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Les enfants de Gaza

 

Ramallah336.jpg

Lettres par-dessus les murs (68)

 

Ramallah, ce samedi 27 décembre.

 

Caro,
Je travaille sur mon site, il paraît que c'est utile, d'avoir une carte de visite en ligne, alors j'aligne tranquillement les images et les mots, et puis la voix de ma douce, qui me dit qu'il y a 150 morts à Gaza. Elle dit ça comme elle aurait dit qu'il allait pleuvoir, ou que la voisine est passée ce matin, de l'air le plus détaché du monde. Ou plutôt, je l'entends ainsi. Ou plutôt, j'aimerais l'entendre ainsi. Surtout ne pas laisser aux mots le temps de diffuser leur sens, ne pas les laisser charrier leurs images de corps et de gravats, les images stéréotypées de la télévision, mais elles passent quand même, il faudrait refaire barrage maintenant mais c'est déjà trop tard, apparaissent collées à elles les images plus personnelles que j'ai de Gaza, la ville, le port, les amis, et l'inquiétude de ne savoir si ces images sont encore valides, quelle est l'ampleur du décalage, à quoi ressemblent maintenant la ville, le port, les amis, où est-ce que les bombes ont frappé, est-ce que les bombes ont détruit ces images-là ? Sami est sain et sauf, il rejoindra sa famille dans le nord,  s'il le peut. Un ami photographe coincé à Erez nous dit qu'il n'a jamais vu le ciel aussi noir, de l'autre côté du mur. Il aimerait aller plus avant, se glisser sous le noir du ciel, faire son travail, témoigner - mais le terminal d'Erez est fermé, normal : c'est shabat. Je ne me demande plus pourquoi les employés du terminal ne travaillent pas le samedi, tandis que les pilotes des F16 semblent besogner à bras raccourcis, eux... je suis souvent étonné de voir comment la religion, tellement rigide lorsqu'il s'agit de combattre l'hérétique, de défendre ses intérêts et ses territoires, comment cette religion se plie avec grâce aux petites exigences de la guerre. Les lanceurs de roquettes n'ont pas chômé non plus, hier vendredi, et sont-ils allés à la mosquée, avant ? Les courageux combattants ont tué deux petites Palestiniennes, mauvais réglage du tir, on ajuste et on recommence, allez. Il y a bien longtemps que les dommages "collatéraux" n'intéressent que les associations des droits de l'homme.

religion,politique,palestine

J'étais au Bangladesh quand la guerre en Irak a éclaté. C'était un jeudi, je m'en souviens parce que j'étais censé animer une soirée musicale à l'Alliance Française, le jeudi c'était fête, on servait de l'alcool au café, on dansait... ce jeudi-là je n'avais pas vraiment envie de danser ni de faire danser, mais à l'Ambassade on trouvait qu'une guerre n'empêcherait personne de boire un verre, alors je me suis retrouvé devant mes manettes de disc-jockey, la guerre dans l'âme, et j'ai commencé avec Rock around the bunker, de Gainsbourg,
il tombe   des bombes   ça boume   surboum   sublime
des plombes   qu'ça tombe   un monde   immonde   s'abîme…

 

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Ils avaient raison, à l'Ambassade : la guerre n'a pas empêché les gens de danser, et ils avaient deux fois raison : il ne fallait pas se priver de ce moment, malgré cette guerre, là-bas, et malgré les enfants qui dormaient dans la rue, un peu plus près, et malgré tous les autres malheurs du monde, parce qu'on n'en finirait pas : si tu ne peux rien faire contre, fais autre chose, mais fais – c'est aussi ce que je retiens des dernières lignes de Personne Déplacée. Je vais donc continuer à travailler sur mon petit site, cette lettre envoyée... Mais ce soir nous irons manger chez Benoît et Rawan, au lieu de sortir comme prévu, parce qu'en ville tout sera fermé.

Le salut et nos meilleurs voeux (sans ironie aucune),
Pascal

 

Haddad4.jpgA La Désirade, ce 27 décembre, soir.

 

Cher Pascal,

 

Ma mère aurait eu 92 ans aujourd’hui et, sept ans après avoir été terrassée par une attaque cérébrale,  la lecture de ta lettre l’aurait confortée dans sa conviction que le monde des hommes devient de moins en moins fréquentable et qu’il vaut mieux, en conséquence, se limiter à la contemplation de la nature…

Pour ma part, je me contenterai de te recopier ceci dans un livre que je suis en train de lire et d’annoter, intitulé La violence monothéiste et signé Jean Soler.

