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  • La France défaite de Pierre Mari nous parle de notre monde

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    Pierre Mari a mal à la France. La belle affaire, me direz vous peut-être ? Que d’originalité ! Un déprimé de plus au pays des affligés ! Vous avez dit: mal de cheveux ?
    Non, je ne le dirais pas comme ça, vu que Pierre Mari, sans nul effort d’originalité factice, le dit comme personne.

    Car le mal à la France de Pierre Mari est un mal personnel, disons le même : intime, bien plus qu’un banal malaise d’époque ou qu’un mal-être informe: un mal à l’être…

    Pierre Mari, à la lettre, a mal à l’être français autant qu’à la langue française. Or j’ai mal pour lui et avec lui en lisant En pays défait, alors même que je parle sa langue autrement que lui et que le fait d’être suisse résonne tout différemment en moi que l’être-français de Pierre Mari.

    Qu’est-ce alors qui fait qu’en lisant cette espèce de pamphlet, ou plus exactement de lettre ouverte aux «importants » - ou prétendus tels – de son pays, je ressente tant de proximité avec ce qui y est exprimé, qu’on pourrait dire d’abord d’intérêt surtout franco-français, et qui déborde bientôt les frontières de l’Hexagone pour trouver en nous, ressortissants d’un monde mondialisé et de pays diversement défaits, de réelles et profondes résonances ?

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    Qu’est-il arrivé à la France - à ma France, sous-entend Pierre Mari comme s’il parlait de son être, de son propre corps et de son âme. Mais aussi: que nous est-il arrivé , comme si l’espèce de grande entreprise new look qu’est devenue la France d’Emmanuel Macron, genre patron souriant suavement de start up, nous renvoyait à ce qui s’est défait en nos pays à l’avenant ?

    J’y pensais l’autre jour en assistant a la célébration réellement populaire de la Fête des vignerons 2019, inimaginable dans la France actuelle se gargarisant en surface de festivités hyper-festives dédiées à la musique ou à la poésie, comme j’y ai pensé à propos de la triste fronde réellement populaire des gilets jaunes, inimaginable en Suisse...

    D’où nous venons et où aller...

    Un jour que, séjournant quelque temps à Paris, et me trouvant avec mon père de passage dans les jardins du Louvre, je lui désignai l’enfilade en perspective des Tuileries, de la pointe de l’obélisque de la Concorde, des Champs-Elysées et de l’Arc de triomphe avec sa fine flamme de mémoire et mon paternel me dit comme ça en invoquant notre roman national: et nous là-dedans ?

    À quoi je répondis: nous, c’est Guillaume Tell descendu des forêts nordiques jusque dans nos cantons primitifs, qui a appris nos quatre langues à l’Ecole-Club Migros et qui bûche maintenant son anglais de super manager...

    Cela pour dire, après Ramuz dans sa fameuse Lettre à Grasset, que notre roman national est aussi introuvable et toujours désirable de que l’avenir de l’Europe des cultures dont rêvait Denis de Rougemont, partageant certes la langue de Racine et de Céline mais avec une tout autre histoire que celle de la France marrie de Mari, dans une nation dont la langue dominante est celle de Goethe et d’un certain caporal autrichien vociférant...

    Et pourtant nous vibrons toujours, Romands écrivant parfois "un très joli français", comme le déclarait un jour telle présidente de l’Académie Goncourt à propos de Maurice Chappaz, à la lecture de Victor Hugo dont le convoi funèbre fut suivi par un million de followers à travers les rues de Paris.

    Pierre Mari, quant à lui, ne s’y retrouve plus, et comme on le comprend dans une France dont on présente l’écrivain national sous les traits ravagés de Michel Houellebecq et déclare un Michel Onfray le premier philosophe de ce début de siècle…

    Ce qui s’est passé en France avant l’avènement d’un Jupiter de carton, dernier avatar de son évidente descente aux enfers de l’insignifiance - où disons plus justement aux dimensions d’un pays comme les autres ? Pierre Mari pointe les trente dernières années comme celles d’un parachèvement désastreux, tout en rappelant deux défaites antérieures, au début des guerres européennes du XXe siècle.

    Dans un roman bouleversant intitulé Les grands jours, Pierre Mari a raconté déjà la catastrophique lâcheté des élites militaires qui coûta la vie a des milliers de braves garçons, et c’est avec la même lucidité qu’il nous renvoie à la chronique du résistant martyr Marc Bloch, L’étrange défaite, visant la forfaiture des mêmes élites devant la même Allemagne.

    Pierre Mari a besoin de sentir ses racines, et sa façon d’évoquer son enfance en Algérie («des années paradisiaques au milieu d’un chaos sanglant»), me rappelle aussitôt la mienne dans les forêts des hauts de Lausanne, en pagne d’Indien impatient de scalper les visages pâles ou en chemise bleue des cadets des Unions chrétiennes d’importation américaine (YMCA) dont la troupe se nommait Durandal et les patrouilles Galaad ou Perceval, doux mélange de spiritualité protestante et de culture empruntée à l’épopée française, et nous chantions La lutte suprême et Le légionnaire autour du feu de camp, et plus tard Le déserteur de Boris Vian, etc.

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    Pierre Mari aime les gens. Non pas les «invisibles» et autres «anonymes» à quoi l’horrible phraséologie des médias réduit «le peuple» avec une feinte commisération frottée de vrai mépris, mais les gens dont les élites se sont de plus en plus éloignées en les flattant verbalement de plus en plus sous l’appellation de France citoyenne qu’on pourrait dire plus lucidement «sans visages» , comme on le dit des banquiers suisses : «La France est peut-être le seul pays au monde où le « peuple » et les « élites » forment à ce point un couple maudit», écrit-il aussi bien.

