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  • Le retour de Kilgore


    Un nouveau roman-culte
    Les chroniqueurs se ruent, les columnistes se précipitent, les émules médiatiques de Beigbeder et d’Ardisson foncent comme des drones sur les supergondoles : le dernier Kilgore Trout est arrivé, qu’on se le dise !
    Avant même que l’éditeur n’en verse le premier à-valoir on le savait : le nouveau roman post-new-clash de Kilgore Trout, digne pair de Thomas Pynchon, en mieux, sobrememt intitulé I come et représentant, sous forme de contrainte littéraire paraflegmatique et futurible, la rétrospection du Quichotte et d’Under the Volcano en version compactée, sera le Top des Tops à venir, relançant soudain la fascination d’une génération perdue et demie pour l’un des maîtres du mouvement de l’Enigmatique Existentielle incarné par les Salinger, Ducharme et autres Duvert.
    Comme se le rappellent les experts absolus du genre, tels Aube Lancemin du Nouvel Obs’ et Germinal Lemeur des Inrocks, Kilgore Trout, compagnon de Kurt Vonnegut au Vietnam (Our Bloody ‘Nam fut un hit du warrior-gonzo, chacun s’en souvient), a complètement renouvelé l’approche dite du Trou noir existentiel en instaurant sa pratique créative de la narration aléatoire à points de vue séquencés. Il n’est que de rappeler les succès californiens puis mondiaux de Fuck the Buck, paru en pulp à L.A. et encore proche du réalisme poétique d’un Charles Bukowski, et surtout l’apothéose de Back to the Mother’s Spidernest, dont Jim Harrison a pu dire qu’il marquait la conjonction de l’esprit des Grands Lacs et du souffle des Cités de la Nuit, pour imaginer l’événement multimondial que va représenter la parution simultanée, en 66 langues, d’ I Come, dont le seul titre fait d’ores et déjà figure de manifeste.

    Portrait de Kilgore Trout, par LoBello, 1997.

  • Madame Berchtold

    Quatre d’entre elles (2)

    A  La Désirade, ce 14 janvier. - Dans la catégorie variée des femmes d’écrivains, un genre me fait horreur et c’est celui de l’Admirable Compagne, dont la seule appellation dissimule le plus souvent des liens de dépendance plus que douteux, alors que me ravit le type en voie de disparition de l’épouse aux petits soins, qui s’écrit naturellement sans majuscules et s’entend avec malice.
    Madame Berchtold est le type de l’épouse aux petits soins, et c’est donc avec une double allégresse que je me rendais, avant-hier, à Genève, chez le professeur Alfred Berchtold, qui est la fois le plus grand historien suisse vivant (je dirai à vue de nez: 1m.92), l’un des derniers représentants du Gai Savoir helvétique de haute tradition, l’auteur d’au moins trois livres incomparables (La Suisse romande au cap du XXe siècle, Bâle et l’Europe et sa captivante approche du personnage de Guillaume Tell à travers les siècles et les cultures du monde entier), enfin un homme aussi bienveillant (il m’a fait l’amitié de relire le tapuscrit de mon prochain livre, qui lui est dédié) qu’intéressant, dont l’humour me régale et me rappelle à tout coup le bien fondé du surnom de Pingouin que lui ont collé ses condisciples de la Communale de la rue Lepic, à Montrmartre, où il a fait ses premiers pas de môme studieux à bonnet de plouc préalpin.
    Dire que Madame Berchtold est aux petits soins ne signifie pas qu’elle soit piètrement soumise : elle fait ça naturellement, aussi naturellement que Pingouin porte cravate et s’abstient de marmonner « fait chier » ou « j’veux dire ». C’est une affaire de génération. Albert Camus avait honte de voir sa mère se tenir debout derrière sa chaise pendant le repas, et je me suis efforcé longtemps de décourager ma propre mère d’être aux petits soins, mais en observant hier Madame Berchtold, son plaisir de faire plaisir tout en riant de nous entendre rire de certains ridicules de certaines gendelettres de notre connaissance, je me disais « et merde, c’est quand même une société que tout ça», et « oui Madame je veux bien encore de votre poule au riz délicieuse » disais-je alors que je n’en pouvais plus, juste pour le plaisir de lui faire plaisir.

