Celui qui montre du doigt ceux qui boivent / Celle qui tourne en rond dans le pavillon Charcot / Ceux qui savent qu’ils ne s’en sortiront pas / Celui qui a soif / Celle qui n’a pas supporté de voir tant de visages murés / Ceux qui ne se reconnaissent pas dans leur dossier / Celui qui redécouvre la beauté des feuilles mortes remuées par la brise d’octobre / Celle qui dit à l’atelier créatif qu’elle pétrit une motte de Temps / Ceux qui estiment qu’une bonne piqûre suffirait à régler tous ces problèmes / Celui qu’humilie le fait de devoir rester en pyjama / Celle qui répète qu’elle en a marre de ce travail sur soi qui l’empêche de rêver / Ceux qui ne cessent plus de dessiner depuis que la porte s’est refermée derrière eux / Celui qui, d’ailleurs, ne voit pas d’ailleurs / Celle qui se retient de gifler ce Monsieur Daflon qui trouve son désespoir riche d’une possibilité de repentance / Ceux qui estiment que les électrochocs n’ont pas dit leur dernier mot / Celui qu’angoisse la beauté de l’arbre / Celle qui est fière de son abstinence sans avoir jamais bu / Ceux qui ne savent pas ce qu’ils sont devenus / Celle qui erre autour d’elle-même / Celui qui a noté les dates de toutes ses rechutes / Celle qui n’a pas renoncé à se dire enfin ce qu’elle s’est toujours caché / Ceux qui constatent que les couloirs n’ont que deux sens / Celui qui s’ouvre à son ami Farid comme par inadvertance / Celle qui se réjouit tout à coup de pouvoir se moquer encore d'eux / Ceux qui restent tous plus ou moins endormis dans l’odeur persistante du potage à la courge / Celui qui endure le discours moral de Madame Ledru / Celle qui redoute l’ombre du Seigneur malcontent / Ceux qui essaient de convertir Farid à la Seule Vraie Foi / Celui qui déroule son tapis de prière dans le cagibi prévu à cet effet / Celle qui a toujours une poignée d’herbe dans la main / Ceux que le son du violon fait sourire indéfiniment / Celui qui dit que boire le faisait courir à dos de gazelle sous un ciel rouge / Celle qui se penche de plus en plus vers son inquiétude / Ceux qui se rejoignent au fumoir, etc.
(Cette liste a été rédigée sur un coin de table du foyer du théâtre de Vidy, à la sortie de L’Homme qui penche, texte de Thierry Metz (1956-1997) interprété (admirablement) par Sylvain Thirolle, dans une mise en scène de Marc Feld, avec l’accordéoniste Jean-Jacques Franchin. A voir au Théâtre de Vidy, La Passerelle, jusqu’au 14 décembre)
Thierry Metz, L'homme qui penche. Opale/Pleine Page, 2000
Commentaires
Ceux qu'on voit quand ils ont bu, jamais quand ils ont soif.....