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Une voix inconnue, cette voix amie

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En lisant Faits, II, de Marcel Cohen

On se dit, tant il y a de choses, qu’il n’y a plus rien. On est saturé. On croule sous les livres. Trop de tout, et les voix s’y perdent, on n’entend plus rien qu’un vague brouaha. Plus de voix: autant dire plus rien
Et puis, comme toujours quand on allait renoncer, comme toujours il y a ce dernier recours, comme ce matin, sans crier gare, il y a cette voix, cette voix inconnue, cette voix aussitôt reconnue comme amie, cette voix que j’entends avant l’aube en lisant ces quelques pages de Faits, II de Marcel Cohen.
Je ne savais pas, jusque-là, qui était Marcel Cohen. Rien lu de lui. Pas même Le grand Paon-de-nuit. Grave lacune. Mais en le lisant je l’ai reconnue, cette voix amie. J’ai reconnu la voix que j’entends lorsque je reprends En ce moment précis de Dino Buzzati, lorsque je lis les essais nimbés de nuit de Pietro Citati ou lorsque je lis Max Dorra ou Annie Dillard, à chaque fois aussi que je lis un autre Marcel…
Marcel Cohen, dans Faits, II, parle de ces faits qui nous révèlent, l'humanité, et qui sont donc des débuts de fables. C’est par exemple ce château en Espagne dont une jeune femme a rêvé et qu’elle n’en finit pas de retaper en dépit de mille difficultés, et c’est notre vie. Ou ce sont ces mots recueillis d’un vieil homme qui vivait en bordure des voies de triage de Drancy, dont la femme dormait mal à cause des cris. Ou c’est ce que raconte un commandant au long cours qui peine à reprendre la mer. Ou c’est l’évocation du refuge de Clara Haskil dans la chambre 88 de l’hôtel Lutetia, précisément dans celle-ci où elle ignore que des cris ont été arrachés et pas une autre. Ou c’est cet enfant malmené par son père, dans la rue, qui se laisse traîner et que nous voyons se laisser tomber et retomber comme si on l’emmenait à l’abattoir, mais nous ne savons pas s’il feint ou s’il endure plus qu’on ne saurait dire – simplement le fait est là…
On lit quelques pages des Faits, II de Marcel Cohen, puis on en a pour une journée à songer. Une voix nous accompagnera tout le jour: cette voix inconnue mais amie. Disons un peu pompeusement : la voix de la question humaine, la voix de la bonté, la voix de la douleur ou de l’étonnement, la voix qui sourd de la nuit et du brouhaha – la voix de l’humanité…
medium_Cohen.jpgMarcel Cohen. Faits, II. Gallimard, 308p.

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