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  • Ceux qui cassent le morceau

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    Celui qui avoue sur CNN qu'il a eu une relation buccale avec la levrette du directeur démissionaire de la CIA / Celle qui a baisé avec un enseigne du vaisseau spatial Fuck the Stars / Ceux qui ne se sont pas rasés en lisant Joël Dicker / Celui qui a fait sauter le bouchon de la veuve Cliquot / Celle qui avoue dans Valeurs Nouvelles qu'elle a commis la copulation basse avec son époux légitime et cela durant 37 ans mais c'était avant la Loi actuelle cependant elle demande pardon / Ceux qui estiment que les gays et lesbiennes doivent aussi baiser à l'église sinon c'est pas normal / Celui qui milite pour la libération sexuelle des chaises percées / Celle qui estime qu'on devrait couper le zob des muslims qui la sifflent au bazar dès que le minaret a le dos tourné / Ceux qui prônent l'inclusion du fantastique social dans la littérature du novmonde / Celui qui prétend que Iéshouah est un enculé de chien chrétien ce qui est historiquement non prouvé et scientifiquement controuvé mais on ne saurait contrarier l'insulteur sans faire insulte à sa liberé de penser n'est-ce pas / Celle qui a toujours considéré le puritanisme comme un avatar du dépravement moralisant / Ceux qui ont horreur de la liberté en général et des orgies de lecture en particulier / Celui qui recommande volontiers le bel essai de Peter Brown intitulé Le renoncement à la chair aux lycéennes tentées de ne pas baiser avant le fatal mariage / Celle qui dit crânement à l'ouvrier parisien qu'elle aime le samedi soir tirer un coup après l'turbin / Ceux qui vont faire euthanasier leurs enfants mâles avant qu'ils ne soient tentés de sodomiser leurs enfants femelles comme ça arrive déjà dans les Etats du Bible Belt / Celui qui est pédé comme un phoque mais kiffe grave les otaries / Celle qui a un look chelou et un clavecin pas tempéré sous son chtador / Celui qui se dit hétéro pour corser le plaisir au niveau du Gang Bang gauche-droite / Celle qui a baptisé Clito son Saint-Bernard pour affirmer son bon droit lesbien de gauche / Ceux qui estiment qu'on ne doit pas rire du sexe vu que c'est quelque part sacré et que ça risque de faire de la peine aux psys / Celui qui ne s'est jamais lâché sur le divan de sa psy qui reconnaît que c'est plus propre ainsi / Celle qui s'est donnée à Jésus qui lui au moins ne demande rien que son coeur sur le radiateur / Ceux qui font des patiences après avoir limé avec impatience / Celui qui exige cent coups de vierges à l'impie ne rêvant pas de cent mille vierges après coup / Celle qui en a ras le cul de ces histoires de cons à la Clinton / Ceux qui persistent gravement à croire qu'il y a une vie sur le tramway Désir entre les stations IVG et EXIT, etc.

    Image:Terry Rodgers

  • Confusion

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    C'est l'une des seules fenêtres qui restent éclairées dans la masse ténébreuse de la cité, et le voyeur engoncé dans son pardessus continue d'espérer que des corps vont apparaître de dessous les draps formant là-bas comme un nuage.

    L'idée de corps enlacés dans cette nuit en banlieue le rend fou. L'idée qu'un couple fasse des choses sous ces draps qui bougent et qu'il n'en voie rien lui est une espèce de supplice, mais il ne perd pas tout espoir. À trois reprises déjà il a senti le froid le gagner quand la lumière s'est éteinte, puis la lumière est revenue.

    Et tout à coup il y a du nouveau. Hélas on dirait une infirmière et pas le temps de l''maginer nue sous la blouse car voici sortir des draps la tête d'un vieil oiseau déplumé qui lui rappelle celle de Clara.

