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Dernières nouvelles

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Récits de l'étrange pays, 6.

À vrai dire, et ça ne s’arrangeait pas avec le temps, Pascal Ferret ne se trouvait bien qu’avec les gens et quels qu’ils fussent, très bons ou très cons, même les pires selon son goût mais qu’il écoutait de la même façon. De fait, ne parler qu’avec lui-même ne lui suffisait pas plus que jamais il ne s’en était contenté, l’ennui de se sentir au fond le même en dépit de moult mues et métamorphoses, la barbe de ne s’engueuler qu’avec son double ou de se réjouir en Suisse, comme on dit, la gêne aussi de se sentir tellement épargné par la mouise et comme préservé à vie, tout cela nourrissait et renouvelait son inépuisable propension à recevoir les autres à sa table, pour ainsi dire, et les autres y étaient attirés et se confiaient plus qu’à qui que ce fût dans les lieux où il s’attardait, aux Fruits d’or où il bouquinait, à la Solderie des Oiseaux, dans les troquets du Vieux Quartier ou à la cafète de la rédaction désormais sans âme mais point sans personnes vivantes et trébuchantes, à parler de tout et de rien, et même des nouvelles du nouveau jour, mais surtout de la vie qui va sans croiser forcément le fait divers sanglant qu’il était toujours supposé chroniquer - le chien ou l’enfant qu’on oublie sur l’aire autoroutière, la jeune écervelée qu’on écrase la nuit et qu’on oublie de relever, le schizo barjo que son moche caractère a fait que tous l’ont oublié jusqu’au jour où il crève la UNE des journaux en forcené déchaîné -, Pascal fameux pour la Human Touch de ses papiers, disait la chefferie du Populaire, Pascal le dino, soixante balais passés sous ses airs de beatnik attardé, Pascal donc qui aimait les gens quels qu’ils fussent sans se faire trop d’illusions ni trop de mauvais sang non plus, Pascal Ferret qui savait fort bien, lui, qu’il n’avait pas tout vu, et qui partait en somme de cet axiome : qu’on n’a rien vu jusque-là, petite, petit, et donc qu’on s’en raconte sans faire semblant de s’en conter - bref, Pascal faisait attention aux gens, mais attention : très attention…


Des nouvelles du jour, que Pascal recevait, comme chacun, sur son computeur personnel connecté à longueur d’heures, les multiples personnages qu’il y avait en lui faisaient l’usage qui leur était propre, mais ces derniers temps le révolté en lui, en activité volcanique depuis ses treize ou quatorze ans, ne décolérait pas devant les délits des fuite et toutes espèces, de tout en bas de la société où se développait la vieille idée repoussante du pas-vu-pas-pris, à tout en haut où se déployaient les auréoles du bien-penser et autres parachutes dorés.

Autant dire que, sous ses dehors absolument sereins de briscard localier qui en a vu d’autres, comme on dit, le jeune révolté en Pascal Ferret piaffait tandis qu’il attendait le Dr Selim au nouveau kebab jouxtant Les Fruits d’or, et le vieux moraliste protestant en lui s’indignait de concert, mais l’acteur tragique raté, en Pascal, le poète shakespearien sans œuvre, l’ami de l’impossible libraire Lesage qui avait crevé de tabagisme il y avait à peine un an de ça et que Cléo avait remplacé au pied levé aux Fruits d'or, ce Pascal infiniment mobile et plastique sous son air de vieil Indien, le doux ami de ces dames qui se racontaient ses attentions, le doux ami des enfants du quartier des Oiseaux que la Mère Moderne surveillait évidemment, Pascal le très divers sous son nom tout simple fumait à l'instant sa clope à laquelle, tout à l’heure, son ami Hassan jeté, la veille, de son job, allumerait la sienne.

Image: Philip Seelen

Commentaires

  • Où l'on a un coup au cœur à reco-nnaître l'ami virtuel Pascal Ferret, l'un de "ces quelques personnages d'un possible roman de la vie".

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