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  • L’enfant et la rivière

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    L’auteur démasqué (26)

    Ce poème est tiré de La fable du monde de Jules Supervielle, ainsi que l'a trouvé Lamkyre qui en sera dûment récompensé(e) selon les règles non écrites du Jeu papou.

     



    De sa rive l’enfance
    Nous regarde couler :
    « Quelle est cette rivière
    Où mes pieds sont mouillés,
    Ces barques agrandies,
    Ces reflets dévoilés,
    Cette confusion
    Où je me reconnais,
    Quelle est cette façon
    D’être et d’avoir été ? »

    Et moi qui ne peux pas répondre
    Je me fais songe pour passer aux pieds d’une ombre.

  • Le rebond du léopard

     

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    Entretien avec Frédéric Maire, directeur artistique 

    A un an de son soixantième anniversaire, l'édition 2006 du Festival de Locarno se présente sous le signe du renouveau. Frédéric Maire, cofondateur de la fameuse Lanterne magique, à Neuchâtel, lui-même réalisateur et grand connaisseur de cinéma, était lié depuis une vingtaine d'années à la manifestation tessinoise au moment où Marco Solari, président du Festival, lui a proposé de succéder à Irene Bignardi. Or c'est dans la tradition «historique» du festival qu'il s'inscrit en portant d'emblée l'accent sur le travail concerté d'une équipe, avec ses adjointes Chicca Bergonzi, Nadia Dresti et Tiziana Finzi

    – Quel projet concrétisez-vous avec cette édition?

    – En premier lieu, je tenais à recentrer le festival sur le cinéma, en évitant la dispersion culturelle. Tout doit partir des œuvres. Par ailleurs, on m'a souvent demandé si le festival serait politique mais je ne le crois pas: ce sont les œuvres qui ont, ou pas, un contenu politique, et c'est à partir de là que la discussion se fera.

    – Qu'est-ce qui fait l'originalité de Locarno?

    – Ce festival, parmi les plus importants au monde, est objectivement le plus accueillant et celui qui «protège» le mieux les films. Un film est une œuvre fragile. Le Da Vinci Code arrive certes comme un char d'assaut, mais la plupart des films que nous présentons à Locarno, souvent de jeunes cinéastes, nous arrivent comme des objets révélés pour la première fois. Or la tradition de Locarno, que j'aimerais défendre et développer, est d'accompagner les films auprès du public. Pour ce faire, nous disposons de deux atouts: le temps et l'atmosphère. A Cannes, il n'y a pas de projection publique. A Berlin et à Venise, le public doit quasiment se battre pour accéder aux quelques projections ouvertes. Le festival de Locarno, même s'il vise aussi les professionnels, s'adresse au public, avec un catalogue richissime, le journal du festival et une façon unique de présenter les films et d'en discuter systématiquement en présence des réalisateurs ou des acteurs.

    – Y a-t-il un public spécifique à Locarno?

    – Une grande majorité est constituée d'amoureux du cinéma qui y viennent comme les amoureux de musique vont à Paléo. Ce ne sont pas forcément des cinéphiles purs et durs, mais ils viennent se faire une réserve de cinéma pour l'année dans une atmosphère qui englobe balades en montagne ou baignades en rivière. Le public est très réceptif et ouvert, et les discussions peuvent être d'une intensité folle, avec des gens qui ne sont pas forcément des spécialistes.

    – Quels seront les points forts de l'édition 2006?

    – Dans la compétition internationale, nous présentons une vingtaine de films qui ont tous un potentiel de diffusion large et représentent un panorama mondial de ce qui se fait de plus novateur, tout en restant accessible. Nous lançons en outre une nouvelle compétition, à l'enseigne des Cinéastes du présent, réservée à des œuvres plus radicales. Hors concours, la même section rassemble des films d'aujourd'hui aux fortes implications sociales ou politiques.

    – Que verra-t-on sur la Piazza Grande?

    – D'abord une série de grands films, presque tous en première vision. En outre, nous allons y donner des éclairages sur d'autres sections du festival, notamment, avec les courts métrages des Léopards de demain. La traditionnelle rétrospective, que nous consacrons à un auteur vivant, en la personne d'Aki Kaurismaki, sera l'occasion d'y montrer aussi son dernier film, Les lumières du faubourg, en première publique suisse.