    Lorsque ses parents et lui ont quitté l’Algérie, Pierre Mari s’est senti participer à l’histoire des exilés et des vaincus, alors même que les siens récusaient «la perpétuation du folklore et la véhémence des rancoeurs». Les gens dont Pierre Mari parle, avec une amitié pure de toute démagogie, ont besoin de héros, et en ces époques les figures du général de Gaulle et de Malraux, aimées ou honnies mais respectées jusque dans Le Canard enchaîné ou j’ai appris le français de la polémique (avec ces grandes plumes qu’étaient un Henri Jeanson ou un Morvan Lebesque) dès mes quatorze ans de petit collégien suisse, avaient encore la dégaine de héros, à côté desquels le chapeau triste de Mitterrand et la grimace cultivée de Jack Lang annoncent une troisième défaite et combien plus profonde et globale devant la montée des insignifiances expertes et de l’esprit de caste s’exprimant par antiphrases, célébrant les Vraies Valeurs et l´Authentique tout en recommandant à chacune et chacun de « savoir se vendre».

    Formule connue jusque dans nos ténèbres extérieures de province culturelle, puisque tel était le mot d’ordre du fondateur récemment disparu de l’Ecole d’Art de Lausanne : « Avant de faire d’eux des artistes, nous apprenons à nos étudiants l’art de se vendre »…

    Fort de sa belle formation universitaire, Pierre Mari aurait pu faire partie des nouvelles élites françaises dont quelque chose l’a séparé au point de voir désormais en elles une figure de l’ennemi (c’est le terme qu’il emploie) parlant «le langage de l’occupant» aux oreilles des «anonymes», gilets jaunes inclus.

    Mais encore ? On voudrait des noms ! La justice populaire des réseaux sociaux, tissée d’anonymat, exige des noms ! Or l’auteur d’En pays défait n’en cite aucun, même pas de François Mitterrand, dont on reconnaît pourtant la silhouette de brouillard sur la muraille des mots, à la bascule des signifiants menteurs à fonction essentiellement managériale: Valeurs, Expertise, Ressources Humaines, Pôles de Création !

    Pierre Mari est écrivain. Mais il connaît fort bien aussi le terrain de l’Entreprise, dont il a scanné l’évolution des mentalités et pratiques dans son roman Résolution où, du dedans, il analyse la défaite spécifique d’une unité industrielle en voie de restructuration.

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    Si je me sens proche de ce qu’exprime Pierre Mari dans son ouvrage, c’est que j’ai eu l’occasion d’observer, comme tout un chacun et chacune, l’évolution globalisée d’une société se dissociant pour devenir la « dissociété» que nous connaissons désormais avec ses impitoyables Ressources humaines et ses Cellules psychologiques embrouillées, son effrayante langue de coton dont les administrations françaises sont devenues les instances de diffusion à grand renfort de concepts édulcorés par le politiquement correct à l’américaine.

    Pierre Mari a découvert le génie de la langue française en ouvrant un livre de ce vieux réac catho de Jean Racine, en sa tendre enfance de petit pied-noir, et je repensai l’autre soir au choc qu’il évoque en découvrant sur Internet un bout de l’émission Apostrophes ou l’adorable Fabrice Lucchini déclamait du Rimbaud et du La Fontaine au milieu d’un cercle de fins lettrés irradié par le sourire de Jacqueline de Romilly…

    Voilà donc d’où nous venons, mais l’école actuelle fait-elle son job de transmission aussi respectueusement, pour nos kids et les kids de nos kids, que le merveilleux cabot quand il fait retentir en public la langue de Céline au lieu des rogatons pourris de clichés du slam de Grand Corps Mmalade tellement super-sympa n’est-ce pas ?

    Dire enfin que le verbe même d’En pays défait contredit ce qu’il y a d’un peu trop défaitiste, à mon goût d’increvable optimiste des lacs et forêts, chez Pierre Mari, en cela que son écriture hautement civilisée dans son fonds mais toute simple et belle, fluide, nuancée, de saine colère et de loyal rejet des simulacres de ce qu’Armand Robin appelait la fausse parole, sûrement trop subtile et nuancée pour être entendue des importants sans mérites auxquels elle s’adresse, mais d’autant plus forte et pénétrante qu’elle évite ce qu’il y a parfois d’unidimensionnel ou clinquant de ferraille dans le pamphlet «bien envoyé» (« l’ai-je bien descendu ? »), nous éclaire et nous fait du bien par le meilleur usage qui soit de notre commune langue française, où Rabelais – dont Pierre Mari est un familier - et Jacques Chardonne – que je suis en train de relire avec émerveillement -, Montaigne et Saint-Simon, Molière et ce voyou de Genet, le petit Marcel et le grand Ferdine nous restent bien frais sur la langue…

    Pierre Mari. En pays défait. Pierre- Guillaume de Roux 182p. 2019.
    Pierre Mari. Résolution. Actes Sud, 131p., 2004.

  • Seniors et djeunes

     

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    (Récits de l’étrange pays)

    Évidemment les seniors ne se sentaient plus en sécurité, j’veux dire : certains seniors, avec tous ces étrangers dont certains ne foutaient rien à ce qu’il semblait, et les seniors renaudaient de plus en plus dans l’étrange pays où leur nombre aussi avait augmenté.

    De plus en plus d’étrangers avaient bel et bien afflué dans l’étrange pays au cours de ces années, cela se voyait dans les rues et les trains, aux antennes de télé orientées vers les Balkans ou l’Orient moyen et le Sud des continents, sur les places passantes et les terrains de jeux variés, partout il y en avait et de toutes les races, et de plus en plus de seniors le relevaient, de plus en plus s’en inquiétaient et les plus amortis n’étaient pas les moins violents.

