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  • L’Année Prosper

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    … Je ne trahis aucun secret, même si ça ne figure pas dans le Guide Bleu, en précisant que Monsieur Prosper a mis, durant cette année qu’il a passée chez nous, une ambiance du tonnerre, d’abord avec la Carmen aux torrides cigares, puis avec la Gazul à la chique mielleuse - ces jeunes beautés hispaniques qu’on entendait piaffer et soupirer dans sa garçonnière, et jusqu’à ce comte Szemioth à la moustache magnétique dont il nous assurait, le drôle, qu’il était né d’une femme et d’un ours …

    Image : Philip Seelen

  • Diatribes post mortem

     

     

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    Quand Peter Rothenbühler, rédacteur en chef du Matin, fait la morale à JLK à propos de son hommage à Jacques Chessex dans 24Heures, rédigé en une demi-heure…

     

     

    Sur le Blog de Peter Rothenbüler (http://peterrothenbuhler.bleublog.lematin.ch), ce 10 octobre 2009.

     

    Cher Jean-Louis Kuffer, 

    Je ne suis pas Vaudois, je ne connais pas les petites guégerres et les jalousies entre créateurs et critiques, mais je suis devenu, par hasard voisin de Jacques Chessex, j'ai eu l'énorme chance de faire connaissance d'un homme de qui j'avais une idée complètement faussée par l'image qui en a été projeté par la presse locale. L'image d'un homme austère, hautain, difficile, égocentrique, enfin, tout ce qu'on peut dire de mal d'un grand homme. Et les photos publiées dans la presse ne faisaient que confirmer l'image: un type sérieux, au regard fixe, sans le moindre sourire. J'ai connu un homme qui était exactement le contraire: souriant, charmant, poli, tendre. Jacques Chessex se prenait le temps d'écouter, il offrait son temps, pas seulement au journaliste connu que je suis, mais aussi à la concierge, aux artisans et commerçants de sa rue. Cet homme n'avait que des amis, sauf, apparemment, dans la presse et auprès des écrivains qui ne lui arrivaient pas à la cheville et qui mouraient de jalousie parce que lui, il a réussi, et comment! Le prix Goncourt, un réseau à Paris, des articles dans la presse française et allemande. Par ce seul homme, la Suisse romande a existé dans la littérature française.

    Et que faites vous, le jour ou ce grand homme meurt, terrassé par un infarctus: vous dépeignez dans le deuxième paragraphe de votre article un homme qui serait un « forcené »: « La querelle, l'invective, dans les cafés et les journaux, voire la bagarre à poings nus, n'auront point trouvé de représentant plus acharné".

    Vous osez écrire cela au début d'un hommage. Dans le plus grand quotidien d'un canton qui a eu la chance d'exister au delà de ses frontières grâce au rayonnement de l'oeuvre de Chessex.   

    Qu'est-ce qu'il vous a fait? Et quand? Les coups de poings, de quand datent-ils?

    Avez-vous vu les articles que la presse zurichoise à publié à la mort de l'écrivain Hugo Loetscher, il y a à peine quelques semaines?

    Avez-vous suivi avec quel respect et quel reconnaissance les Zurichois lui ont fait les adieux?

    J'ai de la peine. Cette petitesse, cette aigreur qu'on lit entre les lignes de votre hommage, m'afflige.

    Je vous le dis dans l'émotion, spontanément. Et aussi ému de la mort d'un homme qui a créé une oeuvre immense, qui restera probablement pour longtemps le plus grand écrivain romand.

    Bien à vous

    Peter Rothenbühler

     

     À La Désirade, ce soir du même 10 octobre.

     

