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Un théâtre de l’empathie

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ENTRETIEN Un festival de théâtre pour lui seul : c’est le privilège d’Eric-Emmanuel Schmitt, cette semaine à Evian, où 8 de ses pièces sont présentées. A cela s’ajoutant La tectonique des sentiments, jouée à Paris, et La rêveuse d’Ostende, nouveau recueil de nouvelles.
Eric-Emmanuel Schmitt est aujourd’hui l’un des meilleurs «vendeurs» de la scène littéraire française, taxé d’auteur francophone le plus lu dans le monde en 2003, et multipliant les succès par ses livres, traduits en plus de 30 langues, autant que par les représentations théâtrales et les films qui en sont tirés - l’Académie française lui ayant décerné son Grand prix de théâtre pour l’ensemble de son oeuvre. Limpidité de l’expression, primat de l’imaginaire et de l’émotion appliqué à des situations humaines universelles, optimisme existentiel sur fond de quête spirituelle : tels sont quelques-uns des atouts de l’écrivain, qui prépare actuellement l’adaptation cinématographique d’ Oscar et la dame rose…

- Des huit pièces qui vont être données à Evian, pourriez-vous dégager un caractère commun ?
- Cela me serait difficile sans regard extérieur, mais le fait que mes pièces soient jouées dans une cinquantaine de pays me permet d’évaluer ce qui est perçu en général de mon théâtre : un mélange de divertissement et de réflexion sur la vie. J’aime raconter des histoires qui aient un sens, et j’aime créer des personnages très divers et parfois égarés, sans les juger. Je ne fais de théâtre à thèse même si j’aime bousculer les gens par les questions que je pose et les situations que je propose, sans les troubler gratuitement. Dans Oscar et la dame rose, j’ai touché au tabou de la maladie mortelle de l’enfant, mais ce sujet à faire fuir a touché les publics du monde entier par le fait, je crois, qu’il débouche sur l’acceptation de la vie. Mon théâtre reste accessible à chacun, jouant sur la simplicité et le sérieux si possible non affiché. Voltaire disait qu’une histoire drôle doit être courte, et je dirais qu’il en va de même d’une histoire sérieuse…
- Comment l’idée de La tectonique des sentiments vous est-elle venue ?
- De l’histoire de Madame de la Pommeraye, dans Jacques le fataliste de Diderot, qui entreprend de se venger. Mais je voulais aller au-delà de la vengeance d’une femme: dans une sorte de parcours initiatique où elle découvrirait finalement les impasses de la passion et de l’orgueil. J’ai personnellement une grande méfiance à l’égard de la passion, bien sûr fondée sur l’expérience, et c’est ce que je voulais évoquer : ce tumulte de gens qui aiment ou croient aimer, et se blessent en aimant mal.
- Comment construisez-vous vos personnages ?
- Essentiellement par empathie. Ce ne sont pas des marionnettes que je manipule, mais des individus que j’essaie de comprendre comme des clients de bistrots que j’écouterais parler de leur vie. Cela fait un peu « bateau » de dire qu’on est « à l’écoute » de ses personnages, mais c’est bel et bien comme ça que je vis : un peu comme une éponge à la Simenon, un auteur que j’adore pour sa façon de faire de la littérature qui se moque de la littérature. Le grand écrivain égyptien Naguib Mahfouz m’a dit un jour qu’il se nourrissait lui aussi de tout ce qu’il entendait dans les cafés et les rues du Caire, ce qu’on pourrait dire la voix de l’humanité.
- Tant dans La tectonique des sentiments que dans La rêveuse d’Ostende, vous réservez de beaux rôles à de vieilles dames…
- C’est vrai que les vieilles personnes ont parfois beaucoup à nous apprendre, alors que la société actuelle tend à les oublier, et je suis très sensible au fait qu’elles sont souvent dépositaires d’un secret. Or cela aussi est un aspect que je déplore aujourd’hui : qu’on n’en finisse pas de se confesser en public et de se livrer à tous les déballages, sans respect du vrai secret de chacun.
- Vous venez tout droit des Lumières, notamment par Diderot auquel vous avez consacré votre thèse, tout en professant une foi respectueuse du mystère. Qu’est-ce à dire ?
- J’ai beau être agrégé de philosophie et m’être consacré dans mes jeunes années à la recherche de LA vérité : il m’a fallu déchanter de ce côté-là, mais l’expérience de la vie, et certaines leçons cuisantes, plus encore la découverte du mystère enveloppant notre condition de mortels, m’ont fait écrivain, du côté de ceux que j’appelle les « chevaliers de l’incertain». Tout ce que j’écris est structuré par le doute. Je pourrais dire comme Diderot que je m’endors « pour » et me réveille « contre », et j'ajouterai enfin que tout mon trajet de vie consiste, bien plus qu’à le résoudre : à apprivoiser le mystère…

Eric-Emmanuel Schmitt. La tectonique des sentiments. Albin Michel. La pièce est actuellement à l’affiche à Paris, au Théâtre Marigny-Hossein, avec Clémentine Célarié et Tcheky Karyo. Jusqu’au 30 mars.
La rêveuse d’Ostende. Nouvelles. Albin Michel.


Huit d’un coup…
Pendant quatre jours, du jeudi 28 février au dimanche 2 mars, la ville d’Evian-les-Bains se met à l’heure d’Eric-Emmanuel Schmitt : dix troupes de la région jouant actuellement ses pièces ont décidé de se réunir pour lui rendre hommage. Elles présentent au Théâtre Antoine Riboud (théâtre du Casino) à la Médiathèque et à la MJC: Variations énigmatiques ;Mr Ibrahim et les fleurs du Coran ; Le Visiteur ;Petits crimes conjugaux ; Oscar et la dame rose ; Hôtel des deux mondes ;La nuit de Valognes ;Le Libertin.
Les spectacles seront donnés en plusieurs points de la ville : le Théâtre Antoine Riboud (Théâtre du Casino), la Médiathèque et la MJC. L’auteur fera le déplacement de Bruxelles pour la circonstance.
Evian-les-Bains, du 28 février au 2 mars. Infos : Horaires et planification sont susceptibles d’être modifiés ; avant tout déplacement renseignez-vous à l’Office du tourisme : 04 50 75 04 26 ou 04 50 94 20 51. http://www.eviantourism.com

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