    Nous avons publié, avec Alfred Berchtold, un livre d’entretiens intitulé La passion de transmettre, que j’ai eu un vrai bonheur à faire et qui reste un précieux témoignage sur la multiculture que nous vivons dans ce pays. Or à chaque fois que nous nous rencontrions, Madame Berchtold était là pour nous faciliter la tâche, aux petits soins une fois encore. Au fil des jours, je n’ai pas appris grand’chose sur elle, sinon qu’elle avait été prof elle aussi et qu’elle ne supportait pas la chimie pharmaceutique, lisait pas mal et partageait les curiosités et les enthousiasmes de son maxi-jules. Or jamais, au grand jamais, je n’ai relevé la moindre trace de condescendance, de sa part à lui, à l’égard de cette petite dame toujours souriante et complice. Ah mais, tout cela ne fait-il pas vieux jeu ? Je l’espère bien, ma caille…

    Wolfgang Mattheuer, La distinguée. Huile sur fibres dures, 1973-1974

  • Ce dont tout le monde ne parle pas

    Salman Rushdie "flingué" chez Ardisson

    A La Désirade, ce dimanche 8 janvier. - Dieu sait (à vrai dire Il s'en contrefout) que je ne suis ni royaliste ni obsédé par la re-christianistation de l'Europe et des familles, et que je vois plus de raisons de s'inquiéter du nivellisme à l'occidentale que des survivances du communisme dans la France Fille Aînée de l'Eglise, et pourtant l'information, occultée par les médias, que je viens de découvrir sur le blog du royaliste anticommuniste absolutiste Tex me sidère: à savoir qu'en novembre dernier, Salman Rushdie, invité sur le plateau de Tout le monde en parle, la fameuse émission du royaliste hyper-cynique Thierry Ardisson, a été pris à partie par l'acteur beur toxico Sami Naceri, qui lui a dit gentiment, comme ça, que si un imam lui donnait de l'argent pour le descendre, il n'hésiterait pas à lui tirer une balle dans la tête. Sur quoi Salman Rushdie s'est levé, a retiré son oreillette et s'en est allé en affirmant qu'il ne remettrait plus les pieds sur un plateau de télévision française. 

    Or, ce qui fait tout de même problème, en tout cas aux yeux d'un démocrate anarchisant des hautes terres d'Helvétie latine de mon pauvre acabit, c'est que les séquences non désirées ont été coupées au montage et que l'émission a passé sans agiter les eaux du bocal médiatique, à l'exception d'un entrefilet dans Le Parisien et d'une mention dans un papier de Marianne. En ce qui me concerne, il y a longtemps que j'ai rangé le sieur Ardisson dans la catégorie des frappes médiatiques les plus significatives de l'époque, à observer et à mépriser à proportion de leur grand professionnalisme et de leur pouvoir d'attraction sur tous ceux qui s'impatientent au portillon de la notoriété. Sous son affreux sourire de travers, juste un peu moins abject que celui d'un Fogiel, à mes yeux le summum de la canaillerie veule et vulgaire, Ardisson me figure la diablerie publicitaire par excellence, pour laquelle tout est bon qui fasse pisser l'euro. Mais il y a pire, et c'est le consentement à tout cela, que le bon Léon Chestov, philosophe selon mon coeur en sa défiance à l'égard de tout les ismes (fanatisme, intégrisme, manichéisme, texisme...) pour qui l'omnitolérance était intolérable. C'était mon sermon du dimanche matin. Sur quoi je redescends de chaire pour observer l'écureuil américain qui vient chouraver les graines de tournesol de la mésange, du pinson du nord ou autres casse-noix de notre MacBird's... ce dont on ne parle pas assez par les temps qui courent.

  • L’Alsacienne

    Quatre d’entre elles (1)