« Aussi longtemps que l’Etat d’Israël n’acceptera pas de rentrer dans le rang de la communauté des nations, et préférera s’enfermer dans un ghetto entouré de murs, conformément à l’idéologie biblique qui exigeait la séparation d’avec les goyim et l’auto-ségrégation fondatrice de l’identité du peuple, aussi longtemps que les Israéliens refuseront de considérer les Palestiniens comme leurs égaux, une vie arabe valant une vie juive, et laisseront un grand rabbin, Ovadia Yossef, les traiter de « serpents », en ajoutant : « Dieu a regretté d’avoir créé les Arabes », ou un quotidien populaire, le Maariv, donner la parole à un autre rabbin qualifié de «savant » (...) pour qu'il dise : « Les Arabes sont plus proches de l’animal que de l’humain » - ce qui est d’autant moins admissible que 20% des citoyens israéliens sont arabes, l’avenir de l’Etat juif ne sera pas assuré. Tout le reste n’est que propagande ».

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Pour faire bon poids, Jean Soler rappelle ce que furent, dans l’Histoire, les massacres imputables au Dieu unique sous ses trois «visages», de l’extermination des Cananéens, entre autres, perpétrée au nom de Yahvé, à l’extermination des Chrétiens lors de la première croisade musulmane, jusqu’à l’extermination des hérétiques, des Indiens et autres « animaux », cautionnée par l’Eglise  très chrétienne au nom du Dieu unique…

Jean Soler ne minimise les responsabilités d’aucune des trois paries continuant, aujourd’hui de s'entretuer, de Bush à Ben Laden ou aux faucons israéliens, mais puisque nous parlons des enfants de Gaza, je te citerai encore ce « rêve » qu’il formule, de voir un jour se lever un Juif d’envergure qui tiendrait ce discours à ses coréligionaires d’Israël et du monde entier :

         « Amis Juifs, il y a un temps pour planter et un temps pour arracher le plant» dit l’Ecclésiaste. Le temps est venu pour nous d’arracher nos illusions pour faire preuve de lucidité.

         « Nous devons renoncer solennellement et pour toujours aux fables d’un peuple élu, d’une Terre promise, d’un Livre sacré. D’un Dieu unique. Non seulement l’histoire a montré depuis trois mille ans que ces fables ne sont que du « vent », pour parler comme l’Ecclésiaste, mais d’autres peuples se les sont appropriées et les ont retournées contre nous. Des goyim ont prétendu qu’ils appartenaient à un peuple élu, qu’ils avaient reçu de Dieu une mission, ou qu’ils détenaient un livre révélé – comme le Coran que les Islamistes utilisent pour nous tuer. Parce que nous utilisons notre Livre, disent-ils, pour tuer des musulmans.

« Puisque c’est par nous que tout a commencé, c’est par nous que tout peut finir. Si nous affirmons d’une seule voix, comme un seul homme, qu’il ny a pas de Dieu et donc pas de peuple élu, de terre promise, de livre sacré, nos ennemis n’auront aucun argument pour eux, ni aucune arme contre nous ».

Le « rêve » de Jean Soler de supprimer Dieu est d’un homme des Lumières – d’un athée français qui réduit par trop, à mes yeux, la religion à ses pires aspects. L’extrémisme religieux est certes une peste, mais on a vu ce que fut l’extrémisme révolutionnaire, de la Terreur au Goulag, et la Shoah ne fut pas ordonnée par un Dieu unique. Les livres sacrés sont aussi, dans toutes les traditions, porteurs de sagesse lentement conquise et acquise, de beauté, de bonté et d’espérance.

Dans la pensée des enfants de Gaza, amis, je vous embrasse. Jls.

 


Jean Soler, La violence du monothéisme. Bernard de Fallois, 476 p.
Images : Port de Gaza, par Pascal Janovjak

 

Commentaires

  • Entre vous, Pascal, Jalel, Quirin, ARTiculer, Feuilly, Montaigneàcheval, gmc....les mots font du bruit, une colère d'olivier blessé. J'y ajoute ma colère de mère, solidaire de toutes les mères de la terre...et surtout de celles qui ont vu mourir leurs enfants comme ce matin dans la bande de Ghaza. Merci à vous tous.

  • jean soler devrait élargir son cercle visuel, il existe des poètes jusqu'en israel:

    CULTURE

    Le signe de Caïn n’apparaîtra pas
    sur le soldat qui tire
    sur la tête d’un enfant
    depuis une colline au dessus de l’enceinte
    autour du camp de réfugiés
    parce que sous le casque
    pour parler en termes conceptuels
    sa tête est en carton.
    D’autre part,
    l’officier a lu L’Homme Révolté
    sa tête est illuminée,
    à cause de cela il ne croit pas
    au signe de Caïn.
    Il a passé son temps dans les musées
    Et quand il pointe
    le fusil vers l’enfant
    comme un ambassadeur de Culture,
    il met à jour et recycle
    les eaux-fortes de Goya
    et Guernica

    pour les extrémismes, autant aller jusqu'au bout du raisonnement et ne pas stopper arbitrairement l'histoire à un instant du passé: il existe aussi l'extrémisme consumériste, 100 millions de victimes (mortes de faim, et, geste d'exquise politesse, en silence) par an depuis 30 ans, série en cours et record mondial pour l'instant; son meilleur outil d'oppression reste d'ailleurs les droits de l'homme appliqués aux exclus de la culture dominante pour, bien entendu, de nobles et justes raisons.

