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  • Ceux qui cliquent sur la bannière

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    Celui que la novlangue amuse sans l'abuser / Celle qu'on dit la Sévigné des SMS / Ceux qui p'tain disent FUCK tous les trois mots non mais, p'tain, tu trouves pas ça p'tain de grossier ? /Celui qui surveille son langage sans trop se faire chier / Celle qui est peuple de noble pensée et parle comme un charretier distingué / Ceux qui font des pipes aux dés comme d'autres font des pompes dans le verger / Celui qui assume sa différence de muet albinos suisse allemand addict à Twitter / Celle qui lit Le Bleu du ciel de Bataille pour pas suffoquer dans l'esprit du temps genre 50 nuances de Grey sans rien d'Earl / Ceux qui n'aiment que les livres dont on ne sent pas que les auteurs y ont été contraints / Celui qui revit en lisant d'affilée L'Arrêt de mort et Les pieds maternels / Ceux qui se transmettent le titre de la nouvelle Sarrazine avec des airs entendus et comme d'un secret / Celui dont le gris troublé du regard évoque un cigare éteint / Celle que son obsession quitte à la première panne de courant / Ceux qui n'aiment que les livres genre sterling / Celui qu'attriste la chair non consommée / Celle que les mots ébranlent et qui s'en inonde / Ceux qui dégagent le fumet fétide des fauves au saut du lit / Celui qui se demande un peu que faire de Dirty un dimanche matin après l'amour et se rappelle qu'elle aime bien avec de l'Earl Gray ces beignets qu'on appelle cuisses-de-dames / Celle qui dit aimer qu'on l'embrasse "dans la bouche" avec un peu de sel et de citron genre moule Poulette / Ceux dont le coeur bat si fort qu'on l'entend sous les habits du dimanche comme le tam-tam dans les fourrés / Celui qu'on disait réservé et qui danse à présent sur le ventre de la mariée couche-toi-là / Celle qui glousse en rotant et lance au liftier qu'elle n'a pas besoin de ses couilles mais bon c'est dans ce livre juté par Bataille et maintenant on va faire un tour sous le ciel aux 50 nuances de bleu / Ceux qui se réjouissent de se rencontrer en 3 D la semaine prochaine du côté de Manchester / Celui qui se rappelle les allumés de Hyde Park Corner mais à peu près rien d'autre de son seul trip londonien en 1970 / Celle qui a joué son rôle d'oiseau de malheur que mon cafard a mazouté / Ceux qui se prénomment Lazare et ne ressuscitent pas pour autant faute d'exercice ou parce qu'ils se sont trompé de gare au départ / Celui qui a le don des langues mais peine un peu au french kiss avec l'Américaine à dégaine de jackalope en baskets / Celle que revigore les "j'aime" saluant ses poèmes genre coin de ciel bleu sur Facebook / Ceux qui resteront quelque temps sur Facebook après leur décès mais là plus tant moyen de cliquer "j'aime" que voulez-vous c'est la vie quand on est mort, etc.

    Peinture: Toscane rêvée, fecit JLK. Huile sur toile, 2008. 

  • Le Goncourt en Suisse profonde ?

    Soutter9.JPGDialogue schizo

    La dernière rumeur. Un D chasserait l'autre. Le génie helvétique à Morges. Louis Soutter et les Forel. Yersin notre prof de gym. La sale gueule d'Alexandre Yersin, pareille à celle de Stanley...

     

    Moi l'autre: - Donc la dernière rumeur dirait que le Goncourt serait bel et bien attribué lundi à un auteur dont le nom commence par la lettre D, mais qui ne serait pas Suisse.

    Moi l'un: - C'est en effet ce qu'elle nous balance par SMS. Non pas Dicker par conséquent, mais Deville. Peste et choléra, de Patrick Deville.