    – Et la Suisse là-dedans?

    – Elle fait l'objet d'une autre innovation, avec la Journée du cinéma suisse, pour dire que le cinéma suisse existe et qu'il est de qualité, le fêter et faire date avec la projection sur la Piazza du dernier court métrage d'animation, Jeu, de Georges Schwitzguébel, et de Mon frère se marie de Jean-Stéphane Bron, qui passe à la fiction avec brio.

    – Autre film suisse à découvrir?

    – Ah oui: dans la compétition internationale, celui de la réalisatrice zurichoise Andrea Staka qui a réussi, avec Das Fräulein, un film de grande sensibilité sur l'immigration, avec trois femmes venues, dans des circonstances diverses, d'ex-Yougoslavie à Zurich. Un nouveau grand talent à découvrir!

    – Un mot de conclusion sur le 60e anniversaire?

    – Grande aventure évidemment, que nous n'avons pas envie de fêter de façon commémorative mais prospective, Locarno ayant toujours été un festival ouvert sur le futur, sans renier le passé qui le porte, lui-même révélateur de cette vocation exploratrice…


    Survol de la 59e édition

    PIAZZA GRANDE Première très attendue sur la place mythique: Miami vice de Michael Mann, avec Colin Farrell et Jamie Foxx, le 2 août. Un film «dense et spectaculaire», selon Frédéric Maire, fier d'ouvrir le festival avec ce film qui sera distribué en Suisse romande dès le 16 août.

    CINÉASTES DU PRÉSENT Innovation: la section s'ouvrant désormais à la compétition, un jury de pointe a été constitué, avec Hernan Musaluppi, Rafi Pitts, Tania Blanich, Heidrun Schleef et Emmanuelle Antille. Le prix Cinéastes du présent C .P. Company est doté d'une somme de 30 000 francs.

    COMPÉTITION INTERNATIONALE La sélection propose une vingtaine de longs métrages du monde entier. Le jury attribuera, entre autres, le Léopard d'or, le Prix de la mise en scène, les Prix d'interprétation et le Prix spécial du jury.

    LÉOPARDS DE DEMAIN Consacrée aux courts métrages, cette section propose deux compétitions, respectivement ouvertes aux jeunes réalisateurs suisses et aux films explorant une région particulière du globe. Cette année: l'Est de la Méditerranée, des Balkans au Moyen-Orient.

    LÉOPARD D'HONNEUR C'est au réalisateur russe Alexander Sokurov, distingué à Locarno en 1987 pour son premier film, La voix solitaire de l'homme, que sera remis le Léopard d'honneur. Son nouveau film, Elegy of life, en hommage à Rostropovich, sera présenté en première mondiale.

    RÉTROSPECTIVE Alternant avec la tradition des hommages «historiques», honore un créateur contemporain avec la projection de tous les films du réalisateur finlandais Aki Kaurismaki, qui présentera son nouveau film sur la Piazza Grande. Parallèlement paraît, en coédition avec les Cahiers du cinéma, un ouvrage référentiel publié par le festival sur cette œuvre majeure.

    RENSEIGNEMENTS Festival international du film Locarno. Tél..: 091 756 21 21
    ou info@pardo.ch

    Cet entretien a paru dans l'édition de 24 Heures du 8 juillet 2006.

  • De l’Harmonie cuisinière

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    Fourier, l’opéra et la gastrosophie

