Lecture de Grande Jonction (4)
Les passionnés d’armes diverses, et autres amateurs de menées militaires bien tueuses, sur fond de sainte guerre, en auront leur content à la lecture, des pages 300 à 400 de Grande Jonction, où l’auteur tend pourtant à se répéter et plus encore : se complaire dans une évocation de néo-croisade à laquelle on a autant de peine à croire qu’à s’intéresser. La péripétie dominante de cette partie est l’arrivée, sur le Territoire dont la « Loi d’Airain » est invoquée à tout bout de page, d’un convoi de 10.000 livres envoyés par le Saint Père de Rome, lui-même menacé par de nouvelles attaques des néo-islamistes barbaresques, lesquels bouquins serviront au salut du dernier carré des Purs. Le sanctuaire chrétien de la Heavy Metal Valley, quadrillé par la police du sherif Langlois, est le cœur du Territoire, mais il est un lieu plus crucialement lié à la destinée de celui-ci, sous le dôme de l’Hôtel Laïka que se rappelle le lecteur de Cosmos Incorporated et où revient le jeune Gabriel avec un sentiment lancinant de « déjà vu ». C’est là que gît le secret des secrets, qui inspire à Dantec une envolée pseudo-profonde comme on en trouvera hélas de plus en plus en ces pages délayées :
« Tout secret est une tombe clandestine où la vérité gît, enterrée vivante, pour sa propre protection.
Tout secret est une nécropole, remplie de tous ceux qui sont morts pour lui, ou contre lui.
Tout secret est un traité passé avec la nuit la plus noire, scellée de la lumière la plus aveuglantes qui soit ».
Words, words, words, est-on tenté de soupirer avant de tomber sur cette phrase non moins solennelle et creuse : « Un piège est un différentiel cognitif »...
Le côté stéréotypé et mécanique de la narration, qui ne gêne guère jusque-là du fait qu’un tel roman est essentiellement intéressant par ses extrapolations et ses conjectures, et que le souffle ou le lyrisme des grandes évocations de Dantec fait également illusion, devient en revanche visible et pesant dès lors que le ton du livre tourne à la gravité sentencieuse, frisant parfois le ridicule. Tout cela tient évidemment à la visée de plus en plus édifiante du Bon Combat qui se livre ici dans les rangs des « élus », contre les Forces du Mal. Si les épisodes liés au jeune rocker « christique » conservent un certain charme, les pédantes explications du Professeur abordant divers débats théologiques suréminents, touchant (notamment) au monopsychisme ou à l’individuation, paraissent décidément « téléphonées » et artificielles, surtout dispensées à des personnages aussi schématiques que les deux chasseurs de prime Youri et Chrysler, « convertis « de la dernière heure qui vont casser de l’infidèle à qui mieux mieux… On notera au passage, en pleine mêlée, que l’héroïque Frère Francisco « tire de longues rafales avec son fusil automatique Sug-Sauer SG551 dont la crosse de Kevlar est couvertes de reproductions de la Vierge et des anges. » Alleluia…
Commentaires
mais comment as tu fait pour te procurer un exemplaire ?? (alors que d'autres attendent (im)patiemment (à tort ou à raison d'ailleurs) la sortie en librairie ???
Mon chien Fellow est un cyberdog qui a ses entrées aux services littéraires de la CIA. Je ne lui file ses doses de régénérateur transgénique que moyennant certains échanges. Mais tout cela reste entre nous j'espère. Okay?
bien entendu.
et quand auront nous la joie de receuillir tes prochaines impressions sur le dit volume ?
Sous peu, camarade. J'ai été suroccupé ces derniers temps, mais j'entre en vacances aujourd'hui pour deux semaines donc je vais enfin pouvoir travailler un peu sur la fin d'un roman, et achever accessoirement la lecture de Dantec, de Nancy Huston et de trois autres livres à paraître. Mais je crains de ne pas être gentil pour Dantec, qui me semble tourner en rond et virer littérature à message pénible, enfin j'espère être surpris au tournant de la page 500...
Je l'espère...j'espère avoir aussi d'avoir le temps de le lire sans jeter l'éponge mais plus je te lis, plus je crains que ce ne soit pas possible....on verra bien, je serai ravi d'échanger nos impressions quand j'aurai commencé la lecture....
Pour ce qui est du message pénible ça doit résonner un peu comme mes vieilles dissert de philo : une seule idée et 20 pages de développement autour en utilisant tous les subterfuges narratifs et sémantiques pour faire passer la pilule....mmmh