Celui qui se sait une part d'Afrique au Lötschental / Celle qui sent en elle une ascendance princière / Ceux qui rampent à contre-courant pour rejoindre leurs pères qui les ont jetés-là / Celui qui se demande ce que signifie le sourire-là de Kabila à Kagamé / Celle qui se rappelle l'éclair de la hache des Basakata / Ceux en qui frémit la fierté d'être soi / Celui qui se trouve au point où les aïeux pâlissent / Celle qui accueille le ciel de Kinshasa le soir dans son regard bleu à reflets flammés de pourpre et d'or / Ceux qui ne lèvent plus les yeux vers le ciel qu'ils disent ingrat / Celui qui s'est senti trahi par sa ville natale / Celle qui souffre de la beauté frelatée de la ville-lupanar / Ceux qui ferment les yeux dans le métro de New York à la seule évocation de la pulpe juteuse de la mangue / Celui qui trouve ce soir un goût amer au vin du désir / Celle qui reste fidèle au dieu Loba au dam de l'évangéliste à Mercedes / Ceux qui ont entendu dire que Paul Kagamé avait deux ou trois choses à se reprocher mais les gens sont médisants n'est-ce pas / Celui qui s'est souvent interrogé sur la fonction d'idiot utile de l'écrivain / Celle qui pionce au fond de l'église du réveil / Ceux qui vont à la bringue sous la surveillance des milices / Celui qui a vu les hommes-léopards en rêve et se contente de brasser les couleurs dans son atelier d'artiste sans même lire le dernier numéro de Jeune Afrique et autres magazines-là / Celle qu'on appelait la demeurée du Gabon dans le quartier des Bleuets / Ceux qui avaient des sagaies à leurs murs évoquant leurs années aux missions / Celui qui a toujours respecté les Pygmées / Celle qui a vu son neveu Paul ingérer un bol d'iboga après avoir lu Carnages de Pierre Péan / Ceux qui voient un lien entre les peintures du schizophrène alémanique Adolf Wölfli et l'art dit primitif / Celui qui pose au défenseur des droits de l'homme alors qu'il ne fait qu'effacer le passé colonial de ses parents planteurs d'hévéas / Celle qui observe les petits sorciers de la rue de Kin la belle devenue Kin la poubelle / Ceux qui s'en remettent aux dieux païens faute de mieux / Celui qui a vu Les Hommes arrivent de la mer sur la scène de la Halle de l'étoile / Celle que le pillage de son pays incite au silence / Ceux qui parlent de projet de société dans laville-désastre / Celui qui tient la Vérité en laisse en passant ses ministres en revue / Celle qui milite pour un monde pluriel ouvert à la poésie en espéranto et à la défense des pandas / Ceux qui ne pourront voir les gracieux gorilles du parc des Virunga au motif que la guerre y fait rage entre les bipèdes à cerveaux surdéveloppés, etc.
(Cette liste a été jetée en marge de la (re)lecture des Carnets de Kinshasa de Bona Mangangu et de Carnages de Pierre Péan).
Images: Peintures d'Adolf Wölfli, masques du Lötschental suisse et du Congo, art congolais et aborigène d'Australie.