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  • L’éternelle matinée

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    Une fois de plus je reviens, cette fin de matinée au Bateau ivre, dernier avatar du Maldoror relooké, à cette formule qu’on voudrait magique, jetée sur le papier par un poète de dix-huit ans , qui dit Je est un autre, et pour signifier quoi ?
    Je me dis aujourd’hui que l’éternelle matinée serait mon oraison de tous les jours à partir de cet instant : je ne serai plus jamais vieux, et ce serait comme un vœu de purification qui me verrait porter ma mère et la mère de ma mère et dire simplement la divine beauté du monde.
    Tu seras capable du ciel, me soufflait mon oncle Stanislas, un jour tu nous porteras, mais j’étais trop occupé à vivre entre seize et vingt ans, trop occupé de mon vieux Je de rebelle à la manque, griffant d’amour et me débattant, me jetant le défi de défier toute morale et me faisant honte alors que les miens baissaient les yeux. Or j’étais le nombre. Nous leur faisions honte à millions.
    Nous avions remplacé leurs tribunaux par les nôtres. Tribunaux du peuple, disait moi l’un, au dam de moi l’autre. Mais de quel peuple ? De quel droit ? Au nom de quelle vérité ?
    « Il ne faut jamais promettre d’œufs à deux jaunes », serinait notre mère-grand en sa vieille sagesse terrienne et moi l’autre lisait Senèque au bord d’une rivière tandis que moi l’un, bac en poche, prenait sa carte de la Jeunesse progressiste et rédigeait ses premières notes dans L’Avant-garde, que moi l’autre estimait d’une sécheresse de prône inquisitorial dont les mots, physiquement, lui faisaient mal.
    Moi l’un avait trouvé crâne de tapisser sa chambre du quartier de Oiseaux, d’où il s’impatientait de se carapater, d’affiches à slogans dont le premier clamait IL EST INTERDIT D’INTERDIRE, mais c’est moi l’autre qui prenait la tangente en suivant Jack Kerouac sur la route ou rejoignait Henry Miller au Louisiane du Quartier latin, où créchait aussi l’insouciant Cossery des mendiants orgueilleux. Moi l’autre souriait de voir moi l’un sécher à la lecture du Capital, tandis qu’il gravissait le Miroir d’Argentine avec quelque compère ou recevait Merline dans son atelier-clapier, dont il préparait le portrait au pastel en la regardant le regarder.
    La Jeunesse progressiste comptait un Robespierre, en la personne de son idéologue en chef Charles Ledru, parangon du militant de pointe et du travailleur intellectuel, selon son expression, qui ne comptait ni ses heures ni ses invectives, aussi tranchant en sa rhétorique que pouvait sembler romantique sa dégaine de vieil adolescent à longs cheveux et tendres bajoues. Ce qu’il lui manquait du muscle de Spartacus, Ledru le compensait par toute une gestuelle de ses mains potelées qui soulignaient, avec l’air de trancher ou de cingler, ses mots cinglants et tranchants que nous tous, au niveau du groupe, selon son expression, nous imitions en prononçant à notre tour force mots cinglants et tranchants que soulignaient nos gestes tranchants ou cinglants.
    Notre tribunal était sans merci. Sa vindicte se proportionnait aux iniquités du Système des pères que seule la Révolution abattrait. Ne pas se rallier à celle-ci revenait à collaborer avec les maudits paternels.
    Or jamais mon père ne m’avait imposé quoi que ce fût, trop intimidé probablement par la montée en force de notre arrogance, et moi l’un le lui reprochait confusément tandis que moi l’autre l’observait lisant Ramuz ou fermant les yeux à l’écoute de Jean-Sébastien Bach (typique fauteur d’évasion clérico-musicale, selon le jugement de Ledru), mais jamais je n’eus le cœur de lui assener aucun réquisitoire, non plus qu’à mon frère infoutu, semblait-il, de réfléchir jamais.