    Cher Peter Rothenbühler,

    Vous radotez. Il n'y a pas une once de mesquinerie dans ce texte, que j'ai dû reprendre hier en une demi-heure de stress, entre 22h et 22h30,dans un long portrait que j'avais publié de Maître Jacques, qui l'a lu de son vivant et tout à fait apprécié. Nous nous sommes parfois querellés, c'est vrai, et c'était le plus querelleur des écrivains romands, tout le monde le sait à commencer par ses amis. De vrais amis, il en avait à vrai dire assez peu, contrairement à ce que vous racontez. J'ai été très proche de lui pendant plusieurs années, il m'a trahi et je ne lui en veux plus; il a trahi beaucoup de gens dont il se disait l'ami, parce qu'ils ne faisaient pas ses quatre volontés. La vérité c'est que Jacques était un solitaire, sûrement tendre et bon avec ses tout proches, mais cela c'est à sa compagne et à ses fils de le dire et ni à vous ni à moi.
    Ce que vous dites de ses airs sévères sur ses photos, chargeant la presse de cette responsabilité, est ridicule. Jacques surveillait lui-même les images qu'on reproduisait de lui. Lors de l'exposition de Berne, le commissaire de la manifestation, Marius Michaud, m'a dit qu'il lui avait fait des scènes afin de ne garder aucune photo où il souriait. Maître Jacques avait une véritable obsession de l'impression qu'il faisait, et j'en souriais, moi. Jacques Chessex était un être, complexe, très attachant par certains aspects, comme vous le dites, très gentil et affectueux quand il était serein et en confiance, mais je l'ai vu insulter des gens, leur jeter des verres de vin à la face (durant sa période alcoolique), il s'est opposé à mon entrée au PEN -club sous prétexte que je l'avais critiqué tel ou tel jour, et a été forcé lui-même de quitter cette association de défense de la liberté d'expression dans le monde (!) pour m'avoir injurié devant cette jolie assemblée d'écrivains venus de partout; mais le lendemain de cet esclandre où nous sommes affrontés comme dans une scène de western je lui avais pardonné - bref ne parlez pas de ce que vous ne savez que très partiellement en édulcorant le personnage par naïveté ou conformisme.

    Les gens qui portent Jacques Chessex aux nues aujourd'hui, sans le connaître ou sans aimer réellement ses livres, sont soit des conformistes soit des hypocrites. En ce qui me concerne j'ai toujours dit ce que je pensais de ses livres, et c'est lui qui m'a demandé de faire une conférence sur son oeuvre, à Berne, au moment où il a déposé ses archives à la Bibliothèque nationale.

    Des imbéciles ont prétendu que je m'étais brouillé avec Maître Jacques parce qu'il avait refusé de m'attribuer un prix littéraire, ce qui est une pure calomnie. La vérité, c'est que je n'ai pas voulu me soumettre à une manipulation dont il avait la spécialité, par souci de liberté. Il a bel et bien trahi notre amitié, mais cela nous regarde, et je n'estime pas lui manquer de respect en l'évoquant dans ses ombres et ses lumières, aujourd'hui que je pense affectueusement à lui, alors que les concelébrations convenues se préparent dans le pur style de la récupération.

    Jacques Chessex était un forcené, et je l'aimais aussi pour ses excès, mais il avait des défauts, des vanités, des jalousies comme tous les hommes de lettres; c'était un écrivain de premier ordre, mais son oeuvre n'atteint pas la hauteur et la noblesse de celle d'un Ramuz. J'ai essayé de concentrer du mieux que j'ai pu, hier soir, avec mes amis de la rédaction aussi stressés que moi, la substance d'un texte de 20.000 signes en un extrait de 3000 signes et des poussières. Bref,votre leçon si confraternelle et si grotesque quand vous attribuez à Maître Jacques le mérite d'avoiir fait connaître notre journal au-delé des frontières du canton sent tellement le discours de cantine que je vous dis, comme le disait notre cher Gilles à je ne sais plus quel politicien de nos villages juché sur son « podioum » et achevant son hymne par un "Maintennant il me faut... il me faut… il me faut… » Oui, cher Peter Rothenbüler comme vous le dirait notre cher chansonnier : «Maintenant il vous faut descendre de ce podioum»…

    JLK

     

     

  • En famille

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    Le dimanche matin nous nous retrouvions tous dans leur lit.
    On disait que ce serait le bateau La Fringante. Papa écartait les jambes, Maman se collait à lui, le grand Paulo s’enfilait ensuite tout contre elle, et deux filles en sandwich, puis deux garçons et les jumeaux enfin dans leurs chemises de nuit retroussées et ne se retenant pas de canonner des odeurs au scandale de tout l’équipage.
    Tous étant bien emboîtés, c’était Papa, seul maître à bord après Dieu, qui commençait de faire les vagues en serrant bien Maman dans sa fourche tandis que les grands se battaient pour qui ferait la sirène; et tout de suite il fallait gronder Paulo qui écrabouillait les seins de Maman ou griffait les filles de ses ongles carrés de grands doigts de pieds à la gomme.
    Bien entendu, comme il en va de toutes les bonnes choses, ces jeux ont pris fin à un moment donné, sans qu’aucun de nous puisse préciser qui en décida ni pourquoi.
    C’est bien plus tard, en tout cas, que Paulo nous a montré ses premiers poils, et plus tard encore que Maman a parlé à l’aînée des filles qui, de toute façon, savait déjà tout
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  • Ceux qui dénoncent