    Comment éduquer l’Enfant ? se demandent aujourd’hui les parents désorientés, et comment se perfectionner soi-même en vue de l’Harmonie ?
    A ces questions légitimes on répondra, les vacances venues, en revenant bonnement à l’étude de l’Harmonie, justement, selon Charles Fourier, dont les visions restent lumineuses et roboratives.
    La meilleure reconduction à cette université buissonnière me semble ce matin la lecture attentive de L’opéra et la cuisine qui vient de s’ajouter au catalogue de l’indispensable Cabinet des Lettrés.
    Il y est rappelé, premièrement, l’importance basique de la formation matérielle de l’enfant, c’est à savoir l’exercice essentiel et premier de son corps, préludant à l’éducation spirituelle. Or l’apprentissage des 7 branches de l’opéra (le Chant, la Danse, le Geste, la Gymnastique, la Poésie, la Peinture et la Féerie mesurée) constitue naturellement le fondement de cette formation matérielle de la tige humaine qui portera demain d’harmonieuses fleurs. Sans bonne connaissance de l’opéra dans ses 7 parties, peu de chance de réalisation industrielle, nous dit Fourier, mais il n’y a pas que ça : il y a la Cuisine.
    La Cuisine, avec majuscule, est non moins essentielle en ses 4 parties que forment la Culture, la Conserve, la cuisine avec minuscule (au sens de la pratique) et la Gastronomie. Au lieu de bourrer prématurément le crâne de l’enfant à trop grand renfort de préceptes et de concepts, laissons-le découvrir les agréments naturels de la cuisine où sa gourmandise et son esprit de service se développeront de concert, l’une aiguisant l’autre. En Harmonie fouriériste, où chaque jour au moins mille volailles se plument dans une phalange de phalanstère, pas moins de 600 petites volailles seront ainsi plumées par les bambines de 3 à 4 ans, et 400 autres plus grosses par les chérubines de 4 à 6 ans. Ainsi l'agréable se mariera-t-il avec le nécessaire.
    Telle étant la première leçon de Fourier en ce matin d’été : « A l’opéra, l’enfant se forme à la manœuvre, à la perfection des mouvements corporels ; mais c’est à la cuisine qu’il se forme aux combinaisons de fonctions agricoles et industrielles, aux raisonnements d’analyse et synthèse qui l’engagent de bonne heure dans l’étude des sciences fixes »…
    Charles Fourier. L’opéra et la cuisine. Gallimard, Le cabinet des lettres, 82p.

  • L’aura de Tracy

    medium_Chapman.jpgmedium_Chapman2.jpgTracy Chapman au Montreux Jazz Festival. Après les électrochocs d’Eels, la chanteuse a fait oublier la touffeur du Miles Hall pris d’assaut par 2000 fans.
    Amorcée par une véritable charge de la cavalerie lourde avec, en première ligne des anguilles survoltées, un Everett à dégaine de trappeur barbu à lunettes de conquérant des sommets, soutenu à la mitrailleuse rythmique par un batteur semblant rescapé de la guerre de Sécession, la soirée vouée à Tracy Chapman aura rappelé, aux amateurs d’émotions fortes, que ce n’est pas forcément dans le déchaînement de décibels et les vociférations que réside la puissance de la musique. Ainsi le bref concert d’Eels, en dépit de quelques ballades relevant d’un blues-rock moins « hardeur », nous a-t-il semblé relever de la démonstration de force tournant à vide.
    En contraste absolu, c’est sur une tonalité gospel, avec Say Hallelujah que Tracy Chapman, paraissant d’abord toute menue sur scène, en simple jean, annonce la « couleur » à la fois dense et grave, mais non moins « punchy » , d’une suite mêlant les compositions des deux derniers albums (Let it rain et le récent Where you live) aux morceaux plus anciens, entre autres « standards » revisités, comme ce fleuron de la musique folk américaine que représente The house of the rising sun, naguère illustré par Bob Dylan et The Animals, entre autres, qu’elle module en beauté avec une lenteur et une densité émotionnelle prenantes.
    Si Tracy Chapman a découvert Montreux en son âge de teenager, ainsi qu’elle l’a rappelé avec humour, à une époque où elle n’avait pas les moyens de se payer un billet d’entrée au festival, c’est rubis sur l’ongle que son ticket avec le public s’est concrétisé mercredi soir en dépit du double désagrément de la salle transformée en étuve et de la diversion parfois bruyante d’un certain match suivi sur les portables…
    Une fois encore, pourtant, la qualité musicale de son concert, qui associe intensément les musiciens (Joe Gore à la guitare, Quinn à la batterie et Kiki Ebson aux claviers), la pertinence et la beauté des textes et de la musique, enfin la grâce de Tracy Chapman auront fait de ce concert un moment privilégié.