    Moi l'autre: - Et ça te navre, après que nous avons (virtuellement) attribué notre Goncourt 2012 au très savoureux et sapiençal Bonheur des Belges, de l'ami Patrick Roegiers, avant de nous rallier au panache de Joël Dicker ?

    Moi l'un: - Non, et pour autant que la rumeur s'avère, je trouverais ce choix équitable et juste, qui consacrerait une oeuvre déjà considérable et un livre dont le protagoniste est bonnement extraordinaire, et l'écriture incisive et d'une parfaite musicalité, nette et vive, parfaitement apropriée à son objet. À part quoi ça me ferait un vieux plaisir de revenir dans le Morges mômier des "aristocrates de la foi" et des grands originaux en rupture de banc d'église que furent le génial Louis Soutter, les Forel et les Yersin.

    Moi l'autre: - Mais on ne lâche pas Joël Dicker...

     

    Moi l'un: - Absolument pas ! D'ailleurs rien n'est sûr sûr. Et puis on emmerde résolument celles et ceux qui prétendent que La vérité sur l'Affaire Quebert serait moins de la littérature que Le sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari, cousu de longues phrases somptueuses et sondant les temps humains avec beaucoup d'originalité, ou que Peste et choléra. La littérature est un très vaste pays, même s'il ne faut pas tout mélanger. Jamais on ne mettra Michael Connelly ou Jo Nesbo sur le même plan que Faulkner ou que Fitzgerald, mais le mépris des cuistres ou des coincés pour ce qu'on dit la sous-littérature est parfois à réviser, comme avec Patricia Highsmith ou Simenon. Quant à Joël Dicker, il pourrait encore nous étonner...

    Moi l'autre: - David Caviglioli a parlé de lui comme d'une espèce de sous-Roth sur canevas de téléfilm...

    Moi l'un: - Je trouve ça plutôt méchant et surtout superficiel. C'est vrai qu'on pense à Philip Roth, mais aussi à John Irving ou à Salinger, même à Bret Easton Ellis en lisant Dicker, mais ça n'a rien de l'imitation mimétique ni même de la référence littéraire. Je l'ai plutôt pris comme un élément du "décor" américain. Philip Roth est un peintre de moeurs-styliste dès Portnoy et même avant, et toute son oeuvre est nourrie par sa mère juive et son père barde à Newark, si j'ose dire, sans parler des enchevêtrailles de la relation homme-femme. Et puis il y a la magnifique Trilogie américaine, et le bouleversant Patrimoine, etc. L'oeuvre de Roth est un grand labyrinthe et en constante évolution. Quant à l'oeuvre de Dicker, peut-on dire autrechose qu'elle en est à son tout début, déjà saisissant ? Et le mec n'a pas l'air de se prendre pour plus qu'il n'est. Et je crois qu'il a les épaules assez solides pour ne pas être foutu en l'air par un grand prix. Mais bon: on s'en fout. Sauf qu'un Goncourt à L'Age d'Homme et De Fallois aurait été sympa. Or les rentrées semblent assurées pour ces braves gens, alors...

    Moi l'autre. - Et le roman de Linda Lê, la dame du dernier carré ?

    Moi l'un: - Hélas pas lu, et notre escadron ne parle que de livres qu'il a lus: c'est marqué sur son Ordre de Marche. Donc je me répète: on emmerde les jaloux cauteleux que réjouirait évidemment l'éviction de Dicker, qui a déjà le public, le Grand prix du roman de l'Académie française et la vie devant lui. Mais attendons plutôt lundi...

    Moi l'autre: - À part ça, tu ne trouves pas que l'appellation de "roman" pour le livre de Deville est un peu limite ?

    Moi l'un: - Non, je ne trouve pas. Ce n'est pas une bio d'Alexandre Yersin. C'est une espèce de montage narratif à la fois très précis, hyper documenté, et très libre, moins fluide et vague que de l'Echenoz mais aussi juste et exact, avec sa poésie. Et puis il sent Morges, ce qui n'est pas évident pour un auteur français. Il sent la Suisse chez Yersin, et c'est quelque chose de profond cette Suisse- là. La mère du savant est un géant à elle seule. Je retrouve à fond ma grand-mère dans cette Fanny, qui citait l'Ancien Testament plus souvent qu'à son tour. Et ce protestantisme-là va bien plus loin qu'on ne croit. Il est explorateur et change de vie plusieurs fois en une existence.

