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Les amours différées

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La disparition de Richard Taylor, le nouveau roman tendre et noir d’Arnaud Cathrine

On ressort de ce beau roman polyphonique avec l’impression d’avoir traversé plusieurs vies ou reçu autant de confidences, toutes de femmes, s’entrecroisant pour composer le portrait en creux d’un homme perdu, mélange d’enfant et d’artiste qui aurait renoncé à jouer le rôle que les autres attendaient qu’il tînt.
Richard Taylor, en ses jeunes années, aimait peindre et jouer du piano, à quoi il renonça pour couper aux foudres paternelles, avant de se conformer en apparence à une existence petite-bourgeoise, au côté de sa femme Susan, qu’il exècre en réalité. Or, comme le Monsieur Monde de Simenon, voici qu’il disparaît tout à coup en ne laissant à sa mère et sa femme qu’une lettre leur révélant qu’il se sent «à leurs griffes » et qu'il a décidé de casser net et de se casser: qu’elles ne le reverront plus, en partance qu'il est fissa pour Tokyo. Sa dérive ne le mènera pas si loin, que nous suivons tout au long du roman, évoquée par les femmes qui le rencontrent, le recueillent momentanément, l’aiment et le perdent comme il semble que lui-même se soit perdu à jamais, n’était un bonheur revenu à peindre ou des essais de retour dont le plus douloureux est celui qui lui fait découvrir la fin tragique de sa femme et de leur enfant.
Si le protagoniste, qui se juge lui-même lâche, imposteur et indigne d’intérêt, nous touche par sa fragilité et son intégrité, c’est à travers le regard des femmes qu’il nous intéresse à vrai dire et, dans la foulée, c’est à ce que vivent ces femmes que nous nous intéressons plus encore, comme à autant de modulations de l’amour espéré et le plus souvent différé.
De l’amour terre à terre de Susan, l’épouse conformiste, à la passion complexe de Rebecca, collègue de Richard à la BBC, en passant par l’attachement charnel et affectif de la jeune Lydia O’Lear, la gamme des sentiments est riche, qui se déploie plus largement encore à l’approche d’autres beaux personnages féminins chez lesquels le protagoniste trouve refuge ou ne fait que passer. Ainsi de l’attachante Molly Hunter, chez laquelle il se pointe car elle vit dans la maison où il a passé son enfance, qui imagine un instant que « quelque chose » pourrait se passer entre eux, tout en devinant qu’il n'en sera rien. Sur les traces du fugitif, on croise également la trajectoire de la dramaturge Sarah Kane, amie de la transsexuelle Vanessa, qui croit rencontrer l’amie rêvée dans le métro avant de tomber par hasard, en pleine crise de désarroi, sur Richard qui a l’air aussi perdu qu’elle. Dans la foulée, Sarah se fait la réflexion que, dans ses pièces, elle n’aura jamais en somme fait que parler d’amour…
On pourrait en dire autant de ce roman à multiples voix, dont les dialogues signalent d’ailleurs un grand talent théâtral virtuel, et que sa densité émotionnelle et sa pénétration intuitive, sa vivacité d’observation et son tonus interne tirent du côté de la vie en dépit de sa noirceur. Rien cependant de complaisant en celle-ci, qui relève plutôt de la lucidité et de l’honnêteté de l’auteur, d’une impressionnante maturité à tous égards.
Arnaud Cathrine. La disparition de Richard Taylor. Verticales, 194p.

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