, elle aussi, par nos contrées enchanteresses.

    Zahnd1.jpgDu cinéma aux romans je pourrais rebondir sur scène avec Ndongo revient, la pièce de ton fils Dominique, ou avec celle de mon compère René Zahnd, Bab et Sane qui a épaté les publics de toutes couleurs de France en Afrique et d’Allemagne en Suisse. Avec deux comédiens irrésistibles, dont Hassane Kouyaté qu’on retrouvera dans la prochaine pièce de René inspirée par latragédie de Thomas Sankara, ce dialogue mêle l’humour le plus caustique à une réflexion sur le pouvoir et la soumission qui traverse elle aussi les cultures et les époques.

    Or chaque fois que je passe par les hauts de Lausanne, à proximité de l’ancienne villa princière de Mobutu, il me semble entendre le dialogue de ses deux gardiens dont l’auteur a si bien rendu la psychologie, me rappelant d’autres pièces réellement africaines. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que René Zahnd, compagnon de route de René Gonzalez au merveilleux théâtre de Vidy, dont j’espère qu’on le reconduira à la direction de celui-ci alors que les médiocres le snobent comme le milieu littéraire et théâtral local l’a toujours fait - que René donc serait cent fois plus habilité que moi à représenter la Suisse au Congrès des écrivains francophones qui s’ouvre lundi à Lubumbashi. Du moins parlerai-je là-bas de sa démarche d’écrivain-voyageur passionné d’Afrique noire, comme je parlerai de Dürrenmatt et de L’Amour nègre, de Mosso ou encore de cet autre complice qu’est devenu depuis quelques années mon ami Bona Mangangu, jamais rencontré ailleurs que sur la Toile mais que je connais par ses livres et sa peinture et dont j’essaie de faire publier le nouveau roman évoquant la dernière nuit du Caravage…

    Millet.jpgÀ lire ces derniers jours un essai récent de Richard Millet qui a fait trop de bruit pour trop peu de chose, intitulé Langue fantôme et augmenté d’un chapitre annonçant sans vergogne un Eloge littéraire d’Andres Breivik, j’ai ressenti ce profond malaise, mélange de dégoût et de tristesse, que j’ai toujours éprouvé devant les égarements de l’intelligence fascinée par la force. On a vu ça au XXe siècle à l’extrême-droite autant qu’à l’extrême gauche. Un roman russe méconnu, L’Envie de Iouri Olécha, montre cela très bien dans les milieux révolutionnaires du début des Soviets. À droite je me rappelle les textes de Gonzague de Reynold, notre nationaliste helvétiste à poitrine creuse et bréchet de poulet à particule, célébrant la rutilance fringante des soldats allemands, mais à gauche je me rappelle aussi les hymnes aux activistes voire aux terroristes d’esthètes non moins fascinés à la Jean Genet. Et je sens cela aussi entre les lignes parfois pertinentes de Richard Millet: je sens que cela bande là-desous pour la Force comme on le sent aussi chez un Dantec et comme je l’ai senti chez mon ami Dimitri quand il exaltait la pureté des escadrons de Serbes où je ne voyais pour ma part que des brutes ivres violeuses et tueuses.

    Hélas c’est plus fort que moi, mon cher Jean, et je n’y ai aucun mérite en digne fils de mon père le très doux démocrate et bon paroissien protestant : je hais la force des marioles et j’incarne bonnement ce que Richard Millet taxe de décadence en vitupérant le mélange des cultures et le « petit nègre » des hordes insoumises à la pure tradition littéraire française. J’ai presque honte d’aimer la littérature si cet amour va comme chez lui de pair avec la morgue des Maîtres, et puis je me dis que non : que sa façon d’adouber Thomas Bernhard ou Sebald, comme les derniers purs de purs, est assi douteuse que sa façon de taxer d’impurs ou de dégénérés tous les Américains et les Français, de placer Claude Simon au pinacle et de dégommer Le Clézio, bref de tout soumettre à son goût parfois excellent et parfois exécrable. Enfin, lui qui ne jure que par le style se montre ici souvent confus et empesé, sans aucun panache si je le compare au magistral Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire aux envolées, aux traits et aux piques, aux portraits et aux envois dignes des grands pamphlétaires de gauche ou de droite à la Vallès ou à la Bloy !