  • Vus du ciel

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    L’auteur démasqué (25)

    Ce fragment de prose est tiré de Débat dans l'azur de Léon-Paul Fargue, auteur injustement oublié du Piéton de Paris. Je l'ai tiré du recueil de Vulturne, réuni à Epaisseurs  dans la collection Poésie de Gallimard. Lisez donc Chanson du plus léger que la mort: "Nous sommes les hommes sans murailles ! Nous montons en choeur dans la musique !" Tonique ! Et compliment à Tristan S. à V. qui sait que lire Léon-Paul Fargue n'oblige pas forcément à lire Nicolas Fargues...

    Hachure !
    Est-ce que tu n’en as pas assez d’être une hachure entre les hachures ?
    Homme !
    Tu n’en as donc pas ton soûl d’être un homme parmi les hommes ?
    Grouillis des poux de mer sur la plage des rues.
    Bâtonnets sautant à cloche-pied, vers de pierre, jeux de jonchet en délire, aïe donc, les dragons chargent sur la chair en filoselle, les chapeaux, les gants, les cannes, les sacs endormis dans le blanc d’œil, goitres assommés, crapauds en deuil, accordéons éculés face au ciel !
    Monte un peu. Suis-moi. Colle donc, nom de Dieu ! Là, te voilà bien avancé, maintenant. Crois-tu que c’est beau à voir de là-haut ? Crois-tu que c’est grand’chose ?
    Ah ! vous n’alliez pas loin, les hommes.
    Vois-tu de là-haut comment ça rampe ?
    Comprends-tu, maintenant, comment ça foisonne ?
    Alors, pourquoi tant d’histoires ?

  • L’ennui d’écrire


    medium_Renard.jpgL’auteur démasqué (23)


    L'auteur de cet extrait, identifié par Bona Mangangu, est Jules Renard, dans son roman L'écornifleur. Un régal de vacherie placide. Dans le même genre, on lira le portrait d'Eloi, homme de lettres, dans le recueil de Nos frères farouches. Jules Renard est trop souvent réduit à Poil de carotte ou à ses croquis animaliers. C'est très bien. Mais son Journal est une mine de notations acides et de croquis plus tendres. Un tout grand "petit maître" à lire et relire

    « Que c’est embêtant d’écrire !
    Passe d’écrire des vers ! On peut n’en écrire qu’un à la fois. Ils se retrouvent, et à la fin du mois on joint les bouts. Et puis il y a la rime qui sert de crochet pour tirer, hisse ! hisse ! jusqu’à ce que le vers se rende, se détache.
    Passe même d’écrire une petite nouvelle. C’est court comme une visite de jour de l’an. Bonjour, bonsoir, à des gens qu’on déteste ou qu’on méprise. La nouvelle est la poignée de mains banale de l’homme de lettres aux créatures de son esprit. Elle s’oublie comme une relation d’omnibus.
    Mais c’est un roman ! un roman complet avec des personnages qui ne meurent pas trop vite.
    Mes jeunes confrères me l’ont dit : « Tu réussis les petites machines, mais ne t’attaque jamais é une grosse affaire. Tu manques d’haleine. »
    J’en conviens, j’ai besoin de souffler à la troisième page, de prendre l’air, de faire une saison de paresse ; et quand je retourne à mes bonshommes, j’ai peur, comme si je devais renouer avec une maîtresse devenue grand-mère pendant mon absence, comme si j’allais traîner des morts sur une route qui monte ».

