De Rosengart à Rebecca
J’avais laissé son livre pour voyager plus léger à travers les campagnes enneigées, n’emportant que Les Cahiers de Johanna Silber, mais aussitôt j’ai reconnu Sollers à l’œil inquisiteur qu’il nous a vrillé en se rengorgant dans son feu de plumes blanches, tandis que nous longions la rivière sur laquelle il dansait tout gonflé de son animale importance.
Je me trouvais là bras-deci bras-deça avec deux très vieilles gredines pleines de malice auxquelles j’avais proposé de se rendre en certaine auberge Zum Schiff pour s’y tasser la cloche, ensuite de quoi nous irions à la Collection Rosengart revoir les Cézanne et les Rouault, en traversant vite fait les trois grandes salles de Picasso. Or j’ai vu tout de suite que Sollers savait où nous allions, et que son œil posait une question qu’en une fraction de seconde j’eus déchiffré avant d'y répondre fissa d’un bref hochement du chef. « Verraient-ils le petit Marquet marqueté d'ocelles liquides et le paysage incendié de Soutine » - « Yes messire, ils y allaient surtout pour ça »…
« Yes » est les plus beau mot de la langue anglaise, avait dit Joyce à Johanna Silber quand la diva l’avait rencontré par hasard à Zurich, et j’étais plein encore de la féerie mélancolique de ses carnets lorsque je me rappelai que, de la mélancolie, le cygne Sollers, Sollers le paon paonnant, Sollers le magnifique, le cerf bandant Sollers n’a que foutre.
L’une de mes vieilles gredines a remarqué, au Schiff, lorsque je lui ai montré le cliché digitalisé du cygne Sollers sur le petit écran de mon Nikkon Coolpix L101, qu’il avait le même air rengorgé que l’oncle Théobald quand il est parti aux States , où il a fini clochard ; et j’ai daubé sur le fait que jamais Sollers ne finirait sur le pavé, hélas pour lui, ça manquerait à sa connaissance.
Sur quoi nous nous sommes retrouvés devant les baigneuses bleues de Cézanne. Et le temps s’est arrêté entre le paysage nocturne de Rouault et la tempête d’huile de Soutine…
Le soir nous avons regardé Rebecca du cher Hitch, produit par Dave Selznick qui joue un certain rôle dans la vie de Johanna Silber. Une fois de plus je me suis dit : tout se tient, tout est communiquant, divine est la vie mais pas si ludique que le dit ce vaticanesque ultramondain de Sollers… ah mais flûte: embarquons Une vie divine tant qu’on y est, et vive la vie dont nous crevons !
Georges Rouault. Bouquet au paysage lunaire. Vers 1940. Huile sur toile, 43/29cm. Collection Rosengart, Lucerne.
Commentaires
Je rêve, ou c'est un cygne d'étang ?
Mais pas du tout: c'est un cygne d'eau fluente, dansant sur la Reuss glaciale qui sort à Lucerne du lac alpin des Quatre-Cantons pour traverser des hauts-plateaux enneigés avant de se jeter je ne sais plus où. Un cygne des temps qui courent, voilà ce qu'est Sollers...
Oui... le dernier Sollers... 500 pages de légèreté, quoi qu'on en dise... ah ! Si seulement Nietzsche avait été un peu plus Nietzschéen dans son Incarnation il aurait encore plus fait danser le monde !
Cela étant dit... entre Cezanne... Sollers via Nietzsche et ce beau cygne de Lucerne on a de quoi faire du temps un Pays très Vaste à visiter infiniment...
Salutations Patriotiques...
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Et comment, de l'Essone à l'Engadine via Venice on the rocks, il y a de l'espace dansant...