    Alors cette pensée le ramène chez lui: ne se reproche rien pour autant mais se promet que, demain soir, il reprendra la lecture à sa vieille locataire aveugle qui lui dit que l'écouter la fait jouir.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Ceux qui font l'inventaire

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    Celui qui scrute le ciel au microscope / Celle qui a découvert les Sept Merveilles du Monde sur un drap de lit servant d'écran à la lanterne magique de son oncle Pamphile / Ceux qui assisteront au mariage gay du fils du pasteur Dessous-l'Eglise / Celui qui était de la bande des incendiaires du Bois de la Grêle en 1960 / Celle dont on a dit qu'elle tounait mal au motf qu'elle a porté la première ce qui préfigurait la minijupe en à peine moins olé olé / Ceux dont l'enfance fut de sauvageons vu que leurs parents les savaient en forêt plutôt que dans les quartiers de l'Ouest où la misère ouvrière rend (parfois) vicieux / Celui qui se rappelle les folles glissades en luges attelées du haut en bas du quartier / Celle qui en pinçait pour le grand Marco à la caisse à savon rouge pétant / Ceux qui avaient des longueurs d'avance sur la classe tout en occupant ses derniers rangs / Celui qui n'ajamais célébré l'Ouvrier pour se faire bien voir / Celle qui sait parler aux employé du garage / Ceux qui respectent le Travail / Celui qui pense que le travail rend libre mais ne le crie pas sur les toits / Celle qui a toujours recommandé à son fils le scribe de moins travailler alors qu'il s'est toujours considéré comme un plus ou moins jean-foutre / Ceux qui creusent à mains nues dans les anciennes galeries minières du Katanga pour en tirer des sacs de minerai en vrac qu'ils revendent à des Chinois pour des sommes de galère /Celui qui retrouve le sens du mot vertu / Celle qui polit les mots sur son établi à la lumière du jour / Ceux qui se complaisent dans le vague-à-l'âme / Celui dont la bonté acquise est de type rabelaisien ou disons christo-rabelaisien ce qui revient au même n'est-ce pas ? / Celle qui aime les complications horlogères / Ceux qui reprochent à Barack Obama de se comporter en ennemi de la Banque suisse alors qu'il est juste l'otage de la Banque américaine / Celui qui dit qu'il sait ce qu'il sait d'un ton si menaçant qu'on en conclut que ce qu'il ne sait pas pourrait constituer la vraie menace / Celle qui sait qu'elle ne sait rien mais passe néanomins pour une poseuse aux yeux de ses cousins plus ignorants qu'elle mais ne lui pardonnant point son Diplôme Cantonal de maïeutique prospective / Ceux qui redoutent un peu les 50 nuances d'ennui du dernier "best" genre Barbara Cartland relooké SM soft mais faudrait le lire et ça c'est pas demain mon p'tit Maxou / Celui qui rêve de se faire fouetter nom de sort mais pas trop fort vu le prix actuel de la peau des fesses / Celle qui trouve son intérêt professionnel à faire une pipe au sous-directeur non-fumeur / Ceux qui ont découvert un monde mieux dessiné avec leurs premières lunettes de myopes du Poitou et même d'ailleurs / Celui qui se rappelle le poële de fonte qui devenait en hiver un personnage important de la maison / Celle qui n'aurait jamais osé interrompre le soliloque de son arrière-grand-mère paternelle dite aussi la mémé de Crissier / Ceux qui ne se rappellent même pas les prénoms de leurs aïeux des deux côtés sans en conclure qu'ils n'ont jamais existé mais c'est tout comme en somme, etc.

    (Cette liste a été notée au crayon Caran d'Ache 4B dans les marges de l' Autobiographie des objets de François Bon, récemment parue au Seuil dans la collection Fiction & Cie)

    Image: Philip Seelen

  • Joël Dicker et le littérairement correct

    Dicker7.jpgÀ propos du Prix Goncourt 2012 et de la "littérature littéraire". Dialogue schizo.

     

    Moi l'autre: - Ainsi donc, Joël Dicker à loupé le Goncourt !

     

    Moi l'un: - Mais pas du tout ! Je dirai plutôt que le Goncourt s'est privé de Dicker, qui rime avec dessert. Et je trouve que le Goncourt se dessert en loupant une belle occase...

     

    Moi l'autre: - En quoi cela ?

     

    Moi l'un: - Parce que l'Académie avait une chance de se faire un peu mieux connaître à Toronto, à Sydney ou au Japon, sans parler des kiosques d'aérogares internationaux où l'on ignore tout du dernier Goncourt s'il n'est pas signé Houellebecq, alors que les noms d'Amélie Nothomb ou de Jean d'Ormesson cartonnent avec ou sans bandeau de prix. Or le roman de Dicker était, de toute évidence, le plus traduisible des papables, et je te fiche mon billet qu'il va circuler un peu partout.