    Moi l'autre: - Deville montre bien aussi le côté savant fou de Yersin.

    Moi l'un: - Son Yersin me rappelle un prof de gym du même nom d'Yersin. Fort en dessin et passionné de botanique et d'entomologie, comme le père d'Alexandre, souple comme une liane et violoniste, féru d'astrophysique et de voyages partout, célibataire présumé et fana de motos. Je ne sais s'il avait de la parenté avec le personnage de Deville mais c'est plus que probable, comme tous les Forel savants toqués et bolchévisants sont parents de ce Morges mythique dont on ne peut que foutre le camp évidemment comme le pauvre Louis Soutter ou comme Alexandre Yersin.

    Moi l'autre: - Il y a aussi de l'horloger chez Deville...

    Moi l'un: - Ouais, Joël Dicker est plus ingénieur en mouvement, porté à l'épique à rapides enjambées de phrases, tandis que Patrick Deville travaille dans la dentelle barbelée, si j'ose dire. Sa phrase a de la schlague et de la grâce et du chien. Et puis j'apprécie beaucoup ses mises en rapport. À un moment donné, il rapproche le caractère teigneux de Stanley et de Yersin. Cartographier le Congo aurait d'ailleurs été dans les cordes du Morgien. Comme on imagine Stanley grimpant au sommet du Grand Cornier pour voir plus loin.

    Moi l'autre: - Tu fais allusion à Congo, là , le phénoménal essai-récit de David Van Raybouck.

    Moi l'un: - Oui, là encore on a une sorte de "roman" dicté par la vie. Et qu'on ne fasse pas la moue devant l'"universel reportage" puisque c'est intéressant...

    Moi l'autre: - C'est ça. C'est ce que disait Michel Butor à Bernard Pivot qui lui demandait le pourquoi de son intérêt pour Balzac: parce que c'est intéressant.

    Moi l'un: - On me dira que ce n'est pas un critère de jugement littéraire bien raffiné, mais je nen ai rien à scier: La vérité sur l'Affaire Quebert est un livre intéressant. Pour d'autres raisons, Peste et choléra est également un livre hyper intéressant. Pareil pour l'Autobiographie des objets de François Bon qui nous fait grappiller plein d'objets-souvenirs dans le grenier de nos mémoires vives à partir des mots magiques. Pareil pour le dernier roman de Pierre Assouline dont le personnage nous ramène à Simenon.

    Moi l'autre: - Simenon qu'a j'amais eu le Goncourt !

    Moi l'un: - Je ne te le fais pas dire...

    Image: Souplesse, peinture au doigt de Louis Soutter.

  • Ceux qui se croient malins

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    En mémoire de Michel Bakounine, conseiller littéraire particulier du Tsarévitch.

     