    Mon frère était, bien plus que nous tous, du côté des ouvriers et du travail. Mon frère apprenait un métier. Mon frère se gaussait doucement de mon front plissé, me reprochant parfois de parler comme un livre, et c’était vrai: j’invoquais le Réel, selon Marx, et je disais : comme disait Marx. Ma mère me demandait timidement, même suppliante un peu, ce qu’il en était de mes relations avec Dieu, et je lui répondais, avec une sorte de rage, que la religion était l’opium du peuple. A la question que je lui avais posée à sept ans, la première fois que j’avais entendu, à la radio de Berg am See, les mots socialisme et communisme, notre tante Rosa m’avait répondu que c’était le Diable et pire que le Diable. Et voici que moi l'un les invoquait en citant Hegel et Marx, dont moi l’autre n’aimait pas les mots.
    Je ne sais trop pourquoi : les mots de la Révolution me faisaient mal, les mots de la politique et du monde à changer, les mots de l’Utopie me faisaient mal. Je revoyais ma grand-mère, la femme du Président, First Lady à sa machine à coudre Singer ou dans sa cuisine embaumant les parfums de bonnes choses, et toute la haine qui me montait au cerveau sous l’effet des mots de la Révolution me faisait honte. Or mon oncle Stanislas avait commencé de me souffler doucement : continue, petit. Et que voulait-il dire alors ? Continue d’avoir mal au Vietnam et d’avoir mal à l’injustice dans le monde, ou continue d’avoir honte ?
    Ledru, pour sa part, nous enjoignait de ne pas mollir tout en flairant, chez moi, le réformiste larvé et peut-être la social-traître sous l’individualiste décadent. Il m’avait surpris relisant pour la énième fois, au Maldoror qu’il ne fréquentait guère au demeurant, Les illuminations du sieur Rimbaud, et m’avait enjoint de bosser plutôt les historiens de la Commune, alors que mon oncle Stanislas me soufflait : continue. Ledru me surprit à lire Breton et n’en fut pas enchanté. Se penchant sur mon épaule à ma table de travail de la Bibliothèque universitaire, comme le prêtre au dortoir vient surveiller ses jeunes gens, il me découvrait tantôt des lectures, comme les écrits de  Feuerbach, qu’il approuvait visiblement, et tantôt il me prédisait que je serais bientôt perdu pour la société, selon son expression, en me surprenant plongé dans la lecture des sieurs Kerouac ou Genet. Mais était-ce donc avec les camés de Kerouac ou les pédés de Genet qu’on ferait la Révolution ?
    Cependant nous tombions de plus en plus amoureux : nos corps s’ébrouaient dans une frénésie croissante et nul n’y pouvait mais, de nos pères et mères ou de nos mentors. Tous ne prenaient pas la tangente des nouvelles permissions, mais les mots d’une autre forme de révolution nous tenaient lieu de signes de ralliement : FAITES L’AMOUR PAS LA GUERRE devint un slogan que moi l’un fit sien alors que moi l’autre, instinctivement, le rejetait comme un nouvel argument moutonnier, et moi l’un s’énervait à citer les sieurs Reich et Marcuse, àla confusion de Merline que je ne savais guère aimer vraiment. Tous nous étions alors amoureux les uns des autres. Moi l’un aspirait au dérèglement des sens, et c’était le soir, et le matin moi l’autre resté les yeux ouverts n’en avait qu’à la beauté des choses réglées comme du papier à musique, et je chantais au milieu des corps découverts de nos orgies.

