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Gaza vu de Ramallah

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Lettres par-dessus les murs (69)

Ramallah, ce 29 décembre 2008.

Cher JLs,
Merci pour cette citation de Jean Soler. Ne pouvant lire l'ouvrage entier, je ne peux que discuter les quelques lignes que tu m'envoies – j'aime le ton catégorique et inspiré de l'auteur mais je partage ton avis, il réduit la religion au fanatisme, et semble ériger la foi en cause majeure de nos souffrances – c'est injuste, et c'est aussi donner trop d'importance à la religion, qui n'est somme toute qu'un des multiples outils du mal : un drapeau que l'on brandit pour rallier les troupes, marquer l'identité, justifier la haine.
Soler est sans doute trop athée, ou peut-être pas assez, s'il est incapable de penser sans Dieu… Dans les massacres auxquels nous assistons, je ne vois pas la main de Dieu, pas plus que je ne crois au pouvoir politique des rabbins ou à la soi-disant conspiration évangéliste qui aurait à elle seule permis l'occupation américaine en Irak. Ici en tout cas la religion n'est qu'une composante, primordiale d'un point de vue historique, mais secondaire politiquement parlant, dans une société israélienne où les convictions sont aussi diverses que la provenance des habitants. Soler s'attaque à une minorité.
Bien sûr la notion de peuple élu contient la guerre en germe, mais encore faudrait-il que les juifs d'Israël croient véritablement en cette élection pour y voir le moteur de leur politique d'Etat, et ce n'est assurément pas le cas : d'abord parce que le mythe d'une origine commune ne fait plus guère illusion, ensuite parce que cette rhétorique biblique ne parle plus aux nouvelles générations.
Plutôt que d'élection divine, on pourrait parler des élections parlementaires à venir : les divisions israéliennes elles-mêmes expliquent en grande partie l'ampleur des bombardements de Gaza. Le Likud de Netanyahu est en avance dans les sondages, le gouvernement en place veut renverser la tendance, et ce n'est pas la première fois qu'on utilisera des bombes pour gagner des élections… l'Histoire se dessine moins selon de grands principes religieux qu'au hasard des petites ambitions personnelles, ce qui est d'ailleurs autrement plus inquiétant.
Que faire alors du repli identitaire qui touche ce pays, de cette peur collective qui justifie toutes les agressions ? Là encore, je vois moins le signe de la foi à défendre que la volonté larvée qu'a chacun de protéger son pré carré, son territoire personnel, ses petits avoirs. Une obsession sécuritaire qui fait trembler le monde entier (ou en tout cas le "nord" du monde, qu'il s'agisse d'un épicier européen, d'un nanti de Delhi ou d'un expatrié à Ramallah), une obsession sécuritaire qu'Israël, en vertu de son histoire particulière et encouragé aujourd'hui par les phobies américaines, a désormais hissé au rang d'idéologie nationale. "Zecurrity", c'est le mot qu'on entend sans cesse en Israël, et c'est bien plus qu'une justification pour fouiller votre sac à l'entrée d'un restaurant - c'est une Weltanschauung. On serait étonné de voir combien d'Arabes israéliens s'y accommodent, dont les enfants parlent d'abord hébreu, et qui pour rien au monde ne voudraient partager les conditions économiques de leurs cousins de Cisjordanie…
Bien entendu on ne saurait évacuer la religion de ce conflit, mais je crois qu'on assiste ici à un changement de paradigme, très inquiétant par ailleurs : si la religion garde toujours une face lumineuse, en dépit de ses dévoiements, il n'en va pas de même pour l'égoïsme érigé en morale.
Bien à toi,
Pascal

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A La Désirade, ce 30 décembre, soir.
Cher Pascal,