    Or il était de bon ton, dans les médias et autour des tablées politiques du Buffet de la Gare première classe de notre chef-lieu, de stigmatiser la pusillanimité des seniors, mais dans les plus grandes largeurs les opinions se divisaient et se subdivisaient, comme elle se divisaient et se contredisaient à propos des djeunes, les seniors et les djeunes faisant en somme partie, quoique souvent opposés dans les faits et les opinions - comme les étrangers et les éléments minoritaires de la communauté -, de ces sections de la société dont on ne pouvait trop parler sans être jugé soi-même et catalogué.

    Il ne faut pas simplifier et moins encore généraliser, disait-on communément à propos des seniors, après tout il faut comprendre qu’ils se sentent écartés d’une société où tu n’es plus rien si tu n’es pas dans le trend, ils bénéficient de facilités en tant que seniors mais convenons qu’ils peuvent aussi se sentir oubliés et humiliés, ils ont trimé toute leur vie et voici qu’après avoir turbiné, selon l’expression, ils se retrouvent en ville avec tous ces noirs et ces basanés, selon l’expression de certains, et certains de ces noirs et de ces basanés dealent et violent et ça j’te jure que c’est la réalité et pas que de la propagande du parti populacier, mais enfin l’étrange pays reste encore préservé, les djeunes n’y font pas encore la chasse aux seniors, et pas mal de seniors voyagent tant et plus de par le monde et pas mal d’entre eux surfent et se prennent de bec sur Facebook et se draguent sur Meetic où c’est aussi plein de djeunes et d’étrangers et j’te jure qu’ils ne font pas que se caillasser, même que ça s’écoute parfois, seniors et djeunes – et Monsieur James marchait à pas comptés, le long du chemin des douaniers, au bord du lac aux brumes bleutées de la mi-octobre, humant parfois la forte odeur de l’eau vivante lui rappelant ses jeunes années de poisson adolescent, et ce pédé d’Ernesto le soutenait en l’appelant cher papa, enfin tu vois le tableau…

    Toujours est-il que le Service des Statistiques de l’étrange pays confirmait un accroissement indéniable de la criminalité imputable à la population étrangère, dont les uns affirmaient qu’elle était proportionnée à la précarité de ses conditions de vie alors que d’autres fustigeaient la démagogie permissive des autorités et que d’autres encore pointaient l’excessive prospérité de l’étrange pays motivant cette croissante attirance - enfin certains seniors concluaient à l’avènement de la Barbarie et de la Babylonie en associant basanés et djeunes alors que l’inspecteur Verdeil et le juge Michel de la Section des Mineurs fumaient leurs cigarillos de concert en évoquant, débonnaires et désespérément confiants en la foutue nature humaine, la dernière story du jour.

    Dessin: Leonard de Vinci.

  • Journal des Quatre Vérités,XXIII

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    Ce mardi 21 avril. – Je vais tâcher de prêter plus d’attention, ces prochains temps, à l’actualité détaillée. Ce que nous vivons ces jours étranges, inimaginables et fous, est intéressant et révélateur à de multiples égards, et d’abord en matière de déni, omniprésent dans les médias et sur les réseaux sociaux, où l’on voit au plus haut niveau des pouvoirs mondiaux que l’autruche américaine ne le cède en rien à la chinoise ou à la russe, chacun chargeant l’autre en se dédouanant.

    Tout près de nous, sur le site, caractéristique selon moi d'un nouvel aveuglement idéologique, que représente Observateurs.ch du cher Uli Windisch, passé de la juste opposition au politiquement correct à une sorte d’acharnement symétrique parano contre tout ce qui ne fleure pas la bonne vieille nation nationaliste, voici qu’on apprend que Bill Gates et les Chinois sont de mèche avec l’OMS pour nous contaminer avant le Grand Remplacement marquant l’alliance secrète de l’Etat islamique et de la social-démocratie moisie; et tous les jours nos amis de gauche, sur Mediapart, ou nos amis libéraux du site antagoniste Contrepoints y vont de leur hargne accusatrice – mais c’est ailleurs que j’entends grappiller le Détail, en relevant d’autres statistiques que celles qui déferlent sans rien signifier.

    Ainsi je note à l’instant qu’en 1991 la moyenne des hommes qui ont vécu sur terre était estimée à 85 milliards, nous rappelant que le nombre des morts sera toujours supérieur à celui des vivants, et que le nombre de décès annuels imputables à l’automobile est dix fois supérieur à ceux des diverses grippes, etc.

    Sur quoi je prends des nouvelles du compère Donald Trump par WhatsAp, qui m’apprend que l’eau de javel ou l’encaustique ont une vertu curative probable contre ce fucking microb.

    PANDÉMIE ET CULTURE. – Dans la rubrique culturelle du quotidien 24 Heures que je reçois gratuitement au titre d’ancien mercenaire, je lis sous la plume de l’excellente Cécile L. que c’est le moment ou jamais de lire Montaigne.

    Je la vois d’ici et me demande pourquoi elle n’écrit pas : relire Montaigne. Parce que c’est cela même que le président français Macron, philosophe émérite, a conseillé à ses ouailles nationales : voici venu le Moment de la Culture, le moment de relire Proust, et l’on imagine Cécile sur son futon et Manu dans son fauteuil à bascule tout cuir blanc, du sommet à la base, se repassant les bonnes vieilles séries de 24Heures chrono ou les cassettes de Louis de Funès en pensant très fort à ceux qui en bavent dans les banlieues impatientes d’accéder au Savoir.

    PORNOLAND. – Que représente vraiment l’empire numérique de la pornographie, dont j’apprends par Michael Connelly que l’un de ses foyers de production, à Los Angeles, constitue la ressource financière la plus juteuse de la Cité des Anges?

    Comment aborder ce sujet clairement et sans intonation moralisante, sans hauts cris plus ou moins affectés, de façon simplement réaliste, en considérant qui fait quoi et comment, et désormais bien au-delà des studios spécialisés vu que l’exhibition plus ou moins lucrative se mondialise et se banalise au point que ça baise en famille sous l’oeil de la webcam, que tous les « goûts de la nature » y ont droit et que personne ne moufte en dépit des prétendues barrières destinées à préserver l’innocent enfant ?