    Richard Millet vomit la multiculturalisme et mélange tout, son exécration des immigrés et du politiquement correct – où je le suis volontiers -, son mépris de la démocratie et sa haine de la gauche, dans une suite de généralisation abusives qui se diluent bel et bien dans l’insignifiance pointée par Le Clézio, dont on comprend au passage qu’il lui ait rivé son clou après avoir subi son fiel vipérin.

    Suisse370001.JPGNous autres Suisses, qui avons émigré plus souvent qu’à notre tour au début du XXe siècle, quittant un pays sans ressources pour survivre et revenant sur nos terres avec des savoirs acquis dans le monde entier, nous avons appris à cohabiter après des siècles de conflits à n’en plus finir, et je suis triste de voir souvent que nous le désapprenons. Or ce que j’aime chez toi, qui me disais que ta grand-mère la démocrate des collines bernoises était plus révolutionnaire que toi, c’est ton vieux fonds de paysan catholique au cœur généreux et à l’esprit civique.

    Tunisie66.jpgL’an dernier au début de l’été, mon cher Jean, nous nous trouvions en Tunisie avec notre ami l’écrivain Rafik Ben Salah, neveu du ministre socialiste Ahmed que tu as bien connu, et je n’ai cessé de m’évertuer de calmer la fureur anti-islamiste de celui qui, dans tous ses livres, n’a cessé de stigmatiser la triple tyrannie des pères, des imams et du pouvoir. Or ce voyage a été, pour ma bonne amie et moi autant que pour Rafik, ses frères et sœurs établis dans leur pays, ou pour les amis que nous y avons rencontrés – cette romancière,ce médecin très engagé dans le mouvement de libération, le frère avocat de bon conseil, telle autre universaitaire –, une formidable expérience de simple humanité. Devant les palaces vides de la Tunisie vendue au tourisme, je me suis rappelé les reproches du Rafik de vingt ans à son oncle ministre : comme quoi le pouvoir allait faire de la Tunisie une putain ! Là encore quelle exagération. Mais la vieille dame de Dürrenmatt n’a pas fini de voyager. Avec ou sans les islamistes, elle aurait encore tant des choses à dire là-bas autant que chez nous, avec ou sans populistes.

    Enfin je te laisse, cher fou. Je t’embrasse fraternellement et te remercie encore pour tout.

    P.S. Au nombre des 33 livres de la bibliothèque volante que j'emporte au Congo, je relève la nouvelle édition en poche de La haine de l'Occident , avec ta préface sans illusions ni désespoir, un roman de Mongo Beti qui a plus d'un demi-siècle, Le pauvre Christ de Bomba, le livre tout récent d'un jeune Haïtien, Mackenzie Orcel, intitulé Les immortelles, et un autre roman de ces dernières années, Mathématiques congolaises, d'un auteur du nom d'In Koli Jean Bofane. Tout ça, plus le whisky et le chocolat fourré, va faire tanguer les zingues...

  • Nuancier d'automne

     

    Pano25.jpg…Il est avéré par le Temps qu’un certain brun travaillé selon les formules anciennes avec des ajouts de pluies bleutées et de jaunes soleilleux va donner, par delà la grappe ivre de l’instant,  ces gammes de verts déclinants et ces tons bientôt rouillés de pourpre et d’or à la noblesse lasse  genre mains de vieille fileuse dans le déclin du jour…

