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Au niveau de l'évier

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Récits de l'étrange pays, 7.

L’envie d’accéder enfin au succès tenaillait si fort l’écrivain Attila M. qu’il passait désormais toutes ses matinées à sa table lustrée à la cire d’abeilles, à proximité de l’évier qui l’avait fait connaître.
Le futur best-seller Attila M. devait, en effet, son premier succès d’estime, en tout cas dans le milieu littéraire cantonal et le cercle plus fermé de la politique culturelle nationale, à un premier recueil de proses minimales évoquant les objets usuels de la vie quotidienne de l’écrivaine et de l’écrivain tels que la table, la chaise, les rames de papier, les crayons et les gommes, les plumes et le plumier, enfin toutes ces humbles choses qui, de se trouver ainsi nommées, retrouvaient ainsi de leur dignité, en tout cas au regard du milieu littéraire cantonal et des fonctionnaires de la culture nationale en charge de l’attribution des bourses et autres subventions qui avaient tous vu à l’unisson, en ce nouvel auteur, la parangon du talent à soutenir à proportion de sa fragilité de fils d’étrangers acclimatés, type lui-même du parfait secundo.
Avec un instinct sûr de ce qu’il fallait faire en société, peut-être hérité du Système sous lequel il avait vécu lui-même en ses jeunes années, et sous l’impulsion probable aussi de Frieda, sa compagne de vie, Attila M. sentait ce qu’il lui faudrait accomplir en sorte de percer, comme on dit, ou tout au moins en avait-il l’idée qu’il lui restait à concrétiser, mais l’art est difficile et l’écrivaine et l’écrivain doivent en baver, répétait volontiers Attila M. à la vive satisfaction de la critique établie et des médias qui l’appréciaient en tant que représentant parfait du jeune auteur à dorloter.
Un best-seller conforme au goût du grand public, avait observé Attila M., se compose essentiellement de phrases réduites aux trois éléments d’un sujet, d’un verbe et d’un complément. Ce n’est pas plus sorcier que ça, avait constaté le futur best seller avant de le répéter à sa compagne de vie Frieda, de retour de l’Unité d’Enseignement où elle gagnait leur vie, et Frieda avait applaudi et conclu : alors vas-y, on y va, on le fait ce best mais il te faudra un agent, sur quoi, plus réaliste pour une fois que Frieda, Attila avait remarqué que d’abord il lui fallait un sujet.
Jusque-là, et dans la foulée de L’évier, son premier recueil salué dans les cantons de langue française et même au-delà, puis gratifié du prix littéraire désigné comme le Goncourt suisse français par les membres de son jury composé de critiques et de professeurs établis, les sujets traités par Attila M. s’étaient alignés sur les thèmes favoris de la littérature suisse digne de cette appellation, à savoir la problématique des outils de l’écrivain et de l’écrivain, comme dans le fameux Evier, puis les thèmes de l’identité de l’écrivaine et de l’écrivain et, plus récemment, le thème de l’altérité vécue comme un partage par l’écrivaine et l’écrivain, à l’enseigne du slogan Vivre Ensemble qu’incarnaient positivement Attila et sa compagne de vie. Mais tout ça, ma foi, ne constituait pas l’ombre d’un début de sujet de best-seller accessible au grand public, songeait Attila M. en ce début de matinée d’octobre un peu cafardeux, lorsque l’évidence lui apparut au terme d’une longue contemplation de l’évier : comme quoi le best-seller par excellence se devait d’allier sexe et violence - par conséquent à nous deux Attila !

Image: Philip Seelen

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