Sur Hervé Guibert, Zouc, JLG et Allain Leprest
Nathalie Baye est ces jours à Lausanne pour y présenter la création multimondiale de son évocation de Zouc et Hervé Guibert. C’est exactement la chose que je n’ai pas envie de voir, et d’ailleurs on me dit que c’est lisse et plat comme de la réglisse, le goût en moins.
Le dernier souvenir que je garde de Zouc est un pur moment d’âpre émotion, il doit bien y avoir vingt ans de ça, au Théâtre Municipal, dans sa bouleversante traversée de vies fracassées. Ce n’était pas la Zouc enjouée mais la fille du bord des gouffres à la manière helvète sauvage, proche de Louis Soutter et de Robert Walser. On conçoit que de celle-ci, Nathalie Baye ne puisse rien restituer. Reste un nom qui fait tilt comme le nom de Baye fait tilt pour les pipoles, et le nom de Guibert.
J’avais oublié qu’ Hervé Guibert avait rencontré Zouc, mais le rapprochement de ces deux enfants exacerbés n’a rien de surprenant malgré la différence de leurs modes d’expression. Tout de même, Guibert avait une façon de regarder les gens, par exemple ses deux chères vieilles dames, et de les mettre en scène, de se mettre en scène lui-même et de cadrer les objets, qui avait la même acuité que celle du regard de Zouc sur le comique et le tragique du monde. Tous deux sont en outre des purs, à mes yeux, des purs de purs. Comme l’est aussi JLG dont je regarde, ces jours, les cinq cassettes de l’ Histoire(s) du cinéma en même temps que je coupe du bois et que je rédige deux trois papiers pour mon journal.
Guibert, Zouc et Godard procèdent par collage, comme Fellini et Montaigne aussi. Drôle de mélange, mais ça me botte de couper du bois en laissant tourner JLG sur le magnétoscope et en relisant de loin en loin, slurpant un café dans la foulée, des pages de Fou de Vincent de Guibert, ce si beau patchwork de fragments amoureux obscènes et doux.
J’étais hier soir au cabaret de L’Esprit frappeur où passaient le blond Riquet houppé Thierry Romanens, le charme zazou et le talent doux-acide jeté en personne, puis l’immense Allain Leprest, toujours au bord de s’effondrer mais ouvrant tout grand son ciel d’âme pure.
Bon mais c’est pas tout ça, faut à présent que je bosse la moindre : tout ce tas de bois à couper, et ce papier sur nos troubadours. Or en vaquant d’un coin à l’autre de mes territoires, j’entends Leprest à l'étage d'en dessus et Godard qui murmure dans la pièce d’en bas de son pesant accent: On a oublié Valentin Feldman le jeune philosophe fusillé en quarante-trois mais qui ne se souvient au moins d’un prisonnier c’est-à-dire de Goya ?