    « Mon père n’avait peur de rien, c’est ce qui l’a sauvé pendant la guerre, et je crois que je tiens de lui… », a-t-elle remarqué en me racontant l’Occupation qu’elle a vécue à Mulhouse, lycéenne aux ordres des Führerinnen, tandis que ses deux frères étaient embarqués dans la Wehrmacht.
    C’était hier, elle m’a accosté sur le quai de la gare de Lausanne, elle m’avait entendu une fois dans une soirée littéraire et venait de lire mon papier sur le jeune Sénégalais féru de Senghor dont j’ai tiré le portrait dans mon journal, elle aussi était enseignante et connaissait le lascar, ayant même des choses à m’en apprendre, bref warning : la raseuse, me disais-je en imaginant une échappatoire - mais plus moyen de m’en débarrasser, nous allions tous deux à Genève et je n’avais pas le cœur de la remballer, d’autant moins que ce qu’elle a commencé de me raconter d’elle était intéressant...
    Je n’en retiens que l’histoire du pharmacien Weiss. A Mulhouse, où les commerçants juifs abondaient, l’annexion de l’Alsace par les Allemands s’est soldée, à part la germanisation à outrance des écoles, par l’humiliation publique, la spoliation de leurs biens et la déportation ultérieure des juifs, dont Marguerite B. a retenu cette scène : les agents de la Gestapo traînant le pharmacien Weiss devant sa boutique, l’obligeant à s’agenouiller et le contraignant, devant une foule croissante et muette, à brouter l’herbe du pavé qu’il y avait là…
    Cette scène du pauvre Weiss, qui n’est jamais revenu des camps de la mort, m’a tout de suite rappelé la chèvre d’Umberto Saba, et c’est avec émotion, avec reconnaissance que j’ai quitté Marguerite B. sur le quai de la gare de Genève, hier dans la lumière voilée de cette fin de matinée d’hiver…

    La chèvre

    J’ai parlé à une chèvre
    Elle était seule dans le pré, elle était attachée.
    Repue d’herbe. Mouillée
    par la pluie, elle bêlait.
    Ce bêlement égal fraternisait
    avec ma douleur. Et je répondis, d’abord
    pour plaisanter, ensuite parce que la douleur est éternelle,
    qu’elle n’a qu’une voix et ne change jamais.
    Cette voix je l’entendais
    gémir en une chèvre solitaire.
    En une chèvre au visage sémite
    se plaignait tout autre mal,
    toute autre vie.

    Umberto Saba, Maison et campagne (1909-1910), traduction de René de Ceccaty

  • La danse de Jollien

    Eloge de la faiblesse à la scène 

    Alexandre Jollien décrit, dans son Eloge de la faiblesse , la scène irrésistible d'un de ses compères handicapés qui, dans un train, pour voyager à l'œil, tire la langue «comme un idiot» au moment où le contrôleur s'approche de lui, pour conclure après avoir réussi sa petite arnaque: «Opération lézard!»
    Or on pourrait y voir le symbole même de la philosophie pratiquée, avec un humour de défense proportionné à tout ce qu'il a enduré, par le jeune homme marqué de naissance par la poisse. Tout aussitôt, cependant, il faut rappeler que cette insolence comique n'est que la pointe d'un iceberg de difficultés et de travail, dont le présent dialogue, avec Socrate, retrace les étapes et les progrès avec moult détails concrets et une merveilleuse limpidité de parole.
    L'apprentissage du handicapé, dans le récit de Jollien, a quelque chose d'un saisissant raccourci darwinien: c'est un peu la saga de l'escargot (l'image est de lui) devenant bipède avant de se mettre à «danser» en pensée, comme Nietzsche rêvait le vrai philosophe. De l'institution spécialisée à l'université, avec le soutien de parents en or, notre «canard boiteux» a fait bien plus que surmonter son handicap: il nous permet de découvrir notre faiblesse, nous qui nous croyons si normaux et chanceux, donc enclins à ne plus nous poser de questions. Or Jollien, qui doit beaucoup à Socrate, laisse la conclusion à celui-ci: mais qui est «normal» aux yeux de ceux qui ne se posent plus de questions?
    Du récit de vie de ce jeune handicapé devenu philosophe et écrivain, l'Eloge de la faiblesse devient ainsi un questionnement plus fondamental sur le sens que nous donnons à notre vie en tâchant de progresser, chacun à sa façon.
    Sur scène, la maïeutique de Socrate agit avec une clarté totale, que la mise en scène de Charles Tordjman et l'interprétation achèvent d'incarner de manière très physique. Dans une belle scénographie de Vincent Tordjman, évoquant un habitacle protecteur, Jollien (Robert Bouvier) n'apparaît d'abord, plus ou moins dénudé, qu'à travers des persiennes (lumières signées Christian Pinaud) tandis que Socrate (Yves Jenny) l'interroge à vue. Puis tous deux vont investir cet espace-module jusqu'aux limites de la pesanteur, la tête en bas ou se coulant sur ses arrondis. Cohérente et très lisible, la réalisation laisse enfin passer l'essentiel: un régénérateur souffle de vie!