    Et si c’était d’abord toi, moi, vous qui devrions nous protéger, je ne sais pas, en regardant par exemple ailleurs ?

    Or l’exposition des organes n’est qu’un aspect de cette agression permanente, de cette incitation de chaque instant à l’excitation, de cet orgasme en boucle qu’on dit « bestial » alors qu’aucun singe branleur ni aucune truie en rut ne montrent un telle constance énervée devant leurs écrans.

    À quoi tout cela rime-t-il, dont personne ne parle ou, plus exactement, dont tout le monde fait semblant de parler aux émissions On-en-parle, d’un ton hyper concerné et pour n’en rien dire..

    Ce vendredi 24 avril. – Mon état physique n’est pas ces jours bien brillant, mais l’humeur est allègre et ma bonne amie peine et sourit à l’avenant ; en revanche les menées du Président américain la font enrager, alors que, plus cynique ou détaché, je m’en réjouis tant elles me semblent exposer ce qui se cache à l’ordinaire en matière de basse démagogie et de muflerie vulgaire.

    Déjà le Cavaliere italien me réjouissait, avec sa rutilante effronterie de bateleur télévisuel à l’italienne, mais avec Donald Trump c’est l’apothéose du kitsch et du toc ricain conjuguant, dans sa version la plus vulgaire, le culte du fric et l’idéologie la plus chauvine dont nos beaux esprits libéraux s’accommodent en diabolisant tout ce qui fait obstacle à leur expansion à outrance, jusqu’à ces jours où tout à coup les plus lucides, devant le désastre non encore évalué, voient s’effondrer leur empire, etc.

  • Les Tours d'illusion, roman panoptique

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    Première saison

    25 ans après Le viol de l’ange, roman virtuel, le sieur JLK en propose la suite sous la forme d’une parodie de websérie en quatre saisons, où l’on retrouve une partie des personnages du premier livre – Cléo la mère de l’enfant martyr et Pascal Ferret le journaliste bordeline, le voyeur hacker Job le Troll ou Vivien le webmaster devenu rhapsode - et de nombreux autres figures représentatives de la société mondialisée en mutation - du jeune auteur culte Corentin Fortier à la soignante polonaise Ewa ou à la pianiste russe Olga coincée dans son mouroir - , durant la période troublée de la pandémie. Les deux séquences suivantes marquent, au tournant de la page 80, la fin de la première saison, amorcée le 1er juillet / 15 mars de la narration. L’auteur espère défier le Virus jusqu’au terme de la quatrième saison, fixé au 31 décembre 2020 à 23h59.

    6 août / 11 avril 2020.

    Journal sans date, VII

    Une nuit de doute. - L’incertitude générale était-elle liée à l’extrême souci de tous ou au déni total de ce qui se passait en réalité, et qu’entendait-on par réalité, qui pouvait dire que tel fait était réel et que tel autre relevait de la fiction ou de la fantasmagorie , et qui était légitimé à s’exprimer, et à l’attention de qui, alors que la plupart se rappelaient l’adage selon lequel le doute incite à l’abstention - mais l’adage de quel groupe et en quel lieu par rapport à ce temps particulier et l’omiprésence du Phénomène, en fonction de quels critères de jugement qui ne relevassent point de préjugés de telle ou telle communauté concernée, et comment retrouver ce qui semblait avoir été perdu, et d’ailleurs était-il sûr que quoi que ce fût soit perdu ?

    En état de veille. - À telle fenêtre restée allumée dans la nuit des mémoires crucifiées un type entre deux âges en veste de pyjama qui venait de perdre sa mère écrivait en se rappelant le geste d’un dieu humain qui écrivait lui aussi dans le sable des lettres aussi indéchiffrables que celles qui se formaient sous ses yeux noyés de larmes.

    Des générations de femmes avaient pleuré au pied d’une croix alors que des générations de doctes commentateurs s’étaient pris de bec sur la question de savoir si le jeune homme décédé était ou pas descendu aux enfers la nuit suivant son supplice pour y enjoindre les damnés de ne point désespérer, et tel étudiant russe avait pleuré avec les femmes de son village sans croire à la divinité de l’autre garçon, dans l’indifférence de générations d’incroyants ou prétendus tels par des générations de fidèles ou prétendus tels.

    Juste avant Pâques. - La Vie se demanda, en cette aube de splendide journée-là, si elle allait, ou non, tuer plus de Terriens ou si elle s’en tiendrait à ce qu’elle considérait comme un avertissement et un aveu de faiblesse susceptible d’inquiéter ceux qui se croyaient les plus forts.
    En tant que femme sensible, aimant le grand air et les espèces diverses, elle n’avait jamais eu crainte d’avouer sa faiblesse et son goût pour les délires enfantins, les adolescents malades et les sages de grand âge. Or ses aveux ne semblaient pas toucher les fortiches ni la masse violente, imbécile et menteuse.

    La Vie, bonne au fond et si belle, était fatiguée de voir le mensonge proliférer au risque de perturber le sommeil des enfants candides et de tromper les plus vulnérables naturellement portés à s’accrocher à elle, qu’elle avait achevés en toute injustice apparente mais en somme pour leur paix.

    Que la Vie fût injuste relevait d'un constat qui ne devait point entacher sa bonté potentielle ni moins encore sa rayonnante beauté, mais comment lui reprocher de s’en prendre d’abord aux plus faibles alors qu’elle-même se reconnaissait fragile et parfois fatiguée comme une vieille servante ?
    Or les fortiches ne semblaient rien comprendre, et c’est pourquoi la Vie, à l’aube de ce beau jour, se demanda s’il n’était pas temps de les tuer tous, et tous leurs semblables, pour leur ouvrir les yeux dans la lumière printanière ?