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui battent de l'aile

    Panopticon878.jpg

    Celui qui tombe en syncope en dansant sur le volcan / Celle qu’une rupture d’anévrisme empêche de finir sa phrase / Ceux qui allaient justement réaliser un chef-d’œuvre quand la terre a tremblé / Celui qui ne sait pas qu’il ne passera pas l’hiver nucléaire / Celle qui se désabonne de ses revues de déco en apprenant que la Fin du monde est proche / Ceux qui perdent la tête au point de se faire sauter la cervelle / Celui qui se grille des cervelas au fond de son jardin privatif arboré comme au bon vieux temps scout où on l’appelait Frère Lynx / Celle qui marmonne sous la fumigation / Ceux qui lâchent un vent à l’émission Nouveau Souffle / Celui que le Doute taraude à heure fixe / Celle qui soigne ses angoisses métaphysiques au chocolat Poulain / Ceux qui font du cheval après être allés à selle / Celui qui a le sexe joyeux et les joyeuses peu sentimentales / Celle qui rappelle à Marcel que son cul aussi a une âme / Ceux qui se disent tout sur Meetic avant de se fuir / Celui qui cherche une rousse à sa démesure / Celle qui n’en peut plus de se justifier pour qu’on l’aime enfin quoi / Ceux qui se détachent de la cordée pour être les premiers au sommet / Celui qui n’aime pas que les vertueux lui rappellent que lui ne l’est pas autant qu’eux / Celle qui ramène tout à l’hygiène buccale / Ceux qui ont vieilli avant l’âge mais ne manquent pas un enterrement / Celui qui passe du voyeurisme à la contemplation / Celle qui estime que la plupart des hommes d’Eglise sont « quelque part » méchants / Ceux qui ont constaté que nombre de pasteurs calvinistes sentent le caleçon long / Celui qui préfère la vertu des voluptueux au ricanement des vertueux / Celle qui pense que l’obsession de la vertu est un vice / Ceux qui croient que la vivacité d’esprit dispose naturellement au commerce / Celui qui a conclu récemment que le mieux n’était pas l’ennemi du bien mais le recours contre un mal déguisé en bien / Celle qui qualifie de « poétique » ce qui est juste décoratif ou genre spray d’ambiance / Ceux qui distillent l’optimisme jusqu’à en gerber / Celui qui redoute les infirmières morales avec ou sans diplômes / Celle qui fait le bonheur du curé Cachou et de son chien Patou / Ceux que l’idéologie a formatés / Celui que sa Mission a sclérosé / Celle que grise ses colères politiques / Ceux qui bavent d’agressivité bien pensante / Celui qui est flic dans l’âme / Celle qui se méfie du poète pour qui Tout est Absolu et la laisse régler leurs additions / Ceux que la hargne des Justes a toujours rebuté / Celui qui se saoule des larmes qu’il arrache aux tendrons / Celle que son romantisme rend à moitié sotte alors que l’autre moitié repasse les chaussettes de son poète / Ceux qui passent du courroux vertueux à la délation / Celui qui téléphone à l’évêque pour lui confesser le manque de foi de sa fiancée au joli popo / Celle qu’enrage l’inquisition maternelle dont le nouveau sujet d’opprobre est son string fluo top séduisant / Ceux que leur retour d’âge lyrique fait régresser dans le New Age, etc.

    Image : Philip Seelen

  • A rebrousse-toiles

     

    618979596.JPG

    Les questions que chacun brûle de se voir poser en matière de cinéma un mardi soir 18 septembre...

    1. Quel est le dernier film que vous ayez vu en salle ou en DVD et qu’en avez-vous pensé ?
    - Hier soir en DVD: Hyènes du Sénégalais Djibril Diop Mambety, magnifique adaptation à l'africaine de La Visite de la vieille dame. de Friedrich Dürrenmatt. Un poème cinématographique à l'admirable jeu de plans et au montage magistral,  doublé d'une réflexion grinçante sur la trahison, la vengeance, la responsabilité personnelle et collective, la rapacité huaine et la solitude. Les acteurs sont merveilleux et la mélancolie qui se dégage du film ajoute à la qualité de la fable. À (re)découvrir absolment ! 
     
    2. Quelle est la meilleure définition qu’un cinéaste vous ait donnée de son art ?
    - Alain Cavalier : l’art de passer d’un plan à un autre.
    3) Le chef-d'oeuvre ab-so-lu ?
    - Cette expression est d'une stupidité tout actuelle, mais All about Eve de Joseph Mankiewicz est mon choix ab-so-lu de ce soir...

    4) Citez le moment d'un film qui vous revient obsessionnellement en mémoire :
    - La mélopée lancinante du protagoniste à la  balançoire, sous la neige, dans Vivre (Iriku) d’Akira Kurosawa.

    5) Une séquence qui vous a fait pleurer depuis sept ans:
    - Les larmes, à la fin de L’enfant des frères Dardenne. La fin de La vie des autres. La solitude de Draman Drameh dans Hyènes de Djibril Diop Mombéty, ou la destinée d'Umberto D.  
    6) Votre bon mot préféré d'un cinéaste ?
    - Fellini qui répond, au critique lui demandant ce qu'il pense de l'opinion d'un de ses confrères prétendant que les mauvais cinéastes italiens ont tous un nom finissant par "ini": - Mais n'est-ce pas mon ami Viscontini qui prétend cela ?
    7) Un film dans lequel vous auriez aimé figurer ?