    » Vidy-Lausanne, sous chapiteau, jusqu'au 4 février: Ma-sa, 20 h. Di, 17 h. Lu, relâche. Durée: 1 h 05. Loc.: 021 619 45 45. ou www.vidy.ch

    » Tournée: La Chaux-de-Fonds (7-8 février), Saint-Maurice (9-10), Sion (14), Neuchâtel (16-26), Villars-sur-Glâne (8-10 mars), Martigny (16-17).

    Alexandre Jollien. Eloge de la faiblesse. Editions du Cerf.

    Cet article a paru dans l'édition de 24Heures du 12 janvier 2006.

  • Le Japon des grands fonds

    Le dernier roman de Murakami Haruki

    On se replonge, à la lecture envoûtante de Kafka sur le rivage, dans le Japon crépusculaire, le Japon tragique, le Japon dostoïevskien du Kurosawa le plus noir ou du nobélisé Kenzaburo Oé. Le premier personnage qui y surgit est un adolescent en fugue, lequel s’évade de la maison paternelle avec, vrillée au corps et à l’âme, la malédiction dont l’a gratifié son géniteur, pour se réfugier dans une bibliothèque où l’accueille aussitôt un aîné bienveillant du nom d’Oshima. Porté par une sorte de furia intérieure, Kafka Tamura, l’adolescent en fuite, va vivre moult aventures à valeur initiatiques, qui entrent bientôt en résonance avec la seconde histoire du roman, narrée en alternance. Le protagoniste de celle-ci, le vieux Nakata, est le rescapé plus ou moins demeuré d’une mystérieuse contamination dont l’armée américaine est peut-être responsable, qui parle aux chats, fait pleuvoir des sardines ou des sangsues, et dont l’ombre est « moitié moins sombre que celle des gens ordinaires »…
    Oscillant entre réalisme magique, hantises psycho-sexuelles et fantastique déjanté, ce grand roman aux univers communicants (et notamment avec le labyrinthe d’un certain Franz Kafka…) représente une nouvelle « descente à la cave » de l’un des auteurs japonais les plus intéressants du moment.

    Murakami Haruki. Kafka sur le rivage. Traduit du japonais par Corinne Atlan. Belfond, 620p.


  • Opération Lézard

    Alexandre Jollien, clown de Dieu

    A La Désirade, ce mercredi 11 janvier. – Je riais tout seul en me réveillant,  tout à l'heure, à me rappeler l’irrésistible histoire que raconte Alexandre Jollien, dans son Eloge de la faiblesse, évoquant son pote handicapé qui, dans le train, pour n’avoir pas à payer sa course, tire la langue au moment où le contrôleur se pointe dans son compartiment. Le drôle en question appelle ça : Opération Lézard.
    Or ce que je me dis ce matin, c’est que toute la philosophie de Jollien tient en ce programme basique de l’Opération Lézard. C’est en tirant la langue à sa poisse de naissance qu’il est devenu ce qu’il est : à savoir un putain de clown de Dieu, un danseur à la Nietzsche, un resquilleur du SuperHandicap.
    Je reluquais, hier soir au théâtre, deux rangs devant nous, le même Alexandre Jollien en train de mater le spectacle de son Eloge joué par Robert Bouvier, qui a juste ce qu’il faut de cailloux imaginaires dans la bouche pour mimer son personnage, et je me rappelai ce que le même Jollien disait, trois heures plus tôt à l’émisssion radio RectoVerso d’Alain Maillard, à propos du putain d’insupportable bonheur qu’avait été la naissance de sa fille.
    Alain Maillard est ce mec très sensible et fin qui sait faire parler les gens sans jouer le voyeur ou le montreur d’ours, et c’était à chialer que d’entendre ce clown de Jollien dire qu’il avait vécu la naissance de cet enfant comme un truc qu’il n’avait pas vraiment gagné.
    Je ne sais si sa petite  fille lui a déjà tiré la langue, mais ça ne manquera pas, et c’est ce qui est beau dans la vie : c’est qu’un lézard devenu père s’expose à se voir tirer la langue par sa fille toute « normale » et portée à le considérer, aux alentours de 14 ans, comme un vrai vieux con de papa…