    7 août / 12 avril, jour de Pâques 2020.
    LE TEMPS RENOUÉ

    Tousseux et faiblissant comme plusieurs de ses personnages, notamment en ce haut-lieu de mortatité récente et persistante que représentait l’institution sanitairement mal gérée de L’Espérance, le Romancier , plus conscient que jamais de son droit de vie et de mort sur les diverses créatures apparues (ou réapparues) dans cette espèce de pilote de roman panoptique parodiant les séries télé et initialement planifié en quatre saisons, se demandait, la veille encore, s’il n’allait pas renoncer à ce qui n’était sûrement qu’une vaine entreprise, fantaisie de sa forfanterie infoutue de se résigner aux atteintes de l’âge, caprice de vieux foldingue qui n’intéresserait probablement personne, même pas ses deux aiglons montés en graine au milieu d’un monde infecté, pour ne pas dire dévasté – une explosion monstrueuse venait de détruire une bonne partie de ce qu’on appelait la « perle du Levant » en des temps moins misérables- , et puis non, et puis nom de nom de Dieu de merde : la lumière l’habitait encore et Lady Light en était la meilleure et vivante preuve incarnée, et dans les saisons suivantes les protagonistes retrouvés se multiplieraient, porteurs encore de masque ou délivrés des microbes, Pascal était impatient de lire la suite de la rhapsodie impromptue d’un Vivien trouvère, un air de saxo devait annoncer le retour en beauté de Corentin et de sa jeune fée, l’affreux Jobin métamorphosé vivrait encore deux ou trois saisons vu qu’il était écrit qu’Ewa le rejondrait à la veille de son dernier tango, l’on ne savait pas où on allait mais c’était dans l’élan d’une espèce de joie badine, de joie mutine, de joie musicalement adamantine à l’enfantine musicalité qu’on y allait dans l’encorbellement mystérieusement ordonné des jours empilés et comme renoués par l’orbe du Temps.

    (Fin de la première saison)

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  • Féerie accélérée

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    Je suis parfois gratifié du don spécial de faire des rêves à caractère féerique, comme celui de la nuit dernière, qui s’est développé comme une prodigieuse vision en trois dimensions, riche de couleurs et de sensations.

    Je me trouvais d’abord sur une espèce de très vaste mappemonde circulaire de plastique multicolore, évoquant quelque immense ballon de plage dégonflé aux motifs encore indéchiffrables mais très harmonieux dans leur organisation esthétique, du genre des particules visuelles constituant les mobiles gracieusement immobiles d’un Vassily Kandinsky, de la série Bleu ciel, avec quelque chose aussi des dessins que Friedrich Dürrenmatt conçut pour ses enfants en bas âge. 

    Dürrenmatt4.JPGTout cela était déjà bien beau, sans atteindre pourtant le caractère féerique de la suite du rêve.

    Un mot cependant, avant d’évoquer celui-là, à propos du terme de particule, qui m’a rappelé le traitement que je suis en train de subir par radiothérapie, consistant, par accélérateur linéaire, en tirs groupés de particules, précisément, à brûler certain foyer d'anarchie cellulaire repéré par imagerie à résonance magnétique. 

    Or, tout se tient-il ainsi par en dessous ?

    72568022.jpgCe qui est sûr, c’est que la féerie de cette nuit aura tenu à un souffle, dont l’effet visible fut le déploiement soudain de la surface multicolore en sphère gonflée aux dimensions d’une montgolfière géante, ou plus exactement d’un duplicata de planète bien ronde et bien chatoyante de couleurs, avec ce défi personnel de m’y accrocher puisque, sous l’effet du souffle continu, le formidable ballon commençait de s’élever au-dessus du sol solide, m’évoquant maintenant quelque géante balle-bulle aux rondeurs colorées d’une nana de Niki de Saint-Phalle.

    Or j’avais remarqué, durant le lent gonflement de la sphère, que le rêve m’avait pourvu d’un équipement spécial à baudrier de Tergal et mousquetons de Teflon, qui me permettrait de m’accrocher aux innombrables boucles visibles aux flans de l’OFNI (Objet Flottant Non Identifié) dont se précisait à l’instant l’envol.

    images-2.jpegLa sensation de voler, fût ce durant l’espace-temps restreint de deux ou trois secondes qu’aura duré le rêve, procède –telle d’un ordre métabolique subtil, comme celui qui préside à la floraison des ancolies ou des campanules, ou n’est-ce que le résultat aléatoire non concerté d’un désordre physique ou psychique ?

    En clair : d’où vient cette nom de  Dieu de féerie ? Et par quel souffle, ou coup de pouce techno-scientifique, subitement accélérée ?

    La boule de gomme du mystère a ce matin un goût et une fragrance de chlorophylle qui me rappelle nos enfances hollywoodiennes.

    Let’s have a dream…

    Post scriptum : et ne pas louper, demain, le rendez-vous au service de radio-oncologie de La Providence…   

  • Lorsque les réseaux sociaux exacerbent la haine froide de la meute

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    Trouble, troublant et terrifiant : le nouveau film du polonais Jan Komasa, Le goût de la haine, qui brosse le portrait  de quelques manipulateurs cyniques fauteurs d’un crime aux échos très actuels, dans une Pologne contemporaine faisant figure de laboratoire mondial. On pense à Dostoïevski, au terroriste norvégien Andres Breivik, aux jeux dangereux de l’adolescence et à tous les vecteurs de haine, via les réseaux sociaux,  dont un certain président américain donne l’exemple.

    Nous ne verrons pas ce film cet été sur la Piazza Grande de Locarno, alors qu’il eût pu marquer ce festival ouvert au  cinéma indépendant et aux films d’auteurs, comme nous l’avons vécu tant de fois, par exemple avec la projection de La vie des autres, je ne sais plus en quelle année.