  • Godard et les Stones

    Patchwork d’époque: One + One

    medium_Godard1.jpgmedium_Godard0001.JPGC’est un film intéressant à de multiples égards que One+One dans la présente version « autorisée » par Jean-Luc Godard, assortie de plusieurs entretiens explicatifs éclairants sur sa genèse, notamment avec Jean Douchet et Christophe Conte, ainsi qu’un making of de Richard Mordaunt.
    Pur produit de l’esprit de 68, date de sa sortie marquée par une empoignade à laquelle le récent clash de Beaubourg fait écho pour des motifs analogues de non-respect des intentions du réalisateur, ce film-collage sur les thèmes de la création et de la destruction combine les répétitions (étonnamment très sages) d’un groupe de jeunes rockers anglais déjà mondialement célèbres, en rivalité avec les Beatles, et des séquences donnant la parole aux Noirs purs et durs des Black Panthers. A ce contrepoint initial, illustrant deux modalités de la contestation des années 60-70, s’ajoute un patchwork très (dé)construit de textes (d’Elridge Cleaver, sur la condition des Noirs américains et LeRoi Jones, sur la décadence de la musique noire), de séquences théâtralisées sur le thème des relations entre l’intellectuel et la révolution (avec une Anne Wiazemski délicieusement décalée dans son interview de jeune romantique lançant ses phrases solennelles en pleine forêt) et d’extraits de Mein Kampf ou d’un roman porno, autres paroles de chaos…
    Détonant et déroutant au premier regard (comme l’expo actuellement présentée à Beaubourg…), le film, montant en puissance au rythme crescendo des répétitions de Sympathy for the Devil, en présence d’un Mick Jagger affirmant sa qualité de chef de meute à babines, de Brian Jones déjà liquéfié et d’un Keith Richards aux superbes envolées de guitare, est à voir et à revoir, autant pour ce qu’il a d’agaçant que pour sa force expressive, la pertinence de sa substance polémique et son impact poétique persistant.
    Godard m’a toujours exaspéré et intéressé en même temps. Je ne puis dire que je l’aime comme j’aime Fellini, de tout mon cœur et de toute ma folie. Voir n’importe quoi de Fellini, trois minutes du Sheik blanc, cinq minutes du Bidone ou des Vitelloni, les chefs-d’œuvre cela va sans dire (La Strada, Huit et demi, Amarcord) mais aussi ces merveilles imprévisibles que sont Intervista ou Répétition d’orchestre, me remplit immédiatement d’allégresse italienne comme une mélodie de Puccini ou le premier but que va marquer ce soir l’Italie contre l’Allemagne…
    Mais Godard est un emmerdeur passionnant, et un poète aussi, qu’on atteint par maints détours, au fond du dépotoir actuel, et c’est sûrement un peu difficile, maintenant que la mode en est passée, de déchiffrer ce que nous disent vraiment ses films, mais cela vaut la peine de s’y appliquer, demain peut-être plus encore qu’aujourd’hui…

    Jean-Luc Godard et les Rolling Stones. One + One (Sympathy for the Devil). DVD Carlotta

  • Les poulettes repiquent

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    Le dernier album des Dixie Chicks
    Not ready to make nice, chante Natalie Maines dans le nouvel album des Dixie Chicks, qui en ont vendu plus de 500.000 en une semaine dès sa sortie aux States, en clair : « Je ne suis pas prête à être gentille. Je ne suis pas prête à céder. Je suis toujours folle de colère et n'ai pas le temps de faire des ronds-de jambe. Il est trop tard pour changer et même si je pouvais je ne le ferais probablement pas"...
    Autant dire que les « sorcières » du Texas, pourchassées dès le début de la guerre en Irak pour leurs déclarations « inappropriées », persistent et signent avec les quatorze morceaux de pure country de Taking the long way, dont le premier, The long way around, évoque la virée de celle qui, vivant en nomade sur les routes, se rappelle ses « friends » de collège et se demande si elle s’établira jamais pour sa part et si elle reverra ses amis de jeunesse.
    Même si les paroles des chansons réunies ici distillent des éléments critiques, on est loin du « protest song » des sixties façon Joan Baez ou Neil Young, ce qui n’empêche pas de jolis coups de gueule, comme dans le rock plus épicé de Lubbock or leave it évoquant, dès l’attaque, la fameuse « ceinture biblique » du Sud profond où les églises sont plus nombreuses que les arbres sans convaincre tout le monde de s’agenouiller à l’unisson de la famille Bush…
    Dixie Chicks. Taking the long way. Columbia Records
    Photo: les amours de Natalie Maines  et Saddam, un fleuron de la propagande anti-Chicks

  • Bonnard ou l'état chantant

    La beauté sauvera le monde (Fédor Dostoïevski) 