    Celui qui se pique de parler des livres qu'il n'a pas lus vu que tout le monde le fait et qu'il aime faire comme tout le monde même s'il prétend le contraire / Celle qui a fait se poiler le professeur Pierre Bayard en lui lançant comme ça devant 150 étudiants que son livre Comment parler des livres qu'on n'a pas lus était le plus nul des livres qu'elle n'avait jamais lus / Ceux qui ne lisent que les livres auxquels fait allusion Cauet dans ses émissions vues par des millions de gens qui ne lisent pas / Celui qui prétend avaoir lu tous les romans de Nadine de Rotschild / Celle qui kiffe grave ce Dicker qui ne se rase pas genre Gainsbarre ou DSK en fin de partouze / Ceux qui ne lisent rien et ne s'en portent pas plus mal sauf certains qui feraient bien de faire le test / Celui qui tire sur toute forme d'enthousiasme non provoqué par ses seuls cacas bien moulés de vieux gamin chafouin / Celle qui achète tous les Goncourt sans les lire / Ceux qui se rappellent le dialogue marrant de Jules Renard sur l'Académie Goncourt dans L'Oeil clair (Gallimard, 1949,pp. 167-182) qui finit comme ça: - Décidément votre petite Académie n'a pas d'importance. - À qui le dites-vous! - Votre prix est sans valeur. - Il vaut 5000 francs. C'est un joli lot et le billet ne coûte que la peine d'écrire un livre, autant que possible un bon livre. - Qu'est-ce qu'un bon livre ? - Isolément, chacun des Dix le sait, mais, réunis, pourraient-ils se flatter le savoir encore ?" / Celui qui revient souvent au Journal de Jules Renard mais préfère encore les pointes sèches de L'Oeil clair ou le persiflage implacable de L'écornifleur / Celle qui se dit la Renarde du quartier des Bosquets au motif qu'elle a le buisson roux / Ceux qui aiment bien les prix littéraires des autres tout en préférant encore ceux qu'ils reçoivent enfin quoi c'est humain, etc.

     

    Image: Claude Verlinde

  • L'effet Dicker

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    Dialogue schizo

    Moi l'autre: - Et toi, ce battage ou prétendu battage, ce "buzz" autour de Joël Dicker et son roman, ça t'énerve aussi ?

    Moi l'un: - Quel buzz ? Quel battage ? Ce qui m'énerve surtout c'est la façon pour certains de prendre, de plus en plus, les effets pour des causes. Comme il en allait de Jonathan Littell en 2006, je constate d'abord que ceux qui sont les plus sceptiques, voire les plus critiques, n'ont pas ouvert le bouquin. Aussi, le succès déjà fracassant du livre, auprès du public, est forcément suspect aux yeux des "purs" ou des jaloux.

    Moi l'autre: - D'aucuns reprochent au roman de n'être pas assez littéraire pour faire un bon Goncourt.

    Moi l'un: - C'est vrai qu'il est moins littéraire que les romans de Jérôme Ferrari et de Patrick Deville, d'ailleurs excellents tous les deux. Mais cet argument me semble hypocrite. Autant que celui de cette dame, dans le courrier des lecteurs de 24 Heures d'hier, qui salue la qualité du polar en déplorant qu'il soit plus qu'un polar. Mais comme elle dit, dans la foulée, qu'on en arrive bientôt à sauter une page sur deux pour savoir le mot de la fin, on voit le malentendu total. De fait si tu sautes une page dans ce livre, tu en perds la vraie substace et, finalement, le dénouement n'est pas du tout ce qu'on croit. Cette dame ne voit absolument pas, par ailleurs, le questionnement que Dicker pose incidemment sur le contenu même du présuméchef-d'oeuvre de Harry Quebert. Et si c'était un succès sans rapport avec sa valeur réelle ? Et si c'était du sous-Ajar ou du sous-Schmitt. Et si l'imposture allait jusque-là ?

    Moi l'autre: - Un plumitif a évoqué Marc Levy et Guillaume Musso à propos de Joël Dicker...

    Moi l'un: - C'est n'importe quoi. Mais là encore on mélange tout. Parce qu'un livre cartonne il ne peut être littéraire et c'est donc forcément de la daube...

    Moi l'autre: - C'est souvent vrai...

    Moi l'un: - Bien entendu! Mais aurait-on l'idée de mettre Simenon sur le même rang que Barbara Cartland ? En fait ce qui gêne c'est que Dicker écrive un roman passionnant qui intéresse les gens et qui dise en plus quelque chose. On a fait le même procès, à l'époque, aux romans de Martin Suter, qui apportait lui aussi un regard incisif sur la société actuelle avec une dynamique narrative stupéfiante propre à consterner nos autrices et auteurs-autruches. Et voilà que que Dicker se risque à nous faire un peu réfléchir et donne dans la critique du système éditorial ou médiatique américain, entre autres ! Joël Dicker a des idées, tu te rends compte ! C'est comme si on disait que Crime et châtiment ne tient pas la route en tant que polar...