    1309976252.jpg- J'aurais volontiers fait la valise dans La fille à la valise, ce bijou de Valerio Zurlini.
    8) La scène d'amour qui vous a ému ces trois dernières années ?
    - Dans Sous les toits de Paris, les vieux amants Michel Piccoli et Mylène Demonjeot. Vraiment très belle scène.  

    9) Citez un film qui module la plus profonde nostalgie.
    - Incontestablement et pour toujours : Vivre d’Akira Kurosawa.
    710265019.jpg10) Quelle est votre apparition préférée d’un personnage historique dans un rôle de fiction ?
    - Le Hitler de La Chute est celui que je préfère pour le pire...
    11) Votre film préféré ce 18 septembre 2012 ?
    - Je dirais I Vitelloni de Federico Fellini, mais ça peut changer denain.
    12) Citez les titres du premier double programme que vous diffuseriez pour l’inauguration de votre propre salle d’art et d’essai ?
    The Snapper  de Stephen Frears, et La Bataille pour Haditha de Nick Broomfield.
    13) Quel serait le nom de cette salle ?
    - Le Mollywood.

    14) Le film le plus résolument tordant ?
    - Joe la limonade, parodie de western d'un cinéaste tchèque dont je ne me rappelle pas le nom.
    15) Votre film préféré d'Alfred Hitchcock ?
    - Cela change tous les jours : aujourd’hui c'est Vertigo.
    16) Votre émotion la plus mémorable liée à l’utilisation de la couleur d’un film ?

    - La scénographie de Senso, de Luchino Visconti.
    17) Quel film constitue-t-il la plus forte critique de la guerre ?
    - La bataille pour Haditha, hier, et aujourd’hui Lettres d’Iwo Jima. En plus doux: Alexandra d'Alexandre Sokourov.

    18) L’actrice que vous n’épouseriez sous aucun prétexte ?
    - Arielle Dombasle, mais on me dit qu'elle gagne à être connue....

    19) Quelle critique vous a-t-elle semblé la plus injuste depuis 7 ans ?
    - Celle de Gérard Lefort à propos de La chute.
    20) Y a-t-il un film que vous aimeriez avoir signé ?
    - Umberto D.

    21) Le plus grand ratage d’une adaptation de roman ?
    - J’aime beaucoup L’homme qui a tué Don Quichotte, mais Terry Gillian va faire encore mieux.
    22) Votre film préféré de la semaine prochaine ?
    - J’ai vraiment envie de revoir Saraband de Bergman 
    1653112627.jpg23) Qu’est-ce qui pour vous, dans un film, marque la supériorité du 7e art ?

    - C’est le cinéma, me semble-t-il. Vous voyez autre chose ?
    24) Citez le meilleur livre qui ait été inspiré par un monstre sacré ?
    - Il s’intitule Le bel obèse et fait revivre Marlon Brando et deux autres magnifiques personnages, imaginaires, avec un brio formidable. Son auteur est Claude Delarue. Le roman a paru il y a quelques années chez Fayard. L'auteur est mort récemment.
    25) Quel est votre souvenir de cinéma le plus aquatique ?
    - Les cœur verts, d’Edouard Luntz, une histoire de blousons noirs en « cinéma vérité » que j’ai vu 27 fois (j’étais alors placeur de cinéma). Il y a là une scène de natation nocturne clandestine, dans une piscine, qui est plus encore qu’aquatique: amniotique.
    26) Citez l’auteur qui parle le mieux de cinéma :
    - Il me semble que c’est Gilles Deleuze. Ou peut-être Serge Daney ? Ou quand même Jean-Luc Godard ? Ou Luc Dardenne ? Ou Martin Scorsese dans ses magnifiques anthologies du cinéma américain et italien ?
    27) Citez le film dont le mauvais esprit vous ait le plus réjoui :
    - C’est arrivé près de chez vous, naturellement. Et Prick up your ears de Frears, pas mal non plus.
    28) Votre film préféré des sixties ?
    - Probablement Qu’est-il arrivé à Baby Jane de Robert Aldrich. (1962)
    29) Le film que vous enverrez votre pire ennemi voir ce soir ?
    - Je n'ai aucun ennemi. Par égard pour mes amis, je leur recommande de ne pas aller voir le dernier mauvais film qui passe en salle ces jours, que je n'ai d'ailleurs pas vu. Ah oui: un film réellement à éviter: Lezione 21 d'Alessandro Baricco.   

