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Théâtre sous le drap

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La Chambre, de Philippe Bonilo. Premier roman, fine merveille... 

«Sais-tu quelle est ma grande terreur?», lui demande-t-elle.
Et lui de répéter sans point d’interrogation: «Ta grande terreur».
Alors elle: «Pas tant de vieillir que d’être amenée en avançant dans l’âge, même si je m’améliore, même si je me rapproche de ton idéal de femme, à trahir celle que je suis aujourd’hui, heureuse, à toi. Je déteste cette femme accomplie que je serai demain, car tu la préféreras à moi, et que tu auras de bons motifs pour qu’il en soit ainsi.»
Et lui: «Je t’aimerai toujours».
Alors elle: «Ce n’est pas une consolation, tu me suivrais jusqu’à la mort, comme le petit chien perdu que tu es».
Il est le plus avancé en âge, elle presque une femme enfant dont il aimerait pourtant des enfants, mais elle veut tout et rien que le présent à présent: «Si tu m’aimes, tu peux, mon préféré, mon choisi, me rendre éternelle, ne t’endors jamais, regarde-moi toujours, ne t’éloigne de moi pas plus loin que de la longueur de ton bras, écoute-moi respirer, contemple-moi, veille sur mon sommeil, ne m’abandonne pas à mes démons, parle-moi, parle-moi sans cesse, fais-moi jouir chaque fois que tu me prends et plusieurs fois à la suite, comme tout à l’heure, mon bel étalon, c’est mon dû, je veux de beaux orgasmes».
Ils sont deux dans la chambre, lui et elle. Leur parole alternée dit tout comme au théâtre de sous le drap, dans une lumière douce, à la fois obscène et chaste. Ils jouent à se découvrir en se racontant ce qu’ils faisaient tel jour de leur enfance, ils jouent à se faire peur pour se conforter dans l’évidence qu’ils s’aiment plus qu’ils ne se le figurent, ils sont alternativement le faible et le fort, l’enfance et la vieillesse, ils ne cessent de parler et c’est une musique, c’est le silence des peaux et des regards, c’est le babil des lèvres et des paupières.
Lui: «Tu es plus désirable que jamais, tout éclairée de l’intérieur».
Elle: «Sommes-nous d’après toi en train de faire l’amour?»
Lui. «En bavardant de la sorte?»
Elle: «Oui.»
Lui: «Oui.»
Elle: «Alors pourquoi tu te tais?»
Lui: «Je pense à toi».
Elle: «Ne me pense pas, regarde-moi, prends-moi comme je suis, quand tu penses à moi, j’ai comme une absence, je cris que tu m’ignores».
Lui: «Jamais je n’ai vu personne avant toi».
Elle sans point d’interrogation: «Pas même ton visage dans la glace».
Lui: «Pas même».
Alors elle: «Tu as tort, tu es beau, j’aime me regarder dans la glace, ça m’excite comme si je voyais quelqu’un d’autre, tu trouves que je suis trop sexuelle, c’est beau un corps nu, se dire que c’est le sien, c’0est encore pire, tu sais pourquoi, monsieur je sais tout?»
Lui: «Demande-le au pape, il te répondra»…
Il y en a comme ça 66 pages, d’une eau limpide et vive qui traverse une intimité partagée pendant une vie entière, car la jeune femme enfant est à la fin une femme mûre qui a enfanté et par la chair et par l’imagination de tout ce qu’il est possible d’imaginer entre deux amants éternels piégés dans la chambre du Temps.
C’est le premier livre de Philippe Bonilo. C’est un chant d’amour dont l’immanence radieuse, mais incarnée donc cernée de vertiges et voilée de mélancolie, est ressaisie poétiquement par l’architecture même du dialogue. Cela existe dans l’instant donné et dans le Temps déployé. C'est une fine merveille qui vaut toutes les têtes de gondoles du moment…
Philippe Bonilo. La Chambre. Arléa. 66p.
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Commentaires

  • Joli article sur le livre de Bonilo, que nous sommes nombreux à aimer.
    Ca fait plaisir les gens qui savent lire...
    Belle journée et bonnes lectures.

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