    Signe des temps : c’est sur Netflix, dont l’emblème fait vertueusement grimacer certains, que nous découvrons Le goût de la haine, et tant pis pour la fausse vertu puisque la vraie, lucide, les yeux grands ouverts sur la réalité réelle d’un vice abject, y est illustrée en ressaisissant ce qu’on peut dire la complexité humaine.

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    Celle-ci, excluant tout simplification binaire, tisse la psychologie du jeune protagoniste au prénom de Tomasz, dont l’ambiguïté fondamentale rappelle la figure hautement trouble et troublante de Tom Ripley, séduisant et maléfique personnage de Patricia Highsmith qui me disait un jour, à son propos, que l’origine de son ressentiment gisait dans une première humiliation.

    Or c’est exactement ce qui marque le départ du parcours zigzaguant de Tomasz, coyote social recalé à son examen final d’étudiant en droit, ou plus exactement viré, sacqué pour plagiat. Financièrement aidé par un oncle, dont il est amoureux de la fille Gabi, Tomasz, qui vient de la campagne,  cache à ces parents citadins le fait qu’il soit exclu de l’université et s’acoquine, en tant que brillant spécialiste du Droit, à une agence de «bashing» numérique spécialisée, par le truchement des réseaux sociaux, dans le dénigrement  des personnes, des firmes ou, plus précisément en l’occurrence, d’un politicien briguant la mairie de la capitale ; et l’on pense déjà à un certain maire polonais assassiné ces dernières années, avant même qu’aucun lien direct ne soit explicite dans Le Goût de la haine – mais le glissement de la fiction vers la réalité, ou le retour du refoulé de celle-ci par la fiction se font bel et bien sentir comme une menace latente.

    Une fabrique numérique de fake news

    L’agence de marketing numérique dans laquelle Tomasz, viré de l’université, trouve un job, est dirigée par une certaine Beata, elle-même licenciée d’une agence de publicité et partageant le même ressentiment vengeur que le jeune homme, avec plus de machiavélisme sophistiqué  – elle se réclame de L’Art de la guerre de Sun-Tzu dont elle conseille la lecture à son « disciple » prêt à tout, au physique assez effrayant de joli mec boudeur au regard donnant le vertige – magnifique interprétation de Maciej Musialowski , soit dit en passant - et déjà rompu à l’utilisation des technologies intrusives qui lui permettent de mettre ses proches sur écoute et de trafiquer des jeux vidéos pour transmettre des infos et autres fake news.

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    Or, comme Tomasz est obsédé par la jolie Gabi, qui le tient à distance, et que le père de celle-ci est un soutien actif du candidat à la mairie Pavel Rudnicki, c’est en agent double qu’il va tout faire pour « scier » le politicien par le truchement des réseaux sociaux, tout en se rapprochant de lui pour arriver à ses fins avec sa blonde amie d’enfance.

    Trame anecdotique de feuilleton télé ? Bien plus : scénario tout à fait plausible d’un lynchage aboutissant à une tragédie, car Tomasz, manipulé par Beata, elle-même payée par un adversaire politique haut placé de Rudnicki, manipule lui-même un illuminé passionné d’armes et d’explosifs à la Andres Breivik, propagandiste de la Pologne pure et dure, chrétienne et xénophobe, qui va semer la terreur et la mort avant d’être terrassé par… Tomasz lui-même, jouant les héros après avoir fomenté l’attaque terroriste sans états d’âme, et poursuivant finalement, en douce, son activité de harceleur.

    Quand la réalité précède la fiction

    Jan Komasa a-t-il forcé la note dans ce film que d’aucuns trouveront trop noir ou peut-être trop « ambigu » dans ses portraits évitant le noir-blanc rassurant ou politiquement correct ? Tel n’est pas du tout mon sentiment, et nul besoin d’épiloguer sur son actualité alors que le maire libéral de Gdansk Pawel Adamowicz a été assassiné  un mois après la fin du tournage du film, à la suite d’une campagne de dénigrement largement relayée par les réseaux sociaux. Film engagé et «moralisant», comme l’on affirmé certains commentateurs. Oui, et alors ? Comment ne pas être «moral» face à la dérive parfois incontrôlable des nouveaux moyens de communication, de pression et de manipulation qui permettent à tout un chacun, immature compulsif  ou président des Etats-Unis, d’épier et de dénoncer, de rabaisser et  d’humilier, de dénigrer et de pousser au lynchage public.

    Donald Trump trépigne en enfant gâté usant de Twitter comme d’une arme de guerre, et Tomasz lui ressemble en somme comme un  fils aussi dévoyé que lui, quitte à se faire rabrouer par Beata s’il franchit la «ligne rouge» tracée par Mark Zuckerberg, en attendant la censure de Twitter ou le bâton d’Erdogan ? Et la morale là-dedans ? Ne l’attendons ni de Netflix ni d’Amazon, mais l’esprit critique se faufile où il peut, comme il peut, avec ou sans masque pour se protéger du virus de la haine…     

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  • Les vieux démons sont de retour, harceleurs de réseaux sociaux

     

    Trouble, troublant et terrifiant : le nouveau film du polonais Jan Komasa, Le goût de la haine, qui brosse le portrait  de quelques manipulateurs cyniques fauteurs d’un crime aux échos très actuels, dans une Pologne contemporaine faisant figure de laboratoire mondial. On pense à Dostoïevski, au terroriste norvégien, Andres Breivik, aux jeux dangereux de l’adolescence et à tous les vecteurs de haine, via les réseaux sociaux,  dont un certain président américain donne l’exemple.

     

    Nous ne verrons pas ce film cet été sur la Piazza Grande de Locarno, alors qu’il eût pu marquer ce festival ouvert au  cinéma indépendant et aux films d’auteurs, comme nous l’avons vécu tant de fois, par exemple avec la projection de La vie des autres, je ne sais plus en quelle année.

