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Que la mort n'existe pas


Lecture de Cosmos incorporated (7)

J’étais en train de lire la fin de Cosmos incorporated en écoutant le Te Deum d’Arvo Pärt lorsque je suis tombé sur ces mots : « Vous savez bien que la mort n’existe pas ». Le contexte du chapitre dans lequel ces mots sont prononcés, autant que le fait que ces mots constituent le titre exact (Que la mort n’existe pas) de la dernière partie de mon propre dernier livre paru, Les passions partagées, où j’évoque les derniers jours et l’agonie de ma mère - tout cela m’a plongé dans un mélange de profonde mélancolie et de joie paradoxale, lesquelles  imprègnent aussi bien les cinquante dernières pages de ce livre complètement renversant, où je lisais encore une page plus loin «l’Amour tue la Mort, l’Amour est capable de vous rendre insensible, non à lui-même mais à son antimonde, à ce qui n’est pas réel, et qui pourtant modèle la réalité du monde. Seul l’Amour est réel… »
Et de fait, malgré les multiples « prodiges » que ploie et déploie la narration follement complexe et non moins cohérente du roman de Maurice G. Dantec, qu’on pourrait dire une fiction nourrie de conjectures scientifiques plus encore que de la science fiction, c’est bel et bien de réalité qu’il s’agit là, en tout cas c’est ainsi que je le perçois, à la fois physiquement et métaphysiquement, comme je ne l'ai perçu chez aucun autre écrivain à ce point d’incandescence et de vertige depuis Witkiewcicz, génial visonnaire polonais des années 20 dont la conception de l'humanité future aliénée et massifiée restait essentiellement mécaniste dans son catastrophisme, sans rien de la composante poétique, religieuse et mystique des projections imaginaires de Dantec.
J’avais pensé naguère, en lisant les déclarations de celui-ci dans les journaux, que sa position spirituelle affichée de "chrétien sioniste" relevait de l’idéologie d’emprunt ou du plaquage de pacotille, mais il n’en est rien : c’est visiblement un vrai converti, sous ses dehors d'allumé sauvage, qui emprunte autant au réalisme pur et dur de Thomas d’Aquin qu’aux positions de rupture d'un Giordano Bruno et à toutes sortes de visionnaires mystiques de l’Ancien Testament ou des premiers siècles et du Moyen Âge, via l’Apocalypse, pour fonder une approche trinitaire de la réalité, proche aussi de celle d'un Chesterton. Là-dessus, comme la lecture du monde de Dantec est très nourrie aussi de culture scientifique et littéraire, de spéculations sociales ou géopolitiques (les plus discutables à mes yeux), sans parler de ses multiples références de fan de rock, cet extravagant cocktail peut faire apparaître son discours "théologique" comme du pipeau folky.
Or il n’en est rien: ce livre se tient sans donner dans le catéchisme tocard, comme sur un système de toupies vrombissantes, ou comme une féerie de sphères de sens et de "sons", tant au niveau de sa narration « triviale » qu’à celui de ses multiples résonances morales, poétiques ou téléologiques. Sa dernière partie, malgré sa vision catastrophiste que ma nature débonnaire refuse absolument d’admettre, est même poignante d’humanité, et notamment quand il évoque la naissance de l'enfant orphelin voué au désastreux à-venir, décrit la mort "réelle" du cher Plotkine, parle de « la beauté intrinsèque que ne parvenaient pas à souiller les abominations de l’homme » ou, tout à la fin, à propos du « texte » qu’il reste virtuellement au dernier écrivain vivant d'écrire « dans la clameur atroce des tueries et le vacarme tonitruant des foules livrées à elles-mêmes », quand il évoque cette ultime voix sur Terre «qui fait de chacun d’entre nous autre chose qu’une routine dans le programme, autre chose qu’une boîte dans un ensemble infini de boîtes, autre chose qu’une machine dans la mégamachine", avant de conclure que "cette voix, c’est tout ce que l’humanité n’ose pas se dire, tout ce dont l’humain ne veut pas entendre parler, c’est-à-dire lui-même et ses atroces défaillances», cette voix qui est de l’Origine et « qui permet au monde de se faire », cette voix censée se taire à la fin de Cosmos incorporated et dont la modulation du livre fait espérer, sinon prouve précisément le contraire…

Commentaires

  • Trouvé sur le site de Juan Asensio :

    «S’il se présentait un critique surhumain, capable d’accomplir dès maintenant le tri que fera la postérité, il nous faudrait évidemment le tuer : autrement c’est lui qui tuerait la littérature».
    Albert Thibaudet, Physiologie de la critique

    N’ayant pas entendu parler de meurtre d’un critique je me dis que tous les prétendus surhumains ne sont pas vraiment pris au sérieux par les temps qui courent. Bien entendu cette remarque ne vous concerne pas, c'était juste une entrée en matière :-)

    J’étais un peu confus après la lecture de certaines notes au sujet de Dantec sur Subversiv un forum où j’ai quand même pêché une idée intéressante, la bande son du livre :
    http://forum.subversiv.com/index.php?id=69389

    Vos sept notes de lectures pétillantes m’ont donné envie de lire le livre toutes affaires cessantes. J’ai particulièrement aimé le passage, page 264, où le livre risque de vous tomber des mains juste avant le retournement du récit quand la première partie du roman prend soudain un nouveau sens. Il est fort ce Dantec. On ne peut s’empêcher de penser qu’il l’a échappé belle et que s’il n’avait pas eu l’aura du grand écrivain, confronté à ce salmigondis (je ne sais quels mots vous utilisez) vous auriez sans doute posé le roman.

  • quelques infos sur le sujet en cliquant sur mon nom ...

  • Un critique surhumain, je ne sais pas, mais le critique transhumain, lui, existe.

    Cosmos Incorporated (The Novel That Exploded) :

    1) Input
    http://findepartie.hautetfort.com/archive/2005/11/23/cosmos-incorporated-de-maurice-g-dantec-the-novel-that-explo.html

    2) Zéropolis
    http://findepartie.hautetfort.com/archive/2005/11/29/cosmos-incorporated-de-maurice-g-dantec-the-novel-that-explo.html

    3) Trou Noir
    http://findepartie.hautetfort.com/archive/2005/12/06/cosmos-incorporated-de-maurice-g-dantec-the-novel-that-explo.html

    Codrialement.

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