Ta réponse m’a beaucoup intéressé, d’abord parce que tu vis le conflit de l’intérieur, ensuite parce que tu es dans la trentaine. Il m’a semblé à première lecture que tu minimisais le rôle néfaste de la religion dans la montée aux extrêmes de la guerre, pour relativiser les propos radicaux de Jean Soler, qui est lui-même, soit dit en passant, beaucoup plus nuancé et complet dans son approche que ne pourraient le faire croire les citations que j’ai tirées de La violence monothéiste. Ce qu’il montre bien, cependant, dans la chronique des échecs successifs du règlement du conflit, comme en ce qui concerne l’Irak – et quand bien même les cyniques n’y croiraient pas -, c’est l’importance majeure, pour la cristallisation de l’Hybris des peuples et des nations, de quelques images-force ou de quelque slogans-force relançant une mission universelle d’essence divine . Ces clichés et ces formules peuvent nous paraître simplistes, et les cyniques au pouvoir sont encore moins dupes que nous, mais il serait aussi simpliste de n’y voir qu’une rhétorique « bonne pour le peuple », dans la ligne d’interprétation réductrice et méprisante qui voulait que la religion fût «l’opium du peuple». Bien entendu, je comprends que tu ne voies pas trace de «main de Dieu » dans les massacres actuels, et sans doute les vrais extrémistes sont-ils minoritaires. N’empêche, et c’est un autre argument-force de Soler, que la petite Weltanschauung sécuritaire que tu évoques, qu’on peut rapporter au seul souci du bien-être généralisé d’une majorité d’Occidentaux, ne saurait faire le poids, aujourd’hui, par rapport à l’idée-force, essentiellement religieuse, que la vraie vie n’est pas la vallée de larmes de cette existence, mais une autre à venir, qui vaut tous les sacrifices pour un désespéré, et qui donne aux chefs religieux un pouvoir spécial, et aux mythes fondateurs une fonction durable.
Tu es d’une génération qui a envie de tourner la page, et comme je la comprends, après les monstruosités commises au XXe siècle au nom d’idéologies mortifères. L’an tout prochain, l’affreux Bush, dont la bigoterie providentialiste n’est pas qu’un gadget, cèdera la place à Barack Obama, et pendant ce temps les politiciens israéliens, comme tu l’as bien souligné, font le ménage. De tout mon cœur je souhaite une vie meilleure aux Palestiniens, en espérant que les hommes de bonne volonté de toutes les parties – et Dieu sait qu’il y en a – triompheront de l’invisible main du Mal.
Je viens de lire La Haine de l’Occident de Jean Ziegler, dont le fil rouge est précisément le double langage des nations chrétiennes prônant le bien à travers l’Histoire, au nom du Tout-Puissant , et continuant de confisquer le mot « humanité » pour leur seul profit. Je sais bien que mon ami Ziegler a cautionné lui-même des régimes pourris, comme je sais que l’Autorité palestinienne à son lot de casseroles aussi sales que les consciences corrompues de moult dirigeants israéliens. Mais Ziegler se dit aussi croyant, chrétien, convaincu que le Christ nous engage du côté des humiliés et des offensés.
Je reviens enfin à Jean Soler qui écrivait il y a quelques mois : «Aujourd’hui que les Israéliens font semblant de négocier avec les Palestiniens pour ne pas déplaire à Bush, qui aimerait se prévaloir d’un succès diplomatique pour compenser le fiasco irakien, avant de quitter ses fonctions, un membre de la délégation palestinienne (au sommet d’Annapolis de novembre 2007) a déclaré : « Nos approches sont complètement antithétiques. La notre consiste a partir du droit international et des frontières de 1967 (avant la guerres des Six-Jours, il y a quarante ans !) et à négocier, sur cette bas , quelques arrangements. Celles des Israéliens consiste à partir des faits accomplis sur le terrain. Ils disent que le droit international n’a reien à voir avec notre conflit. Ils affirment qu’ils ont un titre de propriété sur Eretz Israël (la « terre d’Israël » dans sa définition biblique, on dit aussi : le Grand Israël), qu’il ne s’agit pas de nous rendre des territoires mais de nous en donner »…
Tu sais bien mieux que moi, cher Pascal, ce qui a fait le jeu du Hamas, au dam des Palestiniens. Jean Soler rappelle encore, en citant ses sources, qu’ environ 500 Palestiniens ont été tués entre le sommet d’Annapolis, en novembre 2007, et le mois d’août 2008. Au cours de ces huit mois, on a vu le triplement des permis de construire aux colons et l’augmentation de 8% des checkpoints. « Ce qui signifie que les autorités israéliennes n’ont absolument rien entreprise sur le terrain pour faciliter la création d’un Etat palestinien qu’elles appellent de leurs vœux et que la mainmise sur la Cisjordanie s’est accentuée »…
Mais je me répands alors qiue tu aurais tellement plus, toi, à dire de ce que tu vois et de ce que tu vis là-bas en ces jours terribles...

Merci, cher Pascal, de nous donner de tes nouvelles.
Je pense beaucoup à vous deux et à vos amis.