    Moi l'autre: - Tu ne vas pas jusqu'à comparer Joël Dicker à Dostoïevski !

    Moi l'un: - Bien sûr que non, même sil y a quelque chose de dostoïevskien dans la problématique de la culpabilité inscrite dans le roman, par rapport au crime, mais aussi par rapport à la duplicité de l'écrivain. Mais non! Dicker n'est ni Céline ni Dostoïevski. Mais il s'affirme déjà comme un grand "pro" de la narration en dépit de son très jeunes âge. Dicker n'a ni la fluidité musicale de Jean Echenoz ni la proustité somptueuse des phrases de Jérôme Ferrari, ni l'écriture étincelante d'un Patrick Deville, c'est entendu. Mais Dicker est un formidable storyteller et il dit des choses. Or c'est précisément ce qui nous accroche dans le roman, à part la story, comme on dit. Dans le polar, on a quand même à peu près tout vu et ce n'est pas par là que Joël Dicker apporte du neuf et du vif. Stylistiquement, sa phrase n'a pas non plu la ciselure ni l'éclat de la prose d'un Cormac McCarthy, dans le genre parapolar existentiel, poétique ou philosophique, ni le souffle faulknérien d'un James Lee Burke, pour en rester au rayon américain...

    Moi l'autre: - Au rayon français, tu le situerais où ?

    Moi l'un: - Je le situerais parmi les narrateurs à la Volkoff ou à la Marc Dugain, qui ont également touché aux genres du thriller ou de l'essai-roman, avec la même clarté et la même énergie. Mais les personnages de Joël Dicker ont plus de résonance intérieure que ceux de Volkoff, surtout les femmes.

    Moi l'autre: - Vladimir nous a pourtant dit, une fois, qu'un vrai romancier se reconnaissait à la qualité de ses personnages féminins...

    Moi l'un: - Hélas, il ne parlait pas pour lui, quoique puissant romancier... Blague à part, la frise des personnages de Dicker, et la qualité d'évocation de tous les lieux qu'il leur fait traverser, sont impressionnantes. Et puis le montage narratif du roman est assez vertigineux dans le genre des architectures àla Escher...

    Moi l'autre: - Content que ce soit un Romand ?

    Moi l'un: - On s'en bat l'oeil, non mais vraiment. D'ailleurs Joël Dicker est aussi atypique à cet égard qu'un Quentin Mouron, avec une puissance de feu évidemment bien supérieure. En revanche cela me plaît assez que le livre soit défendu par Bernard de Fallois, vieux proustien qui sait mieux que personne ce qui est littéraire ou pas, en complicité avec L'Age d'Homme qui reste historiquement la plus grande maison littéraire de Suisse romande. On est juste triste que Dimitri ne soit plus là pour se réjouir de ce qui arrive au jeune homme dont il a été le premier à reconnaître le grand talent...