  • sorry, le poème "culture" est d'aaron shabtai.

  • Vous faites un procès d'intention à Jean Soler, GMC, qui n'a pas lieu d'être en l'occurrence, puisque l'une des lignes de force de son livre consiste justement à défendre les grandes largeurs de la littérature, de la philosophie et de la poésie (de Grèce, de Chine, de René Char ou de Claude Simon, mais de partout aussi) contre les voies étroites de l'idéologie extrémiste, qui est également de partout. Ce qu'il dit de l'hybris israélien vaut aussi pour l'islamisme radical ou le fondamentalisme chrétien. En ce qui me concerne, je ne suis absolument pas anti-israélien ni anti-musulman non plus - et d'Israël j'ai défendu diverses fois, ici, les grands auteurs vivants , et notamment Amos Oz ou, dans l'autre camp, Mahmoud Darwich dont je ne suis pas sûr qu'il donnerait raison aujourd'hui au Hamas, plus qu'hier. Bref, ne mélangeons pas tout... or comparer les dommages collatéraux de l'extrémisme religieux aux séquelles du consumérisme revient me semble également à côté de la plaque, comme si un mal en annulait un autre.

  • s'il y a procès d'intention, il vous est imputable, jlk. c'est vous qui avez choisi l'extrait - auquel je ne fais que répondre - où l'auteur "rêve" de voir se lever un juif d'exception, juif d'exception qui existe au moins en un exemplaire (il se peut qu'il y en ait d'autres).
    d'autre part, ce type de discours convenu est totalement représentatif de ce que produit l'occident, histoire de "noyer le poisson" de ses propres responsabilités "illuminées", si l'on peut dire.
    athéist (le terme anglais est plus "parlant")= croyant négatif, personne qui croit et prétend - sans rien amener de tangible pour le démontrer - qu'il n'existe aucune déité d'aucune sorte; sur terre, que des croyants...

    pour la folie consumériste, c'était juste une précision complétant le palmarès goulag, shoah que vous aviez commencé, éléments qui ne figurent au hit-parade qu'en termes de numéros 2 et 3.

    rien n'arrête la littérature de la divine comédie - dante éternellement actuel - et, dans les ouvrages doctrinaires, il est des formulations judicieuses qu'on ne trouve pas dans le discours stéréotypé des yeux qui croient en leur propre bonté d'âme qu'ils projettent sur le sel pour lui donner un air de poivre; "l'enfer est pavé de bonnes intentions" est-il dit quelque part, et aussi ailleurs, "commence par ta propre personne" etc

  • "En réaction aux raids israéliens, des centaines de Palestiniens ont manifesté en Cisjordanie, notamment à Hébron, à Bethléem, à Kalendia, à Ramallah, et dans les villages de Nilin et Bilin, selon des témoins" selon l'AFP.

    On est saisi de la disproportion qui existe entre les moyens des uns (60 avions attaquant simultanément) et la réaction des autres, qui ne peuvent que crier leur indignation. Bien sûr, diront cetains, il y a les roquettes du Hamas. Bien sûr. Mais avant le Hamas, il y avait déjà ces 60 avions et la terre confisquée et les villages détruits et les Palestiniens coincés entre l'armée et la mer. Voilà 60 ans que cela dure. Alors il est venu aussi aux Palestiniens l'idée de repousser les Israéliens à la mer. Et cela n'en finit plus. Je crois en fait que cela a commencé avec Caïen et Abel et que ce n'est pas demain que cela va finir.

    "Homo homini lupus est."

  • J'aime cette subtilité des commentaires de Feuilly qui analyse cette situation depuis longtemps sur son blog et qui fait un portrait sans concession de ce conflit et de la disproportion des des moyens de réponses de ces pauvres familles palestiniennes prises en otages sur leurs terres. Nous avons besoin de voix comme celles-ci calmes et fortes. Merci Feuilly.

  • Ce n'est pas de moi qu'il faut parler, Christiane, mais des Palestiniens, non? Et de ce conflit sans fin avec ses fanatiques des deux côtés, ses martyrs et surtout ses victimes. Vous ne croyez pas?