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    Celui qui estime que son fils Aurélien lit trop et se demande si c’est normal / Celle qui mobilise ses voisins de l’ancien quartier des Oiseaux contre celle qui reçoit les après-midi sans que cela paraisse déranger son mari l’ouvrier Vinard mais vous vous rendez compte pour les enfants ? / Ceux qui épient les amants dans les roseaux en s’indignant à l’idée que des enfants puissent les surprendre dans leur périssoire à faire le french Kiss à bouches que veux-tu / Celui qui s’introduit dans l’ordinateur de son collègue Alban pour vérifier que ce libre penseur n’a pas téléchargé des images d’impubères / Celle qui répand le bruit que quelque chose de louche se passe dans la maison du veuf devant laquelle stationnent des voitures voyantes et l’autre jour le pick-up du Créole à marcel / Ceux qui ont vu le Créole tatoué pisser dans le terrain vague et s’attarder un peu avec son outil dans la main non mais tu te rends compte avec les écoles à côté ? / Celui qui a entendu dire que le Créole aux jeans rouges avait été vu dans la rue des Effluves enfin tu vois quoi / Celle qui se fait bannir du Club des marcheuses protestantes parce qu’elle a refusé de dénoncer son amie Priscilla soupçonnée de pratiquer l’échangisme à Cap d’Agde / Ceux qui prétendent que Sartre n’a pas pu écrire L’Enfance d’un chef sans être lui-même un pédoque / Celui qui va clamant que le plaisir sexuel hors mariage devrait faire l’objet d’une réglementation beaucoup plus stricte et que le coming out dès la petite école est à souhaiter / Celle qui s’est prévalu de sa qualité de femme de pasteur responsable pour instituer la pratique de l’Autocritique intime à la fin du culte sans oublier les pensées malsaines /Ceux qui considèrent que les lesbiennes devraient être tondues / Celui qui a établi une liste des personnages suspects de la Cité des oiseaux où comme par hasard, ah ah, figurent pas mal d’étrangers louchant sur nos femmes seules et même nos écolières nubiles / Celle qui trouve bien jolis les jeunes catéchumènes présumés préférés de l’Abbé Frisson / Ceux qui se demandent où va ce monde où même les ministres ont des penchants / Celui qui « fait » Pattaya chaque année où il se purge de la mesquinerie indicible de ses collègues professeurs de la Faculté des Lettres de Lausanne / Celle qui lit des romans aux aveugles qui la pelotent volontiers pendant ce temps pour leur plaisir réciproque d’adultes consentants et même responsables / Ceux qui relèvent les numéros de plaques des automobiles parquées vers l’étang dit des « sodomistes » / Celui qui confesse à son chef de bureau darbyste que sa mère l’a régulièrement attouché petit enfant jusqu’à faire jaillir le sperme vers l’âge de 9 ans et que ça lui pèse sur la conscience et qu’il se demande s’il doit en référer aux journaux pour un procès posthume et le chef dit non surtout pas après le bureau sera sali / Celle qui menace sa fille de lui enduire les mains de goudron si jamais elle persiste dans le Péché Mortel / Ceux qui ont pris des bains du tonnerre avec leurs enfants et qui vous emmerdent si vous trouvez à y redire, etc.

  • La curée des hyènes

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    De Polanski à Frédéric Mitterrand, ou le réveil des délateurs

     

    L’arrestation de Roman Polanski à son arrivée en Suisse, où il était invité pour y être honoré, au Festival du cinéma de Zurich, avec la bénédiction du Chef de l’Office fédéral de la Culture, le candide Jean-Frédéric Jauslin tout fier de lui rendre hommage, laisse une impression de dégoût accentuée par le comportement hypocrite et lâche de nos plus hautes autorités. La façon dont nos vertueux ministres se sont défilés en se rejetant la responsabilité les uns sur les autres, invoquant « l’état de droit » pour justifier l’extradition du cinéaste alors qu’ils  savent si bien, au déni de l’équité dont ils se targuent, fermer les yeux chastement  en d’autres cas (on se rappelle la protection dont ont bénéficié le financier milliardaire Marc Rich ou le dictateur Mobutu, entre autres), est aussi peu glorieuse que le désastre diplomatique dans nos relations avec la Lybie, qui a vu le président de la Confédération ramper devant le dictateur Khadafi.

