(Pensées en chemin, XXII)
De l’immobilité. – La forêt, quant à elle, ne bouge pas. Quand tu entres en elle, tu entends son silence comme d’une église vide quand il n’y a là que Dieu qui t’épie derrière les colonnes des arbres, et se cache quand tu crois qu’Il se montre pour jouer ou peut-être t’éprouver - on n’est pas sûr avec Lui, s’il est avec le gibier ou le chasseur. Tu ne lui parleras jamais, ni ne L’écoute vraiment même si certaine voix en toi se fait parfois passer pour Lui, enfin c’est ce que tu déduis à l’approche de ce qu’ils appellent l’âge de raison, et tu sens que Dieu échappe à toute raison…
Des chemins de traverse. – Lorsque tu marches, solitaire, dans les bois des hauts de la ville, tu te sens être ce que tu es, à savoir un être sans guêtres ni paraître, un échappé de l’asile de la ville, non pas le fils de l’employé Untel à cravate et chapeau social mais le double douteux de ce rejeton tout paisible d’apparence qu’on voit s’éloigner sans inquiétude vu qu’il revient toujours avec son cher bouquin sous le bras - que voulez-vous : c’est un papivore, plus tard il sera sûrement Professeur enseignant les humanités, et ce poste va rapporter, mais cette dérision ne t’atteint pas : tu marches de travers depuis toujours…
De la chasse au cerf. - Nous laissons à d’autres les grands symboles, nous ne courons pas après les figures mythiques, les sylphes et les ondines ont fui au premier boucan des chantiers d’autoroutes et c’étaient tant pis pour elles et pour eux : qu’elles aillent pondre leurs œufs blêmes dans les salons des milieux intéressés, et qu’ils en fassent des poèmes tandis que nous déplacions les lieux de traque et cassions la baraque au dam des administrés, enfin tout cela n’était pas ressenti par la Bête encerclée mais nous nous débattions de concert…
De la complicité. – C’est cela : peut-être l’instinct, peut-être une fragilité natale ou donnée par les divers sangs rouges ou blancs, peut-être un goût venu d’on ne sait où, ou quelque manque, quelque douleur antérieure, quelque aspiration spéciale de l’espèce jamais prononcée ailleurs que dans les veillées ou les lendemains de curées ou de tueries, va savoir de quoi la vie qui survit se repaît, mais les fils épargnés, les fils adulés n’ont de cesse que de retourner dans les bois et d’écouter ensemble les contes dont les menteries les font rêver de tomber les fées…
Peinture: Frantz Metzger.