  • Ceux qui accueillent les Esprits

     Pajak17.jpgCelui qui a gardé à l'Esprit d'enfance une petite place genre strapontin pour revoir Le Kid ou Amarcord / Cellerqui prendrson café grande tasse du matin avec le Courage / Ceux qui comminiquent avec les Esprits sans faire tourner lestables / Celui qui pressent le pire mais reste serein /  Celle qui voit de loin la Douleur parler avec la Joie sur un banc du parc de l'établissement médico-social La Bonne Rive / Ceux qui ont moins peur de la Peur depuis que le Chagrin les a grandis / Celui qui sait que sous la table il y a d'autres tables / Celle qui les entend soupirer dans son propre soupir / Ceux qui habitent lamaison d 'autrefois qu'il y a en eux tant d'années après qu'elle fut incendiée / Celui qui aimbe bien la Bêtise et l'Impatience qui l'ont fidèleent accompagné dans ses menées souvent fébriles et plus ou moins imbéciles/ Celle qui se tait en compagnie de la Mélancolie montée dans le train à Passau sur la Donau qui se dit Danube en français et au masculin / Ceux qui se demandent ce qui va s'avancer aux frontières avec les années/ Celui qui se rappelle la ruine sur lacollie aujourd'hui menacée par l'esprit win-win /  Celui qui sait que la Pitié a élu domicile dans une bâtisse menacée par les promoteurs / Celle qui se doute que la Mort rôde sans trop s'en inquiéter ce soir pourtant bien noir / Ceux qui reconnaissent la Douleur à ses stigmates / Celui qui n'a jamais lâché la main du Doute / Celle qui est restée fidèle àl'Etonnement sans trop s'étonner du reste / Ceux qui restent interdits devant la Réalité de leur enfat à deux coeurs / Celui qui ne pense pas que les mots d'esprit soient forcément appréciés par les Esprits mais c'est plus fort que lui cette manie / Celle qui accueille la Confiance dans son taudis donnant sur cour / Ceux qui contestent sa majuscule à l'esprit de mesquinerie  Celui qui rôde vers les étangs à guetter l'Esprit des eaux que préfigure l'éclat du diamant au front de la Vouivre / Celle qui nie le monde des Esprits au nom de la science scientifique / Ceux qui se rappellent que l'esprit soffle où il veut y compris dans les églises et les mosquées et les synagogues et même les gogs s'il veut / Celui qui se méfie de la Méfiance / Celle qui fait du trapèze avec l'Hardiesse et baise avec la Sensualité lesbiche parfois comme on sait /Ceux qui culbutent la Beauté avec leur scooter / Celui qui répond à l'esprit de questionnement qui est un attribut avéré de la Curiosité / Celle qui fume sur le trottoir avec le Lyrisme en jeans serrés / Ceux qui préfèrent l'Insolence à l'Indifférence / Celui que la Mort n'inquiète pas même à l'approche de sa Cheffe de Projet /  Celle qui sent battre un autre coeur dans son coeur / Ceux qui aiment les livres qui les aident àlire celui qu'il y a en eux / Celui qui fréquente laPrésenceà tout instant ou tout a moins s'y efforce / Celle que l'Absence a terrassée avat qu'ellene rencontre laConsolation / Ceux qui ont un deal avec la Tendresse, etc.

    (Cette liste a été posée dans les marges du dernier chapitre du Manifeste incertain de Frédéric Pajak, intitulé Les Esprits).

     