    A La Désirade, ce vendredi 3 février. – Le nom de BONNARD m’est apparu ce matin dès mon éveil d’avant l’aube, et ce nom disait OUI. Ce seul nom se fond en moi à tout ce qui dit OUI. Il fait nuit noire et je vois le monde en couleurs et ces mots notés au crayon dans un carnet : «L’œuvre d’art – un arrêt du temps ». J’ai commencé de lire hier soir le dernier livre de Tzvetan Todorov, consacré à ceux qui ont voué leur vie à une quête absolue de beauté, et cette autre phrase de Dostoïevski, qu’il y cite dès les premières pages, me revient aussi : « La beauté sauvera le monde ».
    Non la beauté d’agrément : non la beauté facile sur papier lisse ou la beauté cliché  vidée de sens : la beauté se déployant dans un état de plénitude, et Todorov donne le premier exemple de cet émerveillement partagé, dans une salle de concert, que nous vaut parfois un moment musical – ce que j’appelle pour ma part l’état chantant.
    Je n’oublie aucunement les tribulations du monde à l’instant de cette oraison matinale que résume le nom de Pierre Bonnard. Je dirai plus précisément : Monsieur Bonnard. Monsieur Bonnard qui, sa petite boîte de couleurs à la main, en costume et cravaté, se promène à l’instant, dans les couloirs de l’exposition qui s’ouvre àParis, pour faire ici et là ses retouches. Le Christ est en agonie jusqu’à la fin du monde et il ne faut pas dormir pendant ce temps. Or Monsieur Bonnard ne dort pas : jusqu’à la fin du monde il retouchera ses tableaux en essayant d’y être plus précis et plus précis encore, non du tout plus joli ou plus soleilleux, comme on le voit parfois – Bonnard ou la joie de vivre, n’est-ce pas… - mais plus juste, plus vrai, plus rigoureusement, plus physiquement et métaphysiquement proche de la nature ou de ce qu’il voit de la nature derrière son binocle à facettes.
    Monsieur Bonnard vous dit bonjour. La nature morte aux fruits irradie ce matin ses orangés. L’enfant merveilleux (criseux, chiant à ses heures, c’est entendu) sera tout à l’heure à son tour à La table. Pour l’instant on entend le bruit d’eau et les petits soupirs sommeilleux d’une jeune fille se lavant dans son tub quelque part ailleurs. Tout est rassemblé par le poète mais cela vit partout comme ça. Le Café du Petit Poucet pourrait être à Biarritz ou à Buenos-Aires. La terrasse à Vernon, je l’ai vue à Lugano. Le Paysage en Normandie, vous vous le rappelez en Nuithonie, derrière Fribourg, et ainsi de suite.
    Cette polyphonie douce obéit certes à ce parti pris du OUI, mais elle n’est jamais fade ni mensongère ou dogmatique, ni nombriliste non plus même si tout y est absolument personnel ou plus exactement : traversé par la personne du monde. La peinture de Bonnard n’est ni pointillliste ni traitilliste ni tachilliste, elle est tout ça et bien plus, nous lavant du NON en nous montrant simplement les choses aimées.