     

    Moi l'autre: - Tout ça parce que La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert n'était pas assez littéraire au gré des académiciens ? Ou parce que Dicker avait déjà eu droit au prix de l'Académie française ? Parce qu'il est Suisse ? Parce qu'il est mal rasé et que dame Edmonde Présidente craignait que ça piquât ( du verbe piquâter) ? Parce que ces vioques sont jaloux de ce jeune talent craquant ?

     

    Moi l'un: - On n'en sait rien et peu importe, mais j'ai l'impression que l'argument du "pas assez littéraire" a compté, ou bénéficié par défaut au "très littéraire" Ferrari dont le roman va faire fuir le public ça c'est sûr...

     

    Moi l'autre: - On aime pourtant pas mal la littérature toi et moi ?

     

    Moi l'un: - Toi je sais pas, mais moi la littérature littéraire me gonfle de plus en plus, essentiellement en langue française je précise. Autant que la poésie poétique ou plus exactement poëtique. Je ne dis pas pour autant que Le sermon sur la chute de Rome soit un maivais livre, loin de là. Je ne l'aurais pas lu jusqu'au bout si je n'avais pas eu à en rendre compte à la radio, et j'y suis allé sans trop souffrir; mais après la magnifique ouverture et le jeu de miroirs de la filiation, entre les générations, j'ai trouvé les protagonistes et leur descente aux enfers assez téléphonée - surtout ces "ébats sataniques" m'ont paru manquer de chair, si j'ose dire. Restent pourtant les phrases et leur musique, tout à fait à mon goût proustien en revanche malgré certaine trivialité qui fait un peu rustine sur le pneu. Mais bon: c'est de la vraie littérature, Ferrari est un auteur et en somme tant mieux qu'on le décore pour une oeuvre suivie depuis pas mal de temps et qui se tient. Là où je suis plus sceptique, et rien à voir avec lui, c'est qu'il soit défendu au nom de ce que j'appelle la "littérature littéraire", genre bon genre pour profs de lettres et libraires bon genre bon chic.

     

    Moi l'autre: - Pas vraiment le genre de la bande à Ruquier...

     

    Moi l'un: - Je n'en sais rien: pas vu l'épisode fameux. Et de ce critère aussi je me fous bien. Ce qui m'intéresse seulement, c'est le roman de Dicker, qui non seulement me paraît de la bonne littérature comme je l'entends aussi, vu que c'est cent fois plus proche de Martin Amis que de Marc Levy. Ce que j'aurais aimé entendre, dans le débat des académiciens, c'est l'argumentation des uns et des autres. Je me rappelle les arguments débiles d'un Angelo Rinaldi, parlant en imam de mosquée littéraire veillant sur la pureté de sa vierge, quand il a démoli Les Humeurs de la mer de Volkoff, immense roman beaucoup plus ample que celui de Dicker, mais d'un auteur dont la puissance narrative et la profondeur de pensée ne pouvaient qu'effaroucher notre esthète à talonnettes.

     

    Moi l'autre: - Donc cette défense de la "littérarure littéraire" relèverait de la posture sociale élitaire plus que de la position fondée sur l'Objet...

     

    Moi l'un: - Il me semble qu'il y a pas mal de ça. Et pas mal de tartufferie pusillanime là-dedans. Genre "il est de nôtres", ou pas. Très Jockey-Club de parvenus tout ça. Et surtout ne pas entrer en matière sur le contenu du livre. On a quand même moins de ça aux States qu'en France, même si les snobs universitaires ne sont pas moins coincés aux States qu'en France. J'ai vu leur moue quand j'évoquais là-bas une Sagan ou une Nothomb, et leurs yeux aux ciels à la seule mention des noms de Duras ou de Sarraute...

     

    Moi l'autre: - Reste à voir si les lycéens du Goncourt ont déjà le souci du "littérairement littéraire". Ce sera le 15 novembre...

     

    Moi l'un : - En attendant on souhaite bon vent à Jérôme Ferrari, en espérant qu'il ne paie pas trop cher ce que Jean Carrière a appelé le "prix du Goncourt", gloire et déprime consécutive pour pas mal de lauréats, jusqu'à l'auto-destruction pour certains. On peut relire son bouquin documenté perso...