    30) Quand avez-vous réalisé pour la première fois que les films étaient réalisés ?
    - Quand j’ai réalisé mon premier film sans pellicule.
     

  • Et le fantôme se fit verbe

    Joconde2.jpgLe livre fantôme est évidemment celui que je n’ai cessé d’écrire depuis ce que vous avez appelé la nuit des temps, et dont j’oublie tout à mesure.

     

    C’est un peu mon drame de toujours et ma chance, ou plus exactement mon plaisir et que vous partagez. De fait c’est le plaisir, à tous les sens qui vous chanteront, qui me rappelle les bribes du livre fantôme et dès mes débuts, genre l’amitié de Gilgamesh ou la mort de Patrocle ou le vent du désert biblique ou la litanie à la petite pharaonne ado qui me ramène le souvenir de larmes aussi douces que le parfum des fleurs d’amandier ou le goût d’un premier French Kiss vers dix, douze ans, vous vous souvenez…

     

    Donc tout passe et pourtant je m’accroche, j’y rêve encore, jamais je n’ai décroché : je rajeunis d’ailleurs à vue d’œil quand me vient une phrase bien bandante et sanglée et cinglante - et c’est reparti pour un Rigodon.

     

    Vous ergotez sur le style mais je demande à voir: je demande à le vivre et le revivre à tout moment ressuscité vu que c’est par là que la mémoire revit et ressuscite - c’est affaire de souffle et de rythme et de ligne et de galbe enfin de tout ce que vous appelez musique et qui danse et qui pense. Car il que va de soi que le livre fantôme est toute musique comme il est toute pensée et tout reportage et tout travelling et tout rap de mémoire et tout ça valdingue dans l’oubli aussitôt dit.

     

    Depuis lors je reviens chaque matin tôt l’aube à mon livre fantôme dont vous vous demandez s’il va cartonner ou pas, ce dont je me fous divinement. Si je me souviens bien j’ai commencé de l’écrire pour avoir moins peur la nuit, ensuite pour faire le crâne en retour de chasse, mais à l’époque j’étais meilleur à l’oral genre cri primal de rocker, puis j’ai repris mes notes pour savoir ce que je pensais, j’ai raconté mes guerres et mes ruines et j’ai tout oublié sauf ces bribes que je vous disais que vous appelez poésie et qui ne saisit que des lambeaux de tout ça.

     

    Or vous êtes tentés d’en conclure que les mots ne devraient pas exister, mais au contraire : vous n’avez que ça, et toute la musique entre les mots du livre fantôme que jamais vous n’écrirez sans l’oublier à mesure…

     

    Nota bene: ce texte écrit ce matin n'a (presque) rien à voir avec le livre de Richard Millet intitulé Langue fantôme, lu hier soir. Il répond à une commande du journal Le Persil dont la prochaine livraison sera consacrée, précisément, au livre fantôme.

  • Cherp le frondeur mystique

     

    Cherp (kuffer v1).jpg

    Ecrivain romand majeur, styliste et polémiste parfois endiablé, stalinien déçu et gauchiste agacé par les siens, il se disait "presque un juste"...

    Gaston Cherpillod est mort. Après Alice Rivaz, Maurice Chappaz, Georges Haldas et Jacques Chessex, la littérature romande du dernier demi-siècle perd une de ses grandes figures. Moins connu que les précédents, le Vaudois avait bâti une oeuvre fondue en unité mais touchant à divers genres (romans, récits, poésie, pamphlets), dont la langue très raffinée contrastait avec les origines de l'écrivain fils de prolétaires.