    Au nombre des effets collatéraux de la triste affaire Polanski, la campagne de dénigrement visant aujourd’hui Frédéric Mitterrand, qui a « osé » se prononcer en faveur du cinéaste franco-polonais, passe les bornes de l’indignité. Autant l’affaire Polanski est délicate et compliquée, autant la délation visant le ministre de la culture française suscite la crainte de voir s’étendre, en Europe, les manifestations les plus odieuses du politiquement correct à l’américaine. À cet égard, la lecture du dernier essai de Pascal Bruckner, Le paradoxe amoureux, paru chez Grasset, où il évoque notamment les dérives du puritanisme américain en matière de surveillance et de punition, laisse présager des lendemains qui déchantent. À partir de rumeurs infondées, sur la base de quelques pages d’un livre où Frédéric Mitterrand, sans s’en vanter, fait état de relations sexuelles tarifées avec des jeunes Thaïlandais majeurs et consentants, le ministre a soudain été décrit comme un apologiste de la pédophilie indigne de sa fonction. Or ce qui est bien plus indigne, de la part de ceux qui l’attaquent, est d’opérer un amalgame immédiat entre homosexualité et pédophilie, dans la meilleure tradition populiste. Les hyènes qui se déchaînent auront du moins le mérite de nous prémunir contre l’hystérie à venir d’un puritanisme qui, loin de défendre la vertu, fait le lit de la médiocrité et de la tartufferie. Un bon contrepoison à recommander enfin : la lecture de La Tyrannie du plaisir (Seuil, 1998)  de Jean-Claude Guillebaud, qui oppose la réflexion équilibrée au délire vengeur…      

  • Dimension Nobel ?

     

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    L’Académie de Stockholm a crée la surprise, hier, en décernant le plus prestigieux des prix littéraires mondiaux à la romancière et poétesse allemande Herta Müller. Alors que les noms d’écrivains concélébrés tels les Américains Philip Roth ou Joyce Carol Oates, l’Israélien Amos Oz ou le Libanais Adonis , revenaient une fois de plus au premier rang, la récompense suprême est revenue à un auteur méconnu du grand public francophone, qui n’a accès qu’à trois traductions de l’oeuvre: La confrontation (Métailié, 2000), L’Homme est un grand faisan sur terre (Maren Sell/Gallimard Folio, 1990)  et Le renard était déjà le chasseur (Seuil,1996). D’origine roumaine, où elle est née en 1953, mais établie à Berlin depuis 1987, Herta Müller est cependant une figure de la scène littéraire germanique, déjà consacrée par le prestigieux prix Kleist en 1994.

    Selon les termes de l’Académie, Herta Müller est récompensée pour avoir « avec la concentration de la poésie et l'objectivité de la prose, dessiné les paysages de l'abandon ». Issue de la minorité germanophone du Banat, la romancière a commencé d’écrire pour rompre la parole  mensongère de son père, ancien SS, et décrire la réalité telle qu’elle était sous la dictature de Ceausescu. A cet égard, cette consécration rappelle celle d’un Imre Kertesz, largement méconnu lorsqu’il fut nobélisé en 2002, et dont on a découvert l’oeuvre depuis lors.

    Quant à la question du « mérite » effectif des lauréats du Prix Nobel de littérature, elle est vaste, soumise à tous les ethnocentrsimes et tous les goûts et à la légitimité des jurés qui ont « oublié » Proust et Nabokov, Céline et Borges, Ramuz et pas mal d’autres…

  • Le dernier tabou

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    Ecrivains et pédophilie. À propos de Polanski, Frédéric Mitterrand et d’une confusion générale sous contrôle politiquement correct…