    Moi l'autre: - Notre ami Chessex l'avait surmonté crânement en 1973...

    Moi l'un: - C'est vrai que, tout en faisant suer pas mal de gens avec le rappel de la chose - tu te souviens quand il insultait, sous nos yeux ébahis, sa proprio du vieux quartier lui réclamant son loyer, lui balançant que son Goncourt supposait d'autres égards - il n'en a pas moins repris l'enseignement tout gentiment après avoir fait construire sa jolie maison au coin du bois.

    Moi l'autre: - Quant à Joël Dicker,il aura peut-être autant de lecteurrs à Noël que Maître Jacques en ce temps-là.

    Moi l'un: - C'est tout le mal qu'on lui souhaite, autant qu'à L'Age d'Homme et à Bernard de Fallois. Mais surtout: que son livre soit vraiment lu et discuté parce qu'il module de vrais thèmes, en rapport avec la gloire littéraire et ses aléas, la violence dans la société actuelle, la folie éventuelle de l'écrivain et les multiples pulsions ou délires de frustrations qui peuvent aboutir à un crime. Joël Dicker ne fait pas du tout un polar à thèse mais il pose des tas de questions en passant, et puis le montage de son roman et son développement interne, enté sur l'enquête du jeune romancier venu à la rescousse de son pair aîné, l'enchevêtrement clair de tout ça, le vertige final et la "vérité" qui ne se laisse pas vraiment saisir - tout ça dépasse décidément le divertissement de plate consommation qu'on cherche à dégommer en toute mauvaise foi fondée sur le littérairement correct. Dicker9.jpg

     

  • Villa Sumatra

    Où il est question d’un quartier de nos vacances d'enfants, dans les hauts de la ville de Lucerne. De la vision roborative des Capucins au football et du souvenir d’un facétieux oncle voyageur.

             A l’arrêt des Capucins me réapparut une vigoureuse mêlée de mollets d’ivoire au football, mais déjà tout s’amenuisait dans la perspective du trolleybus qu’on eût dit pénétrant dans la reconstitution en modèle réduit du quartier de l’oncle Fabelhaft.
             Rien n’y avait certes changé, pas un nouveau bâtiment n’avait surgi entre le cloître des Capucins  et le Terminus dont le rond-point marquait une invisible frontière, par delà laquelle on s’engageait dans un dédale de chemins privés et de villas Mon Rêve rivalisant de décence - n’était la Villa Sumatra que je venais retrouver -, tout semblait resté en l’état, et pourtant une étrange sensation physique m’oppressait, que j’expliquai sur le moment par la double métamorphose de nos corps et de nos souvenances.
             La vision des mollets nus des Capucins, cette chair tenue à l’ordinaire sous la bure et qui s’exhibait soudain au gré d’un saut ou d’une bousculade, m’avait soudain ressaisi comme une bouffée de fraîcheur qu’aussitôt j’associai à nos baignades dans le lac alpin, mais à la fois au clair-obscur surodorant de l’antre aux statues nègres et aux serpents en majesté de l’oncle Fabelhaft dont les yeux saillaient de malice à l’arrivage de ces enfants petits qu’il s’impatientait d’emmener au bout du monde après les avoir juchés sur tel palanquin ou tel rouf de steam-boat à vapeur jaune, selon nos propres souhaits d’explorer tel ou tel continent.
             Alentour je ne voyais, pour l’instant, que de sages maisons locatives à vitrages pudiques, alignées de part et d’autre des trottoirs réglementaires; et quelques habitants visibles ici et là confirmaient eux aussi mon impression que tout en ces lieux s’était rétréci. Du mois pensais-je revoir sous peu la Villa Sumatra, et comment ne pas se sentir alors des ailes, comment ne pas se prendre pour une espèce de Gulliver ?
             Cependant une autre chose me frappa, et c’était l’absence d’enfants dans tout le voisinage. Je n’y avais guère pensé tant que je me dirigeais, en somnambule, dans le dédale des Sans Issue et des Ayants droit seuls autorisés, mais bientôt je commençai de ressentir un manque, que devait ensuite accentuer mon incapacité de retrouver la Villa Sumatra
             Tout ce que me rappelait le seul mouvement de rechercher la demeure enchantée ne pouvait, à l’évidence, s’accommoder trop longtemps de l’affairement de ces retraités proprets, en survêtements bleu ciel ou rose fluo, qui surveillaient leur ligne et leur territoire avec la même vétilleuse vigilance. Où étaient les enfants ? Où étaient les pirates de la mer de Chine ? Où était l’oncle des oncles ?
             Partout des haies avaient poussé, dans lesquelles il n’était place cependant pour le moindre nid et que n’ajourait aucune espèce de lucarne. C’étaient des murs végétaux qui défiaient toute indiscrétion et tout échange, formant un dédale du fond duquel on n’apercevait plus que des pointes de cyprès alignés ou d’impeccables toits de tuile.
             Or constatant qu’il me serait impossible de retrouver, en un tel labyrinthe, la maison folle de l’oncle disparu depuis longtemps, et craignant maintenant de la découvrir pareille aux autres, je m’égarai bientôt en visant cependant le bois de chêne qu’il y avait sur la colline proche, et à la lisière duquel, à la fin d’une journée d’été, entre chien et loup, l’oncle Fabelhaft m’avait conduit pour m’en faire écouter le silence.
             En d’autres temps je me fusse sûrement senti plein de mélancolie, voire de chagrin, mais c’était au contraire une joie qui me venait tout à coup en me remémorant les merveilleuses élucubrations de l’Oncle Fabelhaft; et ça ne faisait pas un pli, les enfants y auraient droit à leur tour: j’allais leur raconter la Villa Sumatra transformée en squat fabuleux au milieu du quartier suissaud, il y avait sur les murs extérieurs des tags géants qui rehaussaient la splendeur des orchidées Wunderbaria, l’esprit de l’oncle survivait sous la forme d’un tamanoir à l’oeil tendre qu’on localisait à l’odeur, quelques sans-papiers pakistanais relégués dans le cabanon du jardin figuraient les bandits de naguère, qui buvaient gravement du Coca-Cola en reluquant les jeunes adorateurs du soleil tout nus sur l’ancienne terrasse aux figuiers de Barbarie, et le soir, à la brune, quand les ombres commençaient de remuer entre les massifs ensauvagés, dans les fumées d’herbe et de cervelle bourgeoise grillée au feu de bois, le grand fourmilier se remettait à débiter de très anciennes menteries.        

