Celui qui fuit les hyènes de la haine collective / Celle qui se dit agoraphobe pour éviter de se frotter à trop d'abrutis sur une surface trop étroite genre Salon du Livre / Ceux qui évitent de dépendre socialement de trop de pesants philistins et autres cadres bipolaires / Celui qu'intéresse la perception de la méchanceté de classe que ressaisit Le Droit du plus fort de Rainer Werner Fassbinder / Celle qui repère les éléments de la tragédie contemporaine même noyée dans les anecdotes de tabloïds / Ceux qui noient le poison dans le sirop frelaté de la pensée positive / Celui qui sait que la seule nouveauté réside dans la perception contemporaine d'un Sens et d'une Forme fondus en unité et dégagés des fioritures postmodernes ou pseudonéo d'une simili-culture tournant à vide / Celle dont les livres politiquement corrects dorlotent tout un public avide d'être "dérangé" dans le sens du poil / Ceux qui trouvent du réconfort à se rappeler qu'eux aussi ont lancé quelques pavés "à la grande époque" / Celui qui vit la projection de L'Année des treize lunes de Rainer Werner Fassbinder comme une séance d'électrochocs irradiant sa lucidité / Celle que tous ont rejetée avant d'en faire une martyre volontiers évoquée en fin de party / Ceux qui prennent tout sur eux et signent des films sous les noms de John Cassavetes ou Pier Paolo Pasolini ou Rainer Werner Fassbinder / Celui qui constate qu'il n'est point de tragédie contemporaine sans éléments humoristiques genre Deschiens / Celle qui lit Schopenhauer entre deux oraisons dans le jardin silencieux du couvent / Ceux qui entendent la voix d'un ange dans le chaos infernal de la Love Parade / Celui qui tire du tohu-bohu démoniaque de sa vie un poème cinématographique d'une vérité divine / Celle qui sait très exactement ce qui distingue le kitsch de la poésie qui se veut poétique de la vraie poésie surgie de son manque / Ceux qui parlent culture ou littérature ou musique ou peinture ou cinéma sans rien sentir du jazz qu'il y a là-dedans - ou du rap ou du plain-chant ou du cri ou des larmes ou du mort-de-rire qu'il y a là-dedans / Celui qui sait, comme Flaubert jugeant de Premier amour de Tourguéniev, devant quels plans ou quelles séquences de L'Années des treize lunes de Rainer Werner Fassbinder on peut murmurer "voilà du sublime !" / Celle qui convient ce matin vert clair comme ses yeux que le 97% de la littérature actuelle, le 98% de la musique et de la peinture actuels, et le 99% du cinéma actuel se réduisent à un entassement d'objets de divertissement ou d'abrutissement relevant à brève échéance des déchets encombrants / Ceux qui préfèrent les conteurs paniques genre Cassavetes et Fassbinder aux poètes puritains genre Godard au motif que ceux-là sont des tendres qui racontent des histoires aux enfants qu'ils bordent / Celui qui a aimé dans la vie ce qu'elle avait de vivant /Celle qui savait que son fils se donnerait à mort avant de mourir jeune / Ceux qui disent à ceux qu'ils aiment qu'on n'aime jamais assez mais qu'on peut mourir d'aimer trop ou de ne l'être pas assez, etc.
(Cette liste a été inspirée par L'Année des treize lunes de Rainer Werner Fassbinder, film-exorcisme d'une beauté convulsive et d'une insondable vérité émotionnelle sur fond de glaciation sociale, que Werner Schroeter a probablement raison de dire le plus personnel et le plus librement inspiré de son ami l'ange noir)
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Celui qui fuit toute extrémité | Celle qui se dit qu'elle est toute nue sous ses vêtements | Ceux qui évitent de songer aux paroles du roi mauve | Celui qu'intéresse la personne plutôt que l'idée | Celle qui repère le clavier d'entrée du système et lui tape la mention «(à suivre)» | Ceux qui noient le visage du Ciel | Celui qui sait que la parole est action | Celle dont les livres ont les mêmes ennemis que l'homme | Ceux qui trouvent du foin à brouter | Celui qui vit sa vie en ouvrant son coeur avec intégrité | Celle que tous ont ont employée | Ceux qui prennent un chiffon bleu pour se bander les yeux | Celui qui constate, incrédule, que les tuiles recouvrent rigoureusement la surface du toit | Celle qui lit le papier sur la porte, puis elle attend | Ceux qui entendent Merlin et Morgane | Celui qui tire une nouvelle vie de son propre venin pour se rendre immortel | Celle qui sait dans quel tiroir est le tube de lubrifiant | Ceux qui parlent de situations qu'ils n'ont pas forcément vécues | Celui qui sait combien il lui reste de boîtes de bière (au bureau et à la maison) | Celle qui convient que le taureau la tient en respect | Ceux qui préfèrent les tranches fines | Celui qui a aimé dès l'enfance la bande dessinée | Celle qui savait que son fils serait pape | Ceux qui disent la Chine vit sa période Napoléon III, qui a bien commencé et mal fini, et tous les autres...
Alors là je raffole de celui qui savait que son fils serait pape, de celle qui se dit qu'elle est toute nue sous ses vêtements et de ceux qui se bandent les yeux avec un chiffon bleu - y a de quoi faire blêmir de jalousie le sanglier sophiste sino-nippon Mengtsu-nami...