Jls

Images: Eyad Baba, Philip Seelen.

Commentaires

  • Certes la religion n’est sans doute plus le nœud central de ce conflit, mais elle y contribue quand même grandement.
    Israël reste convaincu que cette terre lui revient de droit, sinon les plans du nouveau temple de Jérusalem ne seraient pas déjà tracés et les 40 génisses qui doivent paître autour ne seraient pas en train de gambader dans une prairie en Hollande en attendant des jours meilleurs. Et les partis religieux sont quand même influents. Quant aux autres partis, s’ils pensent surtout à défendre cet état qui a toujours fait défaut aux Juifs et qui leur est enfin donné, ils savent tout de même se servir de motifs religieux pour justifier les différentes annexions qui ont eu lieu depuis 1967.

    De l’autre côté, il est clair que la religion musulmane permet de focaliser les rancœurs dans le camp arabe. Se donnant comme la spécificité de cette région par rapport aux valeurs occidentales jugées décadentes (sexe, drogue, biens de consommation), elle attire les foules désireuses de se venger de leur non-existence politique sur l’échelle mondiale. Elle offre un espoir à ceux qui n’en ont plus et qui, lassés des brimades et des invasions, ne peuvent qu’espérer en un au-delà meilleur que le présent actuel.

    Maintenant, comme le souligne votre ami Pascal, il est certain que la perte de prestige du Premier ministre israélien a quelque chose à voir avec cette attaque (mais il prend des risques car son image avait déjà été ternie par l’échec de l’opération au Liban en 2006. Or rien ne dit qu’il va gagner ici, il y aura surtout beaucoup de morts ). De plus, c’est le bon moment : d’un côté la récente avancée auprès de l’union européenne grâce à Sarkozy et Kouchner (voir commentaires de la lettre précédente) et de l’autre la vacance du trône aux USA, entre deux présidents (Bush en fin de règne continuant à approuver et Obama ne pouvant pas encore vraiment mettre son veto et ne le faisant de toute façon pas car dieu seul sait qui a financé sa campagne électorale. Disons que s’il était président officiel, il devrait prendre clairement position, tandis que pour le moment il peut se réfugier dans le silence).

    Maintenant, attaquer le Hamas dans son fief, c’est déclencher une nouvelle Intifada et peut-être faire bouger le Hezbollah libanais. Mais n’est-ce pas voulu ? Cela permettrait une nouvelle incursion au Liban et obligerait les USA à intervenir, eux qui se montraient un peu critiques envers Israël ces derniers temps.

  • Tout ce à quoi on a abouti après trois ans de soi-disant négociations sous l'égide du gouvernement de Bush, c'est que tout est bloqué sauf l'extension des colonies et la construction du mur.
    Difficile de ne pas y voir la volonté des Américains de ne laisser personne entrer dans le jeu (ni l'Union européenne - sauf quand il s'est agi de voter le "rehaussement" du statut d'Israël dans l'UE -, ni l'ONU, ni la Russie) et de laisser les mains libres aux Israëliens. Pourquoi les Palestiniens ont-ils accepté de jouer le jeu ? L'Autorité palestinienne n'a pas cessé d'être prise dans un étau : ne pas négocier, c'était être ceux qui refusaient la paix, négocier avec Israël c'était négocier avec l'occupant.
    Le Hamas a marqué des points, qui a toujours dénoncé le processus de paix.

  • Dans un texte gnostique, l'Apocalypse de Jean (25.15), celui qui révèle affirme que Jérusalem est un endroit hanté et habité par de nombreux Archontes.

  • "Ce qui m'étonne....
    Ce n'est pas la guerre,
    C'est la paix qui vient.
    Ce ne sont pas ceux qui désespèrent,
    Ce sont ceux qui encore espèrent.
    Ce ne sont pas les incroyants,
    Ce sont ceux qui deviennent croyants."

  • Qui est l'auteur de ces belles paroles ? Quel visionnaire ? Quel bon berger lénifiant ? Ou quel adepte de la méthode Coué ?

  • Je ne sais, c'est un ami prêtre qui me les a envoyées car il me sentait démoralisée par ce qui se passe à Gaza et étrangement cela m'a apporté de l'espérance car il voit toujours en amont des choses qui vont venir... Moi, je suis un peu à la traîne encore dans cet enfer de sang, de haine et de bombes... Mais je ne pouvais pas garder ces paroles pour moi...

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