  • Goncourt ou pas...

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    Le formidable roman de Joël Dicker, La vérité sur l'affaire Harry Quebert, n'a pas, finalement, obtenu le Prix Goncourt 2012. Les académiciens lui ont préféré Le sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari, très beau livre d'un tour plus littéraire assurément que le roman de notre préférence. Or celui-ci a déjà fait un magnifique parcours, gratifié du Grand prix du roman de l'Académie française et plébiscité par le public. Belle aventure qui continue maintenant, avec un jeune auteur qui a la vie devant lui. Evohé !   

    La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, deuxième ouvrage du jeune auteur genevois Joël Dicker, est le roman en langue française le plus surprenant, le plus captivant et le plus original que j’aie lu depuis bien longtemps. Comme je suis ces jours en train de relire Voyage au bout de la nuit, en alternance avec le Tiers Livre de Rabelais, je dispose de points de comparaison immédiats qui m’éviteront les superlatifs indus. Mais la lecture récente de très bons livres à paraître cet automne, tels Le Bonheur des Belges du truculent Patrick Roegiers, Notre-Dame-de-la-Merci du tout jeune Quentin Mouron tenant largement ses promesses, Après l’orgie du caustique Jean-Michel Olivier ou Prince d’orchestre de Metin Arditi qui donne son meilleur livre à ce jour, m’autorise aussi à situer le roman de Joël Dicker dans ce qui se fait de plus intéressant, à mes yeux en tout cas, par les temps qui courent.