  • Ceux qui se rappellent Ibiza

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    Celle qui est sensible au jeu du noir et du blanc genre domino mobile / Ceux qui ont ourdi des complots à Formentera / Celui qui n'a fait que passer dans la villa de l'escroc non sans pisser dans le lavabo / Celle qui se souvient de l'île du Salut d'où elle s'enfuit en notant: "Ce n'est qu'en quittant une chose que nous la nommons" / Ceux qui conseillent le plagiat aux jeunes écrivains en tout cas pour commencer / Celui qui était une véritable anthologie de citations à dix-huit ans au dam de sa girl friend au caleçon de bain de laine bleu pâle peu seyant mais non sans charme / Celle qui a ingéré de la fleur bleue dans la baie de San Antonio / Ceux qui ont capté les mots de l'écrivain balbutiant devant ses tapas. "Les citations dans mon travail sont comme des brigands sur la route qui surgissent tout armés et dépouillent le flâneur de sa conviction" / Celui qui tout à fait nu sur la plage noire se dit que la paix aujourd'hui est toute relative puisqu'elle se nourrit de guerres loitaines et locales qui se détachent de nous sous forme d'images désespérantes / Celle qui tenait les mains de Louis-Ferdinand Céline quand il angoissait le soir vers 1960-1961 / Ceux qui creuseront la notion de fantastique social chez Céline et Thomas Bernhard quand ils auront un moment / Celui qui a remarqué la battue du pied droit de TB pendant sa fameuse interview d'Ibiza où il parle de pureté / Celle qui a suivi le cours sur les Mayas auquel assistait son amant compliqué et le poète Rilke en 1932 à Munich non loin de la cave où les nazis se réunissaient autour du caporal Hitler / Ceux qui ont appris que la petite-fille de la nudiste d'Ibiza s'était fait violer au Mali par des mercenaires islamistes / Celle qui a passé son après-midi dans la grande pièce ensoleillée en compagnie de 333 mouches engourdies par la touffeur / Ceux qui (j'en suis) estiment que la pensée est le plus court chemin entre deux images / Celui qui (c'est moi aussi) alimente sa mélancolie dans les rues de Turin/ Celle qui remarque que les chaises d'une bouleversante simplicité qu'elle regarde dans la pièce principale de la maison donnant sur la mer ont quelque chose à dire / Ceux qui se rappellent le tout vieux de Lanzarote dont le polo vert contrastait avec le noir de la terre de là-bas / Celui qui a relevé le relent phénicien et donc africain se dégageant des objets de poterie figurant la déesse Ishtar et le dieu Baal / Celle qui lisait Sens unique pendant que ses compagnons de la communauté de Villa Alegre se baignaient à poil dans la crique aux criquets / Ceux qui ne retourneront plus en l'île des femmes de ménage, etc.

     

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    (Cette liste a été notée en marge de la lecture du Manifeste incertain de Frédéric Pajak, paru aux éditions Noir sur Blanc)

     

    Image: dessins à l'encre deChine de Frédéric Pajak

  • Ceux qui restent incertains

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    Celui qui prétend qu'il a choisi de ne pas choisir sans en être sûr sûr /Celle qui a toujours préféré les maladroits aux habiles / Ceux qui ont acquis la raideur des gestes obligatoires en ne cessant de se montrer décidés n'est-ce pas / Celui qui estime que c'est avec les yeux des autres qu'on voit souvent le mieux / Celle qui éprouve en elle-même la pesanteur du temps qui éteint le temps / Ceux qui affirment que le présent actuel a perdu la présence du passé / Celui qui n'a jamais adhéré au présent post-hégélien fantasmé par la modernité / Celle qui a passé son enfance au secret et ensuite directement à l'enterrement du mariage / Ceux qui croient en une vérité totale mais hélas inexprimable dans les langues reconnues / Celui qui a échoué comme personne d'autre / Celle qui se la joue mal lunée sans se forcer / Ceux qui se disent épicuriens platoniques / Celui qui n'a jamais pris au sérieux les théories non contradictoires / Celle qui fait sienne l'observation de Karl Kraus selon lequel "plus on regarde le mot de près, plus il vous regarde de loin" / Ceux qui cherchent le mot qui se trouve au bout de la langue de celui qui n'accordera un french kiss qu'à celle qu'il kiffe / Celui qui sursaute en lisant dans le journal intime de Baudelaire: "Belle conspiration à organiser pour l'extermnation de la race juive" / Celle qui préfère la conversation des artisans à celle des assistants en philo / Ceux qui collectent les vestiges de récits oraux sur l'arc alpin / Celui qui est devenu conteur en subissant trop de conversations assommantes sur les thèmes éternels / Celle que le scribe Pajak dit "une fille faite exprès pour les adjectifs" / Ceux qui opinent du chef en retirant l'épine du talon du sous-chef / Celle qui songe à sa vie dans le café vide ce qui s'appelle vide / Ceux qui concluent leur rapport en affirmant que l'odeur de l'argent est essentiellement une odeur d'argent surtout dans les banques suisses où ça ne sent rien / Celui qui n'aime pas Rome ni Florence où l'on se cogne à tout moment à un monument / Celle qui aime s'en mettre pleine la lampe dans la pénombre de l'arrière-salle où Joe le Sicilien lui sert son lieu noir du vendredi soir / Ceux qui déclarent ouverte la chasse aux vieux sans être sûrs sûrs de leur bon droit,etc.