    La littérature universelle n’a cessé d’évoquer, depuis la plus haute Antiquité, tous les états du désir. Les enfants, selon les cultures, n’y ont pas échappé, sous des formes plus ou moins sublimées. En Occident, les écrits du marquis de Sade (1740-1814) sont les plus explicites de nos temps modernes, où des impubères des deux sexes se mêlent à toutes les orgies. Or Les œuvres de Sade ont quitté les « enfers » des bibliothèques et des librairies depuis belle lurette. Mais le « divin marquis » passerait-il aujourd’hui à la télévision ? Rien n’est moins sûr.
    À l’heure du politiquement correct, la formule selon laquelle « tout peut s’écrire, mais tout ne peut pas se dire », se vérifie tous les jours. Gabriel Matzneff, auteur de grand talent, en a fait l’expérience en 1993, sur le plateau de Bernard Pivot, face à la romancière québecoise Denise Bombardier qui l’attaqua frontalement sur ses amours avec de très jeunes gens des deux sexes (entre 11 ans et 16 ans, selon l’aveu même de l’écrivain dans ses Carnets). Matzneff, injustement impliqué par ailleurs dans le scandale pédophile du Coral, n’en fut pas moins «remercié» par le journal Le Monde et perdit tout crédit sur la scène médiatique. Un sort moins enviable encore fut celui de Tony Duvert, chantre militant du droit des enfants à disposer de leur corps, dont Paysage de fantaisie fut couronné par le Prix Médicis en 1973 et qui se retira du monde en 1990 après son Abécédaire malveillant, pour mourir dans la solitude et l’opprobre. S’il n’était passé inaperçu, le roman de Maurice Heine intitulé Luce, Les mémoires d’un veuf, aurait « mérité » pareil traitement.
    Plus discrets et prudents, et bénéficiant d’un contexte social moins tendu sur la question, un Henry de Montherlant ou un Michel Tournier, autres amateurs de jeunes garçons, n’ont jamais été en butte à la vindicte publique. Dès 2003, Alain Robbe-Grillet dénonçait cependant, à propos de La Reprise, où une adolescente apparaît sous les traits d’une « violeuse » virtuelle, les critiques selon lui « grotesques » dont il fit l’objet, comme celles qui ont visé le peintre Balthus. Sous les mêmes accusations, un enseignant picard fut arrêté par la police en 2000 pour avoir fait lire à ses élèves Le Grand cahier d’Agota Kristof où des parents avaient cru débusqer un auteur pédophile. À quand le procès posthume de Nabokov pour sa perverse Lolita ?

  • Magnifique Ella Maillart

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    Un témoignage inédit de Charles-Henri Favrod

     

     

    J’ai rencontré souvent Ella Maillart avant d’obtenir qu’elle me montrât ses photographies. Elle me renvoyait toujours à ses livres où, disait-elle, se trouvaient « les seules passables ». Dans le petit chalet de Chandolin, un jour de grand soleil, elle disparut. Pas loin. Il n’y avait que deux chambres, et l’autre contenait sa bibliothèque, son lit. Elle en revint avec quelques boîtes de carton bleu. Elle m’expliqua aussitôt qu’il n’y avait rien là digne d’intérêt si ce n’est le système simple qu’elle était fière d’avoir inventé pour consulter ses fiches : un ruban simple les maintenant ensemble et en permettant l’inclinaison.

    J’avais enfin en main les premières images : le voyage à Moscou, en 1930. Et je fus émerveillé. Ella Maillart se mit aussi à regarder et à se souvenir. La partie était gagnée, car elle y prit plaisir. Peu tournée vers le passé, y avait-elle mi le nez depuis la publication de Parmi la jeunesse russe ? Elle bougonna évidemment, à son habitude, disant que c’était banal et que ça pouvait embêter les gens. Je rétorquai que personne n’avait photographié comme elle la capitale des Soviets, au moment où Arthur Feller écrivait L’expérience du bolchevisme. « Le parti de Trotsky est vaincu, l’opposition de droite réduite en silence, la voie à suivre tracée par le plan quinquennal au milieu d’un formidable chaos. » Au moment où Emil Ludwig obtenait une interview de Staline et résumait ainsi son impression : « Voilà un homme qui semble n’aimer absolument personne. »

    Ces photographies de Moscou et de Russie, Ella Maillart les as faites avec une vieille boîte et des chutes de film de cinéma que lui donna Poudovkine. Mais, à Berlin, au retour du Turkestan, le gérant d’un laboratoire vit l’image des cavaliers kirghizes, l’aigle ou le faucon au poing, et réussit à convaincre Ella Maillart d’accepter un entretien avec le Dr Leitz. Admiratif, celui-ci lui donna un Leica, l’appareil miraculeux qui commençait à bouleverser le marché photographique, et même un deuxième en cas d’accident survenu au premier, sans oublier un agrandisseur et un appareil de projection pour agrémenter ses futures conférences. Est-il nécessaire de rappeler qu’au début des années trente, parmi quelques autres titulaires, Erich Salomon et Henri Cartier-Bresson étaient précisément en train d’inventer, avec Leica, la nouvelle photographie ?

    Voilà comment à Chandolin, en 1988, a été décidé le dépôt des seize mille négatifs d’Ella Maillart au Musée de l’Elysée. J’en ai rarement vu d’aussi bien maîtrisés : ils ont tous une fiche, avec un tirage de travail et une légende très complète, une date précise, les circonstances de la prise de vue. Le Musée a reçu du même coup une centaine de négatifs et de plaques positives concernant les croisières maritimes, les films de cinéma sur l’Afghanistan, les textes et les diapositives des plus grandes conférences.

