De Cosmos Incorporated au Théâtre des opérations
A La Désirade, ce dimanche 2 octobre . – Jamais je n’aurais imaginé, avant de lire Cosmos incoporated de Maurice G. Dantec, le choc profond et sans précédent, depuis ma découverte à vingt-cinq ans de l’œuvre de S.I. Witkiewicz, qu’a représenté pour moi cet extraordinaire voyage intérieur, que je prolonge depuis quelques jours par la relecture intégrale de cette œuvre à côté de laquelle j’ai passé à peu près complètement jusque-là. J’avais certes vu qu’il y avait quelque chose dans Les racines du mal, sans dépasser la cinquantième page, ensuite de quoi Babylon Babies et Villa vortex m’avaient attiré-repoussé sans plus de succès, alors que Le théâtre des opérations me semblait essentiellement mégalomane, sans que je n’y regarde d’assez près, sans doute dérangé par les apparitions médiatique du personnage, les polémiques qu’il a suscitées ou, plus récemment, ses prises de position pro-américaines lors de la guerre en Irak et ses déclarations dans un journal israélien, où il se présentait en "guerrier chrétien-sioniste", me paraissant d'une pose extravagante et peu crédible... disons à la Marc-Edouard Nabe.
Or, reprenant plus sérieusement la lecture du Théâtre des opérations, après celle de Cosmos incorporated , je découvre un tout autre homme, que je dirais essentiellement tragique et candide, qui cherche avec acharnement une base solide sur laquelle fonder son œuvre, où il se sent appelé à « tout dire », exactement comme le fut mon cher Witkiewicz, et qui travaille inlassablement à concilier ses intuitions majeures et les contradictions de son intelligence et de sa sensibilité hyper-poreuse, de sa culture de rejeton d’un monde déstructuré et de ses aspirations plus profondes, telles exactement que je les ai vécues, comme d’innombrables jeunes Occidentaux, depuis ma propre adolescence imbibée de rock et de contre-culture autant que de grandes lectures à rebrousse-temps.
Et voici ce que je lis à l’instant en écoutant sonner les cuivres du 2e Concerto brandebourgeois qui nous suggère si fort que l’être humain est plus qu’un tas de viande avariée : «Toute ma vie, et je crois toute ma jeunesse surtout, c'est-à-dire jusqu’il y a peu, fut marquée par cette terrible contradiction : je vécus partagé entre l’attirance pour les « matrices » fusionnelles positivistes et révolutionnaires, et la nostalgie d’un ordre inconnu et originel, oublié depuis longtemps, et dont seules d’infimes traces nous parviendraient encore, comme par miracle, dans quelques vieux textes, d’ultimes traditions en voie d’extinction »…
Au moment où il a découvert Les Particules élémentaires, comme il le raconte dans le même livre, Dantec a éprouvé un ébranlement profond, qui l’a paralysé pendant plusieurs jours. Sans partager du tout les positions philosophiques de Michel Houellebecq, il reconnaît la bonne foi et l'originalité de son pair avec une générosité qui l’honore. Or tous deux font également horreur à toute une smala de gens de lettres, en France d’aujourd’hui, et je me l’explique ainsi : c’est que tous deux ont mal à leur époque et le disent sans précautions, tous deux, avec des moyens très différents, ont conservé cette révolte et ce sens du sacré et du tragique qui ne suscite plus , chez tant de nos contemporains, que sarcasme - tous deux étant, sous le couvert de leur épouvantable pessimisme, en quête d’une île possible qui ne soit pas le fadasse « coin de ciel bleu » de la positivité béato-nihiliste…






Lecture de Cosmos incorporated (5)
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