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    (Cette liste a été notée en marge du Manifeste incertain de Frédéric Pajak, qui vient de paraître aux éditions Noir sur Blanc, à Lausanne et Paris)

    Images: Walter Benjamin dans la foule de l'Italie fasciste, en 1924. Dessins à l'encre de Chine de Frédéric Pajak.

  • Ondine

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    Pendant qu’il est en Chine elle est tentée de se taper tous les gars du village, mais elle n’en fait rien: elle préfère se balader seule dans les bois et se rappeler son odeur de poisson, en attendant la nuit et le rêve. C’est par le rêve qu’elle a compris que Nemrod était une façon de silure galbé. Elle reposait dans la vase, elle ouvrait la bouche, il entrait en elle et ressortait les yeux grand fermés; il avait le ventre lisse et jouait à l’envelopper de ses nageoires couleur de lune ou de prune.

    Ce qui la trouble le plus, dans le rêve, c’est qu’il ne la prend jamais avant de lui avoir enfilé par la fente un lingam de jade sur lequel ses dents d’en bas se brisent, après quoi le poisson remonte en elle jusqu'à la rose à fin battant de sa pendule intime.

    Son amie Nulle, dont l’ami est casserolier à l’Auberge du Cerf, lui dit qu’elle est tellement grave qu’elle devrait demander une assistance psy. Or voici que la préposée aux Affaire oniriques du Département freudien de la culture d'Etat, section Bellouve, produit un rapport enrichi naguère par la déposition d'un chamane des Indiens Wipibos. Le document fait état d'une légende amazonienne analogue, où le buisson de la dormeuse abrite une gueule de renarde, dont les dents se brisent sur le bâton du veilleur. Comme quoi le complexe de castration voyage, et parfois jusqu'en la Cité interdite.

    D'ailleurs, quand Ondine pense aux Chinoises elle se sent toute petite: elle sait que là-bas les loutres ont encore le nombre pour elles.

    (Extrait de La Fée Valse)

  • Le grand Tim

    Phallus.gifDe tous les garçons du bourg c’était lui le plus fort au jeu du panier. La moyenne ne tenait guère à plus de deux ou trois pommes; et déjà ceux qui montraient cette vigueur inspiraient le respect. Cependant au milieu des gars déculottés derrière le bosquet du Mort, le grand Tim faisait sensation, le membre en levier, le panier plein et sans s’aider des mains.

     - Bientôt les femmes y feront de la barre, lançait-il crânement. Et de fait le grand Tim fut quelque temps un amant recherché du canton, jusqu’au jour où les siens se mirent en tête de s’installer dans les Laurentides.

    Ainsi les jeunes promesses sont-elles éventées, souvent, par le Temps ou les océans. Vous qui êtes resté, le vieux Clapier vous interroge, au détour du chemin, sur les anciens de la bande dont il disait pis que pendre, comme pour se rassurer, aussi vous faites-vous le plaisir d'affabuler. Ah mais Fanfan la guitare, que vous savez commis de banque, est à présent célèbre dans les pays et donc riche et à femmes, lancez-vous au chafouin. Et celui-ci est à Paris, celui-là dirige une Fanfare - vous savez qu'un tel détail rendra fou jaloux le vieux mesquin - cet autre encore a partout réussi, dont vous savez qu'il a tout foiré. Quant au grand Tim, dont vous ne savez plus rien depuis tant d'années, vous le citez à l'Ordre du Record à l'ancien adjudant qui n'en peut mais:

     - Tim   lève encore, lui balancez-vous. Et Clapier, claqué, va pour se mettre au garde-à-vous...

    (Extrait de La Fée Valse)