    J’ai monté l’exposition de 1990, contraint de faire des choix difficiles, tant les images significatives abondaient. Je m’en suis tenu aux itinéraires, privilégiant ce qu’il y a d’unique dans ces archives d’Asie, en particulier sur le Turkestan russe et chinois. Personne d’autre n’en a ramené à cette époque tant de documents essentiels. Les négatifs ont souffert des conditions dans lesquelles ils ont été développés. Ils ont subi les épreuves du climat, du vent  de sable, de l’eau trouble, de la désinvolture d’Ella Maillart qui n’a jamais su se prendre au sérieux. En fin de vie encore, malgré l’admiration des experts, elle ne se laissait pas convaincre. A l’entendre, il aurait fallu ignorer Moscou et privilégier les monuments qu’elle a toujours et partout photographiés pour remédier à une mémoire qu’elle jugeait défaillante, qui s’effrite comme les pierres.

    Cette mémoire, j’ai pu en vérifier l’acuité. Au fur et à mesure que je lui montrais les photographies tirées, elle se souvenait de tout : du nom des gens rencontrés, de ce qu’elle avait alors dans son sac à dos, des odeurs, du temps qu’il faisait. C’est ainsi que j’ai appris qu’un seul livre l’avait accompagnée lors du périple chinois et himalayen, Le Jeune Parque de Paul Valéry. « Réciter de la poésie face à l’immensité de la nature est une source inépuisable de bonheur ». Au grand agacement de son compagnon de route, Peter Fleming, elle en a fait retentir le Sinkiang, sur le dos de son cheval Slalom, dont la mort la hantait encore, bien qu’il trotte toujours sur les photographies. « Si c’était à refaire, j’emporterais le sac de pois cassés qui lui a manqué pour survivre. »

    Lui en a-t-il fallu de l’énergie pour faire des images dans la chaleur, le froid, l’étendue ? Mais cette femme, sa vie durant, n’a cessé d’avancer, sans se retourner, toute au but qui, comme l’horizon, se dérobe toujours. Heureusement, la photographie est un éternel retour. Prothèse de l’œil et de la mémoire, l’appareil retient ce qui passerait sinon. Et je sais maintenant que mon obstination à vouloir voir les fameuses boîtes, ma recherche du temps perdu, au risque de provoquer l’agacement d’Ella Maillart, l’a en définitive comblée du passé retrouvé.

    A Sotchi, en 1930, au retour du Caucase, Ella Maillart écrit ce texte étonnant : « La réalité géographique de la Terre m’obsède. Je sens autour de moi la vie des latitudes, dotée chacune de sa couleur spéciale. Pas une de mes pensées qui ne soit en quelque sorte orientée vers l’un des points cardinaux. Je suis prise à jamais dans les lignes de force de l’aiguille aimantée. » Et, deux ans plus tard, au Turkestan russe : « La première nuit que je passe sur la terre aride d’Asie est inoubliable : enfin mon regard rencontre le dôme ininterrompu du ciel ; enfin le vent qui souffle est semblable à un élément puissant et primordiale et balaie dans sa course tout un continent : mon être est pénétré par cette sensation nouvelle d’immensité. »

    Il me plaît qu’à côté de l’écriture, dont elle disait qu’elle ne l’avait jamais maîtrisée, elle soit aussi cette superbe photographe qu’elle prétendait n’avoir jamais été.

    Ella, l’impatiente, l’insatisfaite, la modeste, l’inlassable, la magnifique !

    C.-H. F.

     

    Ce texte est à paraître dans la prochaine livraion du Passe-Muraille, fin octobre 2009.

  • Carnet nomade

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    Objets de curiosité

    Par René Zahnd

     

    J’aimerais me souvenir de tout ce dont je ne me souviens pas. Comme cette belle idée, je m’en souviens, que me confiait un jour Jacques Roman, de répondre aux « je me souviens » de Perec par une suite de « je ne me souviens pas ». Je ne me souviens pas du jour de mes vingt ans. Je ne me souviens pas de ce qu’elle portait quand je l’ai rencontrée. Je ne me souviens pas de mes premiers pas. Mais je me souviens de tant de pérégrinations africaines, d’impressions et de sentiments, éprouvés là-bas, toute une matière que je retrouve en écho dans l’heureux nouveau livre de Lieve Joris : Hauts plateaux.

