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Lorsque les réseaux sociaux exacerbent la haine froide de la meute

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Trouble, troublant et terrifiant : le nouveau film du polonais Jan Komasa, Le goût de la haine, qui brosse le portrait  de quelques manipulateurs cyniques fauteurs d’un crime aux échos très actuels, dans une Pologne contemporaine faisant figure de laboratoire mondial. On pense à Dostoïevski, au terroriste norvégien Andres Breivik, aux jeux dangereux de l’adolescence et à tous les vecteurs de haine, via les réseaux sociaux,  dont un certain président américain donne l’exemple.

Nous ne verrons pas ce film cet été sur la Piazza Grande de Locarno, alors qu’il eût pu marquer ce festival ouvert au  cinéma indépendant et aux films d’auteurs, comme nous l’avons vécu tant de fois, par exemple avec la projection de La vie des autres, je ne sais plus en quelle année.

Signe des temps : c’est sur Netflix, dont l’emblème fait vertueusement grimacer certains, que nous découvrons Le goût de la haine, et tant pis pour la fausse vertu puisque la vraie, lucide, les yeux grands ouverts sur la réalité réelle d’un vice abject, y est illustrée en ressaisissant ce qu’on peut dire la complexité humaine.

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Celle-ci, excluant tout simplification binaire, tisse la psychologie du jeune protagoniste au prénom de Tomasz, dont l’ambiguïté fondamentale rappelle la figure hautement trouble et troublante de Tom Ripley, séduisant et maléfique personnage de Patricia Highsmith qui me disait un jour, à son propos, que l’origine de son ressentiment gisait dans une première humiliation.

Or c’est exactement ce qui marque le départ du parcours zigzaguant de Tomasz, coyote social recalé à son examen final d’étudiant en droit, ou plus exactement viré, sacqué pour plagiat. Financièrement aidé par un oncle, dont il est amoureux de la fille Gabi, Tomasz, qui vient de la campagne,  cache à ces parents citadins le fait qu’il soit exclu de l’université et s’acoquine, en tant que brillant spécialiste du Droit, à une agence de «bashing» numérique spécialisée, par le truchement des réseaux sociaux, dans le dénigrement  des personnes, des firmes ou, plus précisément en l’occurrence, d’un politicien briguant la mairie de la capitale ; et l’on pense déjà à un certain maire polonais assassiné ces dernières années, avant même qu’aucun lien direct ne soit explicite dans Le Goût de la haine – mais le glissement de la fiction vers la réalité, ou le retour du refoulé de celle-ci par la fiction se font bel et bien sentir comme une menace latente.

Une fabrique numérique de fake news

L’agence de marketing numérique dans laquelle Tomasz, viré de l’université, trouve un job, est dirigée par une certaine Beata, elle-même licenciée d’une agence de publicité et partageant le même ressentiment vengeur que le jeune homme, avec plus de machiavélisme sophistiqué  – elle se réclame de L’Art de la guerre de Sun-Tzu dont elle conseille la lecture à son « disciple » prêt à tout, au physique assez effrayant de joli mec boudeur au regard donnant le vertige – magnifique interprétation de Maciej Musialowski , soit dit en passant - et déjà rompu à l’utilisation des technologies intrusives qui lui permettent de mettre ses proches sur écoute et de trafiquer des jeux vidéos pour transmettre des infos et autres fake news.

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Or, comme Tomasz est obsédé par la jolie Gabi, qui le tient à distance, et que le père de celle-ci est un soutien actif du candidat à la mairie Pavel Rudnicki, c’est en agent double qu’il va tout faire pour « scier » le politicien par le truchement des réseaux sociaux, tout en se rapprochant de lui pour arriver à ses fins avec sa blonde amie d’enfance.

Trame anecdotique de feuilleton télé ? Bien plus : scénario tout à fait plausible d’un lynchage aboutissant à une tragédie, car Tomasz, manipulé par Beata, elle-même payée par un adversaire politique haut placé de Rudnicki, manipule lui-même un illuminé passionné d’armes et d’explosifs à la Andres Breivik, propagandiste de la Pologne pure et dure, chrétienne et xénophobe, qui va semer la terreur et la mort avant d’être terrassé par… Tomasz lui-même, jouant les héros après avoir fomenté l’attaque terroriste sans états d’âme, et poursuivant finalement, en douce, son activité de harceleur.

Quand la réalité précède la fiction

Jan Komasa a-t-il forcé la note dans ce film que d’aucuns trouveront trop noir ou peut-être trop « ambigu » dans ses portraits évitant le noir-blanc rassurant ou politiquement correct ? Tel n’est pas du tout mon sentiment, et nul besoin d’épiloguer sur son actualité alors que le maire libéral de Gdansk Pawel Adamowicz a été assassiné  un mois après la fin du tournage du film, à la suite d’une campagne de dénigrement largement relayée par les réseaux sociaux. Film engagé et «moralisant», comme l’on affirmé certains commentateurs. Oui, et alors ? Comment ne pas être «moral» face à la dérive parfois incontrôlable des nouveaux moyens de communication, de pression et de manipulation qui permettent à tout un chacun, immature compulsif  ou président des Etats-Unis, d’épier et de dénoncer, de rabaisser et  d’humilier, de dénigrer et de pousser au lynchage public.

Donald Trump trépigne en enfant gâté usant de Twitter comme d’une arme de guerre, et Tomasz lui ressemble en somme comme un  fils aussi dévoyé que lui, quitte à se faire rabrouer par Beata s’il franchit la «ligne rouge» tracée par Mark Zuckerberg, en attendant la censure de Twitter ou le bâton d’Erdogan ? Et la morale là-dedans ? Ne l’attendons ni de Netflix ni d’Amazon, mais l’esprit critique se faufile où il peut, comme il peut, avec ou sans masque pour se protéger du virus de la haine…     

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