  • Bien sûr Feuilly mais dans toutes ces voix violentes, qui s'élèvent et qui ne font qu'ajouter de la haine à la haine , il est important de trouver des voix qui analysent au plus près et cherchent une ouverture à cet enfer qui dure depuis 60 ans ! Vous en faites partie comme certains et la vôtre, venant après certaines lues chez Jalel et ici, m'a paru importante.
    Que faisons-nous d'autre, nous qui sommes loin de ce conflit de voir des images terribles et de lire les commentaires des uns et des autres ? J'ai lu la presse , j'ai lu des blogs et je suis meurtrie par ce qui s'est passé hier à Gaza.
    Je trouve que votre dernière question est , hélas, terriblement réaliste !

  • Il me semble essentiel que des voix européennes s'élèvent contre les massacres de Gaza. En disant NON, Jean-Louis Kuffer, Pascal Janovjak, Feuilly, Christiane, vous signifiez qu'une tranche de l'opinion européenne ne donne pas son aval aux massacres.
    Il y a , peut-être, un aspect qui, vu d'Europe, n'apparaît pas : l'Occident est fortement incriminé dans cette agression. (pour le moins parce qu'il laisse faire) et sans doute parce que Israël a su , indûment, s'affilier à l'occident. Continuez à dire NON : les agissements d'Israël peuvent avoir des répercussions incalculables provoquées par le désespoir.

  • "...des répercussions incalculables provoquées par le désespoir."
    Effectivement, c'est encore un autre aspect du problème. L'Europe, en laissant faire (plus par incapacité de s'opposer aux Etats-Unis que par approbation de la politique israélienne) risque à son tour d’être victime d’attentats aveugles. Elle joue à l’autruche et se met la tête dans le sable. D’un côté elle apporte une aide financière aux Palestiniens (université de Gaza, construction de centrales électriques, etc.) et de l’autre elle laisse Israël bombarder ce qu’elle a elle-même aidé à construire. En donnant un peu d’argent, elle se donne bonne conscience mais jamais elle ne réagit vivement à ce qui se passe. Cela ne va jamais au-delà d’une condamnation verbale quand la limite est dépassée.

    Il faut dire en passant que Sarkozy est parvenu en douce à ce que des observateurs israéliens soient présents lors des sommets européens. Les Etats-Unis cela a toujours été le cas. Un comble.

  • Le Parlement européen (dont une délégation composée de tous les groupes s'était rendue en mai dernier en Israël et dans les territoires palestiniens) a reporté, à une nette majorité, le vote concernant le rehaussement du statut d'Israël. Ce "rehaussement", (annoncé par Nicolas Sarkozy le 23 juin dernier devant le Parlement israëlien, la Knesset), donnerait un statut spécial à Israël et en ferait quasiment un membre à part entière de l'Union européenne.
    Ce vote est d'autant plus remarquable que la ministre israëlienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni (tête de liste du parti Kadima aux élections législatives du 10 février, assurant que si elle devient premier ministre, elle engagera des actions militaires, économiques et diplomatiques pour "faire tomber le Hamas") était venue la veille à Bruxelles, devant la commission des Affaires étrangères du Parlement.
    "Ce qu'on attend de l'Europe, au sud de la Méditerranée, - souligne le président du groupe GUE-GNL - c'est qu'elle surmonte son autocensure à l'égard d'Israël et qu'elle condamne la violation permanente par Israël, du droit international."

  • Extrait de l'article "Le pari israélien de l'Union européenne" (qui n'est plus disponible sauf pour les abonnés) paru dans le Monde le 21.12.08:

    "A l'unanimité, les vingt-sept ministres des affaires étrangères de l'Union européenne ont décidé, le 8 décembre, de renforcer les liens avec Israël. Pourtant, le 3 décembre, le Parlement européen avait estimé qu'il n'était pas opportun de procéder à un approfondissement des relations avec l'Etat juif et avait lié ce « rehaussement » à l'amélioration de la situation sur le terrain et aux progrès accomplis dans le processus de paix. En cela, les députés européens n'avaient fait qu'appliquer la consigne édictée le 16 juin - date à laquelle ont été lancées les négociations - selon laquelle cette évolution devait s'effectuer « en tenant compte des intérêts des deux parties, et dans le contexte de la résolution du... "

    http://www.lemonde.fr/cgi-bin/ACHATS/acheter.cgi?offre=ARCHIVES&type_item=ART_ARCH_30J&objet_id=1063292

  • Pour garder un peu d'espoir : Jérusalem sera en 2009 "capitale culturelle du monde arabe". La grande cérémonie d'ouverture des manifestations culturelles aura lieu à Bethléem le 22 janvier. (source : Elias Sanbar, écrivain et militant de la cause palestinienne, rencontré par "L'Humanité" le 18.12.08)

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