    La publication prochaine de La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert marquera-t-elle l’apparition d’un chef-d’œuvre littéraire comparable à celle du Voyage de Céline en1934 ? je ne le crois pas du tout, et je doute que Bernard de Fallois, grand proustien et témoin survivant d’une haute époque, qui édite ce livre et en dit merveille, ne le pense plus que moi. De fait ce livre n’est pas d’un styliste novateur ni d’un homme rompu aux tribulations de la guerre et autres expériences extrêmes vécues par Céline; c’est cependant un roman d’une ambition considérable, et parfaitement accompli dans sa forme par un storyteller d’exception, qui joue de tous les registres du genre littéraire le plus populaire et le plus saturé de l’époque – le polar américain – pour en tirer un thriller aussi haletant que paradoxal en cela qu’il déjoue tous les poncifs recyclés avec une liberté et un humour absolument inattendus. Cela revient-il à situer le livre de Joël Dicker dans la filiation d’Avenue des géants, le récent best-seller, tout à fait remarquable au demeurant, de Marc Dugain ? Non : c’est ailleurs il me semble que brasse l’auteur genevois, même s’il interroge lui aussi les racines du mal au cœur de l’homme.

    Limpidité et fluidité

    Ce qu’il faut relever aussitôt, qui nous vaut un plaisir de lecture immédiat, c’est la parfaite clarté et le dynamisme tonique du récit, qui nous captive dès les premières pages et ne nous lâche plus. L’effet de surprise agissant à chaque page, je me garderai de révéler le détail de l’intrigue à rebondissements constants. Disons tout de même que le lecteur est embarqué dans le récit en première personne de Marcus Goldman, jeune auteur juif du New Jersey affligé d’une mère de roman juif (comme Philip Roth, ça commence bien…) et dont le premier roman lui a valu célébrité et fortune, mais qui bute sur la suite au dam de son éditeur rapace qui le menace de poursuites s’il ne crache pas la suite du morceau. C’est alors qu’il va chercher répit et conseil chez son ami Harry Quebert, grand écrivain établi qui fut son prof de lettres avant de devenir son mentor. Mais voilà qu’un scandale affreux éclate, quand les restes d’une adolescente disparue depuis trente ans sont retrouvés dans le jardin de l’écrivain, qui aurait eu une liaison avec la jeune fille. D’un jour à l’autre, l’opprobre frappe l’écrivain dont le chef-d’œuvre, Les origines du mal, est retiré des librairies et des écoles. Là encore on pense à Philip Roth. Quant à Marcus, convaincu de l’innocence de son ami, il va enquêter en oubliant son livre… qui le rattrapera comme on s’en doute et dépassera tout ce que le lecteur peut imaginer.

    Un souffle régénérateur

    Je me suis rappelé le puissant appel d’air de Pastorale américaine en commençant de lire La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, où Philip Roth (encore lui !) retrouve pour ainsi dire le souffle épique du rêve américain selon Thomas Wolfe (notamment dans Look homeward, Angel) alors que le roman traitait de l’immédiat après-guerre et d’un héros aussi juif que blond… Or Joël Dicker aborde une époque plus désenchantée encore, entre le mitan des années 70 et l’intervention américain en Irak, en passant par la gâterie de Clinton... qui inspire à l’auteur un charmant épisode. On pense donc en passant à La Tache de Roth, mais c’est bien ailleurs que nous emmène le roman dont la construction même relève d’un nouveau souffle.

    La grande originalité de l’ouvrage tient alors, en effet, à la façon dont le roman, dans le temps revisité, se construit au fil de l’enquête menée par Marcus, dont tous les éléments nourriront son roman à venir alors que les origines du roman de Quebert se dévoilent de plus en plus vertigineusement. Roman de l’apprentissage de l'écriture romanesque, celui-là s’abreuve pour ainsi dire au sources de la « vraie vie», laquelle nous réserve autant de surprises propres à défriser, une fois de plus, le politiquement correct.

    De grandes questions

    Qu’est-ce qu’un grand écrivain dans le monde actuel ? C’était le rêve de Marcus de le devenir, et son premier succès l’a propulsé au pinacle de la notoriété ; et de même considère-t-on Harry Quebert pour tel parce qu’il a vendu des millions de livres et fait pleurer les foules. Mais après ? Que sait-on du contenu réel des Origines du mal, et qu'en est-il des tenants et des aboutissants de ce présumé chef-d’œuvre ? Qui est réellement Harry ? Qu’a-t-il réellement vécu avec la jeune Nola ? Que révélera l’enquête menée par Marcus ? Qui sont ces femmes et ces hommes mêlées à l’Affaire, dont chacun recèle une part de culpabilité, y compris la victime ?

