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La danse de Jollien

Eloge de la faiblesse à la scène 

Alexandre Jollien décrit, dans son Eloge de la faiblesse , la scène irrésistible d'un de ses compères handicapés qui, dans un train, pour voyager à l'œil, tire la langue «comme un idiot» au moment où le contrôleur s'approche de lui, pour conclure après avoir réussi sa petite arnaque: «Opération lézard!»
Or on pourrait y voir le symbole même de la philosophie pratiquée, avec un humour de défense proportionné à tout ce qu'il a enduré, par le jeune homme marqué de naissance par la poisse. Tout aussitôt, cependant, il faut rappeler que cette insolence comique n'est que la pointe d'un iceberg de difficultés et de travail, dont le présent dialogue, avec Socrate, retrace les étapes et les progrès avec moult détails concrets et une merveilleuse limpidité de parole.
L'apprentissage du handicapé, dans le récit de Jollien, a quelque chose d'un saisissant raccourci darwinien: c'est un peu la saga de l'escargot (l'image est de lui) devenant bipède avant de se mettre à «danser» en pensée, comme Nietzsche rêvait le vrai philosophe. De l'institution spécialisée à l'université, avec le soutien de parents en or, notre «canard boiteux» a fait bien plus que surmonter son handicap: il nous permet de découvrir notre faiblesse, nous qui nous croyons si normaux et chanceux, donc enclins à ne plus nous poser de questions. Or Jollien, qui doit beaucoup à Socrate, laisse la conclusion à celui-ci: mais qui est «normal» aux yeux de ceux qui ne se posent plus de questions?
Du récit de vie de ce jeune handicapé devenu philosophe et écrivain, l'Eloge de la faiblesse devient ainsi un questionnement plus fondamental sur le sens que nous donnons à notre vie en tâchant de progresser, chacun à sa façon.
Sur scène, la maïeutique de Socrate agit avec une clarté totale, que la mise en scène de Charles Tordjman et l'interprétation achèvent d'incarner de manière très physique. Dans une belle scénographie de Vincent Tordjman, évoquant un habitacle protecteur, Jollien (Robert Bouvier) n'apparaît d'abord, plus ou moins dénudé, qu'à travers des persiennes (lumières signées Christian Pinaud) tandis que Socrate (Yves Jenny) l'interroge à vue. Puis tous deux vont investir cet espace-module jusqu'aux limites de la pesanteur, la tête en bas ou se coulant sur ses arrondis. Cohérente et très lisible, la réalisation laisse enfin passer l'essentiel: un régénérateur souffle de vie!

» Vidy-Lausanne, sous chapiteau, jusqu'au 4 février: Ma-sa, 20 h. Di, 17 h. Lu, relâche. Durée: 1 h 05. Loc.: 021 619 45 45. ou www.vidy.ch

» Tournée: La Chaux-de-Fonds (7-8 février), Saint-Maurice (9-10), Sion (14), Neuchâtel (16-26), Villars-sur-Glâne (8-10 mars), Martigny (16-17).

Alexandre Jollien. Eloge de la faiblesse. Editions du Cerf.

Cet article a paru dans l'édition de 24Heures du 12 janvier 2006.

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