    Signe des temps : c’est sur Netflix, dont l’emblème fait vertueusement grimacer certains, que nous découvrons Le goût de la haine, et tant pis pour la fausse vertu puisque la vraie, lucide, les yeux grands ouverts sur la réalité réelle d’un vice abject, y est illustrée en ressaisissant ce qu’on peut dire la complexité humaine.

    Celle-ci, excluant tout simplification binaire, tisse la psychologie du jeune protagoniste au prénom de Tomasz, dont l’ambiguïté fondamentale rappelle la figure hautement trouble et troublante de Tom Ripley, séduisant et maléfique personnage de Patricia Highsmith qui me disait un jour, à son propos, que l’origine de son ressentiment gisait dans une première humiliation.

    Or c’est exactement ce qui marque le départ du parcours zigzaguant de Tomasz, coyote social recalé à son examen final d’étudiant en droit, ou plus exactement viré, sacqué pour plagiat. Financièrement aidé par un oncle, dont il est amoureux de la fille Gabi, Tomasz, qui vient de la campagne,  cache à ces parents citadins le fait qu’il soit exclu de l’université et s’acoquine, en tant que brillant spécialiste du Droit, à une agence de «bashing» numérique spécialisée, par le truchement des réseaux sociaux, dans le dénigrement  des personnes, des firmes ou, plus précisément en l’occurrence, d’un politicien briguant la mairie de la capitale ; et l’on pense déjà à un certain maire polonais assassiné ces dernières années, avant même qu’aucun lien direct ne soit explicite dans Le Goût de la haine – mais le glissement de la fiction vers la réalité, ou le retour du refoulé de celle-ci par la fiction se font bel et bien sentir comme une menace latente.

     

    Une fabrique numérique de fake news

     

    L’agence de marketing numérique dans laquelle Tomasz, viré de l’université, trouve un job, est dirigée par une certaine Beata, elle-même licenciée d’une agence de publicité et partageant le même ressentiment vengeur que le jeune homme, avec plus de machiavélisme sophistiqué  – elle se réclame de L’Art de la guerre de Sun-Tzu dont elle conseille la lecture à son « disciple » prêt à tout, au physique assez effrayant de joli mec boudeur au regard donnant le vertige – magnifique interprétation de Maciej Musialowski , soit dit en passant - et déjà rompu à l’utilisation des technologies intrusives qui lui permettent de mettre ses proches sur écoute et de trafiquer des jeux vidéos pour transmettre des infos et autres fake news.

    Or, comme Tomasz est obsédé par la jolie Gabi, qui le tient à distance, et que le père de celle-ci est un soutien actif du candidat à la mairie Pavel Rudnicki, c’est en agent double qu’il va tout faire pour « scier » le politicien par le truchement des réseaux sociaux, tout en se rapprochant de lui pour arriver à ses fins avec sa blonde amie d’enfance.

    Trame anecdotique de feuilleton télé ? Bien plus : scénario tout à fait plausible d’un lynchage aboutissant à une tragédie, car Tomasz, manipulé par Beata, elle-même payée par un adversaire politique haut placé de Rudnicki, manipule lui-même un illuminé passionné d’armes et d’explosifs à la Andres Breivik, propagandiste de la Pologne pure et dure, chrétienne et xénophobe, qui va semer la terreur et la mort avant d’être terrassé par… Tomasz lui-même, jouant les héros après avoir fomenté l’attaque terroriste sans états d’âme, et poursuivant finalement, en douce, son activité de harceleur.

     

    Quand la réalité rivalise avec la fiction

     

    Jan Komasa a-t-il forcé la note dans ce film que d’aucuns trouveront trop noir ou peut-être trop « ambigu » dans ses portraits évitant le noir-blanc rassurant ou politiquement correct ? Tel n’est pas du tout mon sentiment, et nul besoin d’épiloguer sur son actualité alors que le maire libéral de Gdansk Pawel Adamowicz a été assassiné  un mois après la fin du tournage du film, à la suite d’une campagne de dénigrement largement relayée par les réseaux sociaux. Film engagé et « moralisant », comme l’on affirmé certains commentateurs. Oui, et alors ? Comment ne pas être « moral » face à la dérive parfois incontrôlable des nouveaux moyens de communication, de pression et de manipulation qui permettent à tout un chacun, immature compulsif  ou président des Etats-Unis, d’épier et de dénoncer, de rabaisser et  d’humilier, de dénigrer et de pousser au lynchage public.

    Donald Trump trépigne comme un  enfant gâté, usant de Twitter comme d’une arme de guerre, et Tomasz lui ressemble en somme comme un  fils aussi dévoyé que lui, quitte à se faire rabrouer par Beata s’il franchit la « ligne rouge » tracée par Mark Zuckerberg, en attendant la censure de Twitter ou le bâton d’Erdogan ? Et la morale là-dedans ? Ne l’attendons ni de Netflix ni d’Amazon, mais l’esprit critique se faufile où il peut, comme il peut, avec ou sans masque pour se protéger du virus de la haine…     

     

     

     

             

     

     

     

  • Journal des Quatre Vérités,XXI

     
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    À La Désirade, ce 13 avril. Je reprends ce journal dans l’esprit qui était le mien entre seize et vingt ans, avec la même espèce de ferveur, mais l’expression à bout de souffle convient plus exactement à mon état physique actuel, à quoi j’ajouterais celle de jambes en coton. Rien que d’accompagner Snoopy au coin de la forêt, à 50 mètres de la datcha, donc 100 mètres aller-retour, m’est pénible; à quoi s’ajoutent des troubles de type probablement neurologique, avec la sensation d’avoir la tête sous l’eau et de tituber au bord d’un abîme, mais cet état de relatif délabrement, qui énerve un peu ma fierté, n’entame en rien mon allégresse et la productivité de ma firme.
     