    Enfin je revois ce matin, ce matin d’été, ce clair matin du jour de ma énième naissance, ce matin à me convertir comme chaque matin, ne sachant au juste où est Merline au clavecin, mais retrouvant Ludmila près de moi, Ludmila qui mourra comme je mourrai, Ludmila que je retrouve au jardin ce matin encore – je nous revois ce matin d’été dans les allées des années, et l’oncle Stanislas la ramène une fois encore : continuez…

    (Extrait de L’Enfant prodigue)

    littérature

  • Elévation

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    …Il montait avec la lumière, penché sur son seul songe, et la lumière coulait là-bas vers l’autre monde d’après le soir où la barque l'emporterait vers cette même lumière qui montait en lui…
    Image : Philip Seelen, ce soir, 18h.15.

  • Apparition

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    …Ils sont montés avec la lumière, et plus ils montaient, plus la lumière descendait, ils ont craint de la perdre et soudain, montant encore ils la virent là-haut, qui restait en plein ciel…


    Image : Philip Seelen, ce soir, 18h.

  • Notre reflet

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    Pour L.

    …Tu me demandes si l’eau et le ciel se souviendront de nous, et c’est cela que j’aime chez toi, c’est cela qui fait que je pense toujours à toi quand je suis seule sous le ciel, qui se souviendra de moi, ou devant l’eau, qui se souviendra de toi, nous sommes faits de la même étoffe que les songes de l’eau et du ciel, et vois comme l’eau et le ciel semblent nous aimer…


    Image : Philip Seelen

  • Le jardinier

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    …Ben, d’abord il te dit cœur cœur cœur, Liu, ça tu comprends, lol, t’es bien partie, et ensuite ça devient plus poétique, t’es sa cerise de printemps, qu’il dit là, t’as le teint de la bigarreau pas mûre qu’il aime à la fois tendre et croquante quand la brise douce effleure le magnolia dont la fleur blanche s'ouvre doucement au souffle de l'amant, dis donc il est chaud, Liu, et puis y remet cœur cœur cœur, ensuite t’es son cerisier, y veut te cueillir tout partout, eh là mais il est hot, ton Liu, y voudrait ton abricot, lol, j’te jure…

    Image : Philip Seelen

  • Quête d’identité


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    … Cette femme pourrait être votre mère jeune, après qu’elle vous a abandonnée, mais la ressemblance si saisissante de ce bel homme avec mon cousin Patrice n’exclut pas qu’il s’agisse de son jumeau Damien, qui était fou de belles voitures mais dont on m’a dit qu’il avait de certaines tendances, si vous voyez ce que je veux dire, or Patrice est mort et Damien n’a plus sa tête, enfin ce qui est sûr est que cette voiture me dit quelque chose, mais peut-être l’aurai-je vue dans un de ces films dont je raffolais en ma vieille jeunesse, bien avant que la famille ne vous confie aux sœurs du Bon Accueil…


    Image : Philippe Seelen

  • Scoop

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    … Ce qui est top avec le nouveau dispositif du CanonBall CB600 Lx, c’est que tu flashes le mouvement de l’Event en même temps que tu prends ta note et que tu la balances à la rédac, c’est vraiment un PLUS, là t’es vraiment à la pointe de l’actu, tu peux pas manquer l’instant fatal et c’est le carton assuré, bref si tu rates ça t’es pas ce que je dirai un pro, man…

    Image : Philipe Seelen

  • Sans espoir

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    …Ils m’ont volé à l’Aveugle et battu, ils m’ont nourri de leurs saloperies et battu, ils m’ont forcé à me battre avec des tueurs que j’ai déchiquetés et j’ai vu la haine se transformer dans leurs yeux en crainte, puis ils se sont battus entre eux, le plus déchaîné a tenté de me jeter dans le fleuve et il est y est tombé avec moi, je l’ai sauvé mais il a continué de me battre, Seigneur Vous l’avez dit : ils ne savent pas ce qu’ils font…

    Image : Philip Seelen

  • Vivre ensemble

     

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    … Finalement Maman m’a décidé à coller, au pare-brise arrière de notre Opel Kadett, le signe du poisson qui dit clairement que le Seigneur est notre copilote, j’avais hésité en craignant un peu que nos locataires musulmans n’en soient plus ou moins chicanés, mais Abdul m’a dit : Gustalin tu as ta foi et moi j’ai ma foi et peut-être qu’un jour j’aurai moi aussi ma voiture familiale…

     

    Image : Philippe Seelen