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Le livre rêvé


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En lisant Tumulte de François Bon
Plus je vais et plus je rêve au livre rêvé, qui n’est à vrai dire ni le livre idéal non plus que le livre parfait, mais le livre qu’on rêve réellement la nuit ou le jour, les yeux ouverts à le lire ou l’écrivant les yeux fermés puis ouverts, et tous les jours depuis des années je lis Proust ainsi et j’écris ce que j’essaie d’écrire en rêvant qu’à mesure que j’écris mon nom s’efface comme le nom de Proust s’efface quand je le lis, ne gardant de ce nom que les noms pour mieux m’en imprégner comme de la rosée du matin la prairie encore hagarde, et c’est ainsi que je lis depuis le lever de ce jour Tumulte de François Bon, de toute évidence un fragment de ce livre rêvé dont je rêve…
Je savais que ce livre existait quelque part, j’ai vu François Bon dire Rabelais à Besançon, je sais son œuvre considérable et tout ce qu’il fait dans ses ateliers d’écriture et sur internet sans avoir jamais lu cependant, je crois, aucun livre de lui, comme si je devais entrer vierge et nu dans Tumulte, et tout aussitôt je me retrouve sur une chaise de bois dans notre cinéma de quartier Le Colisée à regarder Ben-Hur, cela me revenant parce François Bon évoque, dans les premières pages de Tumulte, son Ben-Hur à lui dont le souvenir lui rappelle « lorsqu’on nous avait emmenés à Paris pour la première fois »…
Ce ne sont pas les souvenirs de François Bon qui me touchent aussitôt, mais sa façon de les laisser couler dans le rêve de la page. Je suis content de n’avoir jamais feuilleté les pages virtuelles de Tumulte, pour y entrer ainsi où je veux et quand je veux, avec ce livre que je m’étais promis d’acheter depuis longtemps et dans lequel opère en effet la magie que je pressentais je ne sais pourquoi, peut-être par le besoin d’ouvrir d’autres portes comme celle dont parle François Bon lorsqu’il évoque un logis modeste de ses années d’apprentissage, derrière laquelle se retrouvaient des Portugais ; et la topologie de sa remémoration me renvoie à des souvenirs rêvés de maisons à travers les années, comme cette carrée de nos années bohèmes où « il y avait du passage »…
Il n’y a pas un mot de trop chez Proust, même quand je m’y ennuie à mort, et dans Tumulte il me semble que l’étoffe du rêve sera de la même texture, dans un tout autre cinéma dont le découpage me rappelle la remarque d’Alain Cavalier sur le sien : que le problème est de passer d’un plan à un autre. Or le montage de Tumulte m’évoque cette parfaite respiration de celui du Filmeur de Cavalier, et c’est donc parti pour 542 pages à rêver d’un plan à l’autre…
François Bon. Tumulte. Fayard, 542p.

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