  • Entre le cri et le chant


    A propos de Quelle nuit sommes nous ? d’Hafid Aggoune

    Le paradoxe absolu de la vie mortelle, dont l’oxymore se prolonge dans le désespoir ardent et la folle sagesse de Samuel Tristan, protagoniste de ce limpide et lancinant deuxième roman de Hafid Aggoune, s’ancre dans l’intransigeance de l’adolescence, ce temps de la vie « où il faut choisir entre vivre et mourir », à l’enseigne de cette «incommensurable solitude que vit chaque adolescent, cet espace de fureur sans nom. »
    Le vrai nom du personnage n’est jamais prononcé, ni dévoilé tout à fait le secret de son désespoir. Il est Personne et chacun de nous, ou plus exactement : il incarne nos extrêmes invivables, il a rompu toutes les attaches pour être mieux relié au monde ; il s’est montré inhumain avec les siens pour mieux résister à « cette longue nuit d’inhumanité » que représente à ses yeux le monde.
    Une fugue, à quinze ans, l’a arraché au petit clan familial où il a lancé un soir à sa mère, son père et son frère: « Je veux voyager, travailler à être le meilleur possible parce que le monde est plus grand que cette cuisine, plus grand que cette télé, plus grand que toi, papa. Seul un livre est plus grand que le monde ! », avant de les quitter pour toujours en feignant de se rendre au judo, dormant sa première nuit au sommet d’un hêtre et gagnant l’Espagne puis l’Afrique du Nord où il est devenu Samuel Tristan, puis Salih (intègre,vertueux) dans les monts kabyles, Saleh à Djerba, Salim (qui a le corps pur et droit) sur les routes lybiennes, Salman (parfaitement sain) à Alexandrie, Saji à Beyrouth où il perd sa virginité, fuyant de vies brèbves en vies brèves,  tanné et boucané par le travail, allégé par le cannabis, apprenant l’arabe et l’hébreu pour en devenir le traducteur, enfin rêvant de l’Aden de Rimbaud sans y toucher, commençant lui aussi d’écrire mais ne faisant à vrai dire que lire en trimballant avec lui son sac de bouquins.
    Autant dire que, lorsque commence le roman, à Venise où il débarque de Paris, à l’âge du Christ, Samuel Tristan a fait déjà le tour de lui-même, vivant de rien (à Paris, garçon au pair) et ne faisant rien que lire et vivre, comme un ascète ou un oiseau. Appelé en ces lieux pour aider une Française, femme sculpteur, qui a la garde de l’ancien hôpital de sainte Marie-des-Grâces, jouxtant l’asile désaffecté de San Clemente de sinistre mémoire, Samuel, qui est la porosité affective et poétique incarnée, ne peut supporter de cohabiter avec les fantômes de ceux qui ont souffert en ces lieux, dont les cris le poursuivent. Du moins aura-t-il aidé Emeline en nettoyant la place de ses ronces envahissantes, avant de trouver refuge momentané dans un atelier d’artiste du Ghetto, d'où il accomplit son dernier voyage d'amant de la nuit, trouvant sa paix dans les eaux industrielles de la lagune.
    Le lecteur posé sourira peut-être de la révolte de Samuel Tristan, quand il dit : « J’ai peur d’un monde sans différence. J’ai peur des religions qui tuent beaucoup plus que les guerres, parce qu’elles n’ont pas de fin et ne sont plus ce qui nous relie mais ce qui nous sépare ». La lectrice réaliste haussera peut-être les épaules en lisant : « Jamais je ne voudrais être de ceux qui pourrissent, détruisent, polluent, réduisent cette planète ». D’aucuns lui objecteront comme toujours : « cela te passera avant que ça nous reprenne », et la cause sera entendue.
    Mais Quelle nuit sommes-nous ? va bien au-delà de la protestation d’un adolescent inadapté. Ce petit livre, comme la peinture de Francis Bacon citée au début, dit la beauté arrachée à la laideur : «Son regard nous traverse, nous taille. Il nous ouvre au scalpel. La peau s’écarte sans résistance. Les os craquent. Nos visages se tordent. Nos êtres montrent les affres, les peurs, les cicatrices, la beauté cachée de notre plus belle humanité. Défigurés, nous existons enfin ».
    Ce livre existe en effet, dans son elliptique simplicité, et nous existons de concert sur cette île de la lagune où s’effondre à n’en plus finir toute construction de notre plus bel art, dans le voisinage des inadaptés absolus que sont ceux que nous appelons fous. « Donne à qui sait lire ton âme, fuis qui la déchire », se recommande Samuel à lui-même, comme à tous ses semblables. Et ceci qu’il se murmure à Venise avant de se laisser glisser dans son linceul liquide : « Venise est un masque derrière lequel se cache l’effondrement de tout ce que l’homme a fait depuis sa première œuvre d’art. Seule est admirable la lumière, éternelle présence survivant aux vanités du temps, architecture de l’architecture, corps des corps, esprit des courbes, véritable essence de toute chose. Mon regard se perd à l’intérieur des songes. La beauté est un miracle de l’instant. Rien ne dure, sinon le renouvellement de nos regards en soi, sur le monde, sur autrui. Rien ne me console plus que de me savoir pierre, eau, branche, lumière, vent, regard. C’est pour cela que j’aime tant les livres : l’instant de la lecture est un absolu fait de rien et de tout, une concentration de tous les possibles posée sur la légèreté d’une feuille »…
    Hafid Aggoune. Quelle nuit sommes-nous ? Editions Farrago, 121p.