    Avec Ibra le Fantasque, compagnon de hasard qui me guidait le long de la falaise des Dogons, de village en village, nous marchions le matin, puis en fin d’après-midi, à ce moment particulier que les Maliens nommaient si joliment le « petit soir ». L’après-midi, il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire que la sieste, à l’image de la création tout entière semblait-il, hommes et bêtes égaux sous la presse du soleil. Cette fois-là, je dormais sous un abri ouvert et je me souviens : mon réveil en sursaut, ma stupeur de voir une vingtaine de gamins, assis tout autour de moi en silence, qui m’avaient observé en train de dormir. Ils avaient examiné ce drôle de zèbre que le chemin avait amené. Quand mes yeux s’étaient ouverts, les plus petits s’étaient enfuis.

    Etre l’autre. Etre différent. Etre un objet de curiosité. Voilà bien ce que l’on éprouve sans cesse quand on parcourt l’Afrique et qu’on s’aventure en brousse. On s’expose aux regards. Des ribambelles de gamins te suivent. Ils te demandent un  bic, te taquinent, te prennent la main, te touchent, te tirent les poils. Il y en a partout. Ils veulent tout savoir. Comprendre qui tu es, mais avant tout comment tu es fait. Leur enquête est quasi anatomique. Ils n’ont jamais vu ça. Cette peau qui rougit au soleil. Cette pilosité. Cette épaisseur des membres.

    « Même les animaux s’étonnent de ta venue » glisse à Lieve Joris son guide du moment et le récit de son périple à pied sur ces hauts plateaux congolais me fait cheminer à ses côtés. Quand elle raconte comment les Banyamnlenge couvent leurs vaches d’un regard d’amour, je pense aux peuls ou aux masaïs que j’ai vus faire pareil. Pour eux, le monde semble parfois se résumer à quelques bovidés, d’ailleurs superbes.

    Et tant d’autres choses vues, observées, éprouvées surgissent au gré des pages, comme pour taveler la mosaïque forcément partielle de la réalité en Afrique. Les tracasseries policières, les superstitions, les sorts jetés, le bric-à-brac métaphysique des prédicateurs, le poids des us et coutumes, parfois aussi le spectre de la guerre et des haines ethniques enfouies sous le vernis de la vie quotidienne, mais encore la beauté, l’humour, la générosité et jusqu’à cette distorsion du temps qui naît des espaces sans fin, où les pulsations ne semblent pas les mêmes qu’ailleurs, où les montres aux poignets sont des boussoles qui permettent de garder, pour ne pas être entièrement perdu, l’azimut des heures.

    Et ces marches, ces nuits silencieuses, ces solitudes dans des paysages grandioses finissent toujours par te renvoyer à toi. Est-ce pour trouver cet état que l’on se met sur la route ? Lieve Joris pense à son enfance, à sa mère qui vient de mourir, accompagnée jusqu’au dernier battement de cil.

    « Le voyage pose les bonnes questions sans fournir toutes les réponses », affirme Nicolas Bouvier. Un vrai livre est d’un effet comparable, à l’image de celui de Lieve Joris, tout de sensibilité, de fines notations. Et lorsqu’on arrive au bout de l’itinéraire, forcément changé par la réalité qui nous a frictionné, mais aussi par ce qui s’est mis en mouvement en soi, on sait que rien n’est pas terminé. L’arrivée n’est pas la conclusion. Quelque chose reste suspendu. Le voyage est sans fin. Et quand on referme le livre, on pense forcément au prochain. Au prochain départ. Au prochain livre à ouvrir.

    R. Z.

    Joris3.jpgLieve Joris, Les hauts plateaux, traduit du néerlandais par Marie Hooghe, Actes Sud, 2009, 135 p.

     

    Cette chronique est à paraître dans la prochaine livraison du Passe-Muraille, No79, octobre 2009.