  • Volodine le magicien



    Dans Nos animaux préférés, l’écrivain poursuit son exploration poético-polémique

    Il y a quelque chose de paradoxalement jubilatoire dans la lecture des romans d’Antoine Volodine, dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne dorent pas la pilule. Participant à la fois des conjectures de la science fiction (où il a d’ailleurs fait ses premières armes) et de l’imaginaire fantastique, quelque part entre les fables contre-utopiques d’un Orwell et les contes baroques d’un Cortazar, avec un humour cocasse rappelant aussi les voyages oniriques d’un Henri Michaux, la quinzaine de romans de cet auteur tout à fait singulier constitue désormais un univers parallèle d’une remarquable cohérence, avec ses fictions proliférantes et son « programme » sous-jacent, ses thèmes récurrents, ses habitants aux noms insolites et son bestiaire, dont Nos animaux préférés propose la dernière et réjouissante illustration.
    C’est à pas d’éléphant instruit des risques liés à la présence humaine, autant dire sur la pointe des pattes, et d’ailleurs en terrain miné à la suite de terribles événements, que Wong entre dans le livre pour tomber vite fait sur une humaine malodorante et porteuse d’un lance-roquettes RPG7, qui lui demande de l’engrosser après l’avoir sommé de décliner son nom et son sexe. Contraint d’écraser la fâcheuse d’une patte défensive, Wong (qu’on retrouvera au dernier chapitre) laisse sa place à Sa Majestable Balbutiar CCCXV, siégeant nu dans le varech et s’apprêtant à pondre un « sauveur »… Dans la foulée défileront noblement Sept Reines Sirènes, dont le chroniqueur détaillera la «shaggå», de l’insurrection dites des Grandes Vases à l’exécution de Barbille VII, d’autres avatars de la dynastie des Balbutiar et une seconde Shaggå du ciel péniblement infini dont les enseignements à la fois poétiques et parodiques rappellent les vieux textes sacrés, non sans beauté, musique et sens plus ou moins profond.
    Sous des aspects parfois loufoques, voire délirants, les récits de Volodine correspondent aussi bien à une sorte d’esthétique de la résistance ressortissant à toute une mythologie « post-exotique », qu’il redéfinit ici dans un Commentaire à la Shaggå du ciel péniblement infini. Il y est notamment dit que ses « vociférateurs emprisonnés » tendent à « une rêverie susceptible de briser encore ça et là le réel, l’inexorable réel de la marchandise et de la guerre ; un territoires d’exil ; une parole chamane ».
    De la même génération qu’un Houellebecq, qui a choisi de s’enfoncer dans ledit « réel » jusqu’au cou pour en mimer les pouvoirs mortifères, Antoine Volodine, non moins pessimiste et en butte au même désarroi que l’amer Michel, a choisi les voies plus jouissives du conte et de l’humour pour constituer un univers-gigogne en constante résonance avec le nôtre, où l’écriture fait figure d’éventuel recours contre la barbarie.
    Dans son quatrième roman, Des enfers fabuleux, Volodine imaginait un personnage féminin du nom significatif de Lilith, claquemuré dans un gouffre, qui inventait des mondes aussi dévastés que le nôtre puis imaginait un autre narrateur faisant d’elle un personnage de fiction... D’une façon analogue, par un incessant jeu de miroirs et d’échos, le conteur Volodine crée des personnages qui en engendrent d’autres, sous des « entrevoûtes » où se confondent ères et espèces, dans une féerie de mots et d’images dont le paradoxe, une fois encore, consiste à désillusionner autant qu’à réenchanter…


    Antoine Volodine. Nos animaux préférés. Seuil, coll. Fiction & Cie, 151p.
    Cet article a paru dans l'édition de 24Heures du 10 janvier.




  • Hitchcock plan par plan


    Du beau, du bon, du Bonus

    Ce qu’il y a d’inappréciable dans les rééditions de classiques du cinéma en DVD, ce sont les Bonus. La meilleure preuve en est donnée par la série des coffrets regroupant, sous le sigle d’Universal, les meilleurs films d’Alfred Hitchcock, à voir parallèlement à celle des Premières œuvres publiées par Studio-Canal. Dans le multipack d’Universal, les documentaires réalisés sur la plupart des films d’Hitch regorgent d’informations passionnantes, notamment sur les tribulations liées à chaque réalisation.
    Du point de vue de l’écriture cinématographique, plus précisément, ces documents constituent de véritables leçons de lecture, parfois plan par plan, avec de multiples aperçus des trucs et techniques appliqués par le vieux magicien curieux comme un enfant des multiples ressources de son art. Mais le plus fascinant, pour celui qu’intéresse le travail préparatoire du Maître, tient à l’incroyable élaboration du storyboard, d’une minutie et d’une précision graphique, d’une rigueur de conduite dramatique qui en fait un bout de roman à soi seul...