    ENTRE LES GOUTTES. - L’époque veut qu’on surveille de près le moindre de ses éventuels symptômes, et je m’en suis inquiété la moindre lors de mon dernier séjour à l’hosto, après l’angioplastie, quand je me suis retrouvé dons la salle de réveil à quinze boxes peu isolés où reposaient divers opérés plus ou moins gémissants et sûrement porteurs de multiples germes, mais ensuite mon bon naturel m’a préservé de tout début de psychose et je me dis, ces jours, que rescapé du cancer (merci à l’excellent Dr Matzinger et à ses jolis techniciens ferrés dans l’usage de l’accélérateur linéaire) après avoir coupé au sida tout à fait compatible avec les frasques de mes jeunes années, épargné par une chute de pierres aux Aiguilles dorées en mai 68 et relevé de plusieurs autres opérations à travers les années, je ne vais pas m’en laisser conter par ce microbe mondial de mes deux; et d’ailleurs nous faisons tout, mains propres et distance tenue, pour nous en protéger.
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    Ce mardi 14 avril. – Ma bonne amie toujours aussi courageuse, mais physiquement un peu à la peine ces jours, me semble-t-il, alors même que nous vivons le confinement sans grand changement par rapport à notre vie ordinaire ; mais je sens en elle un peu de tristesse sans doute liée à l’interdiction qui nous est faite de voir les petits lascars – ce qui ne l’empêche pas de nous fricoter des plats délicieux avec une sorte d’application particulière ; et puis elle m’a convaincu de me lancer dans la biographie de Léonard de Vinci par Walter Isaacson alors que je regimbait connement à l’idée qu’un Juif Américain pût consacrer 600 pages au génial Toscan dans un pavé distribué par Amazon…
     
    UBU AUX STATES. - Au cours d’un long et bon téléphone avec l’Abbé, celui-ci me dit que ça valait bien la peine de se faire crucifier pour en arriver là, et que la religion mêlée à l’argent et au pouvoir n’a jamais donné rien de bon. Puis, à propos des nombreux appels qu’il reçoit de ses ouailles plus ou moins déroutées, il me dit qu’il leur propose de voir là comme une répétition générale de l’accession au Royaume où il n’y aura pas plus d’hostie que de satrapes à la Donald Trump, ni de vin ni de cours du dollar, mais rien que de la Présence. Alors moi de m’exclamer : « Plus de vin !? Vous en êtes sûr ? » Alors lui : « Sûr de rien ! » Et comme Pâque vient de passer, nous rions à l’évocation des célébrations virtuelles où le Seigneur s’est entretenu par Skype avec ses followers, enfin il me dit que ce que recevront de nous nos petits enfants est inappréciable mais qu’il ne faut surtout pas y penser, etc.
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    Ce vendredi 17 avril. – Mon cher René me ravit en m’évoquant les chasses sylvestres de son jeune Luca, dix ans, flanqué d’un compère de douze ans à moitié latino fondu en ornithologie tropicale, qu’il dépose, ces matins de confinement, à la lisière de telle forêt ou au bord de telle rivière, pour les récupérer le soir avec leur matériel et leurs carnets d’explorateurs, et cette mine que le paternel, lui-même féru d’observation ornithologique, résume d’une expression : la banane ! Du coup j’en ai tiré une chronique à venir… Mais ce soir c’est un autre oiseau qui m’inquiète un peu, dans sa cage thoracique, que j’abreuve aussitôt d’eau plate additionnée de Paracetamol 500.
     
    DE LA CONFIANCE. – Je me dis parfois que j’aurai eu pour vocation, dès mon enfance, d’être déçu, même si mes parents n’ont jamais entamé ma confiance absolue en eux, et je me rappelle cette lettre assez mesquine de Philippe Jaccottet, à propos de L’Ambassade du papillon où je raconte, entre mille autres choses, les hauts et les bas de mon amitié naïve pour Dimitri ou Maître Jacques et le dépit que j’ai pu en concevoir, et puis flûte, me dis-je : ces deux-là ont beau m’avoir déçu plus souvent qu’à leur tour, pour ne pas parler de trahison : je leur reste finalement plus attaché, et même à leurs pires défauts, qu’à notre vertueux poète prônant prudence et ne se mouillant jamais en rien sauf en poésie poétique, alors que la vie est là pour nous décevoir tous les jours, déjouer notre confiance et nous garder du désespoir. Mais tout n’était-il pas dit un jour que le même Jaccottet m’a dit à propos de je ne sais plus quoi : « Ah vous, savez, quand on a choisi de viser haut ! », avec ce regard me laissant en somme tout en bas. Cette hauteur défiante et si froide, et moi que la confiance aveugle, etc.
     
     
    vignette-julien-green-72474.jpgDE L’OBSESSION. – Des années durant, Julien Green a couru comme un fou, tous les soirs, en quête de plaisirs charnels, et il dit lesquels, et comment, dans son journal intégral où il a pris le parti de tout dire, mais qu’en dire précisément, et notamment aujourd’hui où l’impudeur de mise se prétend moins hypocrite que la pudibonderie de naguère ? Chacun en fera ce qu’il veut en fonction de sa propre expérience, et pour ma part je ne bronche pas sur les pages les plus crues, jusqu’à ce passage où le digne Julien détaille la félicité profonde que lui fait éprouver le léchage et la succion du trou du cul de son Robert, y voyant l’accès au plus intime de l’être aimé - je le relève comme un trait singulier mais n’y vois pas pour autant de saleté, au sens commun ou même vulgaire, dans la mesure où cette obsession relève d’une espèce de sainte folie, évidemment liée à l’âge et à un tempérament ardent, mais aussi à autre chose, comme si le tréfonds du plaisir charnel, l’extase de quelques secondes, dites par les uns « la petite mort » ou par tel autre « l’infini à la portée des caniches », signifiait autre chose, etc.