  • La vie à la venvole

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    Lettres aux hirondelles de Ramon Gomez de La Serna
    C’est un constant et croissant, allègre et profond bonheur que nous vaut la lecture des Lettres aux hirondelles de Ramon Gomez de La Serna, treize en tout et rédigées à chaque retour de printemps. L’inépuisable sourcier d’images y déploie, avec une verve et une ferveur sans pareilles, toute sa profuse et baroque fantaisie inventive, laquelle n’est jamais d’un artificier brillant pour briller, tant l’éloge qu’il fait de la vie est lié chez lui à l’amour de celle-ci et de toutes ses manifestations, en toute connaissance de sa face d’ombre.
    Dans son Prologue, Ramon annonce la couleur du livre qui manifestera « une aspiration spirituelle », dit-il, « vers tout printemps à venir », et tout aussitôt les images lui sortent du chapeau en vols virevoltants, comme autant de greguerias.
    Dans la foulée, il faut alors rappeler ce qu’est la forme la plus caractéristique de l’art du poète, combinant une métaphore et une pointe d’humour dans une sorte d’aphorisme lyrique, de « fusée » ou de haï-ku non versifié.
    Premier exemple de gregueria tiré de ce même Prologue : « Les hirondelles imitent de leurs cris et de leurs sifflements les coups de frein des autos quand elles retiennent leurs quatre roues au seuil de l’été ».
    Deuxième exemple : « L’hirondelle se baigne un instant dans l’eau comme la main qui frôle le bénitier puis trace le signe de croix de son vol ».
    Troisième exemple : « L’hirondelle qui, rapide, passe le coin de la rue semble apporter dans son bec une épingle à la dame qui en a besoin de toute urgence ».
    Quatrième exemple : « Trois hirondelles arrêtées sur le fil du télégraphe forment la broche de la soirée. »
    Cinquième exemple : « Les hirondelles ouvrent les pages des livres purement contemplatifs comme d’incessants coupe-papier ramenés d’Alexandrie ».
    Sixième exemple : « L’hirondelle réussit à aller aussi loin parce qu’elle est la flèche et l’arc à la fois ».
    Et septième exemple puisque tout va par sept au matin du monde : « L’hirondelle est une écriture, bâtons et virgules réunis par la plume pressée du scribe espiègle du destin ».
    Et c’est parti à cent vingt-cinq à l’heure (vitesse de pointe de l’hirondelle) pour un festival qui réunira toutes les variétés d’arondes, des ailes bouclées aux arboricoles en passant par l’américaine et le martinet bleuté, pour brasser large et dire leur « poésie sans contenu, belle dans sa manière de distraire et de dissuader des rachitiques et mesquines idées d’argent qui cherchent à remplir l’âme contemporaine ».
    De fait il n’y a rien de gratuit ou de futile dans ces lettres, même si les hirondelles sont dites « les moustaches et les barbiches du ciel ».
    Car il y a ceci de plus essentiel : « On dirait des bêtes mais ce sont des âmes, des prête-noms, des exécutrices testamentaires, des marraines volantes ».
    Toute la poésie, débonnaire d’apparence et divinement poreuse en réalité, de Ramon Gomez de La Serna, fuse et quadrille le ciel de la page dans une suite de pensées-images aux résonances infinies : « Vous êtes comme un vertige d’aiguilles de pendules pointées, libres et emportées par le vent en un tourbillon d’heures aiguës et vous avez quelque chose à voir avec la rapidité du temps, en créant votre hirondellesque remue-ménage. Le doigt de Dieu fait bouger les ailes et les queues effilées à l’heure exacte.
    « Je vous écris parce que vous n’avez pas de consigne et que vous ne vous laisserez pas prendre dans de viles polémiques, dans des questions de centimes. Vous êtes une eau apaisante pour la soif de folie, la soif la plus difficile à étancher que vous êtes les seules à calmer, en vous déplaçant sous la dictée de ce qu’il n’y a pas à expliquer ni à s’expliquer ».
    « Je vous vois avec vos gilets de chambellans barrés d’une écharpe, et je sais que vous êtes de petits êtres romantiques qui vous promenez dans la roseraie du ciel ».
    « Sur le mont Calvaire vous avez ôté ses épines au Christ et, depuis lors, votre bec est comme l’épine de la chance, bien que sur votre bouche soit resté le rictus déchirant de cette douleur. »
    Il faut savoir gré à l’éditeur marseillais André Dimanche, et à Jacques Ancet pour sa traduction et sa lumineuse introduction (où sont notamment rappelés le sens du recours à l’épistole et les circonstances de la composition du recueil, dès 1936 en Argentine), qui nous offrent cette édition regroupant les Lettres aux hirondelles et les Lettres à moi-même, d’une tout autre tonalité, plus grave et mélancolique – et j’y reviendrai sous peu comme au Torero Caracho qui paraît simultanément.
    Nous sommes un lundi au ciel d’hiver déserté depuis longtemps par les hirondelles, mais celles-ci sont le gage même du « tout continue ».
    « Le printemps tout entier amène un cornet d’hirondelles et l’ouvre pour qu’ait lieu ce magique repeuplement du ciel qui proclame la continuité de la vie par-delà la continuité de la mort »…

    Ramon Gomez de La Serna. Lettres aux hirondelles et à moi-même. Traduit de l’espagnol et présenté par Jacques Ancet. André Dimanche éditeur, 191p.