    Né en 1925 dans une famille d’ouvriers, poussé par son père aux études et devenu lui-même professeur, il fut de la Promotion Staline, comme l’indique le titre d’un de ses livres, communiste viré de l’enseignement pour cela même. Après un essai d’inspiration marxiste consacré à Ramuz l’alchimiste (1958), l'écrivain s'imposa, la quarantaine passée, avec Le Chêne brûlé, (1969) où s'affirmaient la force et la singularité d’une voix en marge de la littérature « bourgeoise». Ayant rompu avec le Parti ouvrier populaire dès 1959, de plus en plus critique envers la gauche institutionnelle et les mouvances contestataires issues de mai 68, Gaston Cherpillod sera toujours resté actif dans les marges de la Cité, à l’extrême-gauche proche des Verts. Dans son œuvre, cependant, la célébration de l’Eros, à travers le culte quasi médiéval de la Femme ou l'amour fusionnel de la nature, passe avant le discours politique. De même, le trait polémique le cède souvent à la confession candide au fil d’une vaste chronique autobiographique où la plus tendre empathie (surtout marquée à l’égard des humbles) va de pair avec la rage du moraliste resté fidèle à l’idéal foulé au pied par ses anciens camarades.

    Cherpillod5.jpgLes étapes marquantes de son oeuvre kaléidoscopique seront le récit d’Alma Mater (1971) bien ancré dans nos régions, les nouvelles du Gour noir (1972), le roman plus ambitieux - peut-être son chef-d’œuvre - que représente Le Collier de Schanz (1972), suivi de nombreux autres livres frappés au même sceau d’un style sans pareil, à la fois puissant et chantourné. Or ce qui nous semble caractériser la démarche et l’écriture de Gaston Cherpillod est cette «manipulation alchimique» consistant à transmuter son expérience vécue en légende, au fil d’une opération qui engage à la fois la porosité sensible du poète et les tours de mains de l’infatigable artisan des lettres. Il y avait du mystique inspiré et du croisé rouscailleur chez cet empêcheur de lénifier en rond, de l’aristocrate chez ce fils de prolos jamais guéri des humiliations subies par les siens - du contemplatif et du juste aussi.

    L’oeil vif, l’esprit clair comme l’eau de rivière qu’il disait son élément, le verbe cinglant, la rage déboulant en tornade avec son tremblement d’anathèmes (sus au bourgeois, au profiteur ou au pair écrivain en mal d’honneurs ),Gaston Cherpillod estimait, quand on l’interrogeait sur le bilan de sa vie, que rien n’avait fondamentalement changé pour lui quant aux trois cultes qu'il avait voués à l’Amour, la Poésie et la Justice.

    Au nom de la troisième, le fils d’ouvrier avait sacrifié à ce qu’il appela ensuite «une grande hérésie », mais le communiste vaudois des années 50-60, au parcours ultérieur de gauchiste plus vert d’esprit que d’appareil, n’était pas du genre à se justifier pour être mieux vu.

    Lui qui se rêva parfois ébéniste, était devenu écrivain libre et à vie, avec le soutien de Madame, son épouse médecin. Raillant la notion de "carrière" le scribe têtu disait se moquer pas mal de « réussir ». Hérétique à force de non-consentement, il avait passé d'un exil intérieur à l'autre sans cesser pour autant de cultiver l'amitié: écolier pauvre chez les collégiens de « milieu aisé », déçu de la Révolution avant de le devenir de Mai 68 et de l'écologie acclimatée, Gaston Cherpillod sera pourtant resté toujours frais et vif comme un gardon dans le courant d'une langue sans pareille. Paix à son âme. Son verbe bien vert lui survivra !

    Le rebelle. - On redécouvre une Suisse insoupçonnée dans ce premier récit autobiographique de l’écrivain dont la mère et le père s’échinaient à travailler dur sans parvenir à nouer les deux bouts. Su ce fond d’âpre nécessité, qu’adoucissent cependant les sentiments et les valeurs défendus par les siens, l’auteur raconte, dans sa langue à la fois directe et tarabiscotée, lyrique et rebelle, son parcours de fils de prolétaire accédant à l’Université, dont l’engagement (au POP, de 1953 à 1959) lui vaudra l’exclusion de l’enseignement public. Le Chêne brûlé. L’Age d’homme, coll. Poche suisse.

    Maître de l'autofiction. - Ce roman-autofiction constitue la ressaisie la plus ample des expériences sociales, professionnelles, littéraires et « privées » de l’écrivain, avançant ici sous le masque de François Péri. Tableau vivant et souvent mordant de la « société-fric », Le collier de Schanz est également une plongée dans les profondeurs de la relation érotique, au sens le plus large, entre homme et femme, et une belle évocation de l’amitié. À relever aussi la fusion constante de l’univers verbal du poète et de l’environnement naturel omniprésent. Le collier de Schanz. L’Age d’Homme, collection Poche suisse.

