Anne-Marie Jaton au débotté
Georges Simenon. Lettre à mon juge. Le Livre de poche. «Georges Simenon est souvent cantonné dans le rayon policier, alors que les tragédies du quotidien de ce grand écrivain révèlent, sur le simple ton du constat, l’inquiétante fragilité humaine. Lettre à mon juge m’est particulièrement cher, parce que ce roman nous rappelle que nous pourrions tous, demain, être saisis de vertige, devenir des assassins, et que nous aimerions alors qu’au moins un homme sur la terre nous comprenne avant de nous juger. On se sent ainsi tout proche de Charles Alavoine, respectable médecin qui a tué sa maîtresse après avoir été dominé par les femmes. »
J. M. Coetzee, Elizabeth Costello. Points Seuil, 348p. «Après la série de romans à valeur de fables politiques qui ont fait sa célébrité mondiale et lui ont valu le Nobel, Coetzee a signé plusieurs livres plus personnels. Il y a sans doute de lui dans la célèbre romancière vieillissante de ce roman que j’aime parce que la protagoniste réfléchit sur ce que sont la littérature, la lecture, les mots qui nous façonnent et nous « guident », s’y interroge sur la compassion, la charité, l’ « obscénité » liée à la guerre plus qu’au sexe, la vérité qui réside peut-être simplement dans l’existence de grenouilles grandes comme le petit doigt de la main...»
La patience du brûlé de Guido Ceronetti. La Patience du brûlé. Albin Michel, 452p. «Rien de convenu ou d’attendu dans ces Carnets de voyage 1983-1987 d’un observateur acerbe de la « pollution » contemporaine, au sens le plus large, que lit un ami en prison et que j’essaye de relire à travers les yeux de celui-ci : fragments, tristesse du monde, fulgurances, compréhension de tout enfermement et de toute amputation, drôleries de marionnettiste, œuvre d’un écrivain terriblement aigu, immergé, à s’y noyer, dans une écriture-océane, où alternent les moustiques, Yom Kippur, Goya, le thé et les fraises, qui écrit que « nous sommes des êtres fragiles et terrifiants, faibles et effrayants »…
Anne-Marie Jaton, professeure de littérature française à l'Université de Pise, a signé de nombreux ouvrages, notamment sur Lavater et Cendrars, dont les derniers sont consacrés à Nicolas Bouvier et à Charles-Albert Cingria, parus dans la collection Le Savoir suisse. Elle en prépare un nouveau sur Raymond Queneau.
Commentaires
FEMMES A ABATTRE
Au moins un homme sur terre
Comprend et ne juge pas
Ce qu'il voit se lever
Dans les bras de l'aurore
L'obscénité est une couleur de pensée
Revendiquée par une courtisane
Qui se la joue sans savoir
Inventant la vérité
Comme un profond trou noir
Le brûlé qui connait la patience
Joue aux dominos nucléaires
Sans s'inquiéter de l'épaisseur de la brume