    Je n’ai fait qu’esquisser, jusque-là, quelques traits de ce roman très riche de substance et dont les résonances nous accompagnent bien après la lecture. Il faudra donc y revenir, Mais quel bonheur, en attendant, et contre l’avis mortifère de ceux-là qui prétendent que plus rien ne se fait en littérature de langue française, de découvrir un nouvel écrivain de la qualité de Joël Dicker, alliant porosité et profondeur, vivacité d'écriture et indépendance d'esprit, empathie humaine et lucidité, qualités de coeur et d'esprit.

     

    Ce qu'en dit Bernard de Fallois, éditeur:

    "Dans une expérience assez longue d'éditeur,on croit avoir tout lu: des bons romans, des moins bons, des originaux, plusieurs excellents... Et voici que vous ouvrezun roman qui ne ressemble à rien, et qui est si ambitieux, si riche, si haletant, faisant preuve d'une tellemaîtrise de tous les dons du romancier que l'on a peine à croire que l'auteur ait 27 ans. Et pourtant c'est le cas. Joël Dicker, citoyen suisse et même genevois, pourson deuxième livre, va certainement étonnenr tout le monde".

     

    Joël Dicker. La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert. Editions Bernard de Fallois / L’Age d’homme, 653p.

     

    En piste pour le Goncourt 2012

    «Peste & choléra», de Patrick Deville (Seuil)

    «La vérité sur l'affaire Harry Quebert», de Joël Dicker (Fallois)

    «Le sermon sur la chute de Rome», de Jérôme Ferrari (Actes Sud)

    «Lame de fond», de Linda Lê (Bourgois)

  • Ceux qui y croient

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    MERDE à ceux qui n'y croient pas. MERDE à Barack Obama et à Joël Dicker. MERDE à à ce jour J qui pourrait marquer l'accession d'un jeune auteur romand à la Maison Blanche et voir Barack enfin consacré par le Prix Goncourt qu'il convoite fébrilement après un Nobel de la Paix peu suivi d'effets...

    Et (re)voici ma liste de novembre 2008...

    Celui qui aime les gens ordinaires / Celle qui rebaptise ses tortues Malia et Sasha / Ceux qui vont repeindre la devanture de leur salon de coiffure en l’honneur du Nouveau Président auquel ils s’identifient en tant que métèques amateurs de basketball supporters du club de l’université d’Oregon / Celui qui avait pointé les vers de Nostradamus annonçant La Baraka de Barack / Celle qui a réalisé un buste d’Obama en résine teintée mais pas trop / Ceux qui estiment qu’Armageddon est compromise avec ce Black probablement séropositif / Celui qui va recommencer à fumer sans états d’âme / Celle qui habillera ses filles Molly et Dolly à l’imitation de la First Lady pour le Bal de la paroisse évangélique de South Atlanta / Ceux qui se demandent si les démocrates vont enfin purger le parc municipal des écureuils gris / Celui qui est resté devant son téléviseur à écran plasma la nuit durant pour pouvoir dire à ses enfants « j’y étais » / Celle qui a enregistré la première déclaration de Barack pour se la repasser à tête reposée / Ceux qui sont amis avec Michelle Obama sur Facebook sans se douter que sous ce nom se cachent deux jumelles texanes fans de Dolly Parton / Celui qui n’enlèvera pas le poster de McCain de la porte de son garage d'auxiliaire des pompiers de Macon (Georgia) / Celle qui avait écrit un si beau poème à l’éloge de Sarah Palin / Ceux qui ont fait une liste de revendications à adresser à la Maison Blanche au nom des Républicains Déçus / Celui qui se rappelle une promesse non tenue de Barack alors qu’ils fréquentaient la même école de Punahou d'Hawaï / Celle qui a obtenu le désamiantage d’un local social grâce à l’appui de ce sacré battant de Barack / Ceux qui estiment que le futur hôte de la Maison Blanche a une chance sur deux de ne pas être assassiné / Celui qui insinue que la mère d’Obama aurait également couché avec le frère de son ex / Celle qui croit fondamentalement à la bonne foi des deux tiers de l’humanité voire plus / Ceux qui estiment que John McCain eût mieux fait de se choisir une Sarah Palin mulâtre, Celui qui lit Histoire d’O à Bamako / Celle qui envoie un SMS à Oprah Winfrey pour lui dire que sans son soutien ce freluquet ne passait pas la rampe / Ceux qui n’ont pas trouvé le temps de voter, etc.