    Sourcier de mémoire.- Gaston Cherpillod n’a jamais vraiment été romancier. Plutôt chroniqueur de faits vécus, il excelle dans le portrait acéré et parfois adouci par la tendresse, autant que dans l’évocation lyrique ou la bouffée gaillarde. Souvenirs du militant de gauche ou de l’enseignant, démêlés sociaux ou professionnels avec le conformisme bourgeois ou la bureaucratie, retours de mémoire en multiples méandres, mélancolie du « conjoint survivant » et de l’éternel amoureux se rappelant les « minutes heureuses » de sa jeunesse : il y a de tout ça dans ce recueil de quatre récits reliés les uns aux autres. Une écrevisse à pattes grêles. L’Age d’Homme, coll. Poche suisse, No 208.

    Cet hommage a paru dans l'édition de 24 Heures du 11 octobre 2012.

     

  • Ceux qui remontent aux sources

    Wölfli3.jpgArtCongo2.jpg

    Celui qui se sait une part Lötschental3.jpgd'Afrique au Lötschental / Celle qui sent en elle une ascendance princière / Ceux qui rampent à contre-courant pour rejoindre leurs pères qui les ont jetés-là / Celui qui se demande ce que signifie le sourire-là de Kabila à Kagamé / Celle qui se rappelle l'éclair de la hache des Basakata / Ceux en qui frémit la fierté d'être soi / Celui qui se trouve au point où les aïeux pâlissent / Celle qui accueille le ciel de Kinshasa le soir dans son regard bleu à reflets flammés de pourpre et d'or / Ceux qui ne lèvent plus les yeux vers le ciel qu'ils disent ingrat / Celui qui s'est senti trahi par sa ville natale / Celle qui souffre de la beauté frelatée de la ville-lupanar / Ceux qui ferment les yeux dans le métro de New York à la seule évocation de la pulpe juteuse de la mangue / Celui qui trouve ce soir un goût amer au vin du désir / Celle qui reste fidèle au dieu Loba au dam de l'évangéliste à Mercedes / Ceux qui ont entendu dire que Paul Kagamé avait deux ou trois choses à se reprocher mais les gens sont médisants n'est-ce pas / Aborigne2.jpgCelui qui s'est souvent interrogé sur la fonction d'idiot utile de l'écrivain / Celle qui pionce au fond de l'église du réveil / Ceux qui vont à la bringue sous la surveillance des milices / Celui qui a vu les hommes-léopards en rêve et se contente de brasser les couleurs dans son atelier d'artiste sans même lire le dernier numéro de Jeune Afrique et autres magazines-là / Celle qu'on appelait la demeurée du Gabon dans le quartier des Bleuets / Ceux qui avaient des sagaies à leurs murs évoquant leurs années aux missions / Celui qui a toujours respecté les Pygmées / Celle qui a vu son neveu Paul ingérer un bol d'iboga après avoir lu Carnages de Pierre Péan / Aborigène1.jpgCeux qui voient un lien entre les peintures du schizophrène alémanique Adolf Wölfli et l'art dit primitif / Celui qui pose au défenseur des droits de l'homme alors qu'il ne fait qu'effacer le passé colonial de ses parents planteurs d'hévéas / Celle qui observe les petits sorciers de la rue de Kin la belle devenue Kin la poubelle / Ceux qui s'en remettent aux dieux païens faute de mieux / Celui qui a vu Les Hommes arrivent de la mer sur la scène de la Halle de l'étoile / Celle que le pillage de son pays incite au silence / Ceux qui parlent de projet de société dans laville-désastre / Celui qui tient la Vérité en laisse en passant ses ministres en revue / Celle qui milite pour un monde pluriel ouvert à la poésie en espéranto et à la défense des pandas / Ceux qui ne pourront voir les gracieux gorilles du parc des Virunga au motif que la guerre y fait rage entre les bipèdes à cerveaux surdéveloppés, etc.

    ArtCongo1.jpgWölfli1.jpg

    (Cette liste a été jetée en marge de la (re)lecture des Carnets de Kinshasa de Bona Mangangu et de Carnages de Pierre Péan).

     

    Images: Peintures d'Adolf Wölfli, masques du Lötschental suisse et